L’Antéchrist (Renan)/VI. L’incendie de Rome

Michel Lévy (p. 123-152).


CHAPITRE VI.


L’INCENDIE DE ROME.


La manie furieuse de Néron était arrivée à son paroxysme. C’était la plus horrible aventure que le monde eût jamais courue. L’absolue nécessité des temps avait tout livré à un seul, à l’héritier du grand nom légendaire de César ; un autre régime était impossible, et les provinces, d’ordinaire, se trouvaient assez bien de celui-ci ; mais il recélait un immense danger. Quand le césar perdait l’esprit, quand toutes les artères de sa pauvre tête, troublée par un pouvoir inouï, éclataient en même temps, alors c’étaient des folies sans nom. On était livré à un monstre. Nul moyen de le chasser ; sa garde, composée de Germains, qui avait tout à perdre s’il tombait, s’acharnait autour de lui ; la bête acculée se baugeait et se défendait avec rage. Pour Néron, ce fut quelque chose à la fois d’épouvantable et de grotesque, de grandiose et d’absurde. Comme le césar était fort lettré, sa folie fut principalement littéraire. Les rêves de tous les siècles, tous les poèmes, toutes les légendes, Bacchus et Sardanapale, Ninus et Priam, Troie et Babylone, Homère et la fade poétique du temps, ballottaient comme un chaos dans un pauvre cerveau d’artiste médiocre, mais très-convaincu[1], à qui le hasard avait confié le pouvoir de réaliser toutes ses chimères. Qu’on se figure un homme à peu près aussi sensé que les héros de M. Victor Hugo, un personnage de mardi gras, un mélange de fou, de jocrisse et d’acteur, revêtu de la toute-puissance et chargé de gouverner le monde. Il n’avait pas la noire méchanceté de Domitien[2], l’amour du mal pour le mal ; ce n’était pas non plus un extravagant comme Caligula ; c’était un romantique consciencieux, un empereur d’opéra, un mélomane tremblant devant le parterre et le faisant trembler[3], ce que serait de nos jours un bourgeois dont le bon sens aurait été perverti par la lecture des poètes modernes et qui se croirait obligé d’imiter dans sa conduite Han d’Islande et les Burgraves. Le gouvernement étant la chose pratique par excellence, le romantisme y est tout à fait déplacé. Le romantisme est chez lui dans le domaine de l’art ; mais l’action est l’inverse de l’art. En ce qui touche à l’éducation d’un prince surtout, le romantisme est funeste. Sénèque, sous ce rapport, fit bien plus de mal à son élève, par son mauvais goût littéraire, que de bien par sa belle philosophie. C’était un grand esprit, un talent hors de ligne, et un homme au fond respectable, malgré plus d’une tache, mais tout gâté par la déclamation et la vanité littéraire, incapable de sentir et de raisonner sans phrases. À force d’exercer son élève à exprimer des choses qu’il ne pensait pas, à composer d’avance des mots sublimes, il en fit un comédien jaloux, un rhéteur méchant, disant des paroles d’humanité quand il était sûr qu’on l’écoutait[4]. Le vieux pédagogue voyait avec profondeur le mal de son temps, celui de son élève et le sien propre, quand il s’écriait dans ses moments de sincérité : Literarum intemperantia laboramus[5].

Ces ridicules parurent d’abord chez Néron assez inoffensifs ; le singe s’observa quelque temps et garda la pose qu’on lui avait apprise. La cruauté ne se déclara chez lui qu’après la mort d’Agrippine ; elle l’envahit bien vite tout entier. Chaque année maintenant est marquée par ses crimes : Burrhus n’est plus, et tout le monde croit que Néron l’a tué ; Octavie a quitté la terre abreuvée de honte ; Sénèque est dans la retraite, attendant son arrêt à chaque heure, ne rêvant que tortures, endurcissant sa pensée à la méditation des supplices, s’évertuant à prouver que la mort est une délivrance[6]. Tigellin maître de tout, la saturnale est complète. Néron proclame chaque jour que l’art seul doit être tenu pour chose sérieuse, que toute vertu est un mensonge, que le galant homme est celui qui est franc et avoue sa complète impudeur, que le grand homme est celui qui sait abuser de tout, tout perdre, tout dépenser[7]. Un homme vertueux est pour lui un hypocrite, un séditieux, un personnage dangereux et surtout un rival ; quand il découvre quelque horrible bassesse qui donne raison à ses théories, il éprouve un accès de joie. Les dangers politiques de l’enflure et de ce faux esprit d’émulation, qui fut dès l’origine le ver rongeur de la culture latine, se dévoilaient. Le cabotin avait réussi à se donner droit de vie et de mort sur son auditoire ; le dilettante menaçait les gens de la torture s’ils n’admiraient ses vers. Un monomane grisé par la gloriole littéraire, qui tourne les belles maximes qu’on lui a fait apprendre en plaisanteries de cannibale, un gamin féroce visant aux applaudissements des turlupins de carrefour, voilà le maître que l’empire subissait. On n’avait pas encore vu de pareille extravagance. Les despotes de l’Orient, terribles et graves, n’eurent point de ces fous rires, de ces débauches d’esthétique perverse. La folie de Caligula avait été courte ; ce fut un accès, et puis Caligula était surtout un bouffon ; il avait vraiment de l’esprit ; au contraire, la folie de celui-ci, d’ordinaire niaise, était parfois épouvantablement tragique. Ce qu’il y avait de plus horrible était de le voir, par manière de déclamation, jouer avec ses remords, en faire des matières de vers. De cet air mélodramatique qui n’appartenait qu’à lui, il se disait tourmenté par les Furies, citait des vers grecs sur les parricides. Un dieu railleur paraissait l’avoir créé pour se donner l’horrible charivari d’une nature humaine où tous les ressorts grinceraient, le spectacle obscène d’un monde épileptique, comme doit être une sarabande des singes du Congo ou une orgie sanglante d’un roi du Dahomey.

