L’Encyclopédie/1re édition/AMBRE-JAUNE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 324-326).
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Ambre jaune (Hist. nat.) ambarum citrinum, electrum, karabe, succinum, succin, matiere dure, seche, transparente, cassante, de couleur jaune, de couleur de citron ou rougeâtre, quelquefois blanchâtre ou brune, d’un goût un peu acre, & approchant de celui des bitumes. L’ambre-jaune est inflammable, & a une odeur forte & bitumineuse lorsqu’il est échauffé. Il attire, après avoir été frotté, les petites pailles, les fétus, & autres corps minces & légers ; d’où vient le nom d’electrum, & celui d’électricité. Voyez Electricite. L’ambre-jaune se dissout dans l’esprit-de-vin, dans l’huile de lavande, & même dans l’huile de lin, mais plus difficilement. Il se fond sur le feu, & il s’enflamme ; alors il répand une odeur aussi forte & aussi désagréable que celle des bitumes.

Les Naturalistes n’ont pas été moins incertains sur l’origine de l’ambre-jaune, que sur celle de l’ambre-gris : on a crû que c’étoit une concrétion de l’urine du lynx, qui acquéroit une dureté égale à celle des pierres de la vessie ; c’est pourquoi on avoit donné le nom de lyncurium à l’ambre : d’autres ont prétendu que c’étoit une concrétion des larmes de certains oiseaux ; d’autres ont dit qu’il venoit d’une sorte de peuplier par exudation. Pline rapporte qu’il découle de certains arbres du genre des sapins, qui étoient dans les isles de l’Océan septentrional ; que cette liqueur tomboit dans la mer après avoir été épaissie par le froid ; & qu’elle étoit portée par les flots sur les bords du continent le plus prochain, qu’il appelle l’Austravie. M. Formey, Secrétaire de l’Académie Royale des Sciences de Prusse, a exposé les preuves que l’on a données de ce système sur la formation de l’ambre ; voici ce qu’il dit dans un manuscrit qui nous a été communiqué. « L’ambre-jaune ne se trouve ordinairement que dans la mer Baltique, sur les côtes de la Prusse. Quand de certains vents regnent, il est jetté sur le rivage ; & les habitans qui craignent que la mer qui le jette ne le rentraîne, le vont ramasser au plus fort de la tempête. On en trouve des morceaux de diverse figure & de différente grosseur. Ce qu’il a de plus surprenant, & qui embarrasse les Naturalistes, est qu’on pêche quelquefois des morceaux de cet ambre, au milieu desquels on voit des feuilles d’arbres, des fétus, des araignées, des mouches, des fourmis, & d’autres insectes qui ne vivent que sur terre. En effet, c’est une chose assez difficile à expliquer, comment des fétus & des insectes, qui nagent toûjours sur l’eau à cause de leur légereté, peuvent se rencontrer dans les morceaux d’ambre qu’on tire du fond de la mer. Voici l’explication qu’on en donne. Ceux qui ont voyagé du côté de la mer Baltique, remarquent que vers la Prusse il y a de grands rivages sur lesquels la mer s’étend, tantôt plus, tantôt moins : mais que vers la Suede ce sont de hautes falaises, ou des terres soûtenues, sur le bord desquelles il y a de grandes forêts remplies de peupliers & de sapins, qui produisent tous les étés quantité de gomme & de résine ; cela supposé, il est aisé de concevoir qu’une partie de cette matiere visqueuse demeurant attachée aux branches des arbres, les neiges la couvrent pendant l’hyver, les froids l’endurcissent & la rendent cassante, & les vents impétueux en secoüant les branches, la détachent & l’enlevent dans la mer. Elle descend au fond par son propre poids ; elle s’y cuit peu à peu, & s’y endurcit par l’action continuelle des esprits salins ; & enfin elle devient l’ambre : ensuite de quoi la mer venant à s’agiter extraordinairement, & le vent poussant ses flots des côtes de la Suede à celles de la Prusse, c’est une nécessité que l’ambre suive ce mouvement, & donne aux pêcheurs occasion de s’enrichir, & de profiter de cette tempête. L’endroit donc de la mer Baltique où il y a le plus d’ambre, doit être au-dessous de ces arbres, & du côté de la Suede ; & si la mer n’y étoit pas trop profonde, je ne doute pas qu’on n’y en trouvât en tout tems une grande quantité ; & il ne faudroit pas attendre que le vent fût favorable, comme on fait aux côtes de la Prusse. Il ne répugne pourtant pas qu’on puisse trouver quelques morceaux d’ambre dans d’autres endroits de la mer Baltique, & même dans l’Océan avec lequel elle a communication ; car l’eau de la mer étant continuellement agitée, elle peut bien en enlever quelques-uns, & les pousser sur des rivages fort éloignés : mais cela ne se doit pas faire si fréquemment & en si grande abondance que sur les côtes de Prusse. Au reste, il n’y a pas de difficulté à expliquer dans ce sentiment comment des mouches, des fourmis, & autres insectes, peuvent quelquefois se trouver au milieu d’un morceau d’ambre ; car s’il arrive qu’un de ces insectes en se promenant sur les branches d’un arbre, rencontre une goutte de cette matiere résineuse qui coule à travers l’écorce, qui est assez liquide en sortant, il s’y embarrasse facilement ; & n’ayant pas la force de s’en retirer, il est bientôt enseveli par d’autres gouttes qui succedent à la premiere, & qui la grossissent en se répandant tout à l’entour. Cette matiere, au milieu de laquelle il y a des insectes, venant à tomber, comme nous avons dit, dans la mer, elle s’y prépare & s’y endurcit ; & s’il arrive ensuite qu’elle soit poussée sur un rivage, & qu’elle tombe entre les mains de quelque pêcheur, elle fait l’étonnement de ceux qui n’en savent pas la cause.

