L’Année terrible/Les Insulteurs

L’Année terribleMichel Lévy, frères (p. 294).


                          VI

Pourvu que son branchage, au-dessus du marais,
Verdisse, et soit le dôme énorme des forêts,
Qu’importe au chêne l’eau hideuse où ses pieds trempent !
Les insectes affreux de la poussière rampent
Sous le bloc immobile aux broussailles mêlé ;
Mais au géant de marbre, auguste et mutilé,
Au sphinx de granit, rose et sinistre, qu’importe
Ce que de lui, sous lui, peut penser le cloporte !
Dans la nuit où frémit le palmier convulsif,
Le colosse, les mains sur ses genoux, pensif,
Calme, attend le moment de parler à l’aurore ;
Si la limace bave à sa base, il l’ignore ;
Ce dieu n’a jamais su qu’un crapaud remuait ;
Pendant qu’un ver sur lui glisse, il garde, muet,
Son mystère effrayant de sonorité sombre ;
Et le fourmillement des millepieds sans nombre
N’ôte pas à Memnon, subitement vermeil,
La formidable voix qui répond au soleil.