À son exemple, tout le monde semblait pris de vertige. Il s’était formé une compagnie d’odieux espiègles, qu’on appelait les « chevaliers d’Auguste », ayant pour occupation d’applaudir les folies du césar, d’inventer pour lui des farces de rôdeurs de nuit[8]. Nous verrons bientôt un empereur sortir de cette école[9]. Un déluge d’imaginations de mauvais goût, de platitudes, de mots prétendus comiques, un argot nauséabond, analogue à l’esprit de nos plus petits journaux, s’abattirent sur Rome et y firent la mode[10]. Caligula avait déjà créé ce genre funeste d’histrion impérial. Néron le prit hautement pour modèle[11]. Ce ne fut pas assez pour lui de conduire des chars dans le cirque, de s’égosiller en public, de faire des tournées de chanteur en province[12] ; on le vit pêcher avec des filets d’or, qu’il tirait avec des cordes de pourpre[13], dresser lui-même ses claqueurs, mener de faux triomphes, se décerner toutes les couronnes de la Grèce antique, organiser des fêtes inouïes, jouer au théâtre des rôles sans nom[14].

La cause de ces aberrations était le mauvais goût du siècle, et l’importance déplacée qu’on accordait à un art déclamatoire, visant à l’énorme, ne rêvant que monstruosités[15]. En tout, ce qui dominait, c’était le manque de sincérité, un genre fade comme celui des tragédies de Sénèque, l’habileté à peindre des sentiments non sentis, l’art de parler en homme vertueux sans l’être. Le gigantesque passait pour grand ; l’esthétique était tout à fait dévoyée : c’était le temps des statues colossales, de cet art matérialiste, théâtral et faussement pathétique, dont le chef-d’œuvre est le Laocoon[16], admirable statue assurément, mais dont la pose est trop celle d’un premier ténor chantant son canticum, et où toute l’émotion est tirée de la douleur du corps. On ne se contentait plus de la douleur toute morale des Niobides, rayonnante de beauté ; on voulait l’image de la torture physique ; on s’y complaisait, comme le XVIIe siècle dans un marbre de Puget. Les sens étaient usés ; des ressources grossières, que les Grecs s’étaient à peine permises dans leurs représentations les plus populaires, devenaient l’élément essentiel de l’art. Le peuple était, à la lettre, affolé de spectacles, non de spectacles sérieux, de tragédies épurantes, mais de scènes à effet, de fantasmagories. Un goût ignoble de « tableaux vivants » s’était répandu. On ne se contentait plus de jouir en imagination des récits exquis des poëtes ; on voulait voir les mythes représentés en chair, dans ce qu’ils avaient de plus féroce ou de plus obscène ; on s’extasiait devant les groupes, les attitudes des acteurs ; on y cherchait des effets de statuaire. Les applaudissements de cinquante mille personnes, réunies dans une cuve immense, s’échauffant réciproquement, étaient chose si enivrante, que le souverain lui-même en venait à porter envie au cocher, au chanteur, à l’acteur ; la gloire du théâtre passait pour la première de toutes. Pas un seul des empereurs dont la tête eut quelque partie faible ne sut résister à la tentation de cueillir les couronnes de ces tristes jeux. Caligula y avait laissé le peu de raison qu’il eut en partage ; il passait la journée au théâtre à s’amuser avec les oisifs[17] ; plus tard, Commode, Caracalla disputeront à Néron sur ce point la palme de la folie. On fut obligé de faire des lois pour défendre aux sénateurs et aux chevaliers de descendre dans l’arène, de lutter comme gladiateurs, ou de se battre contre les bêtes. Le cirque était devenu le centre de la vie ; le reste du monde ne semblait fait que pour les plaisirs de Rome. C’étaient sans cesse de nouvelles inventions plus étranges les unes que les autres, conçues et ordonnées par le chorège souverain. Le peuple allait de fête en fête, ne parlant que de la dernière journée[18], attendant celle qu’on lui promettait, et finissait par être très-attaché au prince qui faisait ainsi de sa vie une bacchanale sans fin. La popularité que Néron obtint par ces honteux moyens ne saurait être mise en doute ; elle suffit pour qu’après sa mort Othon ait pu arriver à l’empire en relevant son souvenir, en l’imitant, en rappelant que lui-même avait été l’un des mignons de sa coterie.

