L’Antiquaire (Scott, trad. Ménard)/Chapitre XLIII

Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 7p. 425-434).


CHAPITRE XLIII.

SECOURS INATTENDUS.


La fortune nous fuit, dites-tous ? Non, elle voltige seulement autour de nous, comme l’agile oiseau de mer autour de l’esquif d’où l’oiseleur attentif épie ses mouvemens ; tantôt il disparaît dans le brouillard, tantôt rase la blanche voile de la barque d’une aile téméraire et qui semble s’offrir au tir : ainsi l’expérience guette le moment favorable de saisir la fortune et de la remettre en haut de sa roue.
Vieille comédie.


Les cris de triomphe d’Hector avaient un ton belliqueux qui les faisait difficilement distinguer de ses cris de guerre ; mais bientôt on ne douta plus que la cause de cette nouvelle rumeur ne fût d’une nature agréable, lorsqu’on le vit s’élancer sur l’escalier, un paquet à la main, en s’écriant : « Vive le vieux soldat ! voici le vieil Édie avec un recueil de bonnes nouvelles. » Il remit la lettre à Oldbuck, serra cordialement la main à sir Arthur, et félicita miss Wardour avec toute la franchise de son caractère et de son pays. L’huissier qui avait, comme par instinct, une espèce de terreur du capitaine Mac Intyre, s’approcha de son prisonnier, et tint prudemment l’œil fixé sur les mouvemens du jeune militaire.

« Croyez-vous que je m’occupe de vous, l’ami ? lui dit le jeune homme ; tenez, voilà une guinée pour la peur que je vous ai faite : Voilà un vieux brave du 42e, qui était pour vous un meilleur antagoniste que moi. »

L’huissier, qui était un de ces misérables qui empochent volontiers un mauvais compliment quand il leur rapporte quelque chose, retint dans sa main la guinée qu’Hector lui jetait à la figure, et se mit à observer prudemment le tour que les affaires allaient prendre. Cependant toutes les voix s’élevaient pour faire des questions, et aucune ne songeait à y répondre.

« Qu’y a-t-il donc, capitaine Mac Intyre ? dit sir Arthur.

— Demandez au vieil Édie, dit Hector ; je sais seulement que tout va bien, que tout est sauvé.

— Qu’est-ce que tout ceci, Édie ? demanda miss Wardour au mendiant.

— Votre Seigneurie doit demander à Monkbarns, c’est lui qui a la correspondance épistolaire.

— Vive le roi ! » s’écria l’Antiquaire à son premier regard sur le contenu du paquet ; et oubliant à la fois son décorum, sa philosophie et son phlegme ordinaire, il jeta en l’air son chapeau retroussé, qui retomba sur une des branches d’un grand chandelier ; puis jetant un joyeux regard autour de lui, il mit la main sur sa perruque, et allait peut-être lui faire suivre la route du chapeau, si Édie ne lui avait arrêté la main en disant : « Seigneur mon Dieu, la tête lui tourne ! pensez donc, Monkbarns, que Caxon n’est pas là pour réparer le mal. »

Tout le monde assaillit l’Antiquaire, et l’étourdit de questions sur la cause d’un pareil transport ; et lui, tant soit peu honteux de ce délire, leur tourna bravement le dos, comme un renard aux cris d’une meute de chiens, et montant l’escalier deux à deux, jusqu’à ce qu’il fût arrivé en haut, il s’arrêta sur le palier, et se retournant, s’adressa ainsi à ses auditeurs surpris :

« Mes bons amis, favete linguis[1] Pour vous informer de ce qui se passe, il faut d’abord, suivant tous les logiciens, que je le sache moi-même : ainsi donc, avec vos permissions, je vais me retirer dans la bibliothèque ; sir Arthur et miss Wardour auront la bonté de passer dans le parloir : monsieur Sweepclean, secede paulisper[2], ou, pour parler votre langage, vous voudrez bien nous accorder un sursis de cinq minutes ; Hector, retirez vos forces, et choisissez quelque autre champ de bataille ; enfin tous, tant que vous êtes, ayez un peu de courage et de patience jusqu’à mon retour, qui sera prompt. »

Le contenu du paquet était si inattendu, qu’il faut pardonner à l’Antiquaire, d’abord son extase, puis son désir de différer la communication de ces nouvelles, jusqu’à ce qu’il eût pu lui-même s’en pénétrer et remettre l’ordre dans ses idées.

