L’Antiquaire (Scott, trad. Ménard)/Chapitre XXXI

Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 7p. 315-323).


CHAPITRE XXXI.

SCÈNE DE DOULEUR.


Ne me dites pas cela… Les larmes de la jeunesse sont semblables aux tièdes rosées du midi ; mais de nos yeux vieillis le chagrin fait tomber des gouttes qui ressemblent à la grêle du nord, et qui glacent les sillons de nos joues flétries. Aussi froides que nos espérances, elles sont opiniâtres comme notre douleur. Celles que versent les jeunes gens ne laissent pas de traces, les nôtres retombent sur nos cœurs ; elles s’y amoncèlent et en détruisent toute la chaleur.
Vieille comédie.


L’Antiquaire, se trouvant seul, pressa son pas, qui avait été retardé par les différentes discussions et la rencontre qui les avait terminées, et il arriva bientôt en vue des chaumières du Musselcraig, qui ne s’élevaient guère au delà d’une demi-douzaine. À leur aspect habituel de malpropreté et de misère elles joignaient en ce moment les tristes attributs qui distinguent une maison de deuil. Les barques étaient toutes rangées sur la plage, et, quoique le temps fût beau et la saison favorable, on n’entendait ni le chant ordinaire aux pêcheurs qui sont en mer, ni le babil des enfans, ni la voix perçante de la ménagère lorsqu’elle chantait à sa porte en raccommodant les filets. Quelques voisins, les uns vêtus d’habits noirs anciens mais presque neufs, les autres dans leurs habillemens ordinaires, mais portant tous sur leur figure l’expression du triste intérêt qu’excitait un malheur si inattendu et si soudain, étaient assemblés à la porte de la chaumière de Mucklebackit, et attendaient qu’on enlevât le corps. Lorsqu’ils virent s’approcher le laird de Monkbarns, ils lui firent place pour entrer, lui ôtant leurs chapeaux et leurs bonnets, quand il passa, avec un air de civilité mélancolique, salut qu’il leur rendit de la même manière.

L’intérieur de la cabane offrait une scène que notre Wilkie seul aurait pu peindre avec ce sentiment exquis de la nature qui caractérise ses ravissantes productions.

Le corps était placé dans la bière qu’on avait posée sur le même bois de lit que le jeune pêcheur occupait pendant sa vie. À quelque distance se tenait le père, dont les traits rudes et fatigués par les outrages des saisons et du temps étaient ombragés de cheveux grisonnans et attestaient qu’il avait affronté plus d’une nuit orageuse, et plus d’un jour semblable à ces nuits. Il paraissait occupé à se retracer sa perte avec ce sentiment de douleur amère qui appartient aux caractères sombres et violens, et qui se tourne presque en haine contre le monde et ceux qui y restent depuis que l’objet de leur affection en a été retiré. Le vieillard avait fait les efforts les plus désespérés pour sauver son fils, et il avait fallu une force supérieure pour l’empêcher de les renouveler à un moment où, sans aucune possibilité de l’arracher à la mort, il aurait seulement péri avec lui. Tous ces souvenirs fermentaient sans doute dans son esprit ; son regard se portait du côté du cercueil, mais d’une manière détournée et comme sur un objet qu’il n’avait pas le courage de fixer et dont il ne pouvait pourtant détacher sa vue. Ses réponses aux questions indispensables qu’on lui faisait de temps à autre étaient brèves, dures et presque farouches. Sa famille n’avait pas encore osé lui adresser un mot de consolation ou de pitié.