« On demande au reste si l’ambre jaune doit passer pour une gomme ou pour une résine. Il est aisé de se déterminer là-dessus ; car comme la gomme se fond à l’eau, & que la résine ne se fond qu’au feu, il semble que l’ambre, qui ne se fond que de cette derniere maniere, doit être mis au nombre des résines plûtôt qu’en celui des gommes. M. Kerkring avoit pourtant trouvé le secret de ramollir l’ambre autrement que par le feu, & d’en faire comme une pâte à laquelle il donnoit telle figure qu’il lui plaisoit. Voyez Jour. des Sav. Août 1672. Obser. cur. sur toutes les part. de la Phys. tome II. page 93. & suiv. »

Cette opinion sur l’origine & la formation de l’ambre a été suivie par plusieurs Auteurs, & en particulier par le P. Camelli, Transact. Phil. n°. 290.

On a assûré que l’ambre-jaune étoit une congellation qui se formoit dans la mer Baltique, & dans quelques fontaines, comme la poix. D’autres ont crû que c’étoit un bitume qui coule dans la mer, qu’il y prend de la consistance, & qu’ensuite il est rejetté sur les côtes par les flots : mais il se trouve aussi de l’ambre dans les terres, & même en grande quantité. On a conclu de ce fait que l’ambre étoit un bitume fossile, & on a dit qu’il étoit produit par un suc bitumineux & par un sel vitriolique, & qu’il étoit plus ou moins pur & transparent, qu’il avoit plus ou moins de consistance, selon que les particules de sel & de bitume étoient plus ou moins pures, & qu’elles étoient mêlées en telle ou telle proportion. Agricola pensoit que l’ambre-jaune étoit un bitume, de natura fossilium, lib. IV. son sentiment a été confirmé par plusieurs Auteurs ; il y en a même qui en ont été si bien convaincus, qu’ils ont assûré qu’il n’y a pas lieu d’en douter. M. Geoffroy l’a dit expressément dans le premier volume de son Traité de la matiere Médicale. Il distingue deux sortes d’ambre-jaune, qui toutes les deux sont absolument de la même nature. L’une est jettée sur les bords de certaines mers par l’agitation des flots ; on tire l’autre du sein de la terre. On trouve la premiere sorte sur les côtes de la Prusse ; les vagues en jettent des morceaux sur le rivage, les habitans du pays courent les ramasser, même pendant les orages & les tempêtes, de peur que les flots ne reportent dans la mer les mêmes morceaux qu’ils ont apportés sur le rivage. Cet ambre-jaune est de consistance solide : on dit cependant qu’il y en a quelques morceaux qui sont en partie liquides, & qu’on trouve sur les rives des petites rivieres dont l’embouchûre est sur les mêmes côtes dont on vient de parler ; & même on en montre des morceaux sur lesquels on a imprimé des cachets lorsqu’ils étoient assez mous pour en recevoir les empreintes. Comme le terrein de ces côtes contient beaucoup d’ambre-jaune, les eaux qui y coulent en entraînent des morceaux qui n’ont pas encore acquis un certain degré de consistance ; l’agitation de ces eaux n’étant pas si forte que celle des eaux de la mer, les morceaux qui sont encore liquides en partie sont conservés & jettés dans leur entier sur les bords des petites rivieres ou des ruisseaux.

