L’Au delà et les forces inconnues/La « main oraculaire » de Paul Adam

Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 86-92).


LA « MAIN ORACULAIRE » DE PAUL ADAM


L’écriture devineresse.


Les oracles des pythonisses ont été remplacés aujourd’hui par les pressentiments et par l’écriture automatique, où les spirites veulent trouver la démonstration de la réalité des « esprits ».

M. Paul Adam, comme moi-même, s’est livré passionnément, dans sa première jeunesse, aux études occultes et aux différentes expériences qui en relèvent. Il en est sorti aussi éloigné du scepticisme que du mysticisme ; car s’il ne constata jamais rien de surnaturel, il toucha ces « forces inconnues » qui se cachent dans l’organisme humain et conduisent le phénomène mystérieux de clairvoyance, de lucidité, de télépathie, d’inspiration — de folie et de délire aussi — enfin tout l’anormal et le supranormal en nous.

Le grand romancier de L’enfant d’Austerlitz de la Force, dont les ancêtres guerroyèrent, tandis que lui, homme de plume, se sent poussé comme irrésistiblement à évoquer leurs exploits, pouvait mieux que tout autre avoir la notion vive de cet « Inconscient », de cet « Esprit de la Race » qui nous entraînent à des actes ou à des pensées que notre individualité ordinaire, quotidienne, ne saurait contenir. En tout cas, il a senti sa main, tout à coup inconsciente, subir l’emprise de cette influence occulte qui animait autrefois la Pythie ; et son exemple moderne, tel qu’il le détaille avec beaucoup de sens critique, nous fait mieux comprendre certains prodiges, restés obscurs, du passé.



« Mon cher ami,


» Je suis heureux d’apporter mon tribut à l’enquête sur « l’Au delà et les forces inconnues ».

» Ce sont des documents personnels que je te livre.

» Comme tu le sais, puisque nous avons parfois expérimenté ensemble, j’ai examiné de bonne heure les hautes sciences occultes, la magie.

» Un de mes camarades jouissait d’un don curieux. Contre son désir, estimait-il, l’obligation s’imposait à lui d’écrire des choses que ne préparait point son intelligence. Il voulut me communiquer cette étrange sensation. M’ayanttenu le poignet pendant trois quarts d’heure, il me la transmit. Ce fut une lourdeur extrême de l’avant-bras. Les doigts tracèrent d’abord des signes vagues, plusieurs dessins décoratifs analogues à l’arabesque, puis des lettres, des mots sans liens, plus tard des phrases. En ce temps-là, j’allais à la consultation le jeudi et le samedi…

» Vendredi, annonça la phrase, tu rencontreras chez le médecin… » Suivait une description de personne. Donc, l’esprit se trompait de jour. Le lendemain était justement jeudi. Le docteur n’arriva que très tard, fatigué par les angoissés d’une opération, et me pria de repasser le lendemain vendredi.

» Je n’y rencontrai point, ce jour de personne ressemblant à celle décrite ; mais la coïncidence me parut assez valable pour ne pas interrompre de pareilles observations. Je m’adonnai fiévreusement à l’écriture spirite. Je saisissais le crayon ou la plume. L’étrangère me dictait mot par mot ; c’est-à-dire que d’idée d’un mot naissait dans ma cervelle, au moment où je le traçais, mais seulement l’idée matérielle du vocable, son apparence physique, tout isolée, et non pas la signification ni le rapport du terme aux termes futurs de la phrase.

» Souvent, c’étaient des mots inconnus, à racine grecque ou latine ; quelquefois, des signes parfaitement inexplicables, parents des caractères syriaques, des cunéiformes chaldéens, etc. Cela continuait pendant vingt pages, banal. « Va 142, rue Moncey, tu demanderas une femme nommée Marguerite Duval ; en cette femme tu retrouveras l’âme et le caractère exact de cette ancienne amie, chère à ton adolescence et perdue depuis longtemps… » conseillait V intrigante. Or, la rue Moncey ne contient que quarante numéros de maisons. C’était une farce puérile.

» L’étrangère me jouait de la sorte mille tours espiègles, auxquels bientôt je me dérobai. Néanmoins, elle prédit, quatre années auparavant, le mariage improbable d’un de mes familiers, célibataire endurci. Elle le fit d’une façon très bizarre. Par ma main très docile, pour répondre à l’interrogatoire du visiteur, elle écrivit : « Ta fiancée habite tel numéro, avenue Marceau. »

» Une lettre de l’ami, le surlendemain, m’apprit que, sur l’impériale du tramway « Place de l’Etoile-Gare Montparnasse », il avait vu au lieu du numéro indiqué les démolitions de l’Hippodrome. Nous plaisantâmes. Quatre ans plus tard, dans un immeuble neuf, construit sur l’emplacement de ce grand cirque, mon ami assistait aux réceptions nuptiales d’un collègue ; puis il se fiança avec la sœur de la jeune épouse qui demeurait là.

» En dépit de mille erreurs évidentes, de plaisanteries stupides ou stercoraires, de textes incohérents, je perpétuai mes observations. Un moment, j’obtins des correspondances extrêmement curieuses, celle par exemple qui me confia une version dramatique et vraisemblable de la mort du baron de Reinach, version que je relatai dans mon roman, la Force du mal, et qui en assura le succès en Europe, lorsque cette affaire passionnait les esprits. La vigueur de cette volonté intrigante s’accrut alors considérablement. Afin de me prouver sa présence réelle, encore qu’imperceptible, elle obligea le crayon libre à remonter la pente du papier incliné par ma main, malgré les lois de la pesanteur.

» Evidemment je nourrissais de ma substance l’être qui dictait.

» Et voilà mon avis sur le spiritisme : Nous sommes son foyer même. Les morts n’ont qu’y faire, sinon en qualité de souvenirs obscurs, emmaganisés dans les réserves de l’Inconscient ; j’appellerai cet Inconscient « l’esprit de la race » pour l’opposer à « l’esprit individuel » qui est notre conscience de tous les jours.

» Paul Adam. »

L’hypothèse de Paul Adam se rapproche de celle admise aujourd’hui par M. Pierre Janet en France, M. le professeur James en Amérique, et The Society for Psychical Research à Londres. Ce serait en somme les obscures profondeurs de nous-même qui répondraient à notre moi conscient. Cette explication qui est d’accord avec l’analyse du phénomène « embête » les spirites, si j’ose m’exprimer ainsi ; mais si elle n’est pas toujours pleinement satisfaisante, elle a cet avantage de ne pas nous sortir du monde positif et d’éloigner indéfiniment l’hypothèse des esprits, source de tant d’illusions.