L'ANGLETERRE
ET
LA VIE ANGLAISE

II.
ORIGINES ET CARACTERE DE LA NATION BRITANNIQUE



Il n’y a peut-être pas de plus grand spectacle dans la vie du genre humain que l’apparition et la fusion successives sur le territoire britannique des diverses races qui ont formé la nation anglaise. Il n’y en a point surtout qui mette mieux en relief le côté divin et providentiel de l’histoire. De nombreuses sources s’offrent à celui qui veut étudier ces premières et curieuses pages des annales de l’Angleterre. Parmi ces sources, il faut nommer d’abord les musées, les collections particulières dans lesquelles figurent les armes, les œuvres d’art, les ustensiles domestiques des différentes tribus qui ont, à des époques marquées, envahi l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande[1].

Une des plus riches collections d’antiquités nationales est celle du British Muséum : elle embrasse depuis les premiers temps de l’occupation des îles britanniques par les Celtes jusqu’à la conquête des Normands. Ce n’est point la seule : on trouve dans les principales villes de l’Angleterre, de l’Ecosse et de l’Irlande, des cabinets de curiosités historiques formés par des particuliers ou par des sociétés savantes. Cet ordre de recherches n’est point à dédaigner sans doute, car le caractère national des races se reflète dans leurs ouvrages ; mais au point de vue de l’étude des mœurs, je préfère un autre champ d’observations. Il est intéressant, qui le nie ? de retrouver le berceau de l’architecture, de poursuivre sous quelques pieds de terre fouillée et remuée des ruines oubliées par le temps, des reliques de l’industrie naissante, la trace des anciens peuples qui ont passé sur le sol de la Grande-Bretagne. Je me demande pourtant s’il n’y aurait point lieu de reconstruire en même temps une archéologie humaine dont les oracles seraient aussi sûrs et autrement instructifs pour la philosophie de l’histoire que les muettes révélations de la pierre et du bronze. Les antiquaires ont trop négligé les médailles de la vie : j’appelle ainsi les crânes des différens peuples par lesquels a été habitée à diverses époques la surface de l’Angleterre. Malgré des travaux estimables, l’ethnologie britannique est encore dans l’enfance ; ce ne sont pourtant point, comme on va le voir, les élémens qui manquent.

Le célèbre Prichard, aux travaux duquel la science des races doit tant d’idées neuves et d’observations délicates, avait prévu qu’une histoire ostéologique pourrait sortir un jour des antiques tombeaux dans lesquels dorment depuis des siècles les débris des anciens peuples qui ont successivement colonisé le territoire britannique. Il recommanda plusieurs fois de conserver ces restes, et surtout le crâne humain, sorte de couronne posée par la main de la nature sur toute la création animale. Dans les derniers temps de sa vie, il s’occupait même à réunir les élémens d’un ouvrage sur ce nouvel ordre d’antiquités nationales. L’idée d’un tel ouvrage a été recueillie et mise à exécution par deux savans recommandables, les docteurs Barnard Davis et John Thurnam, qui publient en ce moment une histoire des anciens habitans de la Grande-Bretagne d’après les monumens, et surtout d’après les crânes trouvés dans les vieilles sépultures[2]. L’âge historique de ces crânes est attesté par l’âge des tombeaux, sur lequel les antiquaires sont aujourd’hui d’accord, et par les divers objets qui accompagnent les dépouilles humaines. Cette physiologie souterraine des races à demi exhumées intéresse au plus haut point le moraliste : il y voit se former de couche en couche la structure des différentes familles qui, dans la série des âges, ont apporté des organes nouveaux et successifs à la civilisation britannique. . Le sol des îles dont la réunion compose le royaume a été recouvert par plusieurs déluges de peuples qui se sont superposés les uns aux autres : les Celtes, les Romains, les Saxons, les Danois ou les Vikings, les Normands. Ce n’est pas seulement dans les anciens tombeaux que se rencontrent les rudimens de la nation anglaise ; plusieurs des races primitives existent encore : elles occupent à la surface du pays des espaces limités par les montagnes ou par la mer. Là nous pourrons étudier sur le vif la genèse du peuple britannique. L’origine, les alliances, les mœurs, l’état intellectuel de ces groupes distribués selon l’ordre des temps et des lieux, tout cela forme un vaste ensemble de faits peu connus dans lequel nous découvrirons les racines du caractère national. L’Anglais, avec ses traits particuliers, son génie à lui, sa personnalité forte, se dégage par degrés de l’abîme des siècles et du chaos des événemens qui ont à plusieurs reprises agité, renouvelé la population de la Grande-Bretagne. Des monumens de plus d’un genre nous mettront à même de déterminer la nature des trois grandes séries de formation à travers lesquelles on voit le type britannique naître, s’accroître et se constituer définitivement.


I

Le sol de la Grande-Bretagne est un des plus riches en débris celtiques. De nombreux sépulcres ont été ouverts, et, par la nature des objets qui s’y rencontrent, les antiquaires ont pu établir dans la vie de cette race trois époques distinctes : l’âge de pierre, l’âge de bronze, l’âge de fer. On peut voir au British Muséum une salle consacrée aux antiquités celtiques, et qui contient des spécimens très curieux trouvés en Angleterre et en Irlande. On a cherché à exprimer par l’arrangement des exemplaires l’ordre chronologique des faits. Dans la première armoire vitrée se montrent des restes connus sous le nom de pierres celtiques : elles paraissent avoir été attachées à des manches en bois par des courroies de cuir. Ce furent les premières haches. Sur les rayons suivans, vous apercevez d’autres fossiles historiques, des rudimens d’armes, tels que des lames de couteau et des têtes de flèche en silex[3]. Plus loin s’offrent à la vue les premières traces de l’industrie naissante : des marteaux et des haches de pierre percés de manière à s’emmancher dans dubois. Ces cognées de seconde formation ont sans doute servi à abattre les plus anciens arbres des antiques forêts de la Grande-Bretagne, tandis que les premières étaient destinées, selon toute vraisemblance, à repousser les attaques des animaux nuisibles. Une telle succession de formes exprime bien le développement naturel des forces humaines ; la guerre et la chasse ont dû précéder le travail proprement dit et les arts utiles. Ces vestiges de l’âge de pierre, des coins, des ciseaux connus sous le nom de celts (du latin celtis), se rencontrent dans tous les terrains superficiels de la Grande-Bretagne. Les antiquaires et les amateurs doivent d’ailleurs se tenir sur leurs gardes, certains ouvriers anglais ayant trouvé le moyen de contrefaire ces objets avec un art qui rend très difficile de reconnaître la fraude. Ce commerce illicite demande une main habile sans doute ; mais combien nous devons admirer davantage la patience des grossiers précurseurs de la race saxonne, qui eux n’avaient point à leur service les instrumens d’acier, et qui en étaient réduits à travailler le silex par le silex, la pierre par la pierre !

Dans les tombeaux marqués du sceau d’une haute antiquité, les crânes humains se montrent extrêmement bas, étroits, et d’une forme pyramidale[4]. Ils présentent, sous le rapport de la structure et du volume, une différence notable avec ceux de la période suivante, l’âge de bronze. Cette différence a donné lieu à des réflexions : on s’est demandé si ces premiers hommes, qui n’avaient rien de mieux pour étendre leur chétive existence que des têtes de flèche en cailloux et des armes de pierre, dont la boîte osseuse du cerveau exprime les traits d’un état social borné à la satisfaction des premiers besoins de la vie physique, étaient bien des Celtes. N’étaient-ce pas plutôt des aborigènes, produit d’une migration plus ancienne, que l’invasion des Celtes aurait rencontrés et anéantis ? Le contraste réel qui existe entre les crânes si pauvres du premier âge et ceux des âges suivans peut bien ne pas tenir à l’introduction d’une nouvelle variété de l’espèce humaine, mais à un progrès dans le bien-être de la population indigène et dans les moyens de se le procurer[5]. Je dois ajouter, en historien impartial des faits, que la tradition ne se montre point favorable à l’hypothèse d’une famille d’hommes primitive fixée sur le sol de la Grande-Bretagne avant l’arrivée des Celtes. Dans une ancienne chronique welche, il est dit que les Kimris, « lors de leur descente dans les îles britanniques, n’eurent aucun tribut à payer, parce qu’ils étaient les premiers occupans du sol. Avant eux, il n’y avait point d’hommes vivans dans ces îles : il n’y avait que des ours, des loups, des castors et des bœufs à grandes cornes[6]. »

Ce monument écrit est intéressant ; mais c’est une faible autorité aux yeux de l’ethnologiste. Toutes les races anciennes ont mis une sorte d’amour-propre à se représenter comme les premiers enfans du sol à la surface duquel on les trouve établies. Si l’on ne consulte que les traditions, il est certain que le regard ne découvre rien, dans cette nuit des âges, au-delà de l’occupation des îles britanniques par les Celtes ; mais il s’est développé dans ces derniers temps une science qui jette quelques lumières nouvelles sur la succession des races humaines à la surface de chaque contrée, et cette science est la linguistique. Or quelques philologues ont cru reconnaître dans la langue anglaise certains sons dont ils ne pouvaient rapporter l’origine aux idiomes celtiques ou tudesques.

Le docteur Prichard désigne sous le nom d’Ugro-Tartares un groupe de nations dont les types principaux sont les Mongols, les Tongrois, les Tartares, les Turcs, mais qui se ramifient en un grand nombre de tribus, pour la plupart nomades. C’est la famille la plus nombreuse et la plus répandue sur le globe. L’angle facial est moins ouvert chez elle que chez la race caucasique, le visage est plat, la barbe grêle, la peau jaune ; les pommettes sont saillantes, les yeux étroits et obliques, les lèvres grosses, les cheveux droits et noirs. De ces peuplades, restées pour la plupart à l’état barbare, sont sortis Attila, Gengis et Tamerlan. Tout annonce que les Ugro-Tartares, auxquels se rattachent certaines races hyperboréennes, les Samoïèdes, les Lapons, les Esquimaux, constituent un des rameaux les plus antiques du genre humain. Il y a même des raisons pour croire que certaines tribus de cette famille ont été les aborigènes de quelques parties de l’Europe. Les Basques, si l’on en juge par leur langue, appartiennent à cette migration antéhistorique ; debout au milieu de races qui ont plus tard envahi leur territoire, ils dominent le flot des âges et des événemens, comme ces rochers, d’une formation plus ancienne, qui s’élèvent à la surface des couches déposées par d’autres déluges. Eh bien ! des philologues anglais ont cru également reconnaître dans l’idiome britannique quelques restes de cette langue mère dont les caractères sont connus, et ils en ont conclu que la population des îles du royaume-uni avait subi à une époque reculée une infusion de sang lapon. Cette hypothèse repose, je l’avoue, sur un fondement fragile ; mais il eût été injuste de n’en point tenir compte : elle trouve d’ailleurs des appuis, ainsi que nous l’avons vu, dans certains monumens, — des armes de pierre et des crânes, — qu’on rencontre avec les mêmes traits, dans diverses parties de l’Europe et du monde entier, comme l’assise primitive de la race blanche ou caucasique[7]. Nous allons heureusement sortir de cette période ténébreuse qui enveloppe le berceau de tous les peuples anciens et modernes. Ce que les nations civilisées savent le moins, c’est leur commencement.

Il fut donc un temps où les premiers habitans des îles britanniques, semblables sous ce rapport aux sauvages des mers du sud, ignoraient l’art de traiter les métaux. La transition entre l’âge de pierre et l’âge de bronze est marquée dans quelques tombeaux par un mélange d’instrumens qui appartiennent aux deux époques. Il est difficile sans doute d’établir une filiation bien tranchée dans un ordre de faits si anciens ; mais les traits d’une époque moins vague ne tardent point à se dégager. Le premier métal dont on retrouve la trace est une combinaison de cuivre et d’étain[8]. L’âge de bronze forme un trait particulier des antiquités britanniques. En Norvège, par exemple, cette période n’existe pas : on passe immédiatement des objets d’os ou de pierre aux instrumens de fer. Ailleurs l’âge de bronze se trouve représenté par un âge de cuivre. Cette modification importante (le bronze substitué au cuivre) doit être attribuée dans la Grande-Bretagne à la présence de l’étain, que le territoire recèle en si grande abondance. On peut voir au British Muséum de riches exemplaires de la seconde époque et les noms des localités où ces reliques de l’histoire ont été découvertes. Non-seulement les articles sont d’un travail plus fini que ceux de l’âge précédent, mais ils se montrent aussi plus variés. Il y a toutefois un progrès dans cette seconde manière. On peut retracer sur le bronze comme sur la pierre le développement gradué de l’industrie. Les premières têtes de lance et les premiers outils en métal ressemblent pour la forme à ceux qui étaient taillés dans le silex. Il est intéressant de voir combien de temps l’homme a cherché des procédés qui nous semblent aujourd’hui tout naturels. Une des grandes découvertes a été, le croirait-on ? d’emmancher l’arme, et cette découverte ne s’est pas faite d’un seul coup. C’est un charme que de suivre sur les pièces de bronze les tâtonnemens de la main humaine, depuis les têtes de javelot à une seule lame, avec une queue qui se fixait dans une poignée de bois fendu, jusqu’à celles qui sont pourvues de brides, et enfin jusqu’aux têtes de javelot avec une alvéole destinée à recevoir le manche. On peut rapporter les antiquités de cette période à quatre ordres de besoins : les armes de guerre, les outils industriels, les ustensiles domestiques, les ornemens personnels. Vous avez sous les yeux, dans la collection du British Muséum, les premiers marteaux de pierre qui ont servi dans les anciennes mines de cuivre à briser les minerais. Là sont aussi les premiers moules qui ont été employés pour y couler les métaux et pour leur donner une forme. Ces objets ont été trouvés, on a lieu de le croire, sur les lieux mêmes où ils ont rendu des services, et à côté se rencontrent souvent des morceaux de cuivre qu’on se proposait de transformer. Je ne connais pas de spectacle plus imposant ni plus instructif que la vue de ces embryons de l’industrie. Les conséquences de l’introduction des métaux ont dû être incalculables : par eux, les anciens habitans des îles britanniques se sont ajouté des forces, ils ont étendu leur action sur la nature, ils ont métamorphosé le sol et introduit l’aube du bien-être dans la vie domestique. À peine l’homme s’est-il assuré le nécessaire par son travail, que le sentiment des arts s’éveille. Je ne contemple point sans plaisir les premiers objets de luxe, si grossiers qu’ils soient, des bracelets, des colliers, des ornemens de tête[9].

