L’Au delà et les forces inconnues/Les déceptions de M. Jean Rameau

Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 131-137).


LES SCEPTIQUES


LES DECEPTIONS DE M. JEAN RAMEAU


« Les déceptions d’un croyant ou les doutes d’un idéaliste », tel pourrait être le titre de la jolie missive que m’a adressée M. Jean Rameau. Celui-ci, qui est, si j’ose le dire, un poète à tous crins, n’est arrivé à un certain scepticisme que par suite des circonstances. C’est qu’il approcha, pendant plusieurs années, les théosophes et les médiums. Il n’y a rien qui vous dégoûte plus de Tau delà que de fréquenter ceux qui en font métier. M. Jean Rameau perdit, à ce contact, le velouté de sa première foi. S’il a renoncé aux rêves du spiritisme, il s’est rabattu sur les pressentiments auxquels il croit. Son évolution est « représentative ». La plupart des chercheurs consciencieux ont dû abandonner aux sectaires ou aux charlatans les croyances exagérées aux manifestations improbables des esprits des morts pour passer à l’étude de l’âme, plus authentique, des vivants. Il y a en elle plus de forces mystérieuses et admirables qu’on ne le croit.

» Comme je vous envie, mon cher Jules Bois, de dévoiler ainsi un coin du mystère, d’essayer de nous faire voir un peu plus loin, un peu plus haut que ne peuvent porter nos pauvres yeux de boue ! Moi aussi, naguère, je me jetai avec passion dans l’inconnu. Vous avez bien voulu me rappeler, l’autre soir, ces années pas très lointaines où je collaborais au Lotus, où j’écrivais des poèmes pour les revues théosophiques. Oui, j’avoue, pendant deux ou trois ans, la science divine m’a obsédé ; j’avoue aussi, non sans tristesse, que je me suis un peu détourné de ces nobles études. Peut-être les Mages qu’il m’était donné de voir, les esprits désincarnés qui voulaient bien se révéler à moi en de solennelles pénombres, furent-ils cause de mon découragement et de mon brusque arrêt en cette voie.



Lacenaire et l’artilleur.


» J’ai eu, en effet quelques déceptions parmi eux. Ainsi je me souviens d’une séance où l’on évoquait les esprits dans une pièce obscure. Nous étions une douzaine de jeune» gens. Dans le nombre, il y avait un artilleur qui s’était débarrassé de son sabre et l’avait posé sur un canapé avant de procéder avec nous à révocation. Or, tout à coup, cet artilleur prit un air inspiré, s’empara de son sabre et bondit vers nous en dégainant. Il parait qu’un esprit venait de descendre en lui, malheureusement c’était l’esprit de Lacenaire.



Un esprit faussaire.


» Une déception d’un autre genre m’était réservée quelques jours plus tard. Un de mes camarades, qui avait une céleste fiancée, reçut de celle-ci un apport de fleurs accompagnées d’une poésie fort tendre, toute cliquetante d’étoiles et parfumée de roses de Tau delà. On voulut bien me demander ce que je pensais de cette poésie. Je déclarai qu’elle me paraissait fort belle et tout à fait digne de ses origines éthérées, et j’engageai mes amis les théosophes à la publier dans leur Revue. Ils la publièrent. Huit jours après, le directeur de la Revue reçut une réclamation d’Armand Silvestre ; le poème de la céleste fiancée était de lui !

» Qu’est-ce que cela prouve ? direz-vous peut-être. Hélas ! rien. Qu’il y a de mauvais plaisants partout ? Il n’est pas besoin de raconter ces petites histoires pour qu’on en soit convaincu.

» Quant à moi, je suis toujours persuadé que la science officielle est encore très jeune et qu’elle ne connaît pas la millième partie de ce que nos descendants connaîtront un jour, de ce que l’on connaît peut-être déjà sur des planètes plus mûres, en des régions plus rapprochées de la lumière. Je me garderai donc bien de nier quoi que ce soit. Le surnaturel d’aujourd’hui peut très bien être le naturel de demain.



Le souffle télépathique de la petite amie.


» Si personnellement je n’ai ni phénomènes de double vue, ni de révélations télépathiques à mon actif, je possède un ami digne de foi en qui j’ai confiance comme en moi-même et qui m’a raconté le fait suivant : pendant quelques années, il fut aimé d’une jeune femme très mystique pour qui la télépathie ne faisait aucun doute. Mon ami était incrédule. La jeune femme jura qu’elle le convertirait et, pour cela, elle promit de se révéler à lui, de temps en temps, quand ils seraient séparés. Elle ferait sentir sa présence par son souffle très léger qui lui frôlerait le front. Or, mon ami, qui paraît rebelle à toute suggestion, assure qu’il a senti en effet ce souffle troublant aux heures où la jeune femme pensait intensément à lui, à deux cents lieues de l’endroit où elle se trouvait.



La lettre pressentie.


» Je vous ai déjà dit que, personnellement, je n’avais jamais été l’objet d’une communication télépathique. Il y a pourtant une chose qui m’émeut : chaque fois que je pense violemment, et sans raison plausible, à une personne perdue depuis longtemps de vue et de souvenir, je suis à peu près sûr que cette personne est en train de m’écrire en ce moment même. En effet, vingt-quatre heures après, je reçois généralement une lettre d’elle. J’ai fait cette remarque plus de vingt fois et elle me laisse toujours rêveur.

» Recevez, mon cher Jules Bois, une bien affectueuse poignée de main.

» Jean Rameau. »


M. Jean Rameau a beau avoir été déçu ps des farceurs ; il n’en reste pas moins, en bon poète, fidèle au mystère. Il admet, d’accord avec les néo-platoniciens, l’évolution des âmes en des mondes meilleurs ; il n’est plus spirite, mais, comme Camille Flammarion, il demeure spiritualiste. S’il est devenu sceptique envers certains phénomènes souvent trop grossiers et douteux, c’est en quelque sorte par force et contre son gré. Il n’en croit pas moins au souffle télépathique de la petite amie, sans doute parce qu’il le confond avec le souffle de la muse. Le miracle de l’inspiration est tout près du miracle de l’amour.