Sous l’enveloppe était une lettre adressée à Jonathan Oldbuck, esquire, propriétaire de Monkbarns, dont voici la teneur :

« Mon cher monsieur, c’est à vous que je m’adresse, comme à l’ami le plus éprouvé, le plus précieux de mon père, étant retenu moi-même ici par des devoirs militaires d’une nature très importante. Vous devez connaître dans ce moment l’état embarrassé de nos affaires, et je sais que vous serez bien aise d’apprendre que je suis assez heureux pour me trouver soudainement placé dans une situation qui me permet d’aider puissamment à les arranger. J’ai appris que sir Arthur est menacé de poursuites rigoureuses par des individus qui ont agi autrefois comme ses procureurs fondés ; et d’après l’avis d’un homme d’affaires respectable, je me suis procuré l’écrit ci-joint, qui arrêtera leurs poursuites jusqu’à ce que leurs droits aient été légalement discutés et justement réduits. J’envoie aussi pour 1,000 livres sterling de billets, afin de payer les réclamations les plus pressantes, exigeant de votre amitié d’en faire l’emploi que jugera votre prudence. Vous serez peut-être surpris que je vous donne cette peine, quand il aurait été plus naturel de laisser à mon père le soin de diriger ses propres affaires ; mais je n’ai pas encore l’assurance que ses yeux soient ouverts sur le caractère d’un homme dont vous l’avez souvent averti de se méfier, et dont l’influence fatale a été la cause de tous ses malheurs. D’ailleurs, devant à la générosité d’un ami incomparable les moyens de secourir sir Arthur, c’est un devoir de ma part de veiller à l’emploi des fonds destinés à cet usage, et je sais que je peux m’en rapporter entièrement pour cela à votre sagesse et à votre prudence. Mon ami, qui réclame une portion de votre intérêt, expliquera ses vues dans une lettre ci-jointe. La fidélité du bureau de Fairport étant un peu suspecte, j’envoie cette lettre par Tannonburgh ; mais le vieil Ochiltree, que des circonstances particulières nous ont fait connaître comme digne de toute confiance, a connaissance du moment probable de l’arrivée du paquet, et aura soin de vous le faire parvenir. J’espère avoir bientôt l’occasion de m’excuser personnellement de toute la peine que je vous donne, et j’ai l’honneur d’être votre dévoué serviteur,

« Reginald Gamelyn Wardour. »

Édimbourg, le 6 août 179—

L’Antiquaire brisa à la hâte le cachet de l’autre lettre, dont le contenu sembla lui causer autant de surprise que de plaisir. Quand il se fut un peu remis du trouble où tant de nouvelles inattendues l’avaient jeté, il examina soigneusement les autres papiers qui avaient tous rapport aux affaires, mit les billets dans sa poche, écrivit un court accusé de réception pour être mis à la poste le même jour, car il était extrêmement méthodique en toute affaire où il était question d’argent ; et enfin, plein de l’importance de sa découverte, il descendit au parloir.

« Sweepclean, dit-il en entrant à l’officier qui se tenait respectueusement à la porte, il faut que vous délogiez du château de Knockwinnock, et que vous et votre suite fassiez au plus tôt maison nette. Voyez-vous ce papier-là, mon homme ?

— Un arrêt de suspension, dit l’huissier d’un ton de regret : j’avais toujours bien pensé qu’il serait étrange que les choses allassent à la dernière extrémité avec un gentilhomme comme sir Arthur… Eh bien ! monsieur, je vais me retirer avec ma bande ; et qui me paiera mes frais ?

