L’Encyclopédie/1re édition/BARBE

BARBE, le poil qui croît au menton & autres parties du visage, sur-tout des mâles adultes. V. Poil.

La barbe est la premiere marque de puberté ; c’est un indice que la semence commence à se faire ; elle continue, si le sang produit la même humeur prolifique : elle cesse de pousser, ou tombe, si cette secrétion importante est empêchée. On connoît par-là pourquoi la barbe & les cheveux tombent souvent dans la vieillesse. La voix d’un garçon ressemble à celle d’une fille avant la secrétion de la semence, après quoi elle devient grave & rauque, & ce symptome paroît avant la barbe. (L)

La barbe a été assujettie à diverses coûtumes & cérémonies. Kingson nous assûre qu’une partie considérable de la religion des Tartares consiste dans le gouvernement de leur barbe ; qu’ils ont fait une longue & sanglante guerre aux Persans, & les ont déclarés infideles, quoique de leur communion à d’autres égards, précisément à cause que ceux-ci ne se faisoient point la moustache à la mode ou suivant le rit des Tartares.

Athenée remarque, d’après Chrysippe, que les Grecs avant Alexandre, avoient toûjours conservé leur barbe, & que le premier Athénien qui coupa la sienne, fut toûjours après cela dans les médailles surnommé le tondu, κόρσης. Plutarque ajoûte qu’Alexandre ordonna aux Macédoniens de se faire raser, de peur que les ennemis ne les prissent par la barbe.

Quoi qu’il en soit, nous voyons que Philippe son pere, ainsi que ses prédécesseurs Amyntas & Archelaiis, sont représentés sans barbe sur les médailles.

Pline observe que les Romains ne commencerent à se raser que l’an de Rome 454, quand P. Ticinus leur amena de Sicile une provision de barbiers ; il ajoûte que Scipion l’Africain fut le premier qui fit venir la mode de se raser chaque jour.

Ce fut encore une coûtume parmi les Romains de se faire des visites de cérémonie, à l’occasion de la premiere coupe de la barbe. Les jeunes gens commençoient à se faire couper la barbe depuis l’âgê de 21 ans, jusqu’à celui de 49 ; passé 49 ans, il n’étoit plus permis, selon Pline, de ne pas porter la barbe longue. Ils enfermoient leur premiere barbe dans une petite boîte d’or ou d’argent, qu’ils consacroient à quelque divinité, & sur-tout à Jupiter Capitolin, comme Suétone le remarque de Néron. Les 14 premiers empereurs se firent raser jusqu’au tems de l’empereur Adrien, qui retablit l’usage de porter la barbe : Plutarque dit que le motif de ce prince fut de cacher les cicatrices qu’il avoit au visage.

Tous ses successeurs l’imiterent jusqu’à Constantin. Les barbes reparurent sous Héraclius, & tous les empereurs Grecs l’ont portée depuis. Les Goths & les Francs ne portoient qu’une moustache, jusqu’à Clodion, qui ordonna aux François de laisser croître leur barbe & leurs cheveux, pour les distinguer des Romains. Les anciens philosophes & les prêtres des Juifs portoient de longues barbes. On veut que ce soit aussi l’origine du nom des Lombards, Longobardi quasi Longo-barbati. Il y a un canon du concile de Carthage, qui défend aux clercs de porter de longs cheveux & de longues barbes : clericus nec comam nutriat, nec barbam ; ce qui se concilie difficilement avec cette leçon, nec barbam tundat. Grégoire VII. dit, que le clergé d’Occident a toûjours été rasé. Aujourd’hui les Occidentaux se font raser ; & les Grecs au contraire, les Turcs & presque tous les Orientaux ont conservé la mode de porter de longues barbes.

On usoit anciennement de grandes cérémonies en bénissant la barbe, & l’on voit encore les prieres qui se disoient dans la solennité de sa consécration, lorsque l’on tonsuroit un clerc. Voyez Tonsure.

Les gens de qualité faisoient raser leurs enfans la premiere fois par des hommes aussi qualifiés qu’eux, ou plus même ; & ceux-ci devenoient par ce moyen les parreins ou les peres adoptifs des enfans. Voyez Adoption.

