L’Ancienne Alsace à table/Édition 1877/10

Berger-Levrault et Cie (p. 275-310).
CHAPITRE X

Du service : rites de la table. — Tableaux de chevalet. — Parallélisme historique. — La vaisselle : poterie, faïence, porcelaine, verrerie, ustensiles culinaires ; l’étain, l’argenterie, les gobelets de famille, les vases d’honneur ; accessoires. — Le linge de table. — Décoration des salles de festin. — Ablutions. — Vilain usage emprunté à l’Angleterre. — La musique épulaire. — Offices et hiérarchie des fonctions de la cuisine. — Notabilités historiques. — Le cuisinier de Sturzelbronn ; le père Jundt ; M. Rieffenach ; Formis. — Les théoriciens et les écrivains. — Leur utilité. — Injustice de Brant. — Civilité de la table au quinzième siècle. — Ordonnance autrichienne de 1624. — Le code de politesse de M. Prévost. — Benedicite et grâces. — Progrès à rebours. — Dictons malséants. — Strasbourg offre un déjeuner à Pigalle. — Punition de l’ammeistre Melbrüh. — La cuisine dans ses rapports avec la mort. — le Lipfel. — Festins funéraires. — Coutume de Ferrette. — Coutume du Kochersberg. — Us de Montbéliard et de la Lorraine. — Veillée des morts à Cornimont. — Agrément de la peine de mort pour certaines autorités. — Collation in extremis des criminels de Strasbourg. — Les convives-fantômes. — Le cuisinier de la danse des morts. — Un organiste à qui la mort ne fait pas peur. — Promesse d’un entretien plus gai.


Ce n’est pas tout de savoir de quoi une nation se nourrit, comment elle apprête ses aliments, quels sont ceux qui ont le plus de crédit auprès de son goût. Il est intéressant aussi de connaître comment elle mange, dans quelle forme, avec quelles cérémonies. La table, comme les religions, a ses rites particuliers et consacrés ; toute doctrine se révèle dans un culte extérieur. Dans la matière que je traite, ce culte porte le nom de service, expression large et générale qui embrasse tous les soins, toutes les attentions, toutes les aisances dont l’homme a conçu l’idée de s’entourer pour donner de la couleur, de l’agrément et de la magnificence aux exercices épulaires. L’histoire des mœurs et même celle des progrès de la civilisation reçoivent par ce côté des éclaircissements qui ne sont pas à dédaigner. Tous les peuples sont forcés de manger, voilà en quoi ils se ressemblent ; mais rien n’est plus divers que les façons qu’ils mettent dans l’accomplissement d’une action si commune et si nécessaire. Louis XIV ne dînait pas comme le roi de Siam, et il y avait autant de différence entre le souper du maréchal de Richelieu et la collation vespérale d’un petit gentillâtre triboque, entre un repas du cardinal de Rohan et celui d’un paysan du Sundgau, qu’il peut y en avoir entre un lichen et un cèdre ou entre un bec de gaz et une étoile de dixième grandeur. Il en est de même de la diversité des usages sociaux.