— Ceux qui t’ont employé, répondit Oldbuck, comme tu le sais aussi bien que moi… Mais voici encore un exprès ; parbleu ! c’est aujourd’hui un jour de nouvelles. »

C’était M. Mailsetter, arrivant de Fairport sur sa jument, avec une lettre pour sir Arthur et une autre pour l’huissier, qui toutes deux devaient être dépêchées sur-le-champ. L’huissier ouvrit la sienne en observant que Greenhorn et Grinderson étaient bien en état de répondre des frais, et qu’ils lui écrivaient pour ordonner de cesser les poursuites. En conséquence, il quitta sur-le-champ l’appartement, et ne prenant que le temps de rassembler sa bande, il évacua le territoire, pour nous servir de l’expression d’Hector, qui surveillait son départ des yeux dont un dogue irrité suit les pas d’un mendiant qui se retire.

La lettre adressée à sir Arthur était de M. Greenhorn, et assez curieuse dans son genre. Nous la rapporterons avec les commentaires du digne baronnet.

« Monsieur… (Ah ! je ne suis plus son cher monsieur ; les gens ne sont chers à MM. Greenhorn et Grinderson qu’autant qu’ils sont dans l’adversité.) Monsieur, j’ai été très affligé d’apprendre à mon retour de la campagne, où m’avait appelé une affaire importante (Oui, quelque pari, je suppose), que mon associé avait eu l’inconséquence de suivre les intérêts de M. Goldiebird de préférence aux vôtres, et de vous écrire d’une manière inconvenante. Je vous prie de recevoir mes très humbles excuses et celles de M. Grinderson… (Allons je vois que celui-ci écrit en son nom aussi bien qu’au nom de son associé) et j’espère que vous ne m’avez pas cru capable d’oublier, ou de payer d’ingratitude la protection constante que ma famille (Sa famille ! maudit soit le fat !) a trouvée dans celle de Knockwinnock. Dans une entrevue que j’ai eue aujourd’hui avec M. Wardour, j’ai vu avec peine qu’il paraît très irrité, et je dois avouer que ce n’est pas sans raison. Mais afin de réparer, autant qu’il est en moi, la méprise dont il se plaint (Jolie méprise, vraiment, de faire mettre son protecteur en prison !), j’ai envoyé cet exprès pour arrêter toutes les poursuites contre votre personne et vos biens, et pour vous transmettre en même temps mes humbles excuses. Il me reste à ajouter que l’opinion de M. Grinderson est que, si vous l’honorez du retour de votre confiance, il pourra vous indiquer des circonstances relatives aux réclamations actuelles de M. Goldiebird qui en réduiraient grandement le montant. (Ainsi il ne demanderait pas mieux que de faire le fripon des deux côtés.) Quant à notre mémoire, le paiement n’en est nullement pressé. Je suis, pour M. Grinderson, comme pour mon propre compte, mon cher monsieur (Ha ! ha ! le voilà qui redevient familier), votre très obligé et très humble serviteur,

« Gilbert Greenhorn. »

« Bien dit, monsieur Gilbert Greenhorn, dit l’Antiquaire, je vois maintenant à quoi peut servir l’association de deux procureurs. Leurs mouvemens ressemblent à ceux de l’homme et de la femme du baromètre hollandais : quand il fait beau temps pour le client, un des gentilshommes associés sort et vient lui lécher les pieds comme un épagneul ; quand il fait mauvais, il se renferme, et l’autre gentilhomme agissant vient lui montrer les dents comme un boule-dogue. Quant à moi, je remercie Dieu que mon homme d’affaires porte encore un chapeau retroussé à trois cornes, qu’il soit logé dans la vieille ville, qui ! craigne autant un cheval que moi, qu’il joue à la paume le samedi, aille à l’église le dimanche, et que, n’ayant pas d’associé, il ne soit responsable que de ses propres sottises.