Au milieu de ces antiquités, il ne faut point perdre de vue le plus intéressant des monumens historiques, l’homme. Quelle était dans cette période la forme exacte du crâne breton ? Je choisirai, pour répondre à cette question, un spécimen qui me semble caractéristique. Le chemin de Londres à Bath traverse, en quittant Marlborough, une grande étendue de dunes formées par la craie. Près de Marlborough était une ville romaine ou un poste militaire. Là, dans la plaine ondulée qui s’étend au pied des dunes et à travers laquelle coule le Kennet, une petite rivière qui a donné son nom à deux villages modernes, s’élevait le fameux lieu consacré, locus consecratus, des anciens Bretons. On voyait, il y a deux siècles, un double cercle de pierre dont la plupart existaient encore en 1723 : cet endroit était alors vulgairement appelé le sanctuaire. Un antiquaire du temps, Aubrey, lui donne le nom de promenades solennelles, solemn walks. C’était la trace d’une avenue de pierres qui conduisait jadis au grand temple d’Abury. Ce locus consecratus était entouré par une nécropole bretonne. C’était sans doute un usage religieux que de rassembler les morts autour du temple. Dans le dernier siècle, on a ramassé en cet endroit des boisseaux d’ossemens. Une telle situation, si près de l’enceinte du temple, avait d’abord fait croire que ce Golgotha celtique avait appartenu aux Bretons les plus distingués des tribus circonvoisines. Les antiquaires ont aujourd’hui reconnu que c’était au contraire une sépulture commune pour les Bretons de la classe inférieure qui n’avaient pas le moyen de se procurer un tumulus. Il est même à craindre que ce ne soient les restes des victimes immolées aux superstitions du temps. On a trouvé près de ces débris humains des cailloux tranchans et travaillés, — peut-être les instrumens du supplice. Les rides des dunes qui se plissent autour du Kennet et les champs abondent, d’un autre côté, en tombeaux particuliers. Trois de ces barrows, qui ont la forme élégante d’une cloche, sont joints par une tranchée commune. En août 1854, ces monumens furent explorés par le docteur Thurnam, qui trouva un dépôt d’ossemens brûlés dans une crypte peu profonde. Ces os délicats étaient probablement ceux d’une femme. Ces trois barrows formaient sans doute un sépulcre de famille, vraisemblablement celui de deux frères, avec la femme de l’un, peut-être même avec la femme de tous deux au centre[10]. Un autre tertre, près du cercle sacré, semble avoir été le poste d’honneur réservé au chef de clan qui habitait ces dunes. C’était le seul dans lequel la crémation des os n’eût point été pratiquée. Le corps paraît avoir été déposé dans le tronc creux d’un arbre, probablement un orme. Les restes de ce tronc avec l’écorce furent trouvés sous le squelette, qu’ils ont coloré en brun. Ces os sont d’une taille peu commune. On estime que la stature de la personne vivante devait être au moins de six pieds anglais. Près de la tête était une petite hache ou ciseau, une pique avec le manche et une tête de lance, le tout en bronze. Le crâne de ce guerrier celte figure, avec ses armes, dans la collection du docteur Thurnam à Devizes. L’ossification de la tête indique bien que cet homme ne devait point avoir moins de soixante-dix ans. Les dimensions considérables du crâne[11], proportionnées du reste à la taille de ce mastodonte humain, peuvent bien tenir à une circonstance tout individuelle. Les recherches de l’abbé Frère sur les antiquités crâniennes ont d’ailleurs démontré que le développement des races n’était point en rapport avec le volume, mais avec la forme de la masse cérébrale. Or la forme typique de cette tête, la grandeur de la partie postérieure du crâne, le front étroit et fuyant, les arcades sourcilières proéminentes, les orbites des yeux larges et quadrangulaires, l’épaisseur de lourdes mâchoires armées de toutes leurs dents, à l’exception des dents de sagesse, tout donne à cette face de squelette un caractère de vie sauvage et animale fortement prononcé. Ce caractère se retrouve avec des nuances sur la plupart des monumens humains que j’ai pu examiner, et qui appartiennent à l’âge de bronze. Tous les ordres d’antiquités s’accordent donc à nous représenter dans les anciens Bretons la rude enfance d’une race héroïque et puissante. Sur cette base devait s’élever un jour l’édifice de la civilisation anglaise.

À l’âge de bronze succède dans la Grande-Bretagne l’âge de fer. Cette découverte toutefois fut lente à éclore. L’usage du bronze pour la fabrication des armes s’est conservé en Angleterre plus longtemps que dans les Gaules. On peut en donner pour motif la condition insulaire des habitans. Dans aucun des tombeaux qui ont été découverts au sud de l’Angleterre, on n’a trouvé jusqu’ici d’armes de fer d’aucune sorte, tandis que les armes de bronze s’y rencontrent fréquemment et avec des formes élégantes. Quelques antiquaires croient que l’usage du fer dans les états du sud de la Grande-Bretagne date de l’immigration belge. Or, selon les calculs historiques, cet événement ne remonte guère à plus d’un siècle avant l’invasion de César. Quoi, qu’il en soit, l’époque qui s’étend à partir de là jusqu’à la conquête de l’île sous l’empereur Claude peut être considérée comme la transition entre l’âge de bronze et l’âge de fer. Dans les commencemens, le fer paraît avoir eu l’honneur de passer pour un métal précieux : les tribus calédoniennes portaient des anneaux de fer sur le cou et sur les reins. Cette histoire du travail par les monumens nous montre ainsi dans les différentes phases de l’industrie une succession de formes et de matériaux qui se détrônent les uns après les autres. Parmi les restes de cette époque trouvés dans la Tamise et ailleurs, je citerai seulement des épées de fer avec des gardes et des fourreaux de bronze : elles sont d’un travail supérieur, quoique évidemment barbare[12]. Les crânes humains qu’on suppose appartenir à cette période diffèrent, par la forme et le volume, des crânes humains qui appartiennent à l’âge de pierre et de bronze. Tout indique dans l’organisation de la race, aussi bien que dans l’industrie, les traits d’une civilisation qui s’élève et qui se complique. La race celtique était évidemment en progrès, lorsque l’invasion romaine fondit sur elle et arrêta le développement naturel du type, en lui superposant d’autres lois, d’autres croyances, un autre ordre social.

Ces monumens métallurgiques ne sont pas les seuls que les anciens Celtes aient laissés, comme autant de témoignages de leur existence, sur le sol de la Grande-Bretagne. On a découvert, en fouillant, des traces assez obscures, il est vrai, d’habitations et d’anciennes cultures. Les Celtes connaissaient l’art du labour, vertere terram. Leurs habitations indiquent elles-mêmes une échelle de progrès : les premiers gîtes, selon toute vraisemblance, étaient des caves situées sur le bord de la mer et creusées par la nature, telles que le trou du Kent, Kent’s hole, près de Torquay, dans le Devonshire : on suppose que ces trous ont été habités à une époque très ancienne par des familles de pêcheurs. Ailleurs les antiquaires, sur de faibles indices, ont cru pouvoir marquer la place de quelques villages celtiques ; ils ont suivi d’un œil exercé les lignes des maisons et les rues, ou du moins les chemins creux qui conduisaient aux maisons ; mais il est d’autres monumens plus irrécusables qui proclament dans la Grande-Bretagne la grandeur de la race celtique, et ces monumens sont des tombeaux. Je parle des cromlechs, vulgairement connus sous le nom de pierres druidiques. J’ai rencontré de ces monumens funéraires dans plusieurs endroits de la Grande-Bretagne, et partout j’ai été frappé du caractère cyclopéen qui les distingue. Il existe deux ordres de cromlechs : les uns sont d’une pierre brute et informe ; les autres sont d’une pierre qui a été touchée par le ciseau. Vous avez dans le premier cas sous les yeux les monumens de l’état de nature, dans le second les monumens de la civilisation naissante. Je me suis surtout arrêté, entre Maidstone et Rochester, devant un ancien cromlech bien connu sous le nom de Kit’s coty house. Ce monument s’élève d’une manière tragique sur le front nu et sourcilleux d’une colline. Il se compose de quatre pierres brutes, énormes, et recouvertes par la sombre couleur du temps. Cette rude enfance de l’architecture a je ne sais quoi d’étrange et de mystérieux qui plonge l’âme dans une sorte de stupeur. À côté du cromlech, un troupeau de moutons broutait au soleil l’herbe courte et sèche : quelques brebis venaient même chercher un peu d’ombre sous la vaste pierre posée en manière de table ou de couvercle, et à laquelle trois autres pierres servaient de supports. Le pâtre, assis et adossé à un tertre en face du monument, sifflait un air rustique.

Il ne faut pas juger de la forme primitive des cromlechs par l’état dans lequel ces anciens tombeaux se présentent maintenant aux regards du voyageur. Les antiquaires anglais ont reconnu que ces entassemens de pierres avaient été originairement recouverts par des ouvrages de terrassement. Ces tertres s’élevaient à une hauteur plus ou moins grande, selon la nature des localités et aussi selon l’importance du défunt. Ils renfermaient une chambre grossière en pierres brutes, quelquefois d’une dimension colossale : c’était la chambre mortuaire, le sépulcre[13]. Le plus souvent, il est vrai, les tumuli bretons se montrent dénudés ; mais ils ont été ouverts après coup par des mains avides, qui croyaient y découvrir des trésors. On a enfin trouvé dans les îles de la Manche des cryptes avec leur couverture primitive. C’est dans de telles chambres sépulcrales qu’ont été surtout recueillis les objets d’art auxquels nous devons nos quelques connaissances sur le caractère et les mœurs du peuple qui a élevé ces monumens. « Si les bouches se taisent, dit la Bible, les pierres parleront. » Les pierres ont parlé. Une histoire posthume est sortie de ces tombeaux dans lesquels une race mystérieuse avait enseveli le secret de son humble état social[14]. Les recherches de M. Lukis sur les sépulcres celtiques des îles du détroit ont montré que ces chambres de pierre avaient été pratiquées de génération en génération. Cela donne une assez grande idée de ce peuple, qui avait tenu à cœur de se survivre jusque dans la mort par d’indestructibles ouvrages. Les anciens Celtes paraissent avoir négligé ces maisons où l’homme séjourne peu de temps, et avoir réservé toutes les ressources d’une architecture informe, mais grandiose, pour illustrer ces autres demeures où l’homme fait un bail avec l’éternité.

Depuis que la philosophie de l’histoire a renoncé, et il le fallait bien, à la fiction des peuples autochtones, elle s’est engagée à rechercher le berceau des différentes races qui ont graduellement déposé le sol de la civilisation moderne. D’où venaient les Celtes ? L’Europe fut peuplée dans les temps antéhistoriques par diverses migrations successives, véritables déluges où le flot poussait le flot. Ces déluges d’hommes partaient néanmoins d’un point unique, l’Orient. Les deux plus anciennes migrations sont celles des Celtes et des Germains, deux rameaux de la grande race de Japhet. Les Celtes vinrent les premiers dans l’ordre des temps, et, se frayant un chemin, selon toute vraisemblance, à travers les déserts qui bordaient alors la Méditerranée, se répandirent dans l’ouest de l’Europe. L’origine orientale des Celtes est attestée par leur langage, dans lequel on retrouve des traces du sanscrit[15]. Quelques-unes de ces tribus plus ou moins errantes, poussées sans doute par d’autres tribus qui leur disputaient le terrain, passèrent jusque dans la Grande-Bretagne. L’opinion de Prichard est que les Celtes irlandais constituaient une famille particulière, distincte des Celtes bretons et gaulois, avant même que les uns et les autres quittassent l’Asie. Il y a des raisons de croire qu’ils arrivèrent dans l’Europe occidentale avant les Welches, et qu’ils trouvèrent le chemin de l’Irlande en traversant l’Espagne et en croisant la baie de Biscaye : cette expédition a fourni aux anciens romanciers et aux bardes irlandais plus d’un épisode homérique. De l’Irlande, ce groupe de Celtes passa, au IIIe siècle de notre ère, dans l’ouest de l’Écosse et dans l’île de Man (l’île de l’Homme).

Nous venons d’entrevoir la race morte ; comparons-lui maintenant la race vivante. Et quel pays se prête mieux que la Grande-Bretagne à cette nouvelle perspective de faits ? Les restes des anciens monumens bretons s’effacent de jour en jour et partout sous la charrue ; mais ici la famille celtique persiste. Nous la retrouverons sur trois grands théâtres, où elle continue la série de ses développemens, l’Irlande, l’Écosse, l’île de l’Homme. C’est en Irlande, surtout vers la côte ouest, qu’on rencontre le rameau le plus intact des Celtes gaéliques. Connaught, par exemple, situé sur l’Atlantique, se trouve depuis des siècles à l’abri de toute infusion de sang étranger, si ce n’est celui qui peut venir du côté du nord et de l’est : encore cette introduction de l’élément étranger a-t-elle été insignifiante. Là nous découvrons donc le Celte de la verte Érin dans sa forme typique. Comme l’Irlande, l’Écosse est gaélique, du moins si l’on regarde à sa population indigène ; mais la souche est moins pure qu’en Irlande. Si le mélange de sang anglais dans les highlands et les îles de l’ouest a été faible, l’accession du sang scandinave a été considérable. Il en est de même dans l’île de Man, où se retrouve la troisième variété de la moderne population celtique.

Dans le pays de Galles, l’idiome diffère du dialecte qui est parlé en Écosse, en Irlande et dans l’île de l’Homme. Le langage d’un Breton des Wales est tout à fait inintelligible pour un Gaël, et un Gaël ne peut se faire entendre d’un Breton, tandis qu’un Celte irlandais et écossais se comprennent l’un l’autre. Ces derniers saisissent de même, quoique avec quelques efforts, le langage d’un habitant de l’île de Man. On peut donc considérer le rameau des Welches comme une branche distincte du tronc celtique : aussi l’appelle-t-on plus proprement breton cambrien, ou cambro-breton. Si maintenant nous comparons l’ensemble de la race celtique vivante aux anciens monumens de cette même race qui se rencontrent dans les tombeaux, nous y reconnaîtrons une évidente analogie de constitution physique. Le crâne celtique s’est développé sans doute, mais toujours dans son type, et ce type est beau. Une telle persistance de forme n’étonnera point les physiologistes : ils savent avec quelle ténacité les races humaines, surtout les plus anciennes races, conservent leurs caractères, tant que le croisement n’intervient point d’une manière active et incessante pour les modifier. On reconnaît aujourd’hui entre mille la tête d’un Gaël ou d’un Breton, tant la structure du crâne et les lignes du visage diffèrent des traits de la population saxonne. Les mœurs et les facultés des deux races n’offrent pas moins de contrastes. La famille celtique, intelligente du reste, témoigne généralement peu d’attrait, dans la Grande-Bretagne, pour les conquêtes pratiques de l’industrie ; elle en est restée plus volontiers aux travaux de la pêche, à la vie pastorale et agricole, quelquefois à l’exploitation des mines : encore y est-elle le plus souvent suivie et remplacée par des colonies d’ouvriers anglais. Le Celte n’aime point les métiers, il aime la terre.