Ces hommes, à la chevelure ardente ou blonde, accoutrés de vêtements aux couleurs sombres, dans lesquels reluit le scramasax pendu à un ceinturon de peau de buffle, qui siègent à une vaste table, dans la salle basse d’un château-fort, ce sont des guerriers mérowingiens qui dînent ; tout, autour d’eux, architecture, meubles, vaisselle, est lourd, à peine ébauché, barbare. Quelques siècles plus tard l’immense salle s’est élancée en hauteur sur de sveltes colonnes qui s’épanouissent, comme une ramée de pierre, en arceaux élégants ; les fenêtres en ogive attirent la riante lumière du soleil ; des bahuts à la riche sculpture, des dressoirs, des crédences, règnent le long des murailles ; une table géante supportée par des pieds artistement travaillés occupe le milieu de l’appartement ; des siéges de chêne sculpté, revêtus de cuir gaufré, sont disposés autour de la table ; les assistants sont parés de vêtements aux couleurs éclatantes ; la châtelaine et ses filles répandent un doux rayon de tendresse et de grâce sur cette scène vigoureuse ; vers la porte se tient un minnesinger ambulant récitant des lais et des ballades ; souvent il n’y a qu’un jongleur qui raconte des aventures, ou un baladin qui expose ses bouffonneries ; c’est une assemblée de gentilshommes alsaciens faisant festin, au temps de la féodalité. — Là, dans ce long réfectoire, qui regarde dans une cour solitaire à travers la pénombre du cloître, c’est un couvent qui dîne silencieusement ; des murailles blanches et nues, des hommes à la tête rase ou des femmes couvertes du béguin claustral, de simples bancs de bois, une table sans ornements, la bure monastique partout. Voici le gros bourgeois, le marchand, mangeant entouré de sa famille ; il siège dans un poêle (Stube) spacieux ; la vitre épaisse, enchâssée dans un réseau de plomb, tamise une douteuse clarté sur ce tableau allemand ; le mobilier massif qui décore l’appartement a traversé plusieurs générations et se transmettra à quelques-unes encore ; le linge est un peu grossier, mais qu’il est blanc ! La vaisselle est d’étain, mais qu’elle est claire et brillante ! les gobelets, les hanaps, les cruches, les canettes, ne sont que de gros verre, de grès, de bois, ou d’étain, mais que cette panoplie poculatoire est respectable et imposante par la générosité des formes et l’ampleur des dimensions ! Pas de luxe, point de vains simulacres ; l’aisance positive, le réalisme dans le bien-être. Plus bas, à mesure qu’on descend les degrés de l’échelle sociale, l’aisance se rétrécit, les choses et les gens deviennent plus maigres. Voyez ce pauvre artisan ; il a travaillé, peiné, sué tout le jour ; sa table trop étroite pour lui et pour son essaim d’enfants faméliques ne l’est pas assez pour que la misère n’y vienne prendre place ; elle est leur convive fidèle et assidu de tous les jours. Ils ne mangent point, ils se nourrissent seulement, et à peine encore. Pour eux, l’idée qu’il existe des gens qui apaisent, quand il leur plaît, leur faim et leur soif est l’idée du premier et du plus réel de tous les bonheurs. Les sobres philosophes qui font leurs trois repas entre deux soleils, taxeront sans doute cette pensée de paradoxale. Dans ce cas, je ne leur souhaite qu’une chose : c’est de prendre pendant quelques années la place de ceux qui doivent trouver si naturel et si commode d’endurer les clameurs d’un estomac vide.


Faire l’histoire des progrès que l’homme a introduits peu à peu dans l’administration de la vie domestique, montrer les révolutions qu’il a fallu traverser pour apporter dans son ménage et spécialement dans le service de sa table la discipline, le goût et le confortable que nous y voyons régner aujourd’hui, ce serait entreprendre un énorme labeur. Chacun peut mesurer par sa propre expérience ce que trente ou quarante années ajoutent d’améliorations, de nouveautés, de singularités au fonds des anciens usages. La conquête romaine, l’invasion barbare, l’infiltration continue des mœurs germaniques dans la masse de la population celtique, la prédominance de l’Église et le poids oppressif du régime féodal pendant la sombre époque qu’on a justement appelée les siècles de fer du moyen âge, la barbarie de la barbarie ; plus tard, les croisades, la lumineuse renaissance du treizième siècle, la rechute du quatorzième, l’invention de l’imprimerie, la découverte de l’Amérique et des grandes routes maritimes du globe, le réveil final des lettres classiques, la réforme religieuse, la guerre de Trente ans, la paix de Westphalie, le règne de Louis XIV, la domination de la philosophie au dix-huitième siècle, la Révolution et l’empire napoléonien, toutes ces grandes démonstrations sociales que le genre humain a saluées de ses acclamations ou marquées de son sang ont emporté ou apporté quelque chose de la vie familière et domestique. À chaque crise correspond une transformation de mœurs, la ruine de quelques vieux usages, l’introduction de coutumes nouvelles. Je ne crois pas qu’il soit possible de décrire dans son ordre chronologique cet incessant travail de décomposition et de recomposition des mœurs. J’en ai, selon les occasions qui se sont rencontrées, disséminé de nombreux traits dans les diverses parties de ce travail. Il est plus convenable de les laisser où ils sont, et où ils reçoivent de ce qui les environne la lumière qui les explique, que de les rassembler ici pour en former un froid système. Je ne donnerai donc quelques indications que sur des sujets non encore touchés dans cette étude.

La vaisselle et les instruments employés dans le service de la table ont de tout temps, chez les peuples civilisés, joué un double rôle ; un rôle de nécessité, d’utilité, et un rôle de luxe et d’agrément, un rôle décoratif proprement dit.