— Il y a des procureurs très honnêtes gens, dit Hector. Je voudrais bien entendre dire à quelqu’un que le septième fils de mon cousin Donald Mac Intyre Strathetudlem, dont les six frères sont à l’armée, n’est pas un honnête homme !

— Sans doute, sans doute, Hector, tous les Mac Intyre le sont, ils ont un brevet pour cela, mon garçon… Mais j’allais dire que dans une profession où il est nécessaire d’inspirer une confiance sans bornes, il n’y a rien d’étonnant qu’il se trouve des sots qui s’en montrent indignes par leur négligence, et des fripons dont la mauvaise foi en abuse. Tout cela est d’autant plus à l’honneur de ceux qui (et je réponds qu’il y en a encore plusieurs), unissant l’intégrité au savoir et à l’application, suivent une marche droite et honorable au milieu de cette carrière qui offre tant d’écueils et de pierres d’achoppement à leurs confrères. À de tels hommes, leurs compatriotes peuvent abandonner sans crainte le soin de protéger les intérêts de leur patrimoine, et le pays peut confier avec une sécurité égale le dépôt encore plus sacré de ses lois et de ses privilèges.

— Après tout, moins on a affaire à eux, et mieux l’on s’en trouve, » dit Ochiltree en allongeant sa tête à la porte du parloir ; car la confusion générale qui régnait dans la famille n’étant pas encore passée, les domestiques, semblables aux vagues après la fin d’un orage, n’étaient pas encore rentrés dans leurs fonctions ordinaires, mais parcouraient çà et là la maison avec agitation.

— Ah ! ah ! te voilà, mon vieux, dit l’Antiquaire ; sir Arthur, permettez-moi de vous présenter un messager de bonnes nouvelles, quoiqu’il soit un peu boiteux. Vous parliez des corbeaux qui sentaient de loin le carnage ; mais vous voyez là un pigeon bleu, un peu vieux, un peu coriace, je l’avoue, qui a flairé les bonnes nouvelles de six ou sept milles d’ici, a volé les chercher dans la carriole, et est revenu avec la branche d’olivier.

— Vous le devez au pauvre Robert qui m’y a conduit, dit le mendiant ; le pauvre garçon est bien en peine, il craint d’être tombé dans la disgrâce de sir Arthur et de milady. »

Robert montra son visage confus et repentant au dessus de l’épaule du mendiant.

« En disgrâce ! dit sir Arthur ; comment cela ? car l’irritation qu’il avait éprouvée au sujet de la rôtie brûlée était depuis longtemps oubliée. Oh ! je me rappelle maintenant, Robert, j’étais en colère, et vous avez eu tort… N’y pensons plus ; allez à votre ouvrage, et souvenez-vous de ne jamais répondre à un maître lorsqu’il est irrité.

— Ni à tout autre, dit l’Antiquaire : la colère se laisse toujours désarmer par la douceur et la soumission.

— Et dites à votre mère, qui souffre tant de son rhumatisme, de venir demain trouver la femme de charge, dit miss Wardour ; nous verrons si nous ne pourrons pas faire quelque chose pour la soulager.

— Que le ciel bénisse Votre Seigneurie, dit le pauvre Robert, et Son Honneur sir Arthur, le jeune laird, et toute la famille de Knockwinnock dans toutes les branches les plus éloignées. C’est une maison qui a toujours été bonne et charitable pour les pauvres depuis plusieurs centaines d’années.

— Là ! dit l’Antiquaire à sir Arthur, je ne veux pas disputer avec vous, mais vous voyez que la reconnaissance du pauvre ne s’attache qu’aux vertus civiles de votre famille… Vous ne les entendez jamais parler de Main-Rouge ou de l’Enfer-Harnaché. Quant à moi, je dois dire : odi accipitrem qui semper vivit in armis[3]. Ainsi donc, buvons et mangeons tranquillement et joyeusement, sir chevalier. »

Une table avait été dressée à la hâte dans le parloir, et la compagnie s’y assit gaîment pour prendre un joyeux repas. À la prière d’Oldbuck, Édie eut la permission de s’asseoir à côté du buffet, sur une glande chaise de cuir qui était placée en quelque sorte derrière un paravent.