Sa femme, malgré son caractère masculin et impérieux, et quoique gouvernant despotiquement la famille dans les occasions ordinaires, comme elle s’en vantait à bon droit, atterrée par cette grande perte et réduite au silence et à la soumission, était forcée de dérober aux regards de son mari les explosions de sa douleur maternelle. Comme il avait repoussé toute nourriture depuis que le malheur était arrivé, n’osant pas elle-même s’approcher de lui, elle avait le matin même de ce jour, par un artifice affectueux, employé le secours de leur plus jeune enfant, du favori de la famille, pour présenter à son mari quelques alimens. Son premier mouvement avait été de le repousser avec une violence de colère qui avait effrayé le petit garçon, le second de le saisir dans ses bras et de le dévorer de baisers. « Tu seras un brave garçon si tu m’es conservé, Patie. Mais jamais, non jamais, tu ne peux être ce qu’il était pour moi. Il conduisait la barque avec moi depuis l’âge de dix ans, et il n’y avait pas son pareil pour tirer un filet, d’ici à Buchan-Ness. On dit que l’homme doit se soumettre ; eh bien, j’essaierai. »

Et depuis il avait gardé le silence jusqu’à ce qu’il fût contraint de répondre aux questions nécessaires dont nous avons parlé. Tel était l’état désespéré du père.

Dans un autre coin de la chaumière, la mère était assise, le visage couvert d’un tablier qu’elle avait jeté par dessus ses mains qu’elle tordait avec angoisse, et l’agitation convulsive de son sein, qu’elle n’avait pu cacher en le couvrant, indiquait assez la nature de sa douleur. Deux de ses commères lui débitaient à voix basse ces lieux communs rebattus sur la résignation nécessaire dans un malheur sans remède, et semblaient chercher à étourdir la douleur qu’elles ne pouvaient consoler.

Le chagrin des enfans était mêlé de l’étonnement que leur causaient les préparatifs qu’ils voyaient faire autour d’eux, et surtout de l’abondance extraordinaire de pain de froment et de vin, que le plus pauvre paysan ou pêcheur offre à ses hôtes dans ces tristes occasions ; de sorte que leurs regrets de la mort de leur frère se confondaient avec l’admiration qu’excitait la splendeur de ses funérailles.

Mais la figure de la grand’mère était la plus remarquable de ce groupe affligé. Assise sur son siège accoutumé avec son air habituel d’apathie et d’indifférence pour tout ce qui l’entourait, elle semblait de temps à autre, et comme machinalement, reprendre le mouvement de tourner son fuseau, puis chercher à son sein sa quenouille, quoique l’un et l’autre eussent été mis de côté. Elle jetait ensuite les yeux autour d’elle, comme surprise de ne plus trouver cet instrument de son industrie, et paraissait frappée de la couleur noire de la robe dont on l’avait habillée, et embarrassée du nombre de personnes qui l’entouraient. Puis enfin elle levait la tête, et avec un regard sinistre jetait les yeux sur ce lit qui contenait le cercueil de son petit-fils, comme si elle eût tout-à-coup et pour la première fois recouvré la raison pour comprendre son inexprimable malheur. Ces différens sentimens d’embarras, d’étonnement et de douleur, se succédèrent alternativement plus d’une fois sur ses traits où depuis long-temps semblait régner la torpeur. Mais elle ne prononça pas un mot, de même qu’elle n’avait pas versé une larme, et personne de la famille ne pouvait comprendre par aucun regard, par aucune expression de son visage, jusqu’à quel point elle sentait le mouvement extraordinaire qui se faisait autour d’elle. Ainsi, elle siégeait dans cette assemblée funèbre comme un anneau de la chaîne entre les parens désolés et le corps inanimé de celui dont ils déploraient la perte. C’était un être dans lequel les ombres de la mort obscurcissaient déjà rapidement le flambeau de la vie.

Lorsque Oldbuck entra dans cette maison de deuil, il fut reçu par une inclination de tête silencieuse et générale, et, suivant la coutume d’Écosse en de semblables occasions, on offrit à la ronde à tous les hôtes le pain, le vin et les liqueurs. Elspeth, lorsque ces rafraîchissemens furent présentés, surprit et fit tressaillir toute la compagnie, en arrêtant la personne qui les portait ; puis prenant un verre dans sa main, elle se leva, et avec le sourire de la démence sur ses traits ridés, elle prononça d’une voix creuse et tremblante : « Une bonne santé à vous tous, messieurs, et puissions-nous avoir souvent d’aussi joyeuses réunions que celle-ci ! »