Précisons mieux le théâtre des faits, en choisissant une des localités où le groupe celtique s’est le mieux conservé. Il est en Écosse des montagnes et des îles où la population se distingue par des traits fortement tranchés : ce sont généralement celles où la main de la nature imprime à la contrée une physionomie plus étrange et plus sauvage. J’ai surtout en vue le groupe des Hébrides et la chaîne du Grampian. Si vous choisissez pour point de vos excursions le château de Braemar, dans lequel la reine Victoria se retire durant la saison d’été, et que vous étendiez vos courses sur un rayon d’une dizaine de lieues, vous découvrez de tous côtés le beau idéal d’un paysage écossais : des chutes d’eau fumante au milieu des rochers, des rivières tortueuses et encaissées dans des abîmes, de sombres ravins couverts de pins et de bouleaux, quelques débris d’antiques forêts calédoniennes, des têtes de granit dont la masse obscurcit l’air et répand au pied de la montagne, en plein midi, une sorte de crépuscule. Là vit une tribu primitive, qui n’a presque rien perdu de ses caractères. Ce sont pour la plupart des bergers, et à côté d’eux se groupent sur des espaces clairsemés les plus anciennes races de bétail. Vous diriez au milieu des scènes romantiques une apparition des premiers âges, les revenans de l’histoire. Les hommes sont d’une taille haute et athlétique, un peu enclins à l’embonpoint[16] ; leur force physique correspond à la structure de leurs membres puissans et musculeux. Qu’on attribue ce changement à l’évolution des siècles, à un degré plus élevé de culture morale ou à toute autre cause, ces Celtes modernes ont, toute proportion gardée, le crâne plus volumineux et mieux construit que celui de leurs ancêtres. On y distingue néanmoins les traits de la race ; ils ont la tête un peu allongée, le front étroit, le sourcil bas, droit et épais, les cheveux en broussaille, les yeux d’une couleur claire, la bouche large, le menton relevé ; le contour général de la figure est anguleux et l’expression hardie. Leurs mœurs sont simples, hospitalières, douces au fond sous des dehors farouches. La boisson favorite des highlanders est le whisky, qu’ils appellent la rosée de la montagne. À ces rudes Calédoniens, il est bon de comparer un autre rameau de la même race, plus remarquable encore par le développement des formes athlétiques : je parle des paysans irlandais de Connemara. Là, dans un site pittoresque, mais d’un style moins sublime, au milieu de lacs, de tourbières, de montagnes nues, de ponts jetés sur des abîmes, nous trouverons la femme celtique avec des traits qui gardent l’empreinte de la vigueur originelle. Le costume est particulier : un jupon rouge, un manteau ou une couverture bleue ramenée sur la tête, qui se trouve entièrement cachée, à l’exception de la figure. Trop souvent, il faut le dire, ces habits ne sont que des haillons. Ces femmes ont en général les cheveux noirs et les yeux bruns ; elles se distinguent par leur grande taille, leurs membres robustes, leur physionomie ouverte, non sans un air de grâce demi-sauvage et négligée. De jeunes filles d’une beauté inculte, les cheveux répandus sur les épaules, dans un parfait état de nature, découvrent en marchant des pieds nus et des chevilles bien nouées. De cruelles famines, la maladie des pommes de terre, ont décimé cette population ; mais il est curieux de voir avec quelle énergie le type résiste aux causes de dégradation physique. Les habitans de la contrée de Joyce forment encore une race de géans ; le malheur des temps a peut-être altéré la génération présente, mais il n’a point effacé les caractères patagoniens de ces anciens Celtes. Il en est de la puissance naturelle du sang comme de cette cascade qu’on rencontre sur la route entre Manea et Onterard : de secs étés, de durs hivers peuvent suspendre la chute majestueuse des eaux entre les rochers brisés ; mais viennent des jours meilleurs, et le courant reprend au milieu des précipices un air de beauté abrupte et grandiose.

La vieille race celtique a laissé dans la Grande-Bretagne un autre représentant auquel on ne s’attendrait guère : c’est le rat. Je me promenais une nuit, avec un naturaliste écossais des highlands, dans le quartier le plus pauvre, le plus mal famé, le plus laid, le plus vieux et le plus pittoresque de la ville de Londres, dans Wapping. Là sont les docks, les warfs de souffrance[17], les fabriques de voiles, d’ancres et de cordages ; là descendent et logent dans des rues étroites, dans des maisons équivoques, les matelots de tous les pays et de toutes les couleurs ; là un pavé fangeux, broyé par les roues, voit passer chaque jour, dans de lourds camions, les richesses du monde entier, qu’on débarque et qu’on charge dans d’opulentes masures délabrées. Nous descendions les vieux escaliers de Wapping, Wapping old stairs, célèbres dans les chansons de marins. La lune répandait sur la Tamise une lumière glacée. Hormis la voix du fleuve, tout faisait silence. Sur les marches de pierre boueuses et déchaussées, nous fumes alors témoins d’un combat entre deux rats de taille et de couleur différentes ; le plus faible des deux adversaires, fut exterminé par le plus fort avant que nous eussions le temps de suspendre les hostilités. Mon guide poussa un soupir : « Pauvre Breton, s’écria-t-il, voilà ton sort ! Tu succombes partout sous les attaques des envahisseurs. Encore quelque temps, et le naturaliste te cherchera en vain à la surface de tes îles natales ! » Il m’expliqua ensuite qu’il y avait dans la Grande-Bretagne deux variétés de rats, le noir et le brun. Le rat brun, dit la tradition, est venu d’Allemagne en Angleterre dans le même vaisseau qui apportait une nouvelle dynastie, la maison de Hanovre. Cet intrus, le rat hanovrien, a repoussé, détruit le rat indigène, le vieux rat celtique, lequel ne se retrouve plus que dans quelques parties reculées de l’Angleterre et à Wapping.

Une race d’hommes qui, après avoir occupé le territoire pendant des siècles, couvre encore, plus ou moins mêlée, un tiers de la Grande-Bretagne, méritait une attention particulière. Le groupe celtique n’est d’ailleurs point étranger à la gloire des armes anglaises. Braves, chevaleresque, enthousiastes, les highlanders fournissent d’excellens soldats, qui se distinguent par leur costume théâtral, le haut de leurs jambes nu, leur musique des montagnes, leurs membres vigoureux, endurcis à tous les climats. Le langage vulgaire les désigne sous le nom de diables en jupons, devils in petticoat. Ces Gaulois d’outre-mer viennent d’apprendre tout dernièrement aux Indes anglaises, peut-être le berceau de leur race, que leur sang n’était ni refroidi par les glaces ni dégénéré. C’est le son de leurs cornemuses guerrières qui, comme la voix de Dieu dans le lointain, apporta sous les murs de Lucknow l’heureuse nouvelle de la délivrance. À la vue de ces braves en jupe rouge et verte marchant avec une discipline parfaite et un air de résolution héroïque, les Indiens crurent, dit un témoin oculaire, contempler les fantômes des femmes égorgées qui se levaient pour la vengeance.


II

La couche celtique a été recouverte dans la Grande-Bretagne par l’invasion romaine. Les Romains ont laissé ici des monumens qu’on retrouve ailleurs[18] et des crânes dont la forme est connue. Je ne m’y arrêterai point. Il va seulement une question importante à décider : les deux races se sont-elles croisées de manière à produire une variété nouvelle sur le sol britannique ? L’histoire et la situation actuelle des Celtes à la surface du pays semblent plutôt démentir qu’appuyer l’hypothèse d’une alliance sur une certaine échelle entre la nation conquérante et la nation conquise. Tout annonce que les anciens Bretons ont été poussés l’épée aux reins du sud et des parties centrales de l’Angleterre vers le nord, où ils ont cherché au refuge dans les montagnes inaccessibles. Le sort de la race celtique dans la Grande-Bretagne ressemble sous ce rapport à la destinée des tribus aborigènes de l’Amérique : en général, elle ne se mêla point, elle succomba ou elle recula. C’est une loi universelle que des races très inégales, je veux dire appartenant à des âges très différens de la civilisation, quoique placées l’une en présence de l’autre sur un même territoire, témoignent assez peu d’inclination à s’unir. Il serait pourtant téméraire d’affirmer que, la conquête s’étant consolidée sous le règne de Claude, les Romains n’ont point contracté d’alliance avec les Bretons, et si cette fusion des deux sangs a eu lieu selon toute vraisemblance, il a dû en résulter un type nouveau désigné sous le nom de celto-romain. Il est à observer que jusqu’ici la population de la Grande-Bretagne ne différait guère de la population des Gaules que par des nuances ; elle se composait au fond des mêmes élémens. On est autorisé à croire que les traits de famille qui existent encore aujourd’hui entre les deux peuples, les Anglais et les Français, tiennent à cette communauté d’origine : nous allons voir maintenant d’où sont venues les différences. Les Celtes et les Romains furent balayés par un nouveau déluge d’hommes ; je parle de la race saxonne. Quels étaient les Saxons ? D’où venaient-ils ? Quelles étaient leurs mœurs ? Les Saxons faisaient partie de cette grande émigration germanique, laquelle entra en Europe par les rivages de la Mer-Noire. Arrivés en présence des Celtes qui s’étaient établis avant eux sur le continent européen, ces nouveau-venus les repoussèrent graduellement vers l’ouest et vers le sud-ouest. Les branches de la grande confédération saxonne s’étendaient de l’Elbe jusqu’au Rhin. Les traditions s’accordent à nous représenter les Saxons comme les brigands des mers. Leur situation sur les côtes maritimes de l’Europe, non loin des provinces les plus fertiles de l’empire romain, était une circonstance favorable au développement de la piraterie. Ces maraudeurs lançaient leurs vaisseaux sur les vagues, et laissaient au vent le soin de les conduire vers quelques rivages habités. Le sentiment de la crainte leur était inconnu : au risque de faire naufrage, ils choisissaient pour s’embarquer un jour de tempête, parce que dans de telles conjonctures les victimes se tenaient moins sur leurs gardes. Ces lions de la mer ressemblaient au lion des solitudes africaines, qui rôde dans les forêts pendant les nuits d’orage, et qui, au moment où toute la nature tremble, saisit sa proie à demi terrassée déjà par la frayeur. Qui ne se figure le génie navigateur de la Grande-Bretagne flottant en germe dans ces rudes et grossières embarcations saxonnes ? Le penchant naturel des races se règle, s’élève, se purifie avec le progrès de la civilisation : il ne se dément pas. Les Anglo-Saxons, au Ve et au VIe siècle, s’élancèrent de la péninsule cimbrique vers les côtes de la Grande-Bretagne. Les anciens habitans, c’est-à-dire les Celtes et les colons romains, disparurent à mesure qu’avançaient les conquérans, ou acceptèrent leur joug. Le sol de la Grande-Bretagne va donc nous présenter un troisième théâtre de faits historiques, d’antiquités et de monumens humains.

Le premier antiquaire anglais auquel on doive des connaissances étendues sur la période païenne des Anglo-Saxons est le révérend Bryan Faussett, et la source de ces connaissances a été puisée dans des tombeaux. Il vivait dans le Kent, un district du midi de l’Angleterre particulièrement riche en dunes de craie qui s’étendent de Canterbury vers l’est et vers le sud. Or dans ces dunes se rencontrent des groupes remarquables de barrows saxons, ou de cimetières creusés sur les pentes et au sommet des collines. En 1730, un de ces groupes de sépultures, situé sur la partie élevée d’une dune, près de Chatam, fut en partie ouvert. Bryan Faussett n’avait alors que dix ans ; il se trouvait, dit-on, présent à ces travaux d’excavation : c’en fut assez pour lui donner l’idée et le goût de semblables recherches. Dès 1750, Faussett résidait à cinq milles de Canterbury, dans un village où il remplissait les fonctions de ministre du culte anglican. Après avoir rencontré bien des obstacles, il put enfin se livrer en 1757 à des fouilles dans un cimetière connu sous le nom de Tremwortk Down ; mais, ô désenchantement de l’antiquaire ! il fut reconnu que c’était un cimetière romain. Faussett, en bon Anglais, tenait surtout à retrouver les rudimens de sa race. De 1760 à 1763, il poursuivit ses recherches dans un riche cimetière saxon, à Gilton, dans la paraisse d’Ash, près de Sandwich. Là il n’ouvrit pas moins de cent six tombeaux. C’était alors une opinion reçue que ces tertres ou ces tumuli marquaient le théâtre d’une bataille entre César et les Bretons. Il signala l’erreur. La collection formée par Bryan Faussett, au moyen des antiquités saxonnes découvertes dans les anciennes tombes, fut offerte dernièrement au British Muséum, qui la rejeta[19] ; elle était sur le point de se disperser sur le continent, quand elle tomba aux mains de M. Joseph Mayer, qui la sauva pour l’honneur de la science et de la Grande-Bretagne. Bryan Faussett eut un successeur dans le révérend James Douglas, qui, de 1779 à 1780, se livra au même ordre de travaux. Aujourd’hui de telles investigations s’étendent sur une grande échelle. Signalons parmi les découvertes récentes le petit cimetière ouvert dans le Glocestershire par M. Wylie, et les cimetières plus étendus fouillés à Wilbraham par M. Neville. J’ai assisté moi-même à l’une de ces ouvertures, et une telle scène m’inspira, je dois le dire, des réflexions peu consolantes. Un jour peut-être les états de l’Europe que nous habitons seront recouverts par une nouvelle race d’hommes qui, curieux de connaître leurs devanciers, fouilleront dans nos tombeaux pour y découvrir nos os et pour voir quel singulier type nous étions.

L’historien Bède nous apprend que les Teutons descendus dans la Grande-Bretagne appartenaient à trois branches différentes : 1° les Jutes, qui s’établirent dans le Kent, dans l’île de Wight et sur la côte opposée du Hampshire ; 2° les Saxons ; 3° les Angles. Les excursions faites par les antiquaires dans le champ des ruines et des morts confirment pleinement cette statistique. Les tombeaux du Kent abondent en ornemens d’or et d’argent, en ouvrages de bijouterie et en divers autres articles qui indiquent un état social quelque peu raffiné. On voit se refléter dans cette industrie posthume les traits d’une race plus riche et plus puissante que celle des autres Anglo-Saxons. Ailleurs on trouve rarement des métaux précieux, et les ornemens d’or sont remplacés par des ornemens de bronze doré ; cette différence nous explique la suprématie qu’exerçait le Kent sur les autres états à l’origine de l’histoire anglo-saxonne. Des coquilles apportées de l’Océan-Indien, des pièces de monnaie venues de Constantinople et de la Germanie, tout annonce, même sous la période païenne, un commerce étendu avec le reste du monde. Ces traces du génie aventurier et commerçant ne doivent point être perdues de vue par le moraliste, quand il s’agit des ancêtres directs de la nation anglaise. On retrouve dans les tombeaux saxons et dans les richesses naissantes qui les accompagnent l’aube de la prospérité matérielle d’un grand peuple.

Les barrows anglo-saxons forment en général, à côté de ceux dont les antiquaires rapportent l’origine aux Romains et aux Saxons, un groupe de caractère distinct. Ils furent les prototypes des sépultures modernes telles qu’on les rencontre aujourd’hui en Angleterre dans les cimetières de campagne. Les anciens Saxons creusaient dans la terre une fosse, variant de trois ou quatre pieds à sept ou huit pieds de profondeur ; là ils couchaient sur le dos le cadavre revêtu de ses plus beaux habillemens. Ils l’entouraient en outre d’une variété d’objets choisis, on a lieu de le croire, parmi ceux que le mort avait préférés durant sa vie : or ce que le barbare aimait le mieux, c’étaient ses armes. On recouvrait ensuite la fosse, et une élévation de terre marquait aux yeux la place où le défunt dormait du dernier sommeil. En visitant les cimetières de village dans la Grande-Bretagne, je me suis arrêté plus d’une fois devant des tertres sinistres ayant à peu près la même forme et recouverts de gazon. Qui reposait là ? L’église voisine seule répondait : un chrétien. Deux modes d’inhumation existaient chez les anciens Saxons durant l’ère païenne ; tantôt ils enterraient le corps entier et tantôt ils le brûlaient. Il faut ajouter que les funérailles étaient souvent accompagnées d’une immolation d’esclaves.