On ne peut pas dire précisément que le malheureux manquât de cœur, ni de tout sentiment du bien et du beau. Loin d’être incapable d’amitié, il se montrait souvent bon camarade, et c’était là justement ce qui le rendait cruel ; il voulait être aimé et admiré pour lui-même, et s’irritait contre ceux qui n’avaient pas envers lui ces sentiments. Sa nature était jalouse, susceptible, et les petites trahisons le mettaient hors de lui. Presque toutes ses vengeances s’exercèrent sur des personnes qu’il avait admises dans son cercle intime (Lucain, Vestinus), mais qui abusèrent de la familiarité qu’il encourageait pour le percer de leurs railleries[19] ; car il sentait ses ridicules et craignait qu’on ne les vît. La principale cause de sa haine contre Thraséas fut qu’il désespéra d’obtenir son affection[20]. La citation grotesque du mauvais hémistiche

Sub terris tonuisse putes


perdit Lucain[21]. Sans se priver jamais des services d’une Galvia Crispinille[22], il aima vraiment quelques femmes ; et ces femmes, Poppée, Acté, l’aimèrent. Après la mort de Poppée, arrivée par sa brutalité, il eut une sorte de repentir des sens presque touchant ; il fut longtemps sous l’obsession d’un sentiment tendre, chercha tout ce qui lui ressemblait, poursuivit des substitutions insensées[23]. Poppée, de son côté, eut pour lui des sentiments qu’une femme si distinguée n’aurait pas avoués pour un homme vulgaire. Courtisane du plus grand monde, habile à relever par des recherches de modestie calculée les attraits d’une rare beauté et d’une suprême élégance[24], Poppée conservait dans le cœur, malgré ses crimes, une religion instinctive qui l’inclinait vers le judaïsme[25]. Néron semble avoir été très-sensible chez les femmes au charme qui résulte d’une certaine piété associée à la coquetterie. Ces alternatives d’abandon et de fierté, cette femme qui ne sortait que le visage en partie voilé[26], ce parler aimable, et surtout ce culte touchant de sa propre beauté qui fit que, son miroir lui ayant un jour montré quelques taches, elle eut un accès de désespoir tout féminin, et souhaita de mourir[27], tout cela saisit vivement l’imagination ardente d’un jeune débauché, sur qui les semblants de la pudeur exerçaient une illusion toute-puissante. Nous verrons bientôt Néron, dans son rôle d’Antechrist, créer en un sens l’esthétique nouvelle et repaître le premier ses yeux du spectacle de la pudicité chrétienne dévoilée. La dévote et voluptueuse Poppée le tenait dans un ordre de sentiments analogues. Le reproche conjugal qui amena sa mort[28] suppose que, dans ses relations les plus intimes avec Néron, elle n’abandonna jamais la hauteur qu’elle affectait au début de leurs relations[29]. — Quant à Acté, si elle ne fut pas chrétienne, ainsi qu’on l’a supposé, il ne s’en fallut pas de beaucoup. C’était une esclave originaire d’Asie, c’est-à-dire d’un pays avec lequel les chrétiens de Rome avaient des relations journalières. On a souvent remarqué que les belles affranchies qui eurent le plus d’adorateurs étaient fort adonnées aux religions orientales[30]. Acté garda toujours des goûts simples, et ne se détacha jamais complètement de son petit monde d’esclaves[31]. Elle appartint d’abord à la famille Annæa, autour de laquelle nous avons vu les chrétiens s’agiter et se grouper ; ce fut poussée par Sénèque qu’elle joua, dans la plus monstrueuse et la plus tragique des circonstances, un rôle qui, vu sa condition servile, ne peut être qualifié que d’honnête[32]. Cette pauvre fille[33], humble, douce, et que plusieurs monuments nous montrent entourée d’une famille de gens portant des noms presque chrétiens (Claudia, Felicula, Stephanus, Crescens, Phœbe, Onesimus, Thallus, Artemas, Helpis)[34], fut le premier amour de Néron adolescent. Elle lui fut fidèle jusqu’à la mort ; nous la retrouverons, à la villa de Phaon, rendant pieusement les derniers devoirs au cadavre dont tout le monde s’écartait avec horreur.

Et disons-le, en effet, quelque singulier que cela puisse paraître, on conçoit que, malgré tout, les femmes l’aient aimé. Ce fut un monstre, une créature absurde, mal faite, un produit incongru de la nature ; mais ce ne fut pas un monstre vulgaire. On eût dit que le sort, par un caprice étrange, avait voulu réaliser en lui l’hircocerf des logiciens, un être hybride, bizarre, incohérent, le plus souvent haïssable, mais que cependant par moments on ne pouvait s’empêcher de plaindre. Le sentiment des femmes reposant plus sur la sympathie et le goût personnel que sur les rigoureuses appréciations de l’éthique, il leur suffit d’un peu de beauté ou de bonté morale, même souverainement faussées, pour que leur indignation s’éteigne dans la pitié. Elles sont surtout indulgentes pour l’artiste égaré par l’ivresse de son art, pour un Byron, victime de sa chimère, et poussant la naïveté jusqu’à traduire en actes son inoffensive poétique. Le jour où Acté déposa le cadavre sanglant de Néron dans la sépulture des Domitius, elle pleura sans doute sur la profanation des dons naturels connus d’elle seule ; le même jour, plus d’une chrétienne, on peut le croire, pria pour lui.