La poterie est presque aussi ancienne que l’homme lui-même ; c’est un art enfanté par le besoin. La vaisselle de terre cuite constituait anciennement, comme encore de nos jours, le service de cuisine et de table du peuple. Jusqu’au treizième siècle on ne connut que la poterie rouge, brute et rugueuse, rude au toucher et âpre à la lèvre. Un potier de Schlestadt, dont le nom est demeuré inconnu, possédait, en 1283, le secret de la revêtir d’un vernis ou d’une glaçure[1]. Cette industrie eut dès lors des sièges importants en Alsace, à Strasbourg, à Sufflenheim, à Haguenau, à Heimbach, à Wissembourg. Cologne et Coblentz fournissaient à notre province leur poterie de grès (Steingut) si renommée ; Batzendorf en produisit dès le dix-septième siècle. Les maisons riches tirèrent d’abord leurs faïences ou majoliques de l’Italie, puis de la France et principalement des fabriques de Nevers établies par Henri IV ; au dix-huitième siècle on en établit une manufacture à Haguenau. J’ai vu des faïences artistiques, plats, soupières, assiettes ; Marbach en avait un service très-original, dont il reste un échantillon que possède M. Bendelé à Eguisheim ; c’est une soupière qui figure une tête de chou ; elle est très-bien faite. La porcelaine était un objet de luxe suprême qu’on ne voyait guère que chez les Rohan, chez l’intendant, et chez les maréchaux qui commandaient dans la province. Elle venait d’abord d’Albrechtsburg en Saxe, plus tard de Saint-Cloud, de Vincennes, de Sèvres et du Limousin. La verrerie commune venait d’Allemagne et de Lorraine ; la verrerie fine était tirée à Venise ; on ne voyait que chez les riches et dans les occasions solennelles, les verres vénitiens, venedische Trinkglesser[2]. Les premières verreries alsaciennes datent du dix-septième siècle ; elles furent établies à Wildenstein, à Hahrberg, au Soldatental, au Hang, à Mattstall, à Wingen, à Gensburg. La batterie de cuisine, poêles, casseroles, chaudrons, petits ustensiles, etc., était confectionnée sur place, dans chaque ville, par les artisans indigènes. On ne connaissait pas alors ces grandes usines spéciales qui monopolisent tout un ordre de produits. Les objets en fonte, réchauds, marmites, fourneaux, étaient fournis par les fonderies du pays, notamment, depuis le dix-septième siècle, par celles de Zinswiller. Un inventaire de 1530 nous signale dans la cuisine du Hoh-Kœnigsbourg, parmi plusieurs objets indifférents, huit broches à rôtir[3] ; cet instrument dont la présence était commune chez nous au seizième siècle, au rapport des voyageurs, a presque été abandonné et ne reprend que difficilement le rang qui lui est dû.

Les chaudronniers ambulants sont bien anciens chez nous, comme on le voit par la singulière institution d’un fief des chaudronniers (Kesslerlehn) en faveur des Rathsamhausen[4]. Un pâtissier de Colmar, qui est un poëte original, Joseph Mangold, possède encore une partie des formes dont les sœurs des Unterlinden se servaient pour faire leur pâtisserie qui était réputée ; elles sont très-variées.