La race anglo-saxonne se distingue jusque dans la mort des deux autres races avec lesquelles elle se trouva en contact sur le sol de la Grande-Bretagne, les Celtes et les Romains. Il existe sous le sanctuaire de l’église Saint-Léonard, à Hythe, une crypte qui contient des crânes et des ossemens humains. Ces restes n’appartiennent point à une seule et même race. Deux formes de crânes prédominent : l’une, étroite et allongée, appartient au type celtique tel qu’il existe encore aujourd’hui dans la Grande-Bretagne ; l’autre, courte et large, se rapporte au type anglo-saxon. Une troisième sorte de crânes, en petit nombre, est évidemment d’origine romaine ; nous avons là sous les yeux le point de contact, sinon le terrain d’assimilation des trois familles ou des trois peuples. On a aussi déterré en 1844, à Fairford, dans le Glocestersbire, tout un cimetière considérable qui remonte aux premiers temps de l’invasion saxonne, et qui s’étendait alors sur une pièce de terre d’environ quatre acres. Cette découverte eut lieu par hasard, au moment où l’on travaillait à enclore un ancien champ d’herbe pour le livrer à la bêche. Là, dans une des fosses, fut trouvé le squelette d’un homme à taille gigantesque : il devait avoir eu sept pieds anglais de hauteur. Près du crâne était une tête de lance en fer. Ce crâue est d’une forme ovoïde[20], et somme toute il contraste en puissance avec les crânes de la période celtique. On ne s’étonne plus, à le voir, que ces fortes têtes saxonnes, en se jetant sur la terre de la Grande-Bretagne, en aient repoussé les indigènes. L’histoire des races fût-elle perdue, on la retrouverait écrite sur le livre du cerveau humain. Leur supériorité relative, leurs conquêtes, leur influence sociale, tout est là. Les exhumations peuvent servir à contrôler les portraits que les anciens nous ont laissés de la race saxonne. Ces Hercules du Nord se faisaient remarquer par leurs larges têtes rondes, leur haute stature, leur grande énergie musculaire ; si les morts qu’on retrouve dans les anciens cimetières se levaient de leur tombe, ils auraient cette apparence formidable. Il n’existe aujourd’hui rien de semblable dans la Grande-Bretagne. À l’uniformité du type saxon primitif ont au contraire succédé un grand nombre de variétés individuelles. À quoi tiennent ces différences ? À deux causes : au croisement des races et aux degrés très inégaux du développement social.

À part la structure du crâne, les Saxons ne différaient pas considérablement des Celtes par les traits extérieurs : les uns et les autres étaient d’une complexion blanche et blonde ; les Saxons avaient seulement les cheveux plus rouges, tandis que la chevelure des Celtes était couleur de lin. Il n’en était pas de même de leur caractère. Les Celtes savaient vaincre, les Saxons savaient conquérir[21]. La bravoure, là légèreté l’inconstance, un manque d’empire sur soi-même, tels étaient les principaux traits du naturel celtique. Fermes, persévérans, tenaces, doués d’une fierté d’âme singulière, les Saxons se montraient supérieurs à la mauvaise fortune. Symmaque nous apprend que vingt-neuf d’entre eux se donnèrent la mort pour ne pas être exposés en spectacle dans un combat de gladiateurs. Cette opposition de mœurs n’était rien encore auprès du contraste qui existait entre les institutions politiques et sociales des deux peuples. Chez les Saxons, tous les membres de la communauté étaient libres et guerriers ; ils portaient tous les armes et prenaient leur place dans la bataille ou dans les assemblées. Il n’en était pas de même parmi les Celtes : l’ordre sacerdotal des druides et la caste militaire constituaient chez eux deux ordres privilégiés. Une différence si tranchée a donné lieu à une antipathie qui exista dans l’origine, qui existe même encore aujourd’hui entre les deux races. M. Pinkerton est l’écho des préjugés anglais quand il déclare que « un Goth est à un Celte ce qu’un lion est à un âne. » Il ne faut point chercher à une autre source qu’à cette diversité d’origine les causes de la répugnance instinctive qui se traduit quelquefois entre les Anglais et les Irlandais par des actes regrettables. Dans quelle proportion cet antagonisme de caractères a t-il été un obstacle au mélange des deux races ? Si l’on regarde seulement à la distribution actuelle des deux familles humaines sur le sol de la Grande-Bretagne, on serait tenté de croire que cet obstacle a été immense. Vous ne retrouvez aujourd’hui le type celtique à l’état plus ou moins pur que dans les districts de l’Angleterre et de l’Irlande où s’élèvent des chaînes de montagnes. Une telle localisation du type semblerait indiquer à première vue que la race bretonne a été refoulée ou qu’elle s’est retirée devant la conquête, ne voulant point se mêler aux conquérant On a pu admettre cette migration dans l’enfance des études ethnologiques, mais il n’est plus permis aujourd’hui de raisonner sur de pareilles bases. Il s’est passé dans la Grande-Bretagne ce qui arrive partout quand deux races étrangères sont mises en présence. C’est une loi générale que la plus forte efface la plus faible. N’allez pas imaginer pour cela que cette dernière disparaisse sans laisser de traces. Les races absorbées revivent dans les races absorbantes, dont elles enrichissent les caractères.

Il est curieux d’observer à quel point la famille celtique a diminué sur le sol de la Grande-Bretagne dans tous les endroits où elle a été mise en contact avec les tribus anglo-saxonnes. La population de la Cornouaille, autrefois purement celtique, a aujourd’hui perdu ce caractère ; dans les districts du pays de Galles et des highlands, où le sang breton a été soumis à un mélange avec les anciens envahisseurs, la race indigène perd graduellement ses traits les plus tranchés. Le jour viendra sans doute où ces remparts de montagnes sauvages, qui ont servi de barrière aux Celtes contre l’épée des Romains et contre la framée des Saxons, cesseront d’opposer une résistance efficace à l’intrusion lente et silencieuse du commerce, de la civilisation et du sang teutoniques. La race saxonne (c’est un de ses caractères) se montre douée d’une force d’expansion peu commune, et partout où elle s’étend, elle frappe de son cachet les populations soumises. Nous pouvons en définitive considérer la population anglaise comme le produit d’un mélange celto-saxon, mais dans lequel les traits de la race saxonne prédominent. Le langage, le gouvernement, les lois de la Grande-Bretagne, tout révèle une origine gothique. Les anciens Saxons ne revivent pas seulement dans les annales de l’Angleterre, mais aussi dans les institutions et dans le caractère national. Plus de treize siècles ont roulé sur leurs ossemens le flot des événemens politiques, ont agité les tempêtes et les vicissitudes de l’histoire ; mais au milieu de tout cela leur influence est restée debout. Eux seuls sont les vrais ancêtres de la nation anglaise ; les Celtes n’en ont été que les précurseurs.

La langue est aussi un monument : or un très petit nombre de mots celtiques a pris racine dans la langue anglaise. Ce magnifique idiome, qui a servi d’instrument au génie de Milton et à celui de Shakspeare, a été créé par un mélange du saxon avec le roman ou avec le latin corrompu du moyen âge. L’immolation du dialecte celtique exprime sans contredit une loi de la nature, qui veut que les races plus faibles se sacrifient au développement des races plus fortes. Il ne faudrait pourtant point exagérer la signification du fait ; nous devons tenir compte du dédain des conquérans pour les mœurs, les institutions et la langue des vaincus. Il arrive le plus souvent alors dans le mariage des deux races ce qui advient dans le mariage de l’homme et de la femme, où la femme perd son nom sans abdiquer pour cela son influence sur la constitution des enfans. Si les traces du vieux langage celtique ont d’ailleurs à peu près disparu du fond de la langue anglaise, il n’en est pas de même des mots qui servent à désigner les localités. Comme les premiers, détenteurs du sol, les Celtes ont nommé les lieux qu’ils occupaient, et si solidement, que les quatre invasions ultérieures n’ont pu arracher du sol ces bornes de propriété morale. On retrouve dans toutes les parties de l’Angleterre et de l’Ecosse des villages, des rivières, des bois, des champs, des montagnes qui n’ont point perdu leur dénomination bretonne. Les Anglais, en épousant la terre, ont accepté dans la langue le signe de cette union, et les ombres des anciens Celtes doivent tressaillir, si elles entendent chanter aujourd’hui par leurs vaillans successeurs cet hymne national : « Britannia, Britannia, domine les vagues ! Les Bretons ne seront jamais esclaves ! »

Il nous faut maintenant comparer la race éteinte avec la race vivante. Le type saxon s’est répandu sur toute l’Angleterre. Il y a pourtant des endroits où il présente des traits plus reconnaissantes et plus tranchés. Un de ces endroits est la ville de Guilford, dans le Surrey. Son origine remonte à une date ancienne ; elle fut la résidence des rois saxons de l’ouest, et l’on y voit encore les ruines de leur château. D’autres bâtimens, qui donnent à cette vieille cité un caractère romantique, furent autrefois ou des édifices publics, ou la demeure de hauts personnages ; aujourd’hui ils sont habités par des marchands. L’un de ces bâtimens, dont la façade a été retouchée, mais dont l’ensemble conserve les traits d’une majestueuse vétusté, a été converti en une auberge, l’hôtel du Dauphin, Dolphin inn. Là, au milieu des vieux restes d’architecture et des vieux souvenirs, vous retrouvez le Saxon dans toute sa pureté[22]. On le reconnaît tout de suite à sa face ronde et haute en couleur, à sa structure robuste, charnue et compacte. Le système osseux se montre moins développé que chez les Celtes de l’Ecosse ; la taille est moins haute, mais les épaules sont carrées et larges, les bras nerveux, la poitrine pleine. Les jambes et les cuisses ne répondent point au déploiement de la partie supérieure du corps. Peut-être cette dernière circonstance est-elle à la fois un caractère du type primitif et un résultat de la civilisation, qui applique l’homme aux arts mécaniques. Dans ces travaux sédentaires, les extrémités se sacrifient au développement de la poitrine et des bras. C’est ainsi que les particularités naturelles d’une race se fortifient par l’exercice même de ses instincts. Mais si l’on veut se former une idée de la beauté du type saxon, il faut regarder la femme. Elle se signale par des cheveux blonds, des yeux bleus, des lèvres vermeilles, des joues roses comme la fleur à laquelle elles ont été si souvent comparées, une peau aussi blanche et aussi transparente que l’albâtre, des traits délicats, des bras admirablement modelés, une contenance et une taille parfaites, un buste fin, un air de santé florissante et pourtant distinguée. Qui ne reconnaît surtout une vraie Saxonne à sa démarche ? Cette démarche est toute une révélation, incessu patuit dea. On y distingue le mouvement d’une race fière, indépendante, maîtresse d’elle-même et de tout ce qu’elle veut soumettre. Ici se fait moins sentir qu’ailleurs la compression de la mode et de l’artifice : les individus croissent, comme les arbres, dans toute la vigueur de la liberté[23].

Deux traits me frappent au plus haut degré dans le caractère des Saxons : la force et la grandeur. Ils ont imprimé ces traits à tous leurs ouvrages, et d’abord à la forme de leurs cités. Jetez les yeux sur Londres, cette ville qui finit et qui recommence toujours. La cataracte du Niagara a moins de flots, elle fait moins de bruit et de fumée que cette marée humaine, la population de Londres. C’est surtout par un de ces jours de brouillard, si fréquens au mois de novembre, qu’il faut voir cette cité colossale, étrange, unique dans le monde. Le fauve brouillard s’épaissit encore de tous les torrens de fumée que dégorgent dans le ciel les immenses tuyaux de briques, les mille fournaises de l’industrie, les cheminées des fabriques et des maisons. Si vous regardez à votre montre, il est onze heures du matin ; si vous regardez au ciel, il est encore nuit. Les becs de gaz flambent, les boutiques du Strand sont éclairées ; des hommes, des enfans, noirs comme des démons, portent des torches qu’ils agitent jusque sous les pieds des chevaux ; mais à quoi bon ? la lumière ne fait qu’accuser la couleur livide du brouillard. Eh bien ! dans ce nuage rampant, dans ces ténèbres diurnes, vont, viennent, circulent, se croisent des hommes à figure impassible, affairée, silencieuse, les uns sous les habits du luxe, les autres sous les haillons de la misère. On dirait des ombres qui s’agitent dans un tombeau. Rien n’est pourtant moins fantastique, je vous assure, que le but de leur activité. Chacun, suivant l’ordre de ses idées ou de ses occupations, poursuit dans Londres une ville différente : M. de Rotchschild y cherche la banque du monde entier, le négociant le plus grand théâtre d’affaires qui existe, l’éleveur un vaste marché pour le bétail, l’homme d’état le siège du gouvernement et les différentes branches de l’administration, l’homme de plaisir l’affiche des spectacles ou l’entrée des tavernes ; l’artiste y cherche et y trouve tout cela à la fois. Quiconque aime le spectacle des multitudes et des villes immenses abandonne volontiers le désert au voyageur ; il rencontre à Londres, dans cette forêt d’hommes, un sujet de contemplation égale au moins pour la grandeur à toutes les scènes prodigieuses de la nature. Il y a une sorte de charme et de vertige à étudier toutes ces faces de la vie humaine, dont la variété est inépuisable. Et puis, si vous êtes fatigué de la vue d’un peuple qui achète et qui vend, du bruit éternel des roues des machines, des chevaux, du roulement des locomotives et des wagons qui même dans les rues de Londres passent au-dessus de vos têtes en sifflant, faites un pas, et au milieu de cette solitude aride de la foule vous trouverez l’oasis. Un soir d’été, j’étais dans Hyde-Park : autour de moi, tout faisait silence, à l’exception des oiseaux ; des vaches paissaient dans l’herbe, de vieux et grands arbres secouaient au vent leur chevelure négligée, des enfans jouaient, nageaient, barbotaient dans une pièce d’eau, la Serpentine. Au milieu de cet horizon immense, dont rien ne bornait la vue que des lignes de verdure et de ciel bleu, je me serais cru à cent lieues d’une capitale, et pourtant j’étais dans Londres. Mais une des perspectives les plus solennelles que je connaisse, c’est Londres vu à vol de steam-boat. Je ne comprends pas de grande ville sans un grand fleuve : c’est l’artère vitale du commerce. La Tamise, elle a le génie anglais, elle est sombre, profonde, laborieuse, puissante ; elle porte sur son dos des centaines de bateaux à vapeur, qui font le service d’omnibus et vont d’un bout de la ville à l’autre sous des noms poétiques, la Nymphe, la Dryade, l’Orgueil de Londres, l’Hirondelle, la Cigogne, la Fleur du soleil, Ne m’oubliez pas. Il faut voir, monté sur la proue de ces bateaux, les ponts de Londres, les édifices publics, Westminster, Saint-Paul, Somerset-House et toute sorte de clochers qui à une grande distance se lèvent dans le brouillard avec des airs de spectres, mais surtout les toits angulaires des vieux warfs avec les grues et les chaînes qui soulèvent vaillamment les massives et obscures richesses du monde entier.