Quoique d’un talent médiocre, il avait des parties de l’âme d’un artiste : il peignait bien, sculptait bien ; ses vers étaient bons, nonobstant une certaine emphase d’écolier[35], et, malgré tout ce que l’on put dire, il les faisait lui-même ; Suétone vit ses brouillons autographes couverts de ratures[36]. Il comprit le premier l’admirable paysage de Subiaco et s’y fit une délicieuse résidence d’été. Son esprit, dans l’observation des choses naturelles, était juste et curieux ; il avait le goût des expériences, des nouvelles inventions, des choses ingénieuses[37] ; il voulait savoir les causes, et démêla très-bien le charlatanisme des sciences prétendues magiques, ainsi que le néant de toutes les religions de son temps[38]. Le biographe que nous citions tout à l’heure nous a conservé le récit de la manière dont s’éveilla en lui la vocation de chanteur[39]. Il dut son initiation au cithariste le plus renommé du siècle, à Terpnos. On le vit passer des nuits entières assis à côté du musicien, étudiant son jeu, perdu dans ce qu’il entendait, suspendu, haletant, enivré, respirant avidement l’air d’un autre monde qui s’ouvrait devant lui au contact d’un grand artiste. Ce fut là aussi l’origine de son dégoût pour les Romains, en général faibles connaisseurs, et de sa préférence pour les Grecs, selon lui seuls capables de l’apprécier, et pour les Orientaux, qui l’applaudissaient à tout rompre. Dès lors, il n’admit plus d’autre gloire que celle de l’art ; une nouvelle vie se révélait à lui ; l’empereur s’oublia ; nier son talent fut le crime d’État par excellence ; les ennemis de Rome furent ceux qui ne l’admiraient pas.

Son affectation d’être en tout le chef de la mode était sûrement ridicule. Cependant il faut dire qu’il y avait en cela plus de politique qu’on ne pense. Le premier devoir du césar (vu la bassesse des temps) était d’occuper le peuple. Le souverain était avant tout un grand organisateur de fêtes ; l’amuseur en chef devait être amené à payer de sa personne[40]. Beaucoup des énormités qu’on reprochait à Néron n’avaient toute leur gravité qu’au point de vue des mœurs romaines et de la sévère tenue à laquelle on avait été habitué jusque-là. Ce monde viril était révolté de voir l’empereur donner audience au sénat en robe de chambre brodée, passer des revues dans un négligé insupportable, sans ceinture, avec une sorte de foulard autour du cou, pour la conservation de sa voix[41]. Les vrais Romains s’indignaient avec raison de l’introduction des habitudes de l’Orient. Mais il était inévitable que la civilisation la plus vieille et la plus usée domptât par sa corruption la plus jeune. Déjà Cléopâtre[42] et Antoine avaient rêvé un empire oriental. On suggérait à Néron lui-même une royauté du même genre[43] ; réduit aux abois, il songera à demander la préfecture de l’Égypte. D’Auguste à Constantin, chaque année représente un progrès dans les conquêtes de la partie de l’empire qui parlait grec sur la partie qui parlait latin.

Il faut se rappeler, d’ailleurs, que la folie était dans l’air. Si l’on excepte l’excellent noyau de société aristocratique qui arrivera au pouvoir avec Nerva et Trajan, un manque général de sérieux faisait que les hommes les plus considérables jouaient en quelque sorte avec la vie. Le personnage qui représentait et résumait le temps, « l’honnête homme » de ce règne de l’immoralité transcendante, c’était Pétrone[44]. Il donnait le jour au sommeil, la nuit aux affaires et aux amusements. Il n’était point de ces dissipateurs qui se ruinent en débauches grossières ; c’était un voluptueux profondément versé dans la science du plaisir. L’aisance naturelle et l’abandon de ses discours et de ses actions lui donnaient un air de simplicité qui charmait. Pendant qu’il fut proconsul en Bithynie et plus tard consul, il se montra capable des plus grandes affaires. Revenu au vice ou à la fanfaronnade du vice, il fut admis dans la cour intime de Néron, et devint l’arbitre du bon goût en toute chose[45] ; rien n’était galant, délicieux que Pétrone ne l’eût approuvé. L’affreux Tigellin, qui régnait par sa bassesse et sa méchanceté, craignit un rival qui le surpassait dans la science des voluptés ; il réussit à le perdre. Pétrone se respectait trop pour lutter contre ce misérable. Il ne voulut point cependant quitter brusquement la vie. Après s’être ouvert les veines, il les fit refermer, puis se les ouvrit de nouveau, s’entretenant de bagatelles avec ses amis, les écoutant causer, non de l’immortalité de l’âme et des opinions des philosophes, mais de chansons et de poésies légères. Il choisit ce moment pour récompenser quelques-uns de ses esclaves, et en faire châtier d’autres. Il se mit à table et dormit. Ce Mérimée sceptique, au ton froid et exquis, nous a laissé un roman[46] d’une verve, d’une finesse accomplies, en même temps que d’une corruption raffinée, qui est le parfait miroir du temps de Néron. Après tout, n’est pas roi de la mode qui veut. L’élégance de la vie a sa maîtrise, au-dessous de la science et de la morale. La fête de l’univers manquerait de quelque chose, si le monde n’était peuplé que de fanatiques iconoclastes et de lourdauds vertueux.