Tout le monde frémit à ce sinistre toast, et reposa son verre sans y avoir porté les lèvres, avec ce degré d’horreur et d’effroi qui n’étonnera pas ceux qui savent à combien de superstitions est encore sujette la basse classe en Écosse dans ces sortes d’occasions. Mais quand la vieille femme eut goûté la liqueur, elle s’écria soudainement avec une espèce de cri : « Qu’est-ce que ceci ? n’est-ce pas du vin ? comment ! y aurait-il du vin dans la maison de mon fils ? Ah, oui », continua-t-elle avec un gémissement étouffé, j’en comprends la triste cause maintenant, » et, laissant tomber le verre de sa main, elle resta quelques momens debout à regarder fixement le lit sur lequel on avait déposé la bière de son petit-fils ; puis retombant graduellement sur sa chaise, elle se couvrit les yeux et le front de sa main livide et ridée.

En ce moment, le ministre entra dans la chaumière. M. Blattergowl, quoique terrible parleur, particulièrement au sujet des augmentations, localités, dîmes et ouvertures, dont il avait été question dans cette session de l’assemblée générale, où, malheureusement pour les auditeurs, il s’était trouvé agir une année comme modérateur, était néanmoins un bon chrétien devant Dieu et devant les hommes, dans toute l’étendue de l’expression écossaise. Aucun ecclésiastique n’était plus attentif à visiter les malades et les affligés, à moraliser la jeunesse, à instruire l’ignorance, et à détruire l’erreur. Aussi, nonobstant l’impatience que causaient à notre ami l’Antiquaire sa prolixité et ses préjugés personnels et ceux attachés à sa profession, et malgré un certain mépris habituel pour sa capacité, particulièrement en matière d’imagination et de goût, sur lesquels Blattergowl était ordinairement fort diffus, bien qu’il eût l’espérance de parvenir un jour à une chaire de rhétorique ou de belles-lettres ; malgré, dis-je, l’espèce de prévention que toutes ces circonstances excitaient contre lui, M. Oldbuck avait beaucoup d’estime et de respect pour ledit Blattergowl, quoique je sois forcé d’avouer qu’en dépit du sentiment des convenances et des sollicitations de ses femelles, il se laissait entraîner rarement à l’entendre prêcher. Mais il s’en excusait régulièrement tous les dimanches, jour où Blattergowl était invité à dîner à Monkbarns ; voulant par là témoigner ses égards à l’ecclésiastique d’une manière qu’il croyait devoir lui être pour le moins aussi agréable, et qui contrariait beaucoup moins les habitudes personnelles du vieux savant.

Terminant une digression qui ne peut servir qu’à faire un peu mieux connaître l’honnête ecclésiastique à nos lecteurs, nous dirons que sitôt que M. Blattergowl fut entré dans la chaumière et qu’il eut reçu les tristes et muettes salutations de la compagnie qui y était rassemblée, il s’approcha du malheureux père, et sembla chercher à lui glisser quelques mots de condoléance ou de consolation. Mais le vieillard était encore incapable de les recevoir. Il s’inclina pourtant brusquement, et secoua la main du ministre, comme pour reconnaître ses bonnes intentions, mais ne voulut ou ne put lui faire d’autre réponse.

Le ministre s’avança ensuite près de la mère, marchant sur le plancher d’un pas lent, craintif et silencieux, comme s’il eût appréhendé que la terre, semblable à une glace peu solide, ne vînt à se briser sous ses pieds, et que le premier écho de son pas ne vînt à détruire quelque charme magique et à plonger la hutte et ses habitans dans un abîme souterrain. On ne peut juger de ce qu’il dit à la pauvre femme que d’après ses réponses qui, étouffées par les sanglots qu’elle ne pouvait retenir et par le tablier qui lui couvrait la tête, se faisaient confusément entendre à chaque pause du discours du ministre : « Oui, monsieur, oui, vous êtes bien bon… vous êtes bien bon… sans doute, sans doute… notre devoir est de nous soumettre… mais, ô mon Dieu, mon pauvre Steenie… l’orgueil de mon cœur, il était si beau, si bon ; il faisait la joie et le soutien de sa famille, c’était notre consolation à tous, et il n’y avait personne qui n’eût plaisir à le voir !… mon enfant, mon enfant, mon enfant ! pourquoi est-ce toi qui es étendu là sans vie, et pourquoi, moi, suis-je restée pour te pleurer ? »

