Éditions Prima (Collection gauloise ; no 89p. 29-33).

viii

Le Partage


Sur le pont sanglant, parmi les cadavres étendus, Adussias et l’inconnue masquée se battaient furieusement. Enfin la pirate, en immobilisant son adversaire sur le dos, demanda :

— Un coutelas que je lui ouvre la gorgoire.

— Ah ! mais non, ma chère, dit le marquis en levant son chapeau, car il était fort poli durant qu’on tuait, Ah ! mais non ! Nous voulons goûter à ses charmes. S’il vous plaît, rendez-la nous…

Adussias, épuisée, se releva. L’autre restait étendue sur le dos les yeux fermés.

— Est-elle morte ? demanda La Manchette qui était jaloux à l’idée qu’on pourrait avoir deux femmes à bord du Saint-Elme.

— Toi, va te faire panser ! lui dit brutalement le Rouquin ou je te coupe les oreilles.

La Bouline s’approcha et prudemment tâta le corps allongé :

— Elle se porte comme un charme. Je la prends.

Et il leva les jupes et jupons enchevêtrés de l’Espagnole.

— Mort de Mahom ! reprit-il furieux lorsqu’il vit les jambes de la malheureuse, il faut lui enlever son armure.

Tout le monde s’approcha. De fait, l’inconnue était vêtue d’un tissu métallique collant, qui devait se chausser et s’agrafer par les épaules, car il était impossible d’accéder à sa chair au-dessus des cuisses.

— Pendons-là ! cria La Manchette, qui, tout saignant, ne voulait pas quitter le lieu de ses exploits.

— Non ! dit le marquis, on va commencer de la déshabiller.

Et il mit la femme, qui reprenait ses sens, debout en la saluant :

— Permettez, madame ! murmura-t-il à nouveau.

Alors, avec un couteau à éventrer les cochons, il la parcourut du col au bas-ventre…

Et fit la même chose par derrière et les innombrables vêtures de mousseline, soie, velours, dentelle de Cadix tombèrent en lambeaux sur le pont…

On vit alors une forme féminine aux larges hanches, attirante comme Vénus elle-même, et couverte d’un maillot de fin acier tissé…

Le marquis le piqua avec son arme, mais la pointe ne passa point.

— Mordiable, dit-il, on ne voit pas comment cela est lacé ou attaché… Je veux être roué si l’armurier ne le lui a pas soudé sur le corps même.

— Je la garde, conclut-il, à moins que Griffe-Esgourde la veuille, puisque le capitaine est nanti.

La Bouline lui demanda à l’oreille :

— Qu’allez-vous en faire ? Il vous faudrait un instrument en acier de Tolède pour dévirginiser cette truie.

Le marquis se mit à rire.

Elle m’avouera son histoire et ce sera amusant. Et puis, je lui ferai limer son costume par l’entre-jambes. Ce sera aussi joyeux que de la prendre.

Et la Bouline emmena la conquête de M. de Salistrate de Baverne d’Arnet…

Pendant ce temps on commençait de fourrager le navire conquis. D’abord, les non-combattants de l’entrepont montaient un par un. Les hommes étaient jetés à la mer, sans attendre ; les femmes mises de côté, les enfants parqués en tas pour être vendus à quelque plantation, si on pouvait s’y rendre.

On épargna six nègres, en pensant qu’ils feraient de bonnes recrues pour le Saint-Elme. Ils ne seraient pas exigeants, quoique robustes et tout aussi bon buveurs que les blancs.

Quand on eut visité l’espagnol, la nuit était venue. Le Rouquin fit rentrer ses hommes à bord et on déhala de vingt coudées, en laissant les prisonniers, bien ficelés sur le bateau conquis. On n’amena d’abord sur le pirate que trois femmes fort jolies, des servantes, pour réjouir les combattants heureux.

Les autres, le Rouquin se réservait de les interroger et de savoir si en les déposant sur un îlot désert on ne pourrait pas obtenir avec des lettres une forte rançon si elles apparaissaient de notoriété suffisante.

On pourrait aussi les vendre aux lupanars des Antilles, ou pour faire les servantes dans les auberges à flibustiers.

Toutefois, cela devait être préalablement bien calculé et médité par l’état-major du Saint-Elme.

Toute la nuit les pirates burent et possédèrent les filles. Ce fut charmant. Il y en avait une pour cinq. Les nègres se trouvaient bien promus membres de l’équipage. Mais on leur avait découvert à la dernière, une duègne qui les amusa infiniment. Non point que la dite ne fut piaillante et hurlante à l’idée de réjouir des mâles et même des noirs, mais parce que, son parti-pris, elle se révéla d’une habileté érotique dépassant tout ce que les nègres savaient atteindre, même sous l’éducation des blancs…

La duègne était donc une maîtresse femme en amour et au matin, les cinq nègres dormaient épuisés.

Quant au marquis, homme de précaution et qui pensait avoir beaucoup trop d’ennemis pour qu’on le laissât jouir en paix de la femme à la cotte de maille, il avait mené celle-ci dans la soute à poudre, où il était sûr que personne ne viendrait le déranger. C’est que, le lieu, par une ancienne tradition, passait pour maudit. Car les bandits sont généralement très superstitieux.

Là, il avait questionné cette conquête qui devait être au moins duchesse.


Les deux femmes roulèrent à terre (page 29).

Elle avait refusé, au début, de parler. Alors le gentilhomme, fort paisiblement prit une scie à métaux et s’occupa, comme il l’avait dit, de faire sauter la connexion des mailles à l’entre-jambes de l’armure.

Quand il eut coupé une demi-douzaine d’anneaux, la femme, craignant d’être sciée vive, se confessa.