Ce caractère de force et de grandeur se retrouve dans toutes les principales villes fondées par la race saxonne ; il se reflète de même sur les créations de l’industrie. Dans tous ses ouvrages, le génie saxon vise au gigantesque. Il aime la difficulté vaincue ; il met son orgueil à vaincre les faits les plus rebelles. J’assistais dernièrement dans les marais de Plumstead (Plumstead marshes) à l’essai d’un mortier comme on n’en a jamais vu, le vrai Falstaff des mortiers. Sa capacité est de trente-six pouces anglais ; il lance avec un bruit de tonnerre, et à une distance prodigieuse (environ quatre milles), des bombes énormes, qui s’enfoncent si avant dans la terre qu’il faut plusieurs jours de travail pour les retrouver, quand on les retrouve. Son nom est lord Palmerston. Cependant les inclinations de la race saxonne éclatent surtout dans les ouvrages maritimes : la Grande-Bretagne se représente elle-même sous la forme d’un navire. Quand je vins, en 1856 de Hollande en Angleterre, j’entrai de nuit sur un bateau à vapeur par la bouche de la Tamise. Toute une flotte marchande dormait ferme sur se ancres et détachait au clair de lune ses cordages, ses agrès, ses mâts, auxquels pendaient, comme autant d’étoiles, de petites lanternes allumées. À mesure que vous remontez le fleuve et que vous approchez de Londres, ces groupes de vaisseaux deviennent plus nombreux, plus serrés ; ils forment de véritables bois de haute futaie, dont la masse ombrage le fleuve, l’encombre, et ne laisse à la circulation qu’un étroit passage. Il semble que la Grande-Bretagne veuille frapper l’imagination du voyageur en lui disant : « Regarde, je suis la reine des eaux ! » Nous avions passé devant plusieurs villes indiquées sur le fond uniforme de la nuit par la lumière du gaz, qui coule ici à flots, jusque dans les villages. Gravesend, Woolwich, Greenwich avaient apparu et s’étaient évanouis comme des rêves. Déjà il était huit heures du matin, et le jour se levait autant que le jour peut se lever sur la Tamise au mois de février. Le soleil ressemblait à un vieux louis d’or enveloppé dans de la ouate, et Londres se faisait pressentir à l’horizon comme une grande ville bâtie dans un nuage. Nous étions à la hauteur de Milwall : tout à coup les regards des passagers qui se trouvaient à côté de moi sur le pont se dirigèrent vers la rive droite du fleuve. Là gisait sur un chantier de travail l’immense carcasse d’un bâtiment en construction, et dont les flancs à jour, la charpente dénudée ressemblaient au squelette d’une baleine antédiluvienne échouée sur le sable. Un de mes voisins me dit : « C’est le Grand-Oriental (it is the Great-Eastern). » Le Great-Eastern, comme on l’appelait alors, est la propriété de l’Eastern steam navigation Company. Depuis plusieurs années, on avait conçu l’idée de construire un bâtiment à vapeur assez spacieux pour contenir la provision de charbon de terre nécessaire à la consommation du plus long voyage. L’exécution de ce projet fut l’œuvre combinée de M. Brunel et de M. Scott Russell, deux ingénieurs et constructeurs célèbres. Les travaux commencèrent le 1er mai 1854 : aujourd’hui le grand vaisseau est achevé. Cette magnifique création de l’architecture navale est un monument caractéristique du génie saxon, destiné à porter sur les mers les plus lointaines l’image de l’Angleterre et le témoignage de son prodigieux commerce. Le Great-Eastern contiendra quatre mille passagers ; transformé en steamer de guerre, il pourrait, dit-on, transporter dix mille soldats[24]. Ce n’est plus, on le voit, un vaisseau, c’est une ville, une cité flottante sur l’abîme, et cette cité est doublée de fer pour briser les flots, défier les tempêtes, vaincre les élémens et les distances. Aux sept merveilles du monde dont se vantaient les anciens dans leur ingénuité, les Anglais opposent déjà en imagination cette masse relativement légère volant sur les eaux avec les ailes de la vapeur, et déployant une vitesse supérieure à celle de tous les navires connus[25].

J’ai revu dernièrement le Great-Eastern. Malgré ses proportions exorbitantes, ce bateau n’a rien de difforme ; la quille est au contraire d’une coupe svelte et élégante, comme celle d’un yacht. Immobile sur le sable, il regardait passer à ses pieds les autres bateaux à vapeur qui fendaient la Tamise, et dont les plus gros étaient à ce colosse ce que sont les mouettes au plus grand albatros. L’intérieur n’est pas moins saisissant : en descendant du pont, vous trouvez toute une série de chambres à coucher et de salons qui s’étendent sur un espace de trois cent cinquante pieds. Un de ces salons, long de soixante pieds sur quarante pieds de large, est destiné à donner des fêtes ; là, les passagers pourront charmer les ennuis d’un long voyage, sans souffrir du mal de mer, tant la base étendue du véhicule posera solidement, on l’espère du moins, à la surface mouvante de l’abîme. Les différens organes d’impulsion se trouvent en harmonie pour la force et la grandeur avec la taille de ce Caliban des mers. Le gaz destiné à éclairer toutes les parties de la ville flottante sera produit à bord, et le Great-Eastern portera en outre avec lui une lumière électrique, laquelle se répandra comme un clair de lune perpétuel autour du vaisseau. Le baptême du monstre eut lieu le 6 novembre 1857 : ce fut un événement. La population ouvrière de Londres et des environs, les hommes de science anglais, français, américains, allemands, russes, les curieux affluèrent sur toutes les rives qui bordent ou qui avoisinent l’île des Chiens (isle of Dogs). Les ambassadeurs siamois étaient là avec toute leur suite et en robe de drap d’or. Les maisons d’alentour qui avaient vue sur le chantier de travail étaient surmontées d’échafaudages et noires de têtes. Tous les yeux étaient fixés sur le héros de la fête, le grand vaisseau, cette gloire nationale, cette épopée de fer, de bois et de vapeur, fille de l’industrie saxonne. Il était environ midi et demi, lorsqu’une bouteille de vin décorée de fleurs fut portée et suspendue vers la proue du navire. Miss Hope, la fille du président de la Great-Eastern Company, lança ensuite la liqueur sacramentelle sur l’avant du vaisseau, en lui souhaitant bonne chance. Mille cris de joie répondirent et saluèrent la naissance morale du néophyte. Depuis cette cérémonie, il n’est plus permis d’appeler le grand vaisseau le Great-Eastern ; son nom est le Leviathan.

Ce n’était pas tout que de construire le Leviathan, il fallait le mettre à flots. Ici même commençait la partie la plus difficile et la plus laborieuse de la tâche. Ce nouveau théâtre de faits va mettre en relief d’autres qualités du génie saxon, l’énergie, la persévérance, le courage indomptable contre les choses. Cette montagne de fer semblait dire comme le rocher de Prométhée : « Qui osera me mouvoir ? » Les Anglais osent tout. Aussitôt après la cérémonie du baptême commença la première tentative de lancement, launching. On avait ménagé un double système de machines, dont les unes étaient calculées pour donner l’impulsion et les autres pour retenir, dans le cas où les mouvemens du monstre deviendraient trop rapides. D’abord des ouvriers travaillèrent à attirer, au moyen de cordes fortement tendues, cette masse vers la rivière ; mais cette première manœuvre n’eut d’autre effet que d’arracher au vaisseau un sourd grondement, pareil à celui d’un tonnerre lointain. Cela dura environ dix minutes. La curiosité de la foule, l’inquiétude, toutes les émotions étaient excitées au plus haut degré, lorsqu’on entendit le sifflement des presses hydrauliques destinées à pousser le Leviathan. Bientôt un immense cri s’éleva de la multitude : « Il s’ébranle, il s’ébranle ! she moves, she moves ! » En effet, il glissa de trois ou quatre pieds en quelques secondes ; mais tout à coup des ouvriers furent frappés et enlevés en l’air par le mouvement des manches des roues destinées à servir de frein, comme par une explosion. Quatre d’entre eux, grièvement blessés, furent transportés à l’hôpital[26] ; un cinquième reçut des secours dans le chantier. Ce mélancolique accident répandit une sorte de consternation dans la foule et fit suspendre les travaux. On les reprit néanmoins le jour même ; mais le soleil déclinait déjà, et un nouvel accident, survenu cette fois dans les machines, fit remettre à des temps plus heureux le succès de cette dangereuse entreprise. La foule s’écoula en murmurant.

Le launching du Leviathan, ce travail d’Hercule, fut repris ou plutôt continué à divers intervalles durant tout le mois de décembre 1857. Ce vaisseau offrant la pesanteur presque fabuleuse de 12,000 tonnes, multipliée encore par la friction, consentait quelquefois à glisser de quelques pouces, puis il s’arrêtait ferme et inébranlable comme une église, défiant du haut de sa majestueuse immobilité les efforts combinés des hommes et des machines. Il fallait voir alors sur le chantier abandonné cette masse insolente, qui semblait triompher ainsi que Sébastopol ou Dehli après un assaut infructueux. Chaque semaine, nouveaux essais, insuccès nouveaux, et la dépense était énorme ; on estime que pour avancer le monstre seulement de quelques pieds vers la Tamise, cela coûtait chaque fois à la compagnie la somme de plus de 1,000 livres sterling. J’assistai avec un intérêt extrême à deux de ces héroïques tentatives : rien ne donne une idée du caractère national comme cette armée d’ouvriers forts contre la force, au cœur inébranlable ainsi que l’obstacle, aux bras de fer servis par des machines, revenant cesse à la charge contre un ennemi dont l’écrasante grandeur était encore rendue plus sensible par la taille des pygmées acharnés à ses flancs. L’intelligence agite la masse, dit le poète : soit, mais je déclare, par l’exemple du grand vaisseau, qu’elle l’agite lentement. Des sinistres nouveaux, les brouillards d’hiver, le mouvement périodique des hautes et des basses marées avec lesquelles il fallait compter, tout cela retarda, interrompit encore les efforts des travailleurs. La critique commençait à n’épargner ni M. Brunel, l’ingénieur en chef, dont la constance méritait pourtant un meilleur sort, ni le Leviathan lui-même. Après un intervalle motivé par la destruction presque entière des appareils, usés, brisés dans ces derniers temps à remuer le Leviathan, les travaux recommencèrent le 5 janvier 1858. Cette fois ce fut un siège en règle ; vingt et une presses hydrauliques devaient attaquer le grand vaisseau. Parmi elles se distinguait un monstrueux bélier d’une force et d’une pesanteur inconnues, jusqu’ici. La gelée contraria d’abord le jeu des machines ; mais vers onze heures du matin l’assaut fut livré : le géant résista, gémit, céda, mais seulement de huit pieds, puis il fallut cesser ; il était cinq heures. Chaque jour cependant le grand vaisseau faisait un pas, jusqu’au moment où l’on jugea à propos de cesser le jeu des machines et d’attendre les hautes marées de la saison. Le 30 janvier était un des deux jours fixés pour le mettre définitivement à flots : soulevé par les eaux du flux, qui l’entouraient à une hauteur considérable, le Leviathan donna des signes de vie ; mais le vent soufflait avec violence, et le capitaine Harrison, qui commandait les manœuvres, ne pensa point qu’il fût prudent de lutter contre un si rude adversaire. Le lendemain 31, le temps était beau et calme : je me rendis sur les lieux, non sans craindre, je l’avoue, un nouveau mécompte. De midi à une heure, le fleuve s’enfla ; la marée courait avec une puissance très grande ; une machine hydraulique se mit en devoir de pousser pour la dernière fois ou mieux de conduire le Leviathan vers le milieu du fleuve, car déjà il obéissait au mouvement. Peu à peu la grande nouvelle se répandit de bateau en bateau et de rive en rive. « Il flotte ! il flotte ! » Il fallait maintenant que le nouveau-né se dégageât de son berceau, cradle. Ce berceau était formé d’immenses poutres, dont le monstre se délivra en nageant. C’était un spectacle vraiment curieux et imposant que de voir à la surface du grand fleuve cette forêt de lourdes charpentes qui erraient de tous côtés. Aujourd’hui le Leviathan n’attend plus que ses agrès et ses voiles pour s’élancer vers New-York, terme marqué pour son premier voyage[27].

La race saxonne est une force : quand une idée s’ajoute à cette force, cela va loin ; mais toutes les qualités absolues sont exclusives. Il faut demander à chaque civilisation son fruit et non un autre. Les ouvrages des Saxons frappent plutôt par la solidité qu’ils ne se distinguent par la recherche délicate de la forme et par l’élégance. Ce côté faible de l’industrie anglaise devient surtout sensible dans les rues de Londres. Là vous rencontrez à chaque pas, dans dévastes magasins, un amas de richesses étalées avec profusion, mais sans goût. Quelques boutiques de modes et de nouveautés ont même recours à des mains parisiennes pour dissimuler l’insuffisance de la nation dans cette branche de l’art commercial. On distingue tout de suite un étalage français d’un étalage anglais à l’harmonie des couleurs, cette musique faite pour le plaisir des yeux. L’architecture, les produits des arts mécaniques, tout indique ici, dans les traits de la civilisation, le sentiment cyclopéen de l’utile, auquel manque, à un certain degré, le sentiment du beau.

La famille saxonne est bien la tige de la nation anglaise ; mais sur cette tige sont venues se greffer d’autres branches dont il faut rechercher la souche et le caractère.


III

La race saxonne ne demeura pas longtemps en possession tranquille du territoire. Vers le milieu du Xe siècle, de hardis aventuriers, qui avaient longtemps désolé les mers du Nord par leurs pirateries, commencèrent à inquiéter les côtes de l’Angleterre. Leurs premières entreprises furent couronnées de succès : cela les encouragea à renouveler leurs ravages. Enfin, vers le commencement du XIe siècle, ils se rendirent maîtres de la plus grande partie de la vieille Albion. Le langage vulgaire a donné le nom de Danois à ces nouveaux envahisseurs de l’Angleterre ; mais ils appartenaient à ce groupe de nations Scandinaves qui vivaient alors en Suède et en Norvège. La Norvège, dont les côtes brisées s’étendent le long d’un tumultueux océan, depuis les rochers de la Baltique jusqu’au cercle des mers de glace, était la plus stérile des stériles régions du Nord. Les moyens de subsistance étaient rares, les habitans étaient hardis : ils demandèrent alors aux expéditions maritimes les ressources que leur refusait un territoire ingrat. Leurs vaisseaux, pareils aux bancs de glace voyageurs de leurs sauvage contrée, se laissaient aller aux tempêtes et aux courans : leur principale divinité était le glaive. Ces peuples étaient, comme les anciens Saxons, les vagabonds de l’abîme, les maraudeurs des mers. Ils se jetaient avec le courage et l’avidité du cormoran sur la proie qu’ils pouvaient saisir à la surface des vagues ou le long des côtes. On a honte de le dire, mais la piraterie fut généralement, pour les races maritimes du Nord, le berceau de la navigation et du commerce. Quelles étaient maintenant les origines historiques de ces anciens Scandinaves.