Il n’y avait pas à raisonner avec cette explosion de douleur et d’affection maternelles. Oldbuck eut plusieurs fois recours à sa tabatière pour cacher ses larmes, car en dépit de son caractère sévère et caustique, il n’était rien moins qu’insensible à des scènes de ce genre. Les femmes qui étaient présentes pleuraient, et les hommes tenaient leurs bonnets devant leurs figures et se parlaient à part et à voix basse. L’homme d’église voulut ensuite adresser ses pieuses consolations à la vieille grand’mère. Elle l’écouta d’abord ou parut l’écouter avec toute son apathie ordinaire et comme ne l’entendant pas ; mais en appuyant sur son sujet, il approcha si près de son oreille que le sens de ses paroles finit par lui devenir intelligible, quoique les personnes plus éloignées ne pussent les entendre ; alors sa figure prit cette expression sombre et prononcée qui la caractérisait pendant ses courts intervalles de raison. Elle redressa sa tête et son corps d’une manière qui annonçait l’impatience sinon le mépris que lui inspiraient ces conseils, et agita la main légèrement, mais avec un geste assez expressif pour indiquer à tous ceux qui en étaient témoins qu’elle repoussait avec un profond dédain les consolations spirituelles qui lui étaient offertes. Le ministre recula de quelques pas, comme se voyant rebuté, et élevant sa main au ciel, il la laissa doucement retomber d’une manière qui exprimait à la fois de l’étonnement, du chagrin et de la compassion pour l’état déplorable de son esprit. Le reste des assistans partagea ces sentimens, et il circula parmi eux un murmure qui indiquait à quel point l’endurcissement de son désespoir les pénétrait d’effroi et même d’horreur.

Dans cet instant l’assemblée funèbre fut complète par l’arrivée de deux ou trois personnes qu’on avait attendues de Fairport. Le vin et les liqueurs circulèrent de nouveau, et les complimens muets furent encore une fois échangés. La vieille grand’mère, pour la seconde fois, prit un verre dans sa main, en but le contenu, et s’écria avec une espèce de rire : « Ha, ha ! j’ai goûté du vin deux fois dans un jour… Depuis quand cela m’était-il arrivé, messieurs ?… pas depuis… » Ici s’évanouit la vivacité passagère qui avait ranimé ses traits, et, reposant le verre, elle retomba sur le siège d’où elle s’était levée pour le saisir.

Lorsque l’étonnement général se fut dissipé, M. Oldbuck, dont le cœur saignait à ce spectacle qu’il considérait comme les divagations d’un esprit affaibli luttant contre l’engourdissement glacé de la vieillesse et de la douleur, fit observer à l’ecclésiastique qu’il était temps de commencer la cérémonie. Le père était incapable de donner aucun ordre ; mais le plus proche parent de la famille fit un signe au charpentier, qui dans des cas semblables remplit le devoir de fossoyeur, de se mettre à l’ouvrage. Le craquement des clous à vis annonça que le couvercle de cette dernière demeure de l’homme allait être refermé pour toujours sur celui qui l’occupait. Cet acte qui nous sépare à jamais même des dernières dépouilles de la personne que nous pleurons, a généralement son effet sur les cœurs les plus indifférens, les plus égoïstes et les plus durs. Par un esprit de contradiction qu’on nous pardonnera de regarder comme un étroit préjugé, les Pères de l’église écossaise rejetaient même dans un moment aussi solennel toute espèce de prière à la Divinité, de peur qu’on ne les accusât d’approuver les rituels de Rome et de l’anglicanisme. Par l’effet d’un jugement plus libéral et plus sage, la plus grande partie des ecclésiastiques écossais ont maintenant adopté la coutume de saisir ce moment pour prononcer une prière et une exhortation propres à faire impression sur les vivans pendant qu’ils ont encore présens à leurs yeux les restes de celui qui si peu de temps auparavant était semblable à eux-mêmes, et qui est alors ce qu’ils doivent aussi devenir un jour. Mais cette coutume judicieuse et louable n’était pas encore adoptée au temps dont nous parlons, ou du moins M. Blattergowl ne s’y conforma pas, et la cérémonie commença sans aucun exercice de dévotion.