Il est vrai qu’anciennement, on devenoit parrein du garçon précisément en lui touchant la barbe ; aussi voit-on dans l’histoire qu’un des articles du traité entre Clovis & Alaric, fut que ce dernier lui toucheroit la barbe, afin de devenir le parrein de Clovis. Voyez Parrein.

A l’égard des ecclésiastiques, la discipline a considérablement varié sur l’article de la barbe ; on leur a quelquefois enjoint de la porter, à cause qu’il y a quelque chose d’efféminé à se la faire, & qu’une barbe longue sied bien à la gravité du clergé ; d’autres fois on l’a défendue comme suspecte de cacher de l’orgueil sous un air vénérable. L’église Greque & la Romaine ont été long-tems aux prises à ce sujet depuis leur séparation. Ceux de l’église de Rome semblent avoir encore eu plus de goût pour se raser afin de contredire les Grecs ; ils ont même fait certaines constitutions expresses de radendis barbis.

Les Grecs, de leur côté défendent la cause des grandes barbes, avec un zele ardent, & sont très scandalisés de voir dans les églises Romaines, des images de saints qui n’ont point de barbe. On trouve que par les statuts de quelques monasteres, les moines laiques devoient laisser croître leur barbe, & les prêtres se raser ; & que l’on bénissoit, avec beaucoup de cérémonies, les barbes de tous ceux qui étoient reçûs dans les couvens.

En certains pays, c’est porter le deuil que de laisser croître sa barbe, en d’autres c’en est un que de se raser. Le pere le Comte remarque l’extravagance des Chinois dans leur affectation de porter de grandes barbes, eux à qui la nature n’en a donné que de fort petites, qu’ils ont la folie de cultiver avec un grand soin, enviant beaucoup le bonheur des peuples de l’Europe à cet égard, & les considérant comme les premiers hommes du monde, à cause de leur barbe.

Les Russiens portoient encore leur barbe, il n’y a que très-peu d’années, quand le Czar Pierre I. leur ordonna de se raser : mais nonobstant son ordre, il fut contraint de tenir sur pied un bon nombre d’officiers, pour la couper de haute lutte à ceux que l’on ne pouvoit réduire autrement à s’en défaire. C’est une remarque de Saint-Chrysostome, que les rois de Perse avoient leur barbe tissue, & nattée avec un fil d’or. Quelques-uns des premiers rois de France faisoient noüer & boutonner leur barbe avec de l’or. (G)

Barbe d’une Comete (Astronom.) c’est le nom qu’on donne à ces especes de rayons qu’envoye une comete, vers la partie du ciel où son mouvement paroît la porter. Voyez Comete.

C’est en quoi la barbe de la comete est distinguée de sa queue, qui se dit des rayons poussés vers la partie d’où il semble que son mouvement l’éloigne. Voyez Queue. En un mot la barbe de la comete est une espece de chevelure lumineuse & rayonnante qui la précede, & la queue est une chevelure lumineuse & rayonnante qui la suit. La cause de la queue des cometes & de leur barbe n’est pas trop bien connue. Voyez sur ce sujet les conjectures des philosophes, au mot Comete. (O)

Barbe ou plûtôt Barbette (terme de l’Art militaire) tirer en barbe ou à barbette, c’est tirer le canon par dessus le parapet, au lieu de le tirer par les embrasures ; auquel cas le parapet ne doit avoir que trois piés & demi de hauteur, au-dessus de l’endroit où le canon est placé. On fait ordinairement de petites élévations de terre aux angles flanqués des ouvrages pour y placer du canon qu’on tire à barbette. Ces élévations sont aussi appellées barbettes. On donne ce même nom au canon, qui est tiré de ces élévations ; parce qu’on prétend que le canon en tirant de-là, par-dessus ce parapet, lui fait pour ainsi dire la barbe, en brûlant l’herbe de sa partie supérieure. (Q)

Barbe d’un vaisseau (Marine.) les barbes d’un vaisseau sont les parties du bordage de l’avant, auprès du rinjot, c’est-à-dire, vers l’endroit où l’étrave s’assemble avec la quille.