Les premiers habitans des contrées situées au-delà de la Baltique étaient étrangers à la race germanique. Les études de ces derniers temps sur les antiquités du Nord ont démontré que les Finnois constituaient, avec des tribus laponnes, la plus ancienne couche de la population historique. Ces indigènes ont été ou refoulés ou soumis par une race qui avait d’autres caractères, un autre langage, une autre religion. Cette dernière race était un rameau de l’arbre teutonique. Les envahisseurs commencèrent contre les indigènes une guerre d’extermination qui se termina par la conquête. Il est triste et curieux de voir au prix de quels efforts et au milieu de quels flots de sang ces peuples se sont fait l’un après l’autre leur place dans le monde. Les épisodes de cette longue guerre fournirent le sujet de plus d’une légende et de poèmes que chantaient les anciens bardes ou scaldes. Au sud de la Scandinavie, la religion, le gouvernement et le langage des Germains s’étaient établis avant Odin. Quand ce chef arriva à la tête de ses vaillans guerriers, il chassa, de concert avec les Goths qui occupaient déjà une partie du territoire, les restes des tribus aborigènes. Ces dernières furent alors obligées de chercher un refuge dans les montagnes, où on les retrouve encore, sur les bords excentriques de la Suède et de la Norvège. Les hommes du Nord, désignés maintenant sous le nom de vikings, qui, du IXe au XIe siècle, se jetèrent sur les côtes de l’Angleterre, étaient les descendans des envahisseurs de la Scandinavie : tout prouve bien qu’ils étaient alliés à la même race d’où sortaient les Saxons. Leur dialecte, malgré des traits évidens d’affinité, s’écartait toutefois de la langue parlée dans la Germanie centrale et dans les parties de l’Angleterre où s’était étendue l’invasion teutonique : cette différence indique assez qu’ils s’étaient séparés de la souche commune à une époque distincte et probablement très ancienne.

Ce nouveau déluge d’hommes n’exerça pas une très grande influence sur la civilisation qui commençait à se former par le mélange des Celtes et des Saxons. Une race peut ravager et soumettre un pays sans le conquérir : les Danois n’ont point conquis l’Angleterre. Cette invasion, — la troisième en date, — n’a fait que glisser sur la société saxonne. Les Danois, durant leur court passage (guère plus d’un demi-siècle), ont laissé très peu de traces dans la langue anglaise, peu de monumens, peu d’histoire ostéologique[28]. Il est pourtant très probable qu’ils ont contracté des alliances. Qui oserait aujourd’hui prétendre qu’aucune goutte de sang scandinave ne coule dans les veines de la nation anglaise ? Et puis, quand l’ethnologiste parle de l’influence des hommes du Nord sur la formation du type britannique, il n’a point uniquement en vue l’invasion tumultueuse des Danois à une certaine époque. Il est une autre source de changemens moins remarquée par l’histoire, mais plus continue, plus certaine, plus efficace : je parle de la lente et silencieuse érosion des races du Nord sur quelques-unes des côtes de la Grande-Bretagne. Là, comme par exemple dans les highlands et dans l’île de Man, les traces de scandinavisme sont évidentes. Non-seulement le sang y est mêlé, mais les mœurs y présentent une combinaison si intime des coutumes, des superstitions et du caractère des deux races, qu’il est souvent très difficile d’en distinguer la source. C’est encore un usage dans quelques parties des highlands et chez quelques familles highlandaises que de jeter aux funérailles une pièce d’argent dans la fosse du mort ; sans cela, l’âme du défunt ne serait pas reçue dans le ciel. Il est difficile de décider si une telle croyance est celtique ou Scandinave ; mais les légendes touchant l’existence des hommes ou des femmes de mer (mermen and mermaids) viennent certainement du Nord. Les habitans des îles des Shetlands estiment que ces êtres surnaturels possèdent une peau de phoque, laquelle leur sert de charme et leur permet de vivre dans les profondeurs de l’océan. Sans ce talisman, ils perdraient aussitôt leur qualité d’hommes ou de femmes amphibies. On raconte à ce propos l’histoire d’un habitant d’Unst qui, se promenant sur le sable, au bord de la mer, vit un groupe de ces êtres singuliers danser au clair de lune. Un assez grand nombre de peaux de phoque gisaient à côté d’eux sur le rivage. Chacun courut pour ramasser la sienne, et toute la bande disparut en un clin d’œil dans la mer ; mais l’homme des Shetlands, ayant découvert à ses pieds une de ces peaux, la saisit et la cacha dans un lieu sûr. À son retour, il rencontra sur le rivage la plus belle fille qui se soit jamais montrée aux yeux d’un mortel. Elle se lamentait, se plaignant avec force larmes et sanglots du vol qui la condamnait à devenir une exilée sur la terre. En vain elle implora la restitution du talisman : l’homme était ivre d’amour ; il se montra inexorable. Tout ce qu’il put faire pour elle, ce fut de lui offrir sa protection et un abri sous son toit comme à sa femme. La sirène, voyant qu’elle n’avait aucun moyen de rejoindre ses anciens amis, accepta l’offre. Ce singulier attachement conjugal se soutint pendant des années, et plusieurs enfans furent les fruits d’une si étrange union entre un Shetlandais et une fille de la mer. Ces enfans ressemblaient à tous les autres, seulement ils avaient comme marque de leur origine les doigts légèrement palmés. Cette particularité s’est conservée jusqu’à ce jour, as a testimony of the fact, parmi les descendans de la famille. L’amour du Shetlandais pour sa femme était sans borne, mais son affection était froidement payée de retour. Souvent elle s’esquivait et allait se promener seule sur le rivage ; à un signal donné, quelqu’un paraissait sur la mer, quelqu’un avec lequel l’ancienne sirène tenait une conversation inquiète dans une langue inconnue. Un jour il arriva qu’un des enfans trouva par hasard une peau de phoque cachée (on devine par qui) sous une meule de grain. Tout fier de sa découverte, il courut la montrer à sa mère. Celle-ci tressaillit ; sa joie ne fut troublée que quand elle regarda son enfant, qu’elle allait quitter pour toujours. Elle l’embrassa et s’enfuit à toute vitesse vers les sables. Sur ces entrefaites l’homme revint à la maison ; il apprit que la peau de phoque était retrouvée, devina le reste, et courut pour retenir sa femme ; mais il arriva juste à temps pour voir la transformation de cet être aimé. Il la vit s’élancer, sous la forme d’un phoque, de la pointe d’un rocher dans la mer. L’être mystérieux avec lequel elle avait eu tant d’entrevues secrètes, un énorme phoque, apparut et la félicita de la manière la plus tendre sur le succès de sa fuite. Avant de plonger aux gouffres inconnus, elle jeta un dernier regard sur le pauvre habitant de la terre, dont la mine désespérée excita sans doute en elle quelques sentimens de compassion. « Adieu, lui dit-elle, je te souhaite toute sorte de bonheur. Je t’aimais beaucoup lorsque je demeurais sur la terre ; mais j’ai toujours aimé mon premier époux mieux que toi ! »

Les Danois ne furent point les derniers conquérans de l’Angleterre. Vers l’an 1066, les Normands, conduits par leur chef Guillaume, s’emparèrent du gouvernement du pays. Après la fameuse bataille de Hastings, le sol anglais fut en partie submergé par les hordes étrangères. Ces hommes du Nord, fixés depuis quelque temps en France, sur les côtes de la Normandie, étaient des Norvégiens ou des Danois. À l’origine, ils n’avaient point amené de femmes avec eux. Ces aventuriers conclurent des alliances avec les Françaises, et adoptèrent, avec le temps, les mœurs de la contrée qu’ils avaient soumise. Ils étaient donc pour la plupart Celtes par leurs mères, Celtes, Romains ou Germains du côté de leur père, car cette bande d’envahisseurs se composait de races mêlées. Des Bretons, des Flamands, des Wallons et d’autres encore grossirent l’armée du conquérant. On voit par là que l’invasion normande n’apportait point.en Angleterre un sang nouveau : tout au plus y avait-il une légère différence dans la nuance du germanisme. C’étaient plutôt des Franks que des Angles. Eh bien ! si hétérogène que fût ce mélange, l’accession des Normands n’en exerça pas moins les plus graves et les plus heureuses conséquences sur la genèse du peuple anglais. Environ un siècle après la descente de Guillaume, lorsque la violence de la conquête eut fait place à un régime plus doux, cet élément étranger donna la forme à toute la masse jusque-là diffuse et incohérente. Ce fut alors qu’apparut un type national qui n’a jamais eu rien de semblable dans l’histoire. Il arriva en grand et dans un autre ordre de faits ce qui se passe sous la main du chimiste, quand un dernier réactif imprime un cachet d’achèvement à un sel ou à un cristal en voie de composition. Huit siècles se sont écoulés depuis ce temps-là, et le temps n’a fait qu’affermir l’originalité puissante de cette race, qui se distingue de toutes les autres par les mœurs, par le caractère, par les traits extérieurs. Ce spectacle est grand, il me frappe : il est beau de voir avec quel soin et à travers quelle série d’événemens la nature travaille de longue main à former les peuples destinés à exercer une influence sur la civilisation. L’histoire de tels peuples est écrite en germe dans leur organisation physique ; mais encore faut-il que cette organisation soit forte, riche, variée. Les races indigènes qui couvraient à l’origine le sol de la Grande-Bretagne étaient trop faibles pour répondre aux vues de la providence sur ce groupe d’îles ; elles sont conquises, refoulées et en partie détruites : les Saxons les remplacent. Les Saxons à leur tour sont impuissans par eux-mêmes à engendrer l’Angleterre, tantœ molis erat romanam condere gentem ! Ils sont envahis par les Danois ; les uns et les autres se combattent d’abord, puis ils finissent par se confondre dans une même race. Cela ne suffit point : les Normands arrivent, et leur accession réalise enfin le type de peuple vers lequel aspirait depuis si longtemps la nature. Cette création matérielle et morale exige dans le cours des siècles des efforts gigantesques, des sacrifices humains ; mais catastrophes, révolutions, déluges de peuples entassant couche sur couche, ossemens sur ossemens, rien n’arrête, rien ne déconcerte le développement calme et majestueux du progrès.

Il ne faut pourtant point s’exagérer la nature de l’influence qu’exercèrent les Normands en Angleterre. Ce fut moins un élément de la population qu’un lien. Leur sang s’est versé depuis longtemps dans celui des Saxons et des autres races de la Grande-Bretagne : je ne veux pas dire pour cela qu’il se soit perdu ; mais il serait aujourd’hui très difficile d’en retrouver des traces authentiques, même dans l’aristocratie anglaise. Les Saxons, en refoulant les Celtes, avaient imposé leur langue. Les Normands vainqueurs subirent au contraire la langue des vaincus. Guillaume le Conquérant essaya bien d’introduire son dialecte, le franko-normand, parmi ses nouveaux sujets ; mais ses efforts ne furent point couronnés de succès. Après lui, la cour continua encore quelque temps de parler français, et cette langue étrangère était un des signes qui la séparaient de la nation, attachée à l’ancien idiome. C’est plus tard, vers l’an 1150, que le saxon subit ce travail de transformation qui, continué durant tout le moyen âge, en fit la langue anglaise. Les philologues de la Grande-Bretagne ne veulent point admettre que ce changement ait été dû à l’invasion normande, car, disent-ils, il ne s’était glissé jusque-là que très peu de mots français dans le dialecte national. Il existe aujourd’hui, il est vrai, un assez grand nombre de mots français dans la langue anglaise, mais ces mots paraissent s’être introduits à une époque ultérieure. C’est même encore l’objet d’un doute et d’une dispute entre les philologues de savoir si ces intrus viennent bien d’outre-mer, pu s’ils ne se sont point formés sur place de la décomposition des racines du latin, qui commençait dès lors à refleurir. Les recherches linguistiques, d’accord avec d’autres monumens, indiquent donc que la nation normande, bien loin de s’incorporer l’Angleterre, s’est absorbée elle-même dans sa conquête.

L’ethnologie contient un enseignement moral : elle réconcilie toutes les races dans un sentiment d’humanité. Cette science nous apprend en effet que les familles humaines possèdent chacune des dons différens, des instincts particuliers, une intelligence moulée sur un type d’organisation spéciale, des traits extérieurs qui ont tous une beauté relative, des aptitudes qui répondent à certains besoins de l’état social. C’est en agitant et en mêlant ces élémens humains dans l’urne sacrée des nations que la Providence forme la matière vivante de l’histoire. Les races simples manifestent des facultés également simples et bornées ; plus au contraire les races sont mêlées, et plus le caractère national abonde en nuances qui concourent, par l’opposition même, à étendre les ressources de la civilisation. Vous avez alors sous les yeux l’imposant spectacle de la variété dans l’unité. La nation anglaise est une nation composite, de là sa force. Dans les parties de la Grande-Bretagne où le croisement des races a été moins compliqué, l’organisation des habitans présente un instrument plus uniforme et par conséquent moins riche. En Écosse par exemple (et c’est une observation que j’emprunte à un Écossais lui-même, à Hugh Miller)[29], le visage humain offre bien moins de traits individuels et particuliers qu’en Angleterre. Les Anglais, quoique regardés comme les hommes les plus robustes de l’Europe, n’étalent point au même degré que les Écossais les dehors de la force rude et primitive ; mais ils ont des membres qui se prêtent mieux aux diverses exigences des arts mécaniques. Si l’on fait attention au caractère moral, le contraste devient encore plus frappant. Dans les districts ruraux de l’ancienne Calédonie, vous ne rencontreriez rien qui ressemblé à cette classe d’individus grossiers, abrutis, désœuvrés, malheureusement trop commune dans les mêmes districts en Angleterre. Leur face ronde, les traits de leur physionomie saxonne, tout indique assez qu’ils descendent d’ancêtres barbares, et que leur intelligence, cette belle au bois dormant, continue de sommeiller depuis des siècles dans la nuit de l’ignorance. La masse du peuple écossais se montre plus instruite, plus cultivée, plus curieuse que le mob dans certaines parties de l’Angleterre. En revanche, si la population du nord de la Grande-Bretagne descend moins bas, elle s’élève moins haut que la nation anglaise, quand celle-ci s’élève. L’Écosse a produit des hommes remarquables sans doute, mais on lui demanderait vainement jusqu’ici un Milton, un Shakspeare, un Byron. Walter Scott seul, et encore dans un genre inférieur, s’est placé au premier rang. La nation anglaise proprement dite est un clavier humain d’une incomparable étendue, qui contient les gammes les plus sourdes et les plus basses, mais qui atteint aussi aux échelles de notes les plus élevées dans l’intelligence. Si la science ethnologique n’est point une chimère, la racine du fait est facile à découvrir. L’Écosse a été moins exposée que l’Angleterre au flot des diverses invasions et par conséquent moins soumise aux causes d’inégalité que ces croisemens successifs impriment en quelque sorte dans le sang d’une race.