La bière, couverte d’un drap mortuaire et soutenue sur des barres par les plus proches parens, n’attendait plus que le père qui, selon la coutume, devait porter la tête ; mais il ne répondit qu’en agitant la main et en faisant un signe de refus. Dans une intention meilleure que leur jugement, les amis, qui regardaient cela comme un acte de devoir envers le vivant et de décence envers le mort, se disposaient à insister, lorsque Oldbuck s’interposa entre le père désolé et ses persécuteurs bien intentionnés, et leur déclara que ce serait lui qui, en qualité de propriétaire et maître du défunt, porterait la tête jusqu’au tombeau. Malgré tout ce que la circonstance avait de triste, le cœur des parens se gonfla de joie d’une distinction si marquée de la part du laird, et la vieille Alison Breck, qui était présente parmi d’autres femmes de pêcheurs, jura presque tout haut que Son Honneur Monkbarns ne manquerait jamais d’huîtres dans la saison (on savait dans le pays qu’il en était amateur), quand elle devrait aller elle-même les pêcher dans la mer par le plus gros vent. Tel est le caractère du bas peuple en Écosse, que M. Oldbuck, par cette marque de complaisance pour leurs coutumes et d’égards pour leurs personnes, obtint plus de popularité que par toutes les sommes qu’il avait l’habitude de distribuer tous les ans à la paroisse pour être employées eu charités publiques ou particulières.

La triste procession commença à marcher d’un pas lent, précédée par les bedeaux en pleureurs avec leurs bâtons, hommes très âgés, à l’aspect misérable, qui chancelaient comme s’ils étaient eux-mêmes sur le bord de cette fosse vers laquelle ils en escortaient un autre, et vêtus, suivant l’usage écossais, d’habits noirs râpés, et portant des espèces de bonnets de chasse ornés d’un vieux crêpe rougi. Monkbarns, s’il eût été consulté, aurait sûrement désapprouvé cette dépense superflue, mais par là il aurait probablement blessé ces pauvres gens encore plus qu’il ne les avait flattés par sa condescendance à conduire le deuil ; et, dans cette conviction, il s’abstint sagement de leur faire des remontrances dans une occasion où sa censure n’aurait pas produit plus d’effet que ses conseils. Il est de fait que les paysans écossais sont encore atteints de cette rage de cérémonies qui fut autrefois si remarquable chez les grands du royaume, que le parlement d’Écosse fit une loi somptuaire dans le but de la réprimer. J’ai connu plusieurs personnes de la plus basse classe qui se refusaient non seulement les douceurs, mais presque les premiers besoins de la vie, afin d’amasser une somme d’argent qui pût permettre aux parens qui leur survivraient de les enterrer comme des chrétiens, suivant leur expression ; et jamais les fidèles exécuteurs de leurs volontés, quoique eux-mêmes également dans la misère, ne purent se laisser persuader d’employer à l’usage et aux besoins des vivans un argent follement dépensé pour l’enterrement des morts.

Jusqu’au cimetière, qui était à environ un demi-mille de distance, la procession se fit avec la triste solennité ordinaire dans ces occasions. Le corps fut rendu à la terre qui l’avait nourri, et quand les fossoyeurs eurent comblé la tombe et l’eurent recouverte de gazon, M. Oldbuck, ôtant son chapeau, salua les assistans qui se tenaient autour dans un silence mélancolique, et par cet adieu congédia le cortège.

Le ministre offrit à notre Antiquaire de l’accompagner jusque chez lui ; mais M. Oldbuck avait été si frappé de la douleur du pêcheur et de sa femme, qu’ému par la compassion, et peut-être aussi par cette curiosité qui nous porte à rechercher les objets dont la vue doit exciter en nous des sensations pénibles, il préféra s’en retourner tout seul le long de la côte pour visiter encore une fois la chaumière en passant.