On trouve de l’ambre-jaune fossile en Prusse & en Poméranie, presque dans tous les endroits où on ouvre la terre à une certaine profondeur : souvent même on en voit dans les sillons de la charrue. Hartman, qui a fait un Traité de l’ambre-jaune, croit que tout le fond du territoire de Prusse & de Poméranie est d’ambre-jaune, à cause de la grande quantité que l’on en trouve presque partout dans ces pays : mais les principales mines sont des côtes de Sudwic. Il y a sur ces côtes des hauteurs faites d’une sorte de terre qui ressemble à des écorces d’arbres ; desorte qu’on prendroit ces éminences de terre pour des monceaux d’écorces : la couche extérieure de ce terrein est desséchée, & de couleur cendrée : la seconde couche est bitumineuse, molle & noire. On trouve sous ces deux couches une matiere grise formée comme le bois, à cette différence près que dans le bois on remarque des fibres transversales ; au lieu que la matiere dont nous parlons est simplement composée de couches plates & droites posées les unes sur les autres ; cependant on lui a donné le nom de bois fossile. On trouve de prétendu bois fossile presque partout où il y a de l’ambre-jaune, & ils sont mêlés ensemble en grande quantité ; c’est ce qui a fait croire à Hartman que cette matiere étoit la matrice ou la mine de l’ambre-jaune ; en effet c’est une terre bitumineuse qui prend feu comme le charbon, & qui rend une odeur de bitume. On y trouve des minéraux qui participent du vitriol. On a crû que ce bois fossile venoit des arbres qui s’étoient entassés sur ces côtes, & qui avoient été conservés & comme embaumés par l’ambre-jaune : mais cette opinion n’a point du tout été prouvée. Voyez le premier vol. de la matiere Médicale de M. Geoffroy, & Hist. succinorum corpora aliena involventium, &c. Nathan. Sendelio, D. Med. &c.

On trouve de l’ambre-jaune dans les montagnes de Provence, auprès de la ville de Sisteron, & aux environs du village de Salignac, sur les côtes de Marseille ; on en trouve en Italie dans la Marche d’Ancone, aux environs de la ville du même nom, dans le duché de Spolette, en Sicile aux environs de la ville de Catane & de celle de Gergenti, & sur les bords du Pô ; en Pologne, en Silésre, en Suede : mais on n’y trouve de l’ambre qu’en très-petite quantité ; il y en a un peu plus dans l’Allemagne septentrionale, en Suede, en Danemarck, dans le Jutland & le Holstein ; il y en a encore davantage sur les côtes de Samogitie, de Curlande & de Livonie, & dans les terres, &c. mais l’ambre-jaune qui vient de ces pays n’est pas si beau ni si pur ni ; à beaucoup près, en si grande quantité que celui qui se trouve en Poméranie, depuis Dantzick jusqu’à l’île de Rugen, & sur-tout en Prusse dans le pays appellé Sambie, depuis Neve-Tiff jusqu’à Vrantz-Vrug.

On distingue trois sortes d’ambre-jaune par rapport aux différentes teintes de couleur ; savoir, le jaune ou le citronné, le blanchâtre, & le roux. L’ambre-jaune est employé à différens usages de luxe ; son poli, sa transparence, sa belle couleur d’or l’ont fait mettre au rang des matieres précieuses. On en a fait des colliers, des brasselets, des pommes de canne, des boîtes & d’autres bijoux qui sont encore d’usage chez plusieurs Nations de l’Europe, & sur-tout à la Chine, en Perse, & même chez les Sauvages ; autrefois l’ambre étoit à la mode en France : combien ne voit-on pas encore de coupes, de vases & d’autres ouvrages faits de cette matiere avec un travail infini ? mais les métaux précieux, les pierres fines & les pierreries l’ont emporté sur l’ambre-jaune dès qu’ils ont été assez communs pour fournir à notre luxe. Il n’en sera pas de même des vertus médicinales de l’ambre, & de ses préparations chimiques ; elles le rendront précieux dans tous les tems & préférable, à cet égard, aux pierres les plus éclatantes. (I)