L’Au delà et les forces inconnues/Un boulevardier qui croit au spiritisme et au magnétisme

Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 117-123).


UN BOULEVARDIER QUI CROIT AU SPIRITISME
ET AU MAGNÉTISME


Opinion de M. Alexandre Hepp.


Les phénomènes psychiques ont en eux une certaine force persuasive, car leur évidence a ceci qui les différencie des autres faits qu’ils peuvent, selon l’interprétation que nous en donnons, modifier profondément nos convictions intimes et nous donner une foi nouvelle. C’est le cas de M. Alexandre Hepp. Ce romancier, qui sait être aussi un brillant chroniqueur, était sceptique et mécréant avant d’expérimenter les étranges pouvoirs des médiums ; il admet aujourd’hui la vie posthume, une communication possible des morts avec nous, et la réalité de l’au delà. Peut-être arriverait-on à expliquer les prodiges, auxquels M. Hepp assista, par la puissance mystérieuse de l’inconscient en lui et en des médiums qu’il observa : ainsi, nous croyons maintenant et par suite de minutieuses expériences, qu’il n’est pas nécessaire de penser à une idée ou à une personne pour que le médium exprime cette idée ou décrive cette personne. Le fond de notre mémoire et même ce que nous croyons avoir oublié peuvent être évoqués ou pénétrés par l’âme seconde des clairvoyants. Mais si l’on ne connaît pas ce que j’appellerai les manœuvres et les ruses de l’inconscient en nous et autour de nous, l’hypothèse d’un esprit extérieur, l’âme d’un mort par exemple, semble assez légitime. — D’ailleurs celui qui, dans un sens ou dans l’autre voudrait dès aujourd’hui, en l’état actuel de nos connaissances trancher la question définitivement, manquerait certes de prudence.



Paris, le 10 décembre 1901.


Mon cher Jules Bois,

Vous voulez bien me demander ce que j’ai pu recueillir d’intéressant pendant les longs mois où j’ai été si fervent d’études psychiques, d’au delà et de spiritisme. Mon impression est que nous sommes peut-être sur le seuil de quelque chose d’immense, et qui modifiera profondément, magnifiquement aussi, les conditions morales de la vie. Rien encore, à vrai dire, ne pourrait être affirmé en fait scientifique et reproductible à volonté ; mais il me paraît qu’on est sur la voie qui permettra quelque jour d’établir expérimentalement par des procédés de laboratoire, l’existence de l’âme et ses modalités.

Ce qui pour moi est acquis, c’est que dans des conditions de rigoureux contrôle, avec un médium désintéressé, et toutes précautions prises pour échapper aux objections qui peuvent venir d’une transmission de pensée, j’ai pu obtenir l’état civil complet de mon père, des souvenirs et détails entièrement personnels à nous deux, des descriptions de lieux où nous avons vécu. Et ce qui précisément constitue le prix de ces expériences, d’ailleurs très répandues, c’est que je m’étais efforcé de ne penser à rien de particulier ou de circonstancié, de façon à laisser à l’esprit communiquant son libre choix, et surtout à n’influer en rien sur les réponses. Ne pensant rien de précis, je ne pouvais rien transmettre.

Cette possibilité d’une transmission de la pensée ayant toujours été d’ailleurs ma préoccupation, j’ai refait, et je dois dire avec assez de succès, l’expérience instituée par Crookes. Nous avons au hasard ouvert un livre, mis la main sur une page sans avoir lu ce qu’elle contenait, et à la fin de l’expérience, la main ôtée nous avons pu constater que tous les mots cachés par elle, et que par conséquent nous ignorions, figuraient dans la lecture faite par l’invisible.

À propos de l’invisible, voici une observation assez curieuse. Madame X… me fit un jour voir une photographie de son père, faite au lit de mort. Tout près de la tête, sur cette photographie, se pouvait constater une petite tache ovale, jaunâtre. En examinant cette tache au microscope, j’observai qu’elle affectait la forme d’une figure, et peu à peu, nettement, m’apparurent des yeux, un nez, une bouche, deux bandeaux sur le front, une sorte de coiffure de paysanne. Oh ! s’écria madame X… mais je la reconnais ! C’est ma grand’mère, c’est la mère de mon père !

Nous fîmes alors chercher un album de famille où devait être restée une photographie de cette mère, mise là il y a plusieurs années, et l’ayant trouvée, je notai que c’était bien le même visage, avec les mêmes bandeaux. Il n’est, à un tel phénomène, qu’une explication, semble-t-il. C’est que au moment même où le père de madame X… expirait, sa mère à lui se trouvait invisiblement présente, et il devait bien y avoir là quelque chose, puisque la plaque photographique a été impressionnée. C’est une hypothèse qui justifie d’ailleurs bien des cas de télépathie et tout à fait d’accord avec la survivance du peresprit.

En ce qui concerne la médiumnité guérissante, à plusieurs reprises, de la façon la plus notable, j’ai pu reconnaître ses effets. Le magnétisme ici n’est pour rien. C’est, si l’on peut dire, une sorte de magnétisme spirituel, car il ne s’exerce que par l’intermédiaire d’un esprit. J’ai vu, chez l’excellente madame Laffineur, des cas nombreux et indéniables ; je les ai suivis pendant plusieurs séances, moi-même je me suis trouvé en éprouver les résultats de la manière la plus caractéristique. J’ajouterai que, ce don, j’ai pu à maintes reprises en faire reconnaître la présence chez moi, si singulier et outrecuidant que cela semble. Mais en y songeant, il n’a rien d’ailleurs de si merveilleux, car il est promis déjà par l’Évangile, et de tous temps il a pu se révéler.

Ce qui avant tout s’impose aux chercheurs, c’est à l’heure présente, la plus grande modération. Il faut se garder des théories et des systèmes ; quelque tentante, et même consolante que puisse paraître une mise en chapelle de toutes ces questions, il s’agit de les laisser d’abord s’affirmer. Ce qui est assez considérable déjà, c’est qu’il y a là des aspects nouveaux, et qu’on ne les puisse nier. Le temps, la bonne foi, l’étude méthodique patiente et noble feront le reste. Pour nous il n’est pas de raisons sérieuses à tirer de certains charlatanismes. Le charlatanisme est à la base de toutes choses. C’est à ceux qui veulent savoir et travailler à prendre leurs précautions.

Veuillez, mon cher ami, me croire affectueusement votre

Alexandre Hepp.