On ne saurait nier que le goût de l’art ne fût chez les hommes de ce temps vif et sincère. On ne faisait plus guère de belles choses ; mais on recherchait avidement les belles choses des siècles passés. Ce même Pétrone, une heure avant de mourir, faisait casser son vase myrrhin, pour que Néron ne l’eût pas[47]. Les objets d’art atteignaient des prix fabuleux. Néron en raffolait[48]. Épris de l’idée du grand, mais y joignant aussi peu de bon sens qu’il est possible, il rêvait des palais chimériques, des villes comme Babylone, Thèbes et Memphis. La demeure impériale sur le Palatin (l’ancienne maison de Tibère) avait été assez modeste et d’un caractère essentiellement privé jusqu’au règne de Caligula[49]. Ce dernier, qu’il faut considérer en tout comme le créateur de l’école de gouvernement où l’on croit trop volontiers que Néron n’eut pas de maître, agrandit considérablement la maison de Tibère[50]. Néron affectait de s’y trouver à l’étroit, et n’avait pas assez de railleries pour ses prédécesseurs, qui s’étaient contentés de si peu. Il se fit ébaucher en matériaux provisoires une résidence qui égalait les palais de la Chine et de l’Assyrie. Cette maison, qu’il appelait « transitoire » et qu’il méditait de rendre bientôt définitive, était tout un monde. Avec ses portiques de trois milles de long, ses parcs où paissaient des troupeaux, ses solitudes intérieures, ses lacs entourés de perspectives de villes fantastiques, ses vignes, ses forêts, elle couvrait un espace plus grand que le Louvre, les Tuileries et les Champs-Elysées réunis[51] : elle s’étendait depuis le Palatin jusqu’aux jardins de Mécène, situés sur les hauteurs des Esquilies[52]. C’était une vraie féerie ; les ingénieurs Sévère et Celer s’y étaient surpassés. Néron voulait la faire exécuter de telle sorte qu’on put l’appeler « la Maison d’or ». On le charmait en l’entretenant de folles entreprises qui pussent éterniser sa mémoire[53]. Rome surtout le préoccupait. Il voulait la rebâtir de fond en comble et qu’elle s’appelât Néropolis.

Rome, depuis un siècle, devenait la merveille du monde ; elle égalait pour la grandeur les anciennes capitales de l’Asie. Ses édifices étaient beaux, forts et solides ; mais les rues paraissaient mesquines aux gens à la mode, car le goût se portait chaque jour de plus en plus vers les constructions banales et décoratives ; on aspirait à ces effets d’ensemble qui font la joie des badauds, on en venait à rechercher mille frivolités inconnues aux anciens Grecs. Néron était à la tête du mouvement ; la Rome qu’il imaginait eût été quelque chose comme le Paris de nos jours, une de ces villes artificielles, bâties par ordre supérieur, dans le plan desquelles on a visé surtout à obtenir l’admiration des provinciaux et des étrangers. Le jeune insensé s’enivrait de ces plans malsains. Il désirait aussi voir quelque chose d’étrange, quelque spectacle grandiose, digne d’un artiste ; il voulait un événement qui marquât une date pour son règne. « Jusqu’à moi, disait-il, on ne savait pas l’étendue de ce qui est permis à un prince[54]. » Toutes ces suggestions intérieures d’une fantaisie désordonnée semblèrent prendre un corps dans un événement bizarre, qui a eu pour le sujet qui nous occupe les conséquences les plus importantes.

La manie incendiaire étant contagieuse et souvent compliquée d’hallucination, il est très-dangereux de la réveiller dans les têtes faibles où elle dort. Un des traits du caractère de Néron était de ne pouvoir résister à l’idée fixe d’un crime. L’incendie de Troie, qu’il jouait depuis son enfance[55], l’obsédait d’une manière terrible[56]. Une des pièces qu’il fit représenter dans une de ses fêtes était l’Incendium d’Afranius, où l’on voyait sur la scène un embrasement[57]. Dans un de ses accès de fureur égoïste contre le sort, il s’écria : « Heureux Priam, qui a pu voir de ses yeux son empire et sa patrie périr à la fois[58] ! » Dans une autre circonstance, entendant citer un vers grec du Bellérophon d’Euripide qui signifiait :

Moi mort, puissent la terre et le feu se confondre !

— « Oh non ! dit-il, mais bien moi vivant[59] ! » La tradition selon laquelle Néron brûla Rome uniquement pour avoir la répétition de l’incendie de Troie[60] est sûrement exagérée, puisque, comme nous le montrerons, Néron était absent de la ville quand le feu se déclara ; cependant cette version n’est pas dénuée de toute vérité ; le démon des drames pervers, qui s’était emparé de lui, fut, comme chez les scélérats d’une autre époque, un des acteurs essentiels de l’horrible attentat.

Le 19 juillet de l’an 64, le feu prit à Rome avec une violence extrême[61]. Il commença près de la porte Capène, dans la partie du Grand Cirque contiguë au mont Palatin et au mont Cælius. Ce quartier renfermait beaucoup de boutiques, pleines de matières inflammables, où l’incendie se répandit avec une prodigieuse rapidité. De là, il fit le tour du Palatin, ravagea le Vélabre[62], le Forum, les Carines[63] monta sur les collines, endommagea fortement le Palatin[64], redescendit dans les vallées, dévorant pendant six jours et sept nuits des quartiers compactes et percés de rues tortueuses. Un énorme abatis de maisons que l’on fit au pied des Esquilies[65] l’arrêta quelque temps ; puis il se ralluma et dura trois jours encore. Le nombre des morts fut considérable. De quatorze régions dont la ville était composée, trois furent entièrement détruites, sept autres furent réduites à des murs noircis. Rome était une ville prodigieusement serrée, d’une population très-dense[66]. Le désastre fut effroyable et tel qu’on n’en avait jamais vu de pareil.

Néron était à Antium quand l’incendie éclata. Il ne rentra dans la ville que vers le moment où le feu approchait de sa maison « transitoire ». Il fut impossible de rien arracher aux flammes. Les maisons impériales du Palatin, la maison « transitoire » elle-même, avec ses dépendances, tout le quartier environnant, furent abîmés[67]. Néron évidemment ne tenait pas beaucoup à ce qu’on sauvât sa résidence. La sublime horreur du spectacle le transportait. On voulut plus tard que, monté sur une tour, il eût contemplé l’incendie, et que là, en habit de théâtre, une lyre à la main, il eût chanté, sur le rhythme touchant de l’élégie antique, la ruine d’Ilion[68].