« J’y consens d’autant plus volontiers, dit sir Arthur, que je me rappelle que du temps de mon père cette chaise était occupée par Ailshie Gourley qui, à ma connaissance, a été le dernier fou ou bouffon privilégié qui ait été entretenu dans aucune famille de distinction en Écosse.

— Quant à cela, sir Arthur, dit le mendiant, qui était de ceux qui n’hésitent jamais entre un ami et un bon mot, on voit plus d’un sage assis sur le siège d’un fou, et plus d’un fou occuper la place d’un sage, surtout dans les familles de distinction. »

Miss Wardour, craignant l’effet de cette saillie sur les nerfs irritables de son père (toute digne qu’elle fût d’Ailshie Gourley ou de tout autre bouffon privilégié), se hâta de demander s’il n’ordonnerait pas une distribution d’ale et de bœuf aux domestiques et à tous ceux que cette nouvelle avait assemblés autour du château.

« Certainement, mon amour, dit son père, ce fut toujours l’usage dans notre famille après la levée d’un siège.

— C’est cela, un siège mis par l’huissier Saunders Sweepclean, et levé par le mendiant Édie Ochiltree, par nobile fratrum[4], dit Oldbuck, deux personnages d’un rang également distingué. Mais c’est égal, sir Arthur, les particuliers ne sont plus assiégés de nos jours que de cette manière, et nous n’en devons pas moins boire, à notre heureuse délivrance, un verre de cet excellent vin… sur mon honneur ! je crois que c’est du bourgogne.

— S’il y avait eu quelque chose de mieux dans la cave, dit miss Wardour, je me serais empressée de le faire servir ; rien ne me semble assez digne de vous être offert après les peines que votre amitié vient de se donner pour nous.

— Si vous parlez ainsi, ma belle ennemie, dit l’Antiquaire, vous allez me forcer de remplir encore une fois mon verre et de vous offrir une coupe d’actions de grâce… Puissé-je vous voir assiégée de nouveau, mais de la manière dont les femmes ne craignent jamais de l’être ; et puissiez-vous signer bientôt les termes de la capitulation dans la chapelle de Saint-Winnox ! »

Miss Wardour rougit ; Hector changea plusieurs fois de couleur.

« Ma fille, répondit sir Arthur, vous est fort obligée, Monkbarns ; mais à moins que vous ne vouliez l’accepter vous-même, je ne vois pas quel espoir d’alliance peut avoir, dans ces temps mercenaires, la fille d’un pauvre baronnet.

— Moi, dites-vous, sir Arthur ? non, non ; mais je réclamerai le privilège de l’ancienne coutume du combat singulier, et ne pouvant paraître en personne, je me ferai remplacer par un champion : nous parlerons de cela plus tard. Que voyez-vous donc de si intéressant dans ces papiers, Hector, que vous baissez la tête dessus comme si vous saigniez du nez.

— Rien de particulier, monsieur. Mais je pensais que, puisque voilà mon bras à peu près guéri, je ne ferais pas mal de vous débarrasser de ma compagnie dans un jour ou deux, et de partir pour Édimbourg. Je vois, par les journaux, que le major Neville y est arrivé, et je serai bien aise de le voir.

— Le major qui ? demanda l’oncle.

— Le major Neville, répondit le jeune militaire.

— Et qui diable est le major Neville ? demanda l’Antiquaire.

— Monsieur Oldbuck, dit sir Arthur, c’est un jeune officier véritablement très distingué ; vous vous souviendrez sans doute d’avoir vu son nom fréquemment dans les papiers. Mais je suis bien aise d’apprendre à monsieur Mac Intyre qu’il ne lui est pas nécessaire de quitter Monkbarns pour aller le voir, car mon fils m’écrit que le major doit venir avec lui à Knockwinnock ; et je n’ai pas besoin de dire que je serais charmé de faire faire connaissance à ces deux messieurs, à moins pourtant qu’ils ne l’aient déjà faite.