Un fait me préoccupe, je l’avoue, quand je considère la population anglaise : c’est le grand nombre des cheveux et des yeux noirs. Prichard avait fait avant moi la même remarque, il avait même évalué la proportion des habitans bruns à huit sur dix. Ce fait a surtout lieu de m’étonner quand je me souviens que toutes les races qui ont servi à composer la nation anglaise, les Celtes, les Saxons, les Danois, les Normands, avaient les cheveux blonds et les yeux bleus. Il serait puéril d’attribuer ce changement aux rapports que les Anglais ont formés avec les peuples du midi. Je ne veux point dire que ces relations, fondées sur le commerce, aient été insignifiantes au point de vue de l’achèvement du type national : elles ont certainement donné lieu à des alliances qui, renouvelées de siècle en siècle, ont greffé des rejetons nouveaux sur l’arbre généalogique de la nation anglaise ; mais une cause fortuite, partielle, ne saurait, dans tous les cas, expliquer un fait général. Et puis, la preuve que cette raison n’est pas la bonne, c’est qu’un tel travail de transformation s’est accompli dans des parties de la Grande-Bretagne où n’existe rien de semblable. La population des highlands par exemple est derrière ses montagnes à l’abri de toute infusion de sang étranger, du moins de sang méridional. C’est de plus une tradition constante que les anciens habitans, les Gaels, comme d’ailleurs les premiers Bretons, formaient une race blonde. Eh bien ! les highlandais actuels ne constituent point, il s’en faut de beaucoup, un peuple du même caractère. Dans quelques districts particuliers, mais seulement sur des étendues limitées, les habitans ont aujourd’hui des cheveux roux, et cela sans que rien indique la trace d’une colonie étrangère ; mais les caractères qui prédominent dans une grande partie des highlands, surtout à l’ouest, ce sont les cheveux noirs et droits, les yeux gris, et un teint qui n’a plus la blancheur originelle. On a observé que partout, dans les villes, la couleur des cheveux et des yeux est plus brune que dans les districts ruraux, surtout dans les bois et sur les montagnes. Le type ancien s’est mieux conservé dans les endroits où il était en quelque sorte protégé par la nature ; ailleurs il s’est altéré. La conclusion à tirer de ces faits, c’est évidemment que, sans l’intervention de races étrangères, la race actuelle s’est écartée des conditions qui existaient tout d’abord chez les tribus dont le concours a formé la population anglaise. Où chercher maintenant la cause d’un tel phénomène ? Les changemens survenus dans la forme du crâne nous ont appris déjà que l’organisation humaine n’était point stationnaire. De même que les enfans naissent souvent avec des cheveux blonds et un teint clair qu’ils perdent en avançant en âge, les races dépouillent avec la maturité les signes de l’adolescence. Le tempérament change ; les cheveux et les yeux deviennent d’une couleur plus foncée. Cette croissance des races est un argument de plus en faveur des idées de Prichard, aujourd’hui dominantes en Angleterre. Non content d’affirmer, preuves en main, l’unité de l’espèce, ce grand ethnologiste a insinué que les différentes familles n’étaient, malgré les accidens très graves de forme et de couleur, que des âges différens du genre humain.

Ce sont là les événemens qui ont accompli le type national. Il reste à dire maintenant quel il est. Ce qui me frappe le plus dans la civilisation britannique et dans le caractère anglais, c’est la personnalité. Ailleurs, en Belgique, en Hollande même, je me sentais encore un pied sur le sol moral de la France, qui s’étend bien au-delà des frontières. Ici rien de semblable, vous vous sentez au contraire emporté par une civilisation douée, comme certains astres, d’un mouvement qui lui est propre. De cette île, la vie du continent apparaît ainsi que se montrent du château de Douvres les côtes de la France, c’est un point à peine visible à l’œil nu dans l’immensité du brouillard. Dans le monde de Londres, world of London, tout étranger est considéré par la classe inférieure comme un Français. Avant la grande exposition des produits de l’industrie, en 1851, c’était même trop souvent a french pig[30]. J’en conclus que la masse de la nation britannique ne reconnaît qu’à deux peuples le droit d’exister sur la terre, à elle-même d’abord, aux Français ensuite. Ma pensée n’est point que la partie éclairée de la population britannique se montre indifférente aux affaires du continent ; mais elle envisage surtout les événemens qui s’accomplissent à l’étranger du point de vue de ses intérêts. Ce sentiment du moi, racine morale des libertés et des institutions anglaises, s’associe à un goût très vif pour les expéditions lointaines, à une sorte d’humeur aventureuse qui répand les enfans de la Grande-Bretagne sur toute l’étendue de la terre. La devise de l’artillerie, inscrite en lettres de métal sur les uniformes militaires, est bien la devise de la nation entière : ubique ; mais partout l’Anglais transporte ses usages, sa manière de vivre : il est partout chez lui. Cette ténacité du type s’appuie sur un fonds de dignité, peut-être même d’orgueil ; mais cet orgueil a quelque chose de particulier. J’ai vu des peuples très chatouilleux sur le point d’honneur national, la moindre observation critique les froissait et les impatientait ; signalez devant un Anglais les côtés faibles de la civilisation britannique, vous n’aurez pas même pour effet de l’irriter : il se tait, mais il méprise. Dans la plupart des histoires qu’on met entre les mains de la jeunesse, il est à peine fait mention des journées malheureuses pour les armes anglaises, par exemple de la bataille de Bouvines. Une défaite n’existe pas aux yeux des Anglais, c’est une erreur de la fortune. Parlent-ils de leurs victoires, ils en parlent sans faste : cette fois, la fortune a fait son devoir, voilà tout. Il résulte de cette disposition morale une confiance sans bornes dans l’impérissable grandeur de la nation, même quand on fait semblant de croire à sa décadence. « L’Angleterre toujours ! » England for ever ! c’est le cri de guerre, c’est la voix du sang britannique. Rien ne coûte d’ailleurs pour assurer à cet être de raison une sorte de domination morale. J’ai vu des Anglais déplorer certains faits de la guerre de l’Inde, les sacrifices d’hommes et d’argent qu’elle impose, les causes qui l’ont provoquée ; mais parmi ceux mêmes qui professent cette opinion, il n’en est peut-être pas un seul qui ne soit d’avis que la Grande-Bretagne doit vaincre à tout prix, et cela pour ne point perdre son prestige en Europe. L’Anglais ne se dévoue qu’à l’Angleterre. Une telle préoccupation du sentiment national ne dispose point les insulaires de la Grande-Bretagne à une sympathie très vive pour les étrangers. Il y a pourtant des cas où le caractère se dément, et l’une de ces exceptions, est si honorable, que je dois la citer : devant une cour de justice, l’intérêt des juges et du public est toujours en faveur de l’étranger ; chacun est alors d’avis que la loi doit protéger celui que la terre natale ne protège point.

Un autre trait caractéristique de la civilisation anglaise, c’est la division du travail. Je ne parle point seulement du principe économique, je parle d’un fait et d’une disposition marquée dans la race. Chacun se renferme avec une sorte de scrupule dans le cercle de ses attributions et de ses connaissances. Il y a dans le royaume-uni très-peu d’esprits universels, mais vous y trouvez beaucoup de talens spéciaux. Il existe des peuples qui devinent ou qui croient deviner beaucoup de choses : l’Anglais, lui, ne sait que ce qu’il a appris, et il le sait bien. L’éducation fortifie de bonne heure la racine de cette inclination naturelle. Dans la Grande-Bretagne, l’instruction des enfans se propose un but, et ce but est la carrière que le jeune homme doit parcourir un jour dans le monde. On arrive à faire ainsi des élèves à facultés fortes et pratiques. Cette méthode professionnelle offre, il est vrai, des inconvéniens à côté des avantages : elle limite l’horizon des connaissances humaines à un domaine tout personnel ; mais ce domaine se laisse mieux explorer. Une telle hiérarchie des fonctions devait beaucoup simplifier l’exercice des libertés publiques. Les Anglais ont compris leur société comme une grande machine dont les mille ressorts se meuvent sans empiéter sur le rôle des autres organes, et concourent à réaliser par le jeu des forces différentes la plus grande somme de production et de bien-être. C’est à Londres qu’il faut étudier la formation naturelle d’une grande ville : là il est curieux de voir comment les diverses industries, les diverses professions libérales se sont groupées dans des quartiers limités. Cette agrégation des semblables n’a été ni fortuite, ni imposée ; elle s’est faite en vertu des lois qui déterminent en Angleterre les départemens du travail. L’impulsion n’est point venue d’un centre ; chacun de ces cercles se montre au contraire animé d’un mouvement propre : ils s’attirent les uns les autres sans se heurter, ni se confondre. La constitution anglaise, avec ses freins, ses contre-poids, est une image de la même tendance à l’équilibre des libertés par la division et l’antagonisme des pouvoirs ; il est permis sans doute de rêver un autre idéal politique, mais, à moins de préventions fortes, il est difficile de ne point être frappé par le mécanisme compliqué et majestueux d’institutions qui fonctionnent depuis des siècles, protègent toutes les libertés individuelles, assurent la paix à la Grande-Bretagne, sans lui imposer le sacrifice d’aucune conquête morale, ni civile. Il est surtout beau de voir l’usage que les Anglais ont fait et font encore tous les jours du droit de réunion. Ils connaissent trop bien la valeur de ce droit pour le compromettre dans des tentatives infructueuses ou téméraires. J’assistais, dans Saint-Martin’s Hall, à un meeting provoqué par le sunday ligue, une société qui se propose de combattre l’observance judaïque du dimanche, en faisant ouvrir ce jour-là aux habitans de Londres les musées et les autres établissemens publics. Cette réforme si simple est une de celles qui rencontrent le plus de résistance en Angleterre, parce qu’elle a contre elle le sentiment religieux, les habitudes et les hautes influences de l’église nationale. Un ouvrier anglais qui se trouvait à côté de moi me dit : « Nous savons bien que nous ne réussirons pas cette fois, ni cette année, ni l’année suivante ; mais dans notre pays on sait demander et attendre : avec cela, on triomphe toujours. » A la vue d’une telle discipline, d’une telle persévérance, d’une foi intrépide et calme dans la force de l’opinion publique, on ne s’étonne plus que le peuple anglais atteigne à toutes les réformes raisonnables sans ébranler la base d’une constitution qui ouvre une voie si sûre au progrès. La limite des libertés politiques est ici dans les mœurs, dans le sentiment du devoir. Chacun est à lui-même son surveillant et son propre censeur : il veut qu’on respecte son droit, mais il sait respecter celui des autres. Ces conditions morales assurent le maintien de l’indépendance mieux encore que les réunions et les autres garanties civiles. La liberté est une honnête femme : elle ne se donne point au peuple qui la recherche avec le plus d’ardeur, elle se donne à celui qui la mérite.

À une nation aussi agitée par la tempête des affaires que la nation anglaise il fallait une ancre, et cette ancre est la famille. L’intérieur tient une grande place dans la vie britannique. J’aime surtout le mot qui sert à le désigner : le chez soi est égoïste ; le foyer n’embrasse qu’un détail des mœurs domestiques : le home des Anglais exprime, lui, ce qu’il y a de plus complet, de plus délicat, de plus touchant dans le temple de la famille et des vertus privées. Il existe en Angleterre toute une littérature du coin du feu, littérature à bon marché, qui consiste en magazines, en miscellanies, en nouvelles et en romans. Cette bibliothèque de la maison n’a pas, je l’avoue, au point de vue de l’art une très grande valeur, et je m’explique fort bien que les critiques l’aient généralement dédaignée ; mais elle présente au moraliste un intérêt particulier[31]. L’Anglais est chez lui ce qu’il est dans son île, peu accessible, réservé, froid : il ne subit pas ses relations, il les choisit ; mais quand la glace se rompt, il laisse voir un cœur bon et généreux. Il en est de même des rapports entre les membres de la famille : le tutoiement banni de la langue (en anglais, on ne tutoie guère que Dieu) répand, à première vue, sur les liens du sang une certaine teinte d’indifférence ; mais on ne tarde point à reconnaître sous ces formes plus sévères un attachement à racines profondes. Cette vie d’intérieur est enchaînée du reste à l’ordre religieux. Le protestantisme anglican a pour ainsi dire transporté le culte de l’église dans la maison. Les grandes fêtes du christianisme sont en même temps des fêtes de la famille. L’Anglais se montre en tout un peuple traditionnel : pour lui, c’est surtout la coutume qui est sainte. De ces solennités religieuses, la plus profondément gravée dans les mœurs est Noël (Christmas). On s’y prépare plusieurs semaines à l’avance. D’immenses troupeaux d’oies s’acheminent gravement du nord de l’Angleterre, par toutes les routes, vers la ville de Londres. Les grands bœufs annoncent leur arrivée sur les chemins de fer ou les bateaux par de sombres beuglemens. Les étalages de viande s’amoncellent en pyramides devant l’échoppe des bouchers. C’est surtout le soir, dans les quartiers populeux de Londres, par exemple dans White-Chapel, qu’il faut voir au milieu d’une foule tumultueuse ces montagnes de comestibles à la lueur des mille becs de gaz, dont la flamme libre oscille sous le vent. On s’occupe en même temps d’orner l’intérieur des maisons : les murs de chaque parlour sont tendus de guirlandes de laurier, de lierre et de houx ; c’est le houx qu’on préfère, car il détache en vigueur sur son feuillage vert foncé des baies rouges qui couronnent agréablement, disent les vieilles chansons, la tête du sombre hiver[32]. Une branche de gui, souvenir des anciennes superstitions celtiques, attachée au plafond, pend au milieu de la chambre, quelquefois même à l’entrée de la porte. Le gui (mistletoe) ne se distingue pas seulement par ses feuilles délicates et ses jolis fruits blancs, il donne à chaque homme admis dans la maison le privilège d’embrasser toute femme ou toute jeune fille attirée, par mégarde sans doute, sous le rameau sacré.