C’était là une légende, fruit du temps et des exagérations successives ; mais un point sur lequel l’opinion universelle se prononça tout d’abord, ce fut que l’incendie avait été ordonné par Néron, ou du moins ravivé par lui quand il allait s’éteindre[69]. On crut reconnaître des personnes de sa maison l’allumant de divers côtés. En certains endroits, le feu fut mis, dit-on, par des hommes feignant l’ivresse. La conflagration avait eu l’air de naître simultanément sur plusieurs points à la fois. On raconta que, pendant l’incendie, on avait vu les soldats et les veilleurs chargés de l’éteindre l’attiser et empêcher les efforts qu’on faisait pour le circonscrire, tout cela avec un air de menace et à la façon de gens qui exécutent des ordres officiels[70]. De grosses constructions de pierre, voisines de la demeure impériale, et dont Néron convoitait l’emplacement, furent renversées comme dans un siège. Lorsque le feu reprit, il commença par des bâtiments qui appartenaient à Tigellin. Ce qui confirma les soupçons, c’est qu’après l’incendie, Néron, sous prétexte de nettoyer les ruines à ses frais pour laisser la place libre aux propriétaires, se chargea d’enlever les démolitions, si bien qu’il ne fut permis à personne d’en approcher. Ce fut bien pis, quand on le vit tirer bon parti des ruines de la patrie, quand on vit le nouveau palais de Néron, cette « Maison d’or » qui était depuis longtemps le jouet de son imagination en délire, se relever sur l’emplacement de l’ancienne résidence provisoire, agrandi des espaces que l’incendie avait déblayés[71]. On pensa qu’il avait voulu préparer les terrains de ce nouveau palais, justifier la reconstruction qu’il projetait depuis longtemps, se procurer de l’argent en s’appropriant les débris de l’incendie, satisfaire enfin sa folle vanité, qui lui faisait désirer d’avoir Rome à rebâtir pour qu’elle datât de lui et qu’il pût lui donner son nom.

Tout porte à croire que ce n’était point là une calomnie. Le vrai, quand il s’agit de Néron, peut n’être guère vraisemblable. Qu’on ne dise pas qu’avec son pouvoir il avait des moyens plus simples que l’incendie pour se procurer les terrains qu’il désirait. Le pouvoir des empereurs, sans bornes en un sens, trouvait d’un autre côté bientôt sa limite dans les usages, les préjugés d’un peuple conservateur au plus haut degré de ses monuments religieux. Rome était pleine de sanctuaires, de lieux saints, d’areæ, d’édifices qu’aucune loi d’expropriation n’aurait pu faire disparaître. César et plusieurs autres empereurs avaient vu leurs desseins d’utilité publique, surtout en ce qui concerne la rectification du cours du Tibre, traversés par cet obstacle. Pour exécuter ses plans insensés, Néron n’avait réellement qu’un moyen, l’incendie. La situation ressemblait à ce qu’elle est à Constantinople et dans les grandes villes musulmanes, dont le renouvellement est empêché par les mosquées et les ouakouf. En Orient, l’incendie n’est qu’un faible expédient ; car, après l’incendie, le terrain, considéré comme une sorte de patrimoine inaliénable des croyants, reste sacré. À Rome, où la religion s’attachait à l’édifice plus qu’à l’emplacement, la mesure se trouva efficace. Une nouvelle Rome, à rues larges et alignées, se reconstruisit assez vite d’après les plans de l’empereur et sur les primes qu’il offrit.

Tout ce qu’il y avait d’hommes honnêtes dans la ville fut outré. Les plus précieuses antiquités de Rome, les maisons des anciens capitaines décorées encore de dépouilles triomphales, les objets les plus saints, les trophées, les ex-voto antiques, les temples les plus respectés, tout le matériel du vieux culte des Romains avait disparu. Ce fut comme le deuil des souvenirs et des légendes de la patrie. Néron avait beau se mettre en frais pour soulager la misère dont il était la cause ; on avait beau faire remarquer que tout s’était borné en dernière analyse à une opération de nettoyage et d’assainissement, que la nouvelle ville serait bien supérieure à l’ancienne ; aucun vrai Romain ne voulut le croire ; tous ceux pour lesquels une ville est autre chose qu’un amas de pierres furent blessés au cœur ; la conscience de la patrie était atteinte. Ce temple bâti par Évandre, cet autre élevé par Servius Tullius, l’enceinte sacrée de Jupiter Stator, le palais de Numa, ces pénates du peuple romain, ces monuments de tant de victoires, ces chefs-d’œuvre de l’art grec, comment en réparer la perte ? Que valaient auprès de cela des somptuosités de parade, de vastes perspectives monumentales, des lignes droites sans fin ? On fit des cérémonies expiatoires, on consulta les livres de la Sibylle, les dames surtout célébrèrent divers piacula. Mais il restait le sentiment secret d’un crime, d’une infamie. Néron commençait à trouver qu’il avait été un peu trop loin.