— Non, dit Hector, je ne le connais pas personnellement, mais j’ai eu occasion d’entendre souvent parler de lui, et je suis lié avec plusieurs de ses amis, du nombre desquels est le capitaine Wardour. Cependant il faut que j’aille à Édimbourg, car je vois que mon oncle commence à avoir assez de moi, et je crains moi-même…

— D’avoir assez de lui, dit Oldbuck ; j’ai peur que ce ne soit pas d’aujourd’hui. Mais vous oubliez donc que nous approchons de ce fameux 12 d’août, et que vous êtes engagé à vous joindre à la chasse qui doit avoir lieu sur les terres de lord Glenallan pour le tourment de la paisible race ailée.

— C’est vrai, c’est vrai, mon oncle, je l’avais oublié, s’écria le mobile Hector ; mais excusez-moi, vous m’avez dit quelque chose tout à l’heure qui avait banni de ma tête toute autre pensée.

— Sous le bon plaisir de Vos Honneurs, » dit le vieil Édie en avançant sa tête blanche en dehors du paravent derrière lequel il s’était abondamment régalé de viande froide et de bière ; « sous le bon plaisir de Vos Honneurs, je vous apprendrai quelque chose qui retiendra le capitaine parmi nous tout aussi bien que la chasse. N’avez-vous pas entendu dire que les Français allaient faire une descente ?

— Les Français ? vieux fou ! s’écria Oldbuck.

— Je n’ai pas eu le temps de la semaine, dit sir Arthur Wardour, de parcourir ma correspondance de gouverneur de la côte. En général, je me suis fait une loi de ne m’en occuper que le mercredi, excepté dans les cas pressans, car je fais tout avec ordre ; mais d’après un coup d’œil jeté sur mes lettres, j’ai vu effectivement qu’on n’était pas sans alarme.

— Sans alarme ! dit Édie ; ma foi, il font qu’il y ait de l’alarme, car le prévôt s’est dépêché de faire mettre un fanal sur le sommet d’Halket, ce qui aurait dû être mis depuis six mois ; et celui que le conseil a nommé à la garde du fanal n’est autre que le vieux Caxon lui-même. Il y a des gens qui disent que c’est par égard pour le lieutenant Taffril, car il paraît décidé qu’il va épouser Jenny Caxon ; d’autres disent que c’est pour plaire à Vos Honneurs qui portez perruque ; et il y en a aussi qui parlent d’une vieille histoire de perruque qu’il fit pour un des baillis, et qui ne fut jamais payée. Quoi qu’il en soit, le voilà perché comme une mouette sur le haut du rocher pour glapir comme elle par le mauvais temps.

— Sur mon honneur, voilà un joli gardien, dit Monkbarns ; et qui aura soin de ma perruque ?

— C’est la question que je lui ai faite, répondit Édie : et il m’a dit qu’il pourrait entrer chez vous tous les matins, et lui donner un petit coup avant d’aller se coucher, car il y a un autre homme pour rester là pendant le jour ; et Caxon dit d’ailleurs qu’il frisera la perruque de Votre Honneur tout aussi bien endormi qu’éveillé. »

Ces nouvelles donnèrent un autre tour à la conversation, qui roula alors sur les moyens de défense du pays, et le devoir imposé à chaque citoyen de s’armer pour repousser l’invasion. Le moment vint ensuite de se séparer, et l’Antiquaire reprit avec son neveu la route de Monkbarns, après avoir quitté les habitans de Knockwinnock avec les expressions de l’intérêt mutuel le plus sincère et s’être promis de se revoir le plus tôt possible.


  1. Retenez vos langues. a. m.
  2. Éloignez-vous un peu. a. m.
  3. Je hais l’oiseau de proie vivant toujours au milieu des combats. a. m.
  4. Noble couple de frères. a. m.