Noël est arrivé. « Sois le bienvenu, vieux père Noël, avec ta barbe blanche ! » C’est le cri des enfans, et, si matinal qu’il soit, ce cri a été précédé dans les campagnes par le chant du coq. On croit encore dans quelques villages de l’Angleterre que le coq mêle cette nuit-là sa voix aux mystères de la fête, et qu’il salue depuis dix-huit cents ans l’aube d’une ère nouvelle[33]. La barbe blanche de Noël, c’est la neige ; il y a pourtant des exceptions, selon les années, mais les Anglais n’aiment point les Noëls verts. « Noëls verts, cimetière gras, » dit le proverbe. Je me souviens de la figure de Londres le matin de Noël 1856. Au tonnerre lointain des roues sur le pavé ou sur le macadam, à l’agitation hâtive de la foule, qui la veille encore allait, venait, se croisait en mille courans, avaient succédé tout à coup un silence religieux et le repos. On n’entendait que la voix d’un millier de cloches qui se répandait dans l’air sec et froid. Les ombres de la nuit tombaient du ciel à larges pans, comme les tentures noires se détachent de la voûte d’une église après une cérémonie funèbre. Il était huit heures, et les rues n’étaient encore que solitude : on eût dit une cité dont les habitans s’en étaient allés au ciel. Le rideau de la brume matinale commençait pourtant à s’entr’ouvrir, ainsi que celui d’une dévote paresseuse. Une neige précoce avait blanchi les rues ; c’était la robe de la fête, et sur cette neige on découvrait enfin quelques pas d’hommes et de femmes marqués dans la direction des églises. Toutes les boutiques étaient fermées à l’exception des boulangeries ; des femmes, des enfans, des ouvriers apportaient gravement des pies, des puddings, des quartiers de viande crue, des volailles dans de grands plats recouverts d’une serviette blanche. De petits balayeurs des rues, pieds rouges sur la neige blanche, soufflaient dans leurs doigts, et malgré tout, un sourire aux lèvres, amusaient de leurs grimaces, de leurs pirouettes, de leurs culbutes le passant, qu’ils poursuivaient en lui demandant un petit sou (a half penny) pour garnir leur Christmas box. Le service religieux est terminé dans les églises, et le four des boulangers a fait son devoir. Il est une heure : vous voyez alors sortir du temple les femmes, les enfans en toilette, les jeunes filles aux mains chaudement pelotonnées dans leur manchon ; des boulangeries sortent aussi peu à peu les joints, les pâtisseries, les gâteaux portés triomphalement par des mains laborieuses, et laissant entrevoir sous le voile avec coquetterie un teint doré par l’action du feu. Cependant les rideaux des plus humbles fenêtres sont éclairés par un soleil intérieur : la bûche de Noël (Christmas log) est au feu ; elle brûle en illuminant de joyeux visages. Un foyer propre, un bon feu qui flambe et une bonne femme qui sourit, c’est, dit le proverbe anglais, la richesse d’un homme pauvre : or il y a bien peu de cheminées qui ne pétillent et bien peu de femmes qui ne sourient en Angleterre le jour de Noël[34]. L’heure du repas est le moment solennel de la fête. Pas de bons Noëls sans enfans : c’est la couronne de la table. Parfois, surtout dans les campagnes, une vieille chaise vide préside ; sur cette chaise siège un souvenir de la famille. Le fameux plumpudding national apparaît bientôt, accueilli par le bruit des jeunes voix, l’applaudissement des yeux, le trépignement des petits pieds sous la table. L’aïeul même sourit sous ses lourdes lunettes à la vue des belles flammes bleues et rouges que jette à la surface du mets l’eau-de-vie brûlante ; il sourit à sa jeunesse, qui a duré ce que dure cette flamme ; il sourit surtout à la jeunesse qui le remplace[35]. Au dessert paraît l’arbre de Noël : nouvelle joie, nouveaux cris. Enfin commencent les jeux, la danse. Les jeux consacrés par l’usage, surtout dans les antiques manoirs, sont ce jour-là le colin-maillard, blind man’s buff, et cache-cache, hide and seek. Au milieu des éclats de rire retentit, comme un sombre écho du passé, la légende de la belle fiancée du jeune Lovel. C’était dans un vieux château : la fille du baron se cacha pour intriguer ses compagnes, mais elle se cacha si bien que les jours, les semaines, les années se passèrent sans que, malgré les recherches les plus actives, ses parens et Lovel lui-même pussent la découvrir. Enfin, après plusieurs années, on ouvrit un lourd bahut, meuble antique du château, et l’on y trouva un squelette avec une couronne de roses blanches fanées : c’était elle. Vraie ou fausse, cette légende est devenue le sujet d’une romance qu’on chante debout et avec une solennité triste. Les chansons accompagnent toujours un gai Noël, a merry Christmas, sans parler des carols, sorte de cantiques sur la naissance de Jésus-Christ que les enfans et les vieillards entonnent à toute voix dans les rues pour ramasser des sous. Les carols sont aussi vieux que la vieille Angleterre., La nuit de Noël se termine par une libation de vin fait avec les baies du sureau, elder-berry wine, et qu’on boit bien chaud, bien épicé, bien sucré, pour se procurer des rêves agréables. La fête n’est point enterrée : elle renaît avec le jour suivant, et se prolonge, malgré la reprise des travaux quotidiens, durant six semaines. Le théâtre avec ses pantomimes, le Crystal Palace avec ses divertissement d’hiver, les salles de concerts, les bals, tout concourt à retenir longtemps ce vieil hôte bien-aimé de la Grande-Bretagne, le père Christmas, à la tête couronnée à la fois de glace et de feuillage. Il y a toute une littérature de Noël qui consiste en contes, en poésies, en lectures morales. Noël est, en dépit du 1er janvier, le vrai jour de l’an de l’Angleterre. J’écarte le point de vue religieux ; mais les Anglais trouvent bon que l’année commence sur un berceau, quand ce berceau a régénéré le monde.

Tels sont les traits généraux du caractère national. La vie anglaise change avec les classes, avec les professions, avec les localités ; elle n’est point la même à la ville et à la campagne : c’est sur ces différens théâtres de faits qu’il faut la suivre. Ce travail nous sera plus facile, maintenant que nous avons vu les origines de la population et les divers élémens dont elle s’est formée.


ALPHONSE ESQUIROS.

  1. On peut consulter sur le même sujet divers ouvrages, entre lesquels nous citerons the Ethnology of the British Islands, par Robert Gordon Latham, et the Celt, the Roman and the Saxon, par Thomas Wright.
  2. Une livraison parait environ tous les six mois avec de superbes planches lithographiées, représentant les crânes de grandeur naturelle et différentes antiquités. Chaque livraison se vend une guinée. Les auteurs ont mis à contribution pour ce grand travail et leurs propres recherches et les collections publiques on particulières qui existent dans le royaume. Le titre de l’ouvrage est Crania Britannica.
  3. Il ne faut point confondre ces premières têtes de flèche grossières avec d’autres têtes de flèche en silex qu’on retrouve mêlées à des armes de bronze. Ces dernières sont évidemment d’une autre époque. La forme et le fini du travail indiquent assez que des instrumens de fer ont été employés pour les fabriquer.
  4. Je citerai entre autres un ancien crâne trouvé dans un tombeau sur Ballidon-Moor (Derbyshire). Le tombeau offrait les signes évidens d’un âge primitif. On y découvrit les dépouilles d’un véritable aborigène des îles britanniques. La face du squelette présentait une apparence rugueuse, des os anguleux, rudes et profondément empreints d’une forte action musculaire. Le crâne annonçait un homme d’environ quarante-cinq ans. Il semblait avoir appartenu, dit le docteur Davis, à un de ces citoyens de la forêt dont la vie ne se maintient que par une lutte sévère, et dont la nourriture consiste en alimens crus et grossiers. Il y a quelques années, un dentiste demeurant dans le Dorsetshire obtint la permission d’ouvrir, un tertre sépulcral dans le voisinage de Maiden-Castle : il y trouva le squelette d’un ancien Breton, et, dans ce qui avait été la cavité de l’abdomen, des semences de framboises. Ces semences, mises dans un pot, germèrent et donnèrent des plants de framboisier.
  5. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 15 mars 1848, un article dans lequel on expose les vues de M. Frère sur les transformations périodiques du crâne humain.
  6. Triads of the Welsh. Voyez Archaiology of Wales, vol. II. Ce document fut imprimé d’après un manuscrit portant la date de 1601.
  7. Dans la collection de l’Académie royale irlandaise figurent les modèles de deux crânes qui ont été trouvés à Dublin dans une très ancienne tombe. L’un des deux surtout présente dans la structure des traits de mongolisme : une face en losange et une élévation en forme de pyramide sur le haut de la tête.
  8. L’étain figure dans cette composition métallurgique pour un dixième.
  9. Le sentiment de la coquetterie apparaît dès les temps les plus anciens, mais sous des formes qui indiquent un progrès. Des objets naturels, tels que des os, des écailles, des dents d’animaux, étaient d’abord portés comme ornemens ou comme amulettes. Plus tard viennent des perles de verre, d’un vert léger ou bleuâtre.
  10. « Uxores habent inter se communes et maxime fratres cum fratribus. » Julius Cæsar.
  11. La cavité de cette boite osseuse peut contenir quatre-vingt-trois onces de sable blanc, d’où l’on est fondé à conclure que le cerveau pesait cinq onces de plus au moins que le poids ordinaire d’un cerveau d’homme adulte chez les modernes Européens.
  12. Quelques-unes de ces épées sont ornées de figures grotesques d’un style hardi.
  13. Il suffit d’indiquer ici la forme la plus simple des anciens cromlechs ; mais nous devons avertir qu’il y en avait d’une structure plus compliquée.
  14. On peut surtout consulter la large collection d’antiquités celtiques formée par Richard Hoare.
  15. Voyez the Eastern Origine of the Celtic nations proved by a comparison with the sanskrit, greck, latin and teutonic languages, by James Cowles Prichard.
  16. Il est curieux de rapprocher ce fait des témoignages historiques : les auteurs latins nous apprennent qu’il existait parmi les anciens Celtes des lois contre l’obésité ; un homme trop gras était condamné à l’amende, et cette amende doublait à la fin de l’année, si le délinquant ne se réformait point.
  17. On appelle warf une sorte de quai construit en bois ou en pierre, et sur lequel on décharge des vaisseaux. Il y a deux sortes de warfs ; dans ceux dits de souffrance, on ne peut débarquer que certaines marchandises.
  18. L’endiguement des rives de la Tamise depuis Londres jusqu’à la mer est un de ces ouvrages du peuple-roi.
  19. Ce refus n’était motivé que par une question litigieuse ; le mérite de la collection est incontestable.
  20. On peut voir le dessin de ce crâne dans le grand ouvrage de MM. Davis et Thurnam, Crania Britannica. La partie antérieure, quoique d’abord étroite et fuyante, s’élève vers le sommet de la tête ; le développement de l’occiput est considérable ; la partie saillante des sinus frontaux forme une sorte de bosse qui se projette en avant du nez. Il existe peut-être encore des Anglais qui ont une telle forme de crâne, mais ils sont rares, et c’est à coup sûr dans les couches les plus incultes de la population qu’il faudrait les chercher.
  21. Il est à remarquer que les Anglais ne se servent presque jamais du mot vanquish ; ils se servent du mot conquer. Pour eux, la victoire n’a de sens que quand elle aboutit à la conquête. Cette circonstance tient, entre autres causes, au génie des deux races. Le Celte témoignait pour le bien-être matériel une indifférence qui n’était nullement partagée par le Saxon.
  22. Je m’étonne que les Anglais n’aient point encore profité, au point de vue de l’ethnographie, d’un art ou d’un commerce aujourd’hui répandu avec excès dans toutes les parties de la Grande-Bretagne : je parle du daguerréotype ou de la photographie. En choisissant avec goût les types individuels qui expriment le mieux les traits des anciennes races, on écrirait un excellent cours d’histoire iconographique. L’œil verrait ainsi naître de portrait en portrait comme d’âge en âge la nation anglaise avec les caractères primitifs des différentes familles humaines, les nuances intermédiaires auxquelles le croisement a donné lieu, l’action des races sur les races, en un mot la série des faits qui, continués et engendrés les uns des autres, ont constitué la population britannique.
  23. Je n’ai jamais rencontré dans les campagnes de l’Angleterre ces hêtres ou ces ormes taillés, ébranchés, accommodés, auxquels la main de l’homme impose, pour leur bien sans doute, toute sorte de formes ridicules. Le Saxon abandonne la nature à elle-même, et la nature s’en montre reconnaissante. Les arbres des parcs et des promenades, le chêne royal surtout, royal oak, ont un port hardi et une beauté inculte qui se trouve en harmonie avec l’ensemble des mœurs, des institutions et des faits.
  24. Les plus grands bâtimens construits jusqu’à ce jour, le Duc de Wellington, le Persia, le Great Britain, ne sont que des enfans auprès du Great-Eastern.
  25. Les roues à palettes et les machines travaillant à la plus haute puissance doivent réaliser une force de 11,500 chevaux. La consommation du charbon de terre employée à produire cette force locomotrice sera, selon les calculs des ingénieurs, de 250 tonnes par jour.
  26. Un de ces ouvriers est mort des suites de ses blessures ; une enquête fut faite par le coroner de Middlesex, et le jury rendit un verdict de mort par accident.
  27. Le Leviathan n’a point eu de modèles, mais il aura des imitateurs. Il est déjà question de construire d’autres vaisseaux d’une taille égale, sinon plus gigantesque encore, et de simplifier à l’avenir les travaux du launching en plaçant le chantier plus près de l’eau. C’est, comme on voit, toute une révolution dans l’architecture navale.
  28. Ces monumens sont rares, mais reconnaissables. Une des hautes montagnes de l’Ecosse est Rona ; au sommet se montrent les restes de plusieurs anciens monumens qu’on suppose être d’une origine norvégienne ou danoise. On a également découvert des crânes danois qui se distinguent par des traits de race.
  29. First impression of England and its people.
  30. Le Crystal Palace de Hyde Park, en attirant à Londres des curieux de toutes les nations, a exercé une influence sensible sur les mœurs ; il a rendu les insulaires de la Grande-Bretagne moins intolérans pour les coutumes et les modes étrangères. Depuis ce temps-là, l’Anglais est devenu, si l’on peut ainsi dire, moins Anglais.
  31. Les archéologues littéraires de la Grande-Bretagne ont recherché les origines du genre domestique. Les uns attribuent cette tranche de littérature à de Foë, d’autres la font remonter au temps de Charles II ; mais il est probable qu’elle est aussi ancienne que la nation anglaise.
  32. On appelle le houx le voyageur [the traveller), parce qu’il voyage de ville en ville et de village en village sur les charrettes ou entre les bras des marchands. Le laurier, dit une chanson populaire, convient à la veuve du soldat et aux poètes, le chêne est l’emblème des forts, le myrte plaît aux belles ; mais le houx, holly, est cher à tout bon cœur anglais.
  33. Shakspeare fait allusion dans Hamlet à cette croyance populaire.
  34. Sans doute la fête de Noël ne suspend point, comme par enchantement, toutes les souffrances et toutes les privations sociales, mais il existe jusque dans les villages des Christmas boxes, sortes de caisses d’épargne sur une petite échelle, et ad hoc. En plaçant dans ces banques d’approvisionnement quelques sous ou quelques shillings par semaine durant une partie de l’année, l’ouvrier se ménage les moyens de célébrer le grand jour dans la mesure de son salaire. C’est surtout la femme, c’est-à-dire la prévoyance, qui préside à ces petites économies.
  35. Le plumpudding est en quelque sorte le signe culinaire de la nationalité anglaise. Lors de la guerre de Crimée, des dames envoyèrent aux soldats des plumpuddings enfermés dans des boites d’étain, pour que ces exilés temporaires pussent communier, le jour de Noël, avec la patrie absente.