L’Encyclopédie/1re édition/BEEL-PHEGOR ou BEL-PEHOR

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 189-190).
◄  BEDOUINS
BEELZEBUB  ►

BEEL-PHEGOR ou BEL-PEHOR, s. m. (Myth.) fausse divinité que les Israélites adoroient à l’imitation des Moabites, selon le récit que Moyse en fait au ch. xxv des nombres. Selden croit que c’étoit un faux dieu des Moabites & des Madianites, & le même qui est seulement nommé peor au chapitre qui vient d’être cité, & au xxxj du même livre, comme encore au xxij de Josué. Une lettre hébraïque ע, dont la pronontiation est difficile, & qui se change souvent en g dans les autres langues, a fait aussi qu’on l’a nommé phegor. Origene, Homel. xx sur le livre des nombres, dit qu’il n’a rien pû trouver dans les écrits des Hébreux, touchant cette idole de saleté & d’ordure. Beel-phegor, dit-il, est le nom d’une idole qui est adorée dans le pays de Madian, principalement par les femmes. Le peuple d’Israel se dévoüa à son service, & fut initié dans ses mysteres. Origene ajoûte, que Beel-phegor marque une espece de turpitude & de vilainie. Le rabbin Salomon de Lunel, autrement Jarchi, dans son commentaire sur le xxv des nombres, croit que ce nom signifie faire ses ordures devant quelqu’un, & que les idolatres faisoient cette salle action devant Beel-phegor. Le célebre Moyse, fils de Maimon, approche de son sentiment, & l’explique un peu plus au long dans son livre intitulé More Neuochim, partie 3. ch. xlvj. que Buxtorf le fils a traduit en Latin. On a encore allégué d’autres raisons du nom de cette idole. Quelques-uns croyent qu’elle s’appelloit ainsi, à cause qu’elle avoit la bouche ouverte. Philon juif est de cette opinion ; & il semble, qu’au lieu de Beel-phegor, il avoit lû Baal-piaghor, ce qui peut signifier la bouche ou l’ouverture supérieure de la peau. Saint Jérôme sur le 4 & le 9 du prophete Osée, & au I. livre contre Jovinien, chapitre xij. croit que le beel-phegor des Moabites & des Madianites est le même que le Priape des Grecs & des Latins. Isidore est de cette opinion au VIII. livre des origines ; & Rufin au III. livre sur Osée. Ces auteurs prouvent par les endroits de l’écriture sainte, où il est parlé des fornications des Moabites & des Hébreux, que ces deux idoles, Beel-phegor & Priape, étoient honorées avec d’infames cérémonies. Ils alleguent aussi le chapitre ix. du prophete Osée, où ceux qui servoient Beel-phegor sont accusés de commettre des impudicités, & de faire des choses abominables. Le pere Kircher suit aussi le sentiment de S. Jérôme, & dit que cette infame idolatrie étoit venue d’Egypte, où les Hébreux avoient vû les détestables cérémonies d’Osiris. Scaliger conjecture que le nom de phegor fut donné en dérision au dieu des Moabites, qui s’appelloit Baal-kéem, le dieu du tonnerre, que les Hébreux appellerent par mépris le dieu du pet, comme ils changerent le nom du dieu d’Accaron, Beelzebub, qui signifie le dieu des mouches, en celui de beelzebul, dieu des excrémens ; & comme ils donnerent à Bethel, où étoient les veaux d’or de Jéroboam, le nom de beth-aven, maison d’iniquité. Vossius, après S. Jérôme, croit que phegor est le dieu Priape ; d’autres se persuadent que cette idole reçut son nom de quelque prince qui fut mis au nombre des dieux, ou de quelque montagne de même nom, car il y avoit dans le pays de Moab une montagne qui s’appelloit phegor ; & l’on croit que baal y avoit un temple, où on lui offroit des sacrifices. Balac, dit Moyse, nomb. chap. xxiij. verset 28, conduisit Balaam au sommet de Phegor, qui regarde vis-à-vis du desert de Jesimon. Theodoret, sur le pseaume cv, fait venir de-là le nom de beel-phegor, & Suidas en donne l’étymologie en ces termes : Beel, c’est Saturne ; Phegor le lieu où il étoit adoré ; & de ces deux noms, a été formé celui de Beel-phegor : car, comme Jupiter a été appellé Olympien & Mercure Cyllenien, à cause des montagnes de Thessalie & d’Arcadie, où ils étoient adorés, il y a apparence que Baal étoit appellée Baal-phegor, à cause du mont Phegor, où on lui sacrifioit. Il est fait mention au ch. xxxjv du Deuteronome de la maison de phegor, ou de beeth-phegor, qui étoit dans le pays de Moab, auprès de la vallée dans laquelle Moyse fut enseveli. Les noms de beth dagon, de beth-shemesh, &c. semblent être des preuves que Beel-phegor se peut prendre là pour la montagne où étoit le temple de l’idole ; car les Hébreux appellent un temple beth, c’est-à-dire, maison. Les Moabites offroient les sacrifices à Beel-phegor, dont il est parlé dans les Nombres, chap. xxv. verset 2. Les filles de Moab inviterent les Israélites à leurs sacrifices, ils mangerent, & adorerent leurs dieux, & Israel fut invité aux mysteres de Beel-phegor. Et dans le pseaume cv. ils furent initiés à Beel-phegor, & ils mangerent les sacrifices des morts. Par ces sacrifices des morts, quelques-uns entendent les sacrifices offerts à Beel-phegor, qui étoit un dieu mort. D’autres entendent par-là les cérémonies des funérailles, & les offrandes que les Moabites faisoient aux morts. Selden prétend que Peel-phegor étoit le dieu des morts, ou le Pluton des Grecs ; & que les offrandes que l’on faisoit aux manes pour les appaiser, sont ces sacrifices des morts, dont il est parlé en cet endroït. Le pere dom Augustin Calmet conjecture que Phegor est peut-être le même qu’Adonis, ou Isiris, dont on célébroit les fêtes comme des funérailles des morts, avec des lamentations & des pleurs & d’autres cérémonies lugubres ; & il prétend que la défense que Moyse fait aux Hébreux, Lévit. xix. de se raser, & de se faire des incisions dans la chair pour les morts, a rapport au culte de Beel-phegor. Cela paroît assez vraissemblable, & il est certain que l’on honoroit ainsi Adonis : mais il se peut faire que deux différens dieux ayent eu le même culte dans deux diverses habitations, & il paroît que les Hébreux n’appelloient pas Adonis Phegor, mais Thammus. Le même Bénédictin donne encore une autre conjecture sur le dieu Phegor, en prétendant que c’est l’Orus des Egyptiens, fils d’Isis. Mais toutes ces conjectures n’ont rien de certain. Consultez Vossius, de l’idolatrie des payens, livre II. chap. vij. Voyez Baal. Selden, de Diis Syris. Dom Augustin Calmet, Dissertation sur les Nombres. (G)