L’Anti-Justine ou les délices de l’Amour (1864)/21

Vital Puissant ? (p. 65-68).

CHAPITRE XXI.

Du ressouvenir de l’épisode.

Ah ! que les puristes ont dû se récrier au chapitre précédent !… Eh bien, puristes, je m’en fous !

Le lendemain, je m’attendais à un peu de bouderie ou de sérieux, non, ma Conquette me parla comme à l’ordinaire… Je fus huit jours sans chercher à le lui mettre. Le samedi, son bijou, bien rétabli des fatigues données par Sourcilsgris, dit Montencon, elle y sentit un chatouillement ; elle se ressouvint alors de ce que je lui avais dit, qu’elle pourrait se laisser enconner par Timon. Elle fit une toilette de volupté, se couvrit d’une calèche et sortit le soir. Mais je l’observais et la faisais soigneusement observer par madame Brideconin, ou, comme je l’appelais en riant, madame Conbridé. Je fus averti, je la suivis pour la préserver de malheur ; elle monta, j’écoutai à la porte, et j’entrevis moi-même par une fente. Conquette se jeta dans les bras de Timon, mais il était malade. La belle fut gamahuchée ; seulement, Timon, au lieu de la caresser, comme elle s’y attendait, se mit à lui raconter la suite des événements relatifs à Vitnègre, à Fout-à-Mort et à Connillette.

« J’ai été voir Vitnègre aujourd’hui, au lieu de me rendre à mon bureau, étant malade ; je l’ai trouvé malade lui-même, tant il avait été hier effrayé des menaces de son moine. Celui-ci l’avait fait demander. Vitnègre est accouru, il a trouvé toute la communauté à l’infirmerie… Parvenu au lit de Fout-à-Mort, celui-ci lui a dit : « Gueux ! si j’en avais la force, je t’étoufferais, mais si je suis pour en mourir, comme on l’assure, je déclarerai tout au lieutenant de police, et tu seras pendu ! Tu m’as vendu ta femme ; elle était si belle, que j’ai eu un plaisir infini à la faire expirer dans des douleurs plus fortes que celles de l’accouchement ; elle était si belle que j’ai voulu en manger ; je me suis fait accommoder son con, sa matrice, ses poumons et sa tête, que j’avais déguisée ; nos moines ont mangé sans le savoir son cul, ses fesses, ses mollets, ses pieds, ses bras, ses mains, ses épaules, son foie, etc… ; tous… eux et moi, nous avons la vérole !… Or, ta femme, belle, fraîche, pucelle encore, ne l’avait pas. Voici ce que tu as fait, coquin ! Touché d’une fausse compassion, tu as fait évader ta femme, que je t’avais payée pour la foutre à mort, et lui as substitué une putain !… C’est une insigne coquinerie !… Si j’en reviens, j’aurai ta femme ; si je meurs, tu seras pendu !… » Vitnègre s’est donné à tous les diables que c’était vous qu’il avait livrée ; le moine, qui venait d’être frotté de mercure et dont la langue enflait, a fait signe qu’il n’en croyait rien !… Le chirurgien a tiré Vitnègre à part : « Avez-vous quelque affaire à régler avec ce scélérat ? Il n’a pas deux heures à vivre à la manière dont enfle sa langue. Il a une vérole si terrible, que j’ai été obligé de le frotter au triple des autres que voilà dans leur lit et qui commencent à saliver. Je le connais, c’est un monstre à ôter du monde ; et tout à l’heure il ne pourra plus parler. — Empêchez qu’il écrive !… — Oh ! ne craignez rien, l’enflure lui gagne les yeux, il n’y voit plus et la langue commence à lui sortir de la bouche. (Lui tâtant les pouls.) Il souffre comme un damné et il n’a pas une demi-heure à vivre. »

« Alors Vitnègre enhardi a dit au moine : « Gueux infâme, c’est la putain Connillette que je t’ai donnée, que tu as fait manger à tes moines et dont tu as dévoré la matrice véroleuse. » Le moine s’est soulevé et a lancé à Vitnègre un si vigoureux coup de poing qu’il l’aurait tué, si la colonne du lit n’avait amorti le coup, et qui cependant a renversé Vitnègre. On l’a fait sortir, mais il a appris ce matin par le chirurgien que la langue du moine, devenue grosse comme celle d’un bœuf, l’avait étouffé un quart-d’heure après. On a brûlé ce qu’il avait écrit durant sa maladie.

» Voilà ce que Vitnègre tranquillisé vient de me raconter. Il est tard, je ne saurais vous reconduire : partez, ma belle amie. »

Tel fut le récit de Timon fait à ma fille, que j’entendis tout entier et qu’elle me répéta. Elle s’en revint, la tête remplie d’idées noires Je la suivis à vingt pas, la couvant des yeux pour la préserver de toute mauvaise rencontre ; je bandais comme un carme en voyant son joli tour de hanches.

Elle rentra, je la précédai dans mon magasin et je me cachai ; elle revint avec de la lumière et de l’eau tiède, elle se lava la motte et soupira en se disant à elle-même : « Il n’existe plus, le scélérat, je suis encore effrayée… » Je frappai un petit coup sur une commode ; Conquette leva les yeux et me vit ; je lui contai tout ce qu’elle venait de faire ; je lui causai un effroi salutaire qui la guérit de l’envie d’aller seule chez Timon, en lui disant que j’avais rencontré Vitnègre sur le quai des Ormes ; j’ajoutai : « Vous alliez pour être baisée, vous le serez, car je couche avec vous. » Elle bégueulait, disant que le récit de Timon lui avait ôté ses désirs ; je ne l’écoutai pas et je me mis au lit, où elle vint se coucher auprès de moi.