L’Edda de Sæmund-le-Sage/Le Voyage de Brynhild vers Hel, ou le Poème de la Géante

anonyme
Traduction par Mlle Rosalie du Puget.
Les EddasLibrairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres (p. 380-382).

XIV

LE

VOYAGE DE BRYNHILD VERS HEL

OU LE

POÈME DE LA GÉANTE




Après la mort de Brynhild, on éleva deux bûchers : l’un pour Sigurd, il brûla le premier ; Brynhild fut consumée ensuite. Elle était dans un char et couverte du drap divin[1], lorsqu’elle se rendit chez Hel. On dit que Brynhild, en suivant la route de l’abime, passa devant une maison habitée par la géante Gyger.

la géante chanta.

1. Tu ne traverseras point les terres de mes habitations appuyées contre les rochers ; tu ferais mieux de tisser plutôt que de courir après le mari d’un autre.

2. Comment se fait-il que la fille voluptueuse de Valland vienne dans mes demeures ? Femme parée avec de l’or, tu as noyé tes mains dans le sang humain.

brynhild.

3. Si j’ai porté une armure, fiancée des rocs, ce n’est point une raison pour m’adresser des reproches. Je serais peut-être la moins criminelle de nous deux si nos destinées étaient connues.

la géante.

4. Brynhild, fille de Budle, tu es née pour le mal. Tu as fait périr les enfants de Gjuke et anéanti leur illustre race.

brynhild.

5. Je te dirai, de ce char léger, que tu es fort ignorante des moyens employés par les fils de Gjuke pour me priver de l’amour de Sigurd et rompre les serments qui m’avaient été faits.

6. Le roi fit porter nos fantômes, au nombre de huit sœurs, sous le chêne. Si tu désires le savoir, je te dirai que j’avais douze hivers quand je promis fidélité au jeune roi.

7. Tous ceux qui me connaissent dans la vallée de Hlym m’appellent Hildur-au-Casque.

8. J’envoyai ensuite du pays des dieux vers Hel, le vieux Hjelmgunnar, et je donnai la victoire au jeune frère d’Œdas. Je m’attirai ainsi la colère d’Odin.

9. Il m’enferma avec des boucliers dans le bosquet aux arbres élevés : des cercles rouges et blancs me lièrent ; les liens du sommeil ne devaient être rompus que par un homme inaccessible à la peur[2].

10. Odin alluma autour de ma salle, tournée vers le sud, la haute flamme qui dévaste les bois ; puis il invita le guerrier qui devait m’apporter le lit de Fafner[3] à traverser cette flamme à cheval.

11. Ce vaillant guerrier, le dispensateur de l’or, montait Granne et se rendit dans le pays où régnait mon père adoptif. Je le distinguai au milieu des Danois.

12. Nous dormîmes paisiblement dans le même lit ; nous ne posâmes pas la main l’un sur l’autre durant huit nuits.

13. Cependant Gudrun, la fille de Gjuke, m’a reproché d’avoir dormi dans les bras de Sigurd. J’appris alors ce que je voudrais ignorer : on m’avait trompée en me donnant un mari.

14. Depuis trop longtemps déjà hommes et femmes naissent pour endurer de nombreux chagrins. Nous allons maintenant, Sigurd et moi, jouir de la vie ensemble. Disparais, géante !



  1. Le corps de ceux qui ont succombé sur le champ de bataille. (Tr.)
  2. Allusion au poème de Sigurdrifa. (Tr.)
  3. L’or sur lequel ce serpent couchait. (Tr.)