Le Destin me redoit du bonheur, des baisers, Et ces tendres regards qui couvent.
Car je n’ai bu qu’un lait mercenaire et rusé ; Car je n’ai tété qu’une louve.
Ma nourrice dans l’herbe et les joncs du marais Imprimait ma couche rugueuse ;
Et dans mes songes orphelins elle apparaît Avec sa chair de belle gueuse.
Mais de ma mère, morte au loin, il n’est resté Qu’une pâle photographie.
Je m’insurge. Je veux à la mort disputer Son doux bruit, son odeur, sa vie ;
À son tombeau perdu reprendre ses cheveux Renflés en coques sur ses tempes,
Sa bouche au secret pâle, et, myopes et bleus, Ses yeux voilés comme des lampes.
Fou, qui demande au sol où l’ombre fuit, l’oiseau Que l’arbre décoche à la nue,
Le naufrage automnal au vent et au roseau, L’ancienne ivresse à l’outre bue.
Oui, car la race est l’outre inépuisable, où gît L’orgueil de se croire éternel.
Une fille m’est née, et d’elle a ressurgi Le clair visage maternel.
Et ces yeux d’autrefois que le ver a mangés, — Un peu de bave, un peu de boue, —
Ils redeviennent fleurs ; des longues nuits vengés, Ils éclairent de belles joues.
Mieux que sur son portrait ma mère, la voilà, Je la respire, elle me frôle.
Et tout l’harmonieux Second Empire est là, Dans cette chute des épaules.
Ah ! je baise en pleurant ce front, où tour à tour Ma fille ou ma mère l’emporte.
La vivante paiera tout l’arriéré d’amour Avec les lèvres de la morte.
9 février 1915.
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