  1. Suétone, Néron, 20, 49.
  2. Suétone, Néron, 39. Cf. Jos., Ant., XX, viii, 3.
  3. Suétone, Néron, 23, 24.
  4. Suétone, Néron, 10.
  5. Sénèque, Lettres à Lucilius, cvi, 12.
  6. Comparez Consol. ad Marciam, 20.
  7. Suétone, Néron, 20, 29, 30 ; Dion Cassius, LXI, 4, 5.
  8. Pline, H. N., XIII, xxii (43).
  9. Suétone, Othon, 2.
  10. Tacite, Annales, XIV, 14, 15, 16. Voir les mots de Néron dans Suétone, pour comprendre le genre de plaisanteries qu’il affectionnait. Cf. Tacite, Annales, XIV, 57 ; Dion Cassius, LXII, 14; LXIII, 8.
  11. Suétone, Néron, 30.
  12. Tacite, Ann., XV, 33 et suiv., Suétone, Néron, 20, 22, 24, 25.
  13. Eusèbe, Chron., an 6 de Néron.
  14. Suétone, Néron, 11, 20, 21, 23, 24, 25, 27, 30 ; Tacite, Ann., XV, 37, etc. ; Dion Cassius, LXI, 17-21 ; LXII, 15.
  15. Juvénal, Sat., i, init. ; Martial, Spectac.
  16. Nous ne prétendons pas trancher la question de la date de cet ouvrage ; mais c’est vers le temps où nous sommes qu’on commence d’y voir un chef-d’œuvre sans égal. Pline, H. N., XXXVI, v (4). Cf. Overbeck, Die antiken Schriftquellen zur Gesch. der bild. Künste, p. 391-392 ; H. Brunn, Gesch. der griech. Künstler, I, p. 469 et suiv., 495 et suiv.
  17. Suétone, Caius, 18.
  18. Voir les épigrammes de Martial, surtout le Liber de spectaculis, qui représentent à beaucoup d’égards les petits journaux du temps.
  19. Tacite, Ann., XV, 68.
  20. Plutarque, Præc. ger. reip., xiv, 10. Comp. Tacite, Ann., XVI, 22 ; Dion Cassius, LXII, 26.
  21. Suétone, fragm. de la Vie de Lucain.
  22. Magistra libidinum Neronis. Tac., Hist., I, 78 ; cf. Dion Cassius, LXIII, 12.
  23. Dion Cassius, LXII, 28 ; LXIII, 12, 13 ; Pline, XXXVII, iii (12).
  24. Tacite, Ann., XIII, 45. Voir le buste du Capitole (no 17) et celui du Vatican (no 408).
  25. Θεοσεϐὴς γὰρ ἦν. Jos., Ant., XX, viii, 11 ; cf. Vita, 3. Ce que dit Tacite (Ann., XVI, 6 ; cf. Hist., V, 5) de ses funérailles confirme tout à fait cette hypothèse. Cf. Pline, XII, xviii (41). Observez aussi son goût pour les devins. Tac., Hist., I, 22.
  26. « Ne satiaret adspectum, vel quia sic decebat. »
  27. Dion Cassius, LXII, 28.
  28. Suétone, Néron, 35.
  29. Tacite, Ann., XIII, 46.
  30. Ovide, Properce, les peintures de Pompéi, nous montrent la vogue qu’avait dans ce monde le culte d’Isis.
  31. Tacite, Ann., XIII, 46.
  32. Tacite, Ann., XIII, 13 ; XIV, 2. Voir ci-dessus, p. 12-13.
  33. Tacite, Ann., XIII, 12, 13, 46 ; Suétone, Néron, 28 ; Dion Cassius, LXI, 7.
  34. Fabretti, Inscr., p. 124-126 ; Orelli, nos 735, 2885 ; Henzen, nos 5412, 5413.
  35. Suétone, fragm. de la Vie de Lucain.
  36. Suétone, Néron, 52.
  37. Sénèque, Quæst. nat., VI, 8 ; Pline, H. N., XI, xlix (109) ; XIX, iii (15) ; XXXVII, iii (11).
  38. Suétone, Néron, 56 ; Pline, XXX, ii (5) ; Pausanias, II, xxxvii, 5.
  39. Suétone, Néron, 20.
  40. Voir les causes de mécontentement contre Galba : Suétone, Galba, 12, 13.
  41. Dion Cassius, LXXIII, 13, 20, 25 ; Suétone, Néron, 51.
  42. Horace, Odes, I, xxxvii.
  43. Suétone, Néron, 40 ; Tacite, Ann., XV, 36.
  44. Tacite, Ann., XVI, 18-20.
  45. Elegantiæ arbiter.
  46. L’opinion qui attribue le Satyricon à l’arbiter elegantiæ de Néron me paraît au moins très-probable.
  47. Pline, XXXVII, ii (7).
  48. Suétone, Néron, 47.
  49. Voir les plans photographiés des fouilles de M. Rosa. Étudier surtout la maison de Livie.
  50. Suétone, Caius, 22.
  51. Suétone, Néron, 31 ; Tacite, Ann., XV, 39, 42 ; Pline, XXXIII, iii (16) ; XXXVI, xv (24).
  52. Vers l’église Saint-Eusèbe.
  53. Suétone, Néron, 16, 31 ; Tacite, Ann., XV, 42, 46 ; Pline, H. N., IV, iv (5) ; XIV, vi (8).
  54. Suétone, Néron, 37.
  55. Ces jeux étaient fort à la mode. Dion Cass., XLVIII, 20 ; LIV, 26 ; Suét., Jul., 39 ; Aug., 43 ; Tib., 6 ; Caius, 18 ; Claude, 21 ; Néron, 7 ; Servius, ad Virg. Æn., V, 602. Cf. Perse, i, 4, 51.
  56. Suétone, Néron, 7, 11, 22, 47 ; Tacite, Ann., XV, 39 ; Dion Cassius, LXII, 16, 18, 29.
  57. Suétone, Néron, 11.
  58. Dion Cassius, LXII, 16. Cf. LVIII, 23.
  59. Suétone, Néron, 38. Cf. Dion Cassius, LVIII, 23.
  60. Eusèbe, Chron., à l’année 65 ; Orose, VII, 7. Le mot rapporté par Dion Cassius (LXII, 16) fut dit sans doute dans le feu roulant des paradoxes littéraires, et ne doit pas être pris trop au sérieux. Des conversations de gens de talent, racontées par des domestiques ou des philistins qui écoutent aux portes, peuvent sortir de là bien transformées.