Barbe, Sainte-Barbe, gardiennerie, chambre des canonniers ; c’est ainsi que se nomme (en Marine) la chambre des canonniers, à cause qu’ils ont choisi Sainte Barbe pour patrone. La sainte-barbe est un retranchement de l’arriere du vaisseau, au-dessus de la sonte, & au-dessous de la chambre du capitaine. Le timon passe dans la sainte-barbe. Les vaisseaux de guerre y ont ordinairement deux sabords pratiqués dans l’arcasse ; on l’appelle aussi gardiennerie, à cause que le maître canonnier y met une partie de ce qui regarde les ustenciles de son artillerie. Voyez Pl. IV. fig. I. n°. 107. (Z)

Barbe (Manege) on appelle ainsi un cheval de Barbarie, qui a la taille menue & les jambes déchargées, & qui est fort estimé pour sa vigueur & sa vîtesse. Voyez Cheval.

Les barbes sont ordinairement d’une taille déliée, & ont les jambes bien écartées. C’est une maxime que les barbes meurent, mais ne vieillissent jamais ; parce qu’ils conservent leur vigueur jusqu’à la fin : c’est pourquoi on en fait des étalons. Leur feu, selon le duc de Newcastle, dure autant que leur vie.

On dit que ces chevaux étoient autrefois sauvages, & qu’ils couroient çà & là dans les forêts de l’Arabie ; & que ce ne fut qu’au tems du Cheque Ismaël qu’on commença à les dompter pour la premiere fois. On assûre qu’il y a des barbes en Afrique, qui devancent les autruches à la course, qu’on vend ordinairement dix mille livres, ou comme dit Dapper, mille ducats, ou cent chameaux. On les entretient toûjours maigres, & on les nourrit fort peu avec quelques grains & de la pâte, ou comme dit Dapper, avec du lait de chameau qu’on leur donne soir & matin. On conserve la généalogie des chevaux barbes, avec le même soin qu’on fait en Europe celle des grandes familles ; & on ne les vend jamais sans produire leurs titres de noblesse. Il y en a qu’on fait descendre en droite ligne de l’illustre cheval du grand Dalid.

La race des chevaux a fort dégénéré dans la Numidie, les Arabes ayant été découragés de la conserver par les officiers Turcs, qui étoient assûrés de s’en rendre maîtres. Les Tingitaniens & les Égyptiens ont aujourd’hui la réputation de conserver la meilleure race, tant pour la taille que pour la beauté. Les plus petits de ces derniers ont ordinairement seize palmes, & tous sont formés, suivant leur maniere de s’exprimer, comme la gazelle.

Les bonnes qualités d’un cheval de Barbarie (outre celles qu’on lui suppose de ne jamais se coucher, & de ne point bouger lorsque le cavalier vient à laisser tomber sa bride) sont d’avoir une longue allure, & de s’arrêter court, s’il le faut, en pleine course.

Le barbe n’est pas si propre à être étalon pour avoir des chevaux de manége, que pour des coureurs ; car il engendre des chevaux longs & lâches : c’est pourquoi il ne faut point avoir de sa race pour le manége, s’il n’est court de la tête à la croupe, fort, raccourci, & d’une grande vivacité ; ce qui se trouve dans peu de barbes.

Barbe, ou Sous-barbe (Manége) est la partie de la tête du cheval, qui porte la gourmette. C’est proprement le bout ou plûtôt la jonction des os de la ganache. Voyez Ganache.

Barbes, ou Barbillons, (Maréchallerie.) ce sont des petites excroissances de chair longuettes, & finissant en pointe, qui sont attachées au palais sous la langue du cheval, qui l’empêchent de manger, & qu’on ôte pour cette raison. (V)

Barbe, (en Serrurerie) est une partie du pêne ; elle a la forme de dents, qu’on voit ordinairement à sa partie inférieure, quelquefois à la supérieure, & à l’une & à l’autre. Voyez Planche III. de Serrurerie, en V & en T. La clef en tournant dans la serrure, les rencontre & fait avancer ou reculer le pêle ou pêne.

