L’Au delà et les forces inconnues/L’envoûtement d’amour jugé par Colomba

Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 157-163).


L’ENVOUTEMENT D’AMOUR JUGÉ PAR COLOMBA



Les merveilles de la science excitent l’imagination. — Ce que femme veut Dieu le veut. — Les sorciers sont souvent de très bonne foi.


M. Henry Fouquier est mort aujourd’hui. Mais la clarté et la finesse de son jugement valent toujours pour nous. Cet éminent chroniqueur, généralement indifférent aux prétentions de l’occultisme, voulut bien, comme Francisque Sarcey d’ailleurs, accorder aux conférences que je donnais à la Bodinière sur les sciences psychiques le crédit de son attention. Voici une page sensée et charmante, sceptique naturellement, (mais pas autant qu’on aurait pu le présumer) sous la signature de Colomba dans l’Echo de Paris. Cette page est d’autant plus intéressante que, parlant de l’envoûtement d’amour et de haine, si excitant pour toute femme et pour les parisiennes spécialement, Henry Fouquier porte le débat jusqu’au miracle en général et au satanisme en particulier.

Laissons parler Colomba elle-même :


« Un nouveau sport nous est né. On « envoûte ! » Notre excellent confrère M. Jules Bois a mis la chose à la mode. Du livre, il passe à la conférence, et le voilà qui enseigne à notre génération qui ne s’étonne de rien les procédés de l’envoûtement d’amour et de l’envoûtement de haine.

» Sur ces affaires, nous en étions longtemps restés aux récits d’Alexandre Dumas père. Dans un de ses romans, la Reine Margot, je crois, il nous montrait la superstitieuse et ambitieuse Catherine de Médicis allant « envoûter », moitié sorcière, moitié politique, chez son complice Ruggieri, empoisonneur et astrologue. Mais ces sorcelleries romantiques nous laissaient un peu froids et nous paraissaient démodées. Voici qu’elles reviennent à la mode. Notre prétendu progrès n’est qu’un éternel recommencement.

Les philosophes qui ont voulu demander à la science seule les éléments de tout progrès se sont gravement trompés quand ils ont pensé que les découvertes scientifiques porteraient un coup définitif à ce qu’ils appellent les superstitions. C’est le contraire qui a eu lieu et la chose s’explique fort bien. Les merveilles de la science, en effet, ont pour résultat d’exciter l’imagination. Des choses qu’on regardait comme chimériques, comme de simples rêves de fous, se réalisent. On parle à distance, on corresponde des milliers de lieues » on arrive, maintenant, à voir à travers les corps opaques. L’esprit humain en conclut que les bornes de l’impossible sont reculées et que, dans l’ordre moral, les forces de la volonté peuvent aussi être grandies et atteindre une intensité inconnue jusqu’ici et une action nouvelle. Toute la théorie de l’envoûtement est là. Les statuettes, les aiguilles ne sont rien. L’agent essentiel, c’est le vouloir, et la formule de cet art diabolique se trouverait dans le dicton populaire : « Ce que femme veut, Dieu le veut ! »

J’ai le regret, ayant toujours été un peu lente à suivre la mode, de ne pas croire à l’efficace des opérations magiques. Si quelque personne, ne m’aimant pas, s’avisait de baptiser un crapaud de mon nom (c’est une des formes classiques de l’envoûtement) et de torturer ensuite la malheureuse bête, je doute fort que ces tortures puissent m’atteindre. Mais ces exercices ne sont pas sans avoir une influence sinon sur ceux qui en sont l’objet passif, du moins sur ceux qui y prennent une part active. Ils excitent et troublent l’imagination. Il est certain que lorsque les seigneurs, souvent prêtres et moines, envoûtaient publiquement les images des Valois, cette cérémonie était un terrible moyen de propagande politique. Les sentiments violents, la haine ou l’amour, demandent à l’imagination plus volontiers encore qu’à la raison les moyens de se satisfaire. Quand nous gardons, que nous contemplons, que nous baisons les objets qui nous viennent d’un être aimé, portraits, dentelles, fleurs fanées, cheveux coupés pour nous, que faisons-nous, en somme, si ce n’est un envoûtement ingénu ?

Quant aux opérations d’ordre franchement magique, un problème se pose pour moi. Les hommes, souvent très lettrés, très instruits, qui prétendent pénétrer le monde invisible, en avoir la connaissance et même lui donner des lois, ces hommes sont-ils des dilettanti un peu fumistes qui savent les faiblesses humaines et s’en divertissent, ou bien sont-ils de bonne foi ? Le problème est des plus difficiles à résoudre, car il y a quelque sottise à le trancher d’un mot. Le pharmacien Homais, dont le règne est menacé (on le voit trop à l’œuvre dans la politique), nous dirait tout net que tout ce qui est mystérieux est affaire de charlatanisme ou de folie. Mais, de tout temps, il y a eu des « charlatans » qui ont poussé le dévouement jusqu’à en mourir, comme ce Peregrinus dont Lucien nous dit l’aventure étrange : et, quand on meurt pour quelque chose, il est difficile qu’on vous fasse passer pour un farceur. Quant à la folie, c’est un mot dont il ne faut pas abuser, à moins de vouloir que le monde entier ne soit que petites-maisons ! Quand on taxe de folie les mystiques de tout genre, on oublie que le christianisme, n’existe officiellement que par la plus étrange des croyances mystiques, par l’envoûtement le plus singulier qui se puisse rêver, puisqu’il consiste à contraindre Dieu à s’incarner en réalité dans un objet matériel, l’hostie, et cela par le simple effort de la volonté d’un homme, le prêtre. Je pense donc que les « sorciers » sont souvent de très bonne foi, et que même s’il y a quelque pose dans leurs allures, et s’ils sont, comme tous les hommes, obéissants à leur vanité ou à leur intérêt, on n’en saurait conclure sans trop de rigueur qu’ils sont menteurs conscients et farceurs émérites. Ce qu’on offre, comme article de foi, à nos imaginations, n’est pas plus étrange que ce qui a été accepté par les plus grands esprits de l’humanité. Et l’Eglise, dont la politique a toujours été une merveille, s’est bien gardée de nier les « miracles » de l’occultisme. Elle s’est contentée de les attribuer à la puissance de Satan. Entre les manichéens et les catholiques, il n’y a qu’une nuance, une question de plus ou de moins ».