L’Année terrible/Je ne sais si je vais sembler étrange


                        VII

Je ne sais si je vais sembler étrange à ceux
Qui pensent que devant le sort trouble et chanceux,
Devant Sedan, devant le flamboiement du glaive,
Il faut brûler un cierge à Sainte-Geneviève,
Qu’on serait sûr d’avoir le secours le plus vrai
En redorant à neuf Notre-Dame d’Auray,
Et qu’on arrête court l’obus, le plomb qui tonne,
Et la mitraille, avec une oraison bretonne ;
Je paraîtrai sauvage et fort mal élevé
Aux gens qui dans des coins chuchotent des Ave
Pendant que le sang coule à flots de notre veine,
Et qui contre un canon braquent une neuvaine ;
Mais je dis qu’il est temps d’agir et de songer
A la levée en masse, à l’abîme, au danger
Qui, lorsqu’autour de nous son cercle se resserre,
A ce mérite, étant hideux, d’être sincère,
D’être franchement fauve et sombre, et de t’offrir,
France, une occasion sublime de mourir ;


J’affirme que le camp monstrueux des barbares,
Que les ours de leur cage ayant brisé les barres,
Approchent, que d’horreur les peuples sont émus,
Que nous ne sommes plus au temps des oremus,
Que les hordes sont là, que Paris est leur cible,
Et que nous devons tous pousser un cri terrible !
Aux armes, citoyens ! aux fourches, paysans !
Jette là ton psautier pour les agonisants,
Général, et faisons en hâte une trouée !
La Marseillaise n’est pas encore enrouée,
Le cheval que montait Kléber n’est pas fourbu.
Tout le vin de l’audace immense n’est pas bu,
Et Danton nous en laisse assez au fond du verre
Pour donner à la Prusse une chasse sévère,
Et pour épouvanter le vieux monde aux abois
De la réception que nous faisons aux rois !
Dussions-nous succomber d’ailleurs, la mort est grande.
Quand un trop bon chrétien dans la cité commande,
Quand je crois qu’on a peur, quand je vois qu’on attend,
Qu’est-ce que vous voulez, je ne suis pas content.
Ce chef vers son curé tourne un œil trop humide ;
Je le vois soldat brave et général timide ;
Comme le vieil Entelle et le vieux d’Aubigné,
J’ai des frémissements, je frissonne indigné ;
Nous sommes dans Paris, volcan, fournaise d’âmes,
Près de deux millions d’hommes, d’enfants, de femmes,
Pas un n’entend céder, pas une ; et nous voulons
La colère plus prompte et les discours moins longs ;


Et je l’irais demain dire à l’hôtel de ville
Si je ne sentais poindre une guerre civile,
O patrie accablée, et si je ne craignais
D’ajouter cette corde affreuse à tes poignets,
Et de te voir traînée autour du mur en flamme,
Dans la fange et le sang, derrière un char infâme,
D’abord par tes vainqueurs, ensuite par tes fils !
Ces fiers Parisiens bravent tous les défis ;
Ils acceptent le froid, la faim, rien ne les dompte,
Ne trouvant d’impossible à porter que la honte ;
On mange du pain noir n’ayant plus de pain bis ;
Soit ; mais se laisser prendre ainsi que des brebis,
Ce n’est pas leur humeur, et tous veulent qu’on sorte,
Et nous voulons nous-mêmes enfoncer notre porte,
Et, s’il le faut, le front levé vers l’orient,
Nous mettre en liberté dans la tombe, en criant :
Concorde ! en attestant l’avenir, l’espérance,
L’aurore ; et c’est ainsi qu’agonise la France !

C’est pourquoi je déclare en cette extrémité
Que l’homme a pour bien faire un cœur illimité,
Qu’il faut copier Sparte et Rome notre aïeule,
Et qu’un peuple est borné par sa lâcheté seule ;
J’écarte le mauvais exemple, ce lépreux ;
A cette heure il nous faut mieux que les anciens preux
Qui souvent s’attardaient trop longtemps aux chapelles ;
Je dis qu’à ton secours, France, tu nous appelles ;
Qu’un courage qui chante au lutrin est bâtard,


Qu’il sied de tout risquer, et qu’il est déjà tard !
C’est mon avis, devant les trompettes farouches,
Devant les ouragans gonflant leurs noires bouches,
Devant le Nord féroce attaquant le Midi,
Que nous avons besoin de quelqu’un de hardi ;
Et que, lorsqu’il s’agit de chasser les Vandales,
De refouler le flot des bandes féodales,
De délivrer l’Europe en délivrant Paris,
Et d’en finir avec ceux qui nous ont surpris,
Avec tant d’épouvante, avec tant de misère,
Il nous faut une épée et non pas un rosaire.