Il y a différentes sortes de barbes ; des barbes perdues, ou volantes ; ce sont celles qui sont mobiles, & qui peuvent descendre & monter. Elles ne font pas corps avec le pêne ; elles y sont seulement ajustées, & c’est par le méchanisme qu’employe l’ouvrier qu’elles paroissent ou disparoissent. On trouvera à l’article Serrure, plusieurs exemples de ces barbes. Voyez Serrure.

Barbe de bouc, tragopogon, (Hist. nat. bot.) genre de plante, dont la fleur est à demi-fleurons portés chacun sur un embryon, & soûtenus par un calice fendu en plusieurs parties sans être écailleux. Lorsque cette fleur est passée, chaque embryon devient une semence revêtue d’une membrane ou d’une enveloppe garnie d’une aigrette, & attachée sur la couche. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plante. (I)

* Le tragopogon pratense, luteum, majus, aime les lieux champêtres, les prés, les pâturages, & les terres grasses ; il fleurit en Mai & en Juin, & il ne tarde pas à répandre sa graine ; il redonne des fleurs en Juillet & en Août.

Sa racine échauffe & humecte ; elle est salutaire dans les maladies de poitrine ; son suc lactée agglutine les ulceres récens, pousse par les urines, & excite les graviers à sortir. Il y en a qui mangent la racine cuite, quand elle est tendre : mais ils sont en petit nombre.

Barbe de chevre, barba capræ, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond ; le pistil sort d’un calice d’une seule piece, & devient dans la suite un fruit composé de plusieurs petites gaines rassemblées en forme de tête. Chaque gaîne renferme une semence ordinairement oblongue. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plante. (I)

* La barba capræ, floribus compactis, a la feuille d’un goût d’herbe salé & gluant, & rougissant un peu le papier bleu ; sa racine le rougit beaucoup ; elle est styptique & un peu amere. Il y a apparence que le sel de cette plante approche du sel ammoniac ; mais uni avec beaucoup de soufre & assez de terre. Elle donne par l’analyse des liqueurs acides, du sel volatil concret, beaucoup de soufre, & assez de terre ; aussi est-elle sudorifique, cordiale, & vulnéraire ; la décoction de sa racine est bonne dans les fievres malignes. Le vin où on l’a fait bouillir est salutaire dans les cours de ventre, la dyssenterie, le crachement de sang, & les blessures internes. Un gros de son extrait est sudorifique : mais il en faut continuer l’usage pendant deux ou trois jours. Il en faut prendre un gros le matin, autant l’après-midi ; & le soir, la même dose avec un grain de laudanum.

Barbe de Jupiter, barba Jovis, (Hist. nat. bot.) genre de plante dont la fleur est légumineuse ; le pistil sort du calice, & devient dans la suite une silique fort courte & presqu’ovale, qui renferme une semence arrondie. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plante. (I)

* On ne lui attribue aucune propriété medicinale.

Barbe renard, tragacantha, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur légumineuse ; le pistil sort du calice, & devient dans la suite une silique divisée selon sa longueur en deux loges remplies de quelques semences qui ont ordinairement la figure d’un petit rein. Ajoûtez aux caracteres de ce genre que les feuilles naissent par paires sur une côte terminée par un piquant. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plante. (I)

* La tragacantha croît dans les provinces méridionales de la France & en Italie : mais elle ne donne sa gomme que dans les pays orientaux.

On tire de sa racine la gomme adragant des boutiques. Voyez Adragant.

* Barbe a plusieurs autres acceptions : voici les principales. Il se dit des petites arrêtes qu’on remarque aux poissons plats, & qui leur servent de nageoires ; voyez Poisson, Nageoires : des franges mollettes dans les plumes sont garnies depuis le haut du tuyau jusqu’à l’extrémité ; voyez Plume : des poils dont certains épis de blé sont hérissés ; voyez Blé, Épi : du poil de certaines étoffes, ou usées, ou non ébarbées ; voyez Draperie : de cette espece de duvet qui dénote la corruption & la moisissure des confitures gâtées : des petites molécules métalliques, ou grains de limaille, qui restent attachés aux arrêtes de tous les corps métalliques limés, après qu’on les a limés, & qu’on enleve ou avec le fraisoir, ou avec la lime même, ou avec la pierre, ou avec le brunissoir.