  61. Tacite, Ann., XV, 38-44, 52 ; Suétone, Néron, 31, 38, 39 ; Vesp., 8 ; Dion Cassius, LXII, 16-18 ; Pline, Hist. natur., XVII, i (1) ; Eusèbe, Chron., ad ann. 65 ; Orelli, Inscr., no 736, qui paraît bien authentique. Sulpice Sévère (II, 29) copie Tacite presque textuellement. Orose (VII, 7) copie principalement Suétone.
  62. Le temple d’Hercule mentionné par Tacite, Ann., XV, 41, était sur l’emplacement de l’église actuelle de Sainte-Anastasie, La Regia et le temple de Vesta étaient également au pied du Palatin.
  63. C’était le quartier des consulares dont parle Suétone, Néron, 38.
  64. Tacite, Ann., XV, 39, 41 ; Dion Cassius, LXII, 18. Le temple de Jupiter Stator était sur le Palatin. Le feu gagna sans doute la colline par l’espèce d’isthme qui, à la hauteur de l’arc de Titus, joint le plateau du Palatin à la Summa sacra via.
  65. Vers le bas de la rue Saint-Jean-de-Latran.
  66. Voir Saint Paul, p. 107, note 3. On peut se figurer l’ancienne Rome par le Corpo di Napoli. Les pauvres gens passaient leur vie en plein air, et ne rentraient chez eux que pour coucher par chambrées de huit et dix personnes.
  67. Pour l’étendue de l’incendie, voir la discussion topographique de Noël des Vergers, art. Néron, dans la Nouvelle biogr. générale, t. XXXVII, col. 729-730.
  68. Le récit de Tacite (Ann., XV, 39) exclut cette circonstance. Tacite parle, il est vrai, d’un bruit selon lequel Néron, pendant l’incendie, aurait chanté la ruine de Troie « sur son théâtre domestique ». Ce fait, s’il était exact, n’aurait pu se passer qu’à Antium ; ce qui serait bien gauche. Il est évident que Tacite rapporte ce bruit sans l’adopter. Les récits de Suétone et de Dion ne concordent pas dans les détails : l’un place la scène aux Esquilies, l’autre au Palatin. — L’anecdote vint sans doute du poëme intitulé Troica, que Néron composa et lut en public l’année suivante, et qui offrait un double sens, comme le poëme de Lucain intitulé Catacausmos Iliacus, composé vers le même temps. Dion Cassius, LXII, 29 ; Servius ad Virg., Georg., III, 36 ; Æn., V, 370 ; Perse, i, 123 ; Stace, Silv., II, vii, 58-61 ; Juvénal, viii, 221 ; Pétrone, p. 105 (édit. Bücheler). L’inconvenance de pareilles allusions frappa tout le monde, et fit dire que Néron « jouait de la lyre sur les ruines de la patrie ». (L’expression patriæ ruinis est dans Tacite, Ann., XV, 42.) Cette phrase sera devenue une anecdote, et, comme la légende naît d’ordinaire d’un mot juste, d’un sentiment vrai, transformé en réalité au moyen de violences faites au temps et à l’espace, on aura rapporté le chant des Troica aux jours de la catastrophe. L’anecdote offrait une difficulté capitale à ceux qui, comme Tacite, savaient qu’au début de l’incendie Néron était à Antium ; pour rendre leur récit moins inconsistant, ils supposèrent que Néron avait chanté son élégie « sur une scène domestique ». Ceux qui ne savaient pas que Néron se trouva pendant la plus grande partie de l’incendie à Antium transportèrent l’historiette à Rome, où chacun choisit pour la placer le point le plus théâtral. La prétendue Torre di Nerone qu’on montre aujourd’hui est du moyen âge.
  69. Suétone (38), Dion Cassius (LXXII, 16) et Pline l’Ancien, Hist. nat., XVII, i (1), le disent positivement. Tacite (Ann., XV, 38) ne se prononce pas. Plus loin cependant (XV, 67), « l’incendie » est reproché à Néron comme un crime notoire. Dans ses derniers jours, Néron voulut encore brûler Rome. Suétone, Néron, 43. Certes, il faut faire dans de pareils bruits la part des bavardages populaires et de la malveillance. Ce qu’il y a de grave contre Néron, c’est qu’il est difficile d’admettre que la propagation d’un incendie aussi extraordinaire se soit faite sans qu’on y ait aidé, dans une ville comme Rome, bâtie en pierre pour la plus grande partie. L’inscription Orelli, no 736, prouve bien le caractère exceptionnel de l’incendie. Les incendies sous Titus et sous Commode, quoique très-considérables, restèrent bien au-dessous de celui-ci.
  70. Peut-être étaient-ce des malfaiteurs, augmentant le désastre pour profiter du pillage.
  71. Suétone, Néron, 31, 38.