La vaisselle d’étain, assiettes, plats, soupières, gobelets, salières, cuillers, etc., dominait dans les maisons bourgeoises. Celle de Nuremberg était la plus recherchée. Pourtant, toutes nos villes de quelque importance avaient leurs potiers d’étain (Zinngiesser). Ceux de Strasbourg jouissaient de quelque renommée. Leurs produits se signalaient par un certain degré d’élégance et quelquefois même par des intentions artistiques ; j’ai vu d’anciennes pièces en étain, soupières, aiguières, canettes, d’un excellent cachet. Une des gloires de la ménagère, et le meilleur symptôme de son bon gouvernement, était de veiller à la netteté et à l’éclat de sa vaisselle. Montaigne remarquait déjà que, même dans les auberges, les Allemands « fourbissent beaucoup mieux la vaisselle qu’en nos hostelleries de France[5] ». Elle était toujours exposée et bien rangée sur de vastes desservants, généralement dans la cuisine, quelquefois sur des dressoirs dans le poêle. Du temps de Grandidier, on conservait dans les archives de l’évêché une partie de celle qui avait été à l’usage des membres du Grand-Chœur au quinzième siècle[6]. Les évêques de Strasbourg même furent quelquefois forcés de s’en contenter, comme il arriva à Robert de Bavière. Ses dissipations l’avaient tellement appauvri qu’il fut contraint, en 1448, de réaliser son argenterie et de la remplacer par un service en étain. Bientôt sa détresse arriva au point qu’il retira à sa domesticité et à ses officiers la vaisselle d’étain et leur en donna une plus économique encore, qui était faite de bois[7]. Lorsque Guillaume de Hohnstein dut faire son entrée à Strasbourg, en 1507, il demanda à la ville des ustensiles et la vaisselle d’étain nécessaires pour cette occasion ; la ville lui prêta de la batterie de cuisine, mais elle n’avait pas de vaisselle d’étain qui lui appartînt[8]. Jean de Manderscheid ne paraît pas avoir été toujours suffisamment pourvu de ce genre d’instruments, puisque, à l’occasion du voyage d’Élisabeth d’Autriche, femme de Charles IX, qu’il reçut dans son château de Saverne, en 1570, il demanda des suppléments de vaisselle d’étain aux abbés de Marmoutier et d’Altorf[9]. — Les princes de Wurtemberg qui régnaient à Montbéliard avaient organisé leur maison sur un pied si modeste que la vaisselle d’étain était la seule en usage à la cour, au seizième siècle encore[10], bien que le fait paraisse à peine croyable. Cela se peut pourtant, si l’on réfléchit que le château des archiducs d’Autriche à Ensisheim était réduit, à la même époque, à emprunter à la bonne société de cette résidence la vaisselle d’étain nécessaire pour le service de table des États provinciaux qui s’y tenaient. Le secrétaire de la ville, le docteur Rasser, M. l’abbé Vogel, le directeur de la monnaie, le docteur Scheppelin, trois veuves de jurisconsultes et plusieurs bourgeois envoyèrent à la régence leurs grands et petits plats, leurs assiettes, leurs canettes, leurs salières et jusqu’à leurs chandeliers de cuivre, dont il fut dressé un bon et fidèle état[11]. Les Antonites d’Issenheim étaient plus opulents, sous ce rapport, que les fils de la maison d’Autriche, car, en 1723, des voleurs enlevèrent de leur cuisine, pendant la nuit, deux quintaux d’étain[12]. Nos paysans du pays de Hanau, dans leurs noces gigantesques, sont souvent réduits à user du procédé employé par les archiducs, mais il est de règle de ne pas emprunter de couverts ; chaque invité apporte le sien dans sa poche.

L’argenterie était une grande somptuosité dans les temps anciens. Elle ne se rencontrait que chez les hauts dignitaires de l’Église, chez les princes, chez les gentilshommes éminents et chez les très-riches bourgeois. Elle était l’indice le plus certain de la supériorité sociale. Dès le quinzième siècle, elle ne devait manquer dans aucune grande maison[13]. L’évêque Robert de Bavière en possédait une très-belle qu’il fut forcé de vendre ; il s’y trouvait même des objets en or massif. Quelques bourgeois de Strasbourg en possédaient à la même époque aussi, puisque l’information officielle faite contre la noblesse de 1406 à 1419 nous révèle qu’un noble de Strasbourg fut convaincu de s’être introduit nuitamment dans la maison d’un bourgeois et de lui avoir volé son argenterie[14]. Quand on prit, en 1523, le château d’Ebernburg sur François de Sickingen, on y trouva de la vaisselle d’argent pour 10,000 florins, valeur énorme pour le temps[15]. Israël Münckel, le riche possesseur de mines vosgiennes, qui avait, à Strasbourg, un hôtel (Bergherren-Hof), était renommé pour sa précieuse argenterie formée, dit Buheler, de la manière la plus pure[16]. Au dix-septième siècle, les princes de Montbéliard ne mangeaient plus dans l’étain ; Léopold-Frédéric avait de l’argenterie, mais, à sa mort, en 1662, une partie de sa vaisselle était in partibus infidelium ; il l’avait mise en gage[17] pour avoir de quoi manger dans celle d’étain qui lui restait. Dans la plupart des maisons monastiques, les religieux, à l’exception de l’abbé et de quelques dignitaires, n’usaient que d’étain ; mais les couvents de chanoinesses, comme Andlau et Masevaux, étaient servis en argenterie ; les dames de Masevaux furent volées d’une notable partie de la leur dans l’année 1723[18]. Il va de soi que les cardinaux de la maison de Rohan effaçaient toute la province par la splendeur de leur service de table. Il le fallait bien ; ils tenaient une véritable cour, recevaient d’un bout de l’année à l’autre, donnaient des fêtes aux princes, aux grandes dames, aux dauphines et même au roi. Et puis Mme de Soubise avait été si belle, et l’évêché de Strasbourg était si gras ! L’or et l’argent reluisaient dans leurs palais comme à Versailles. « Il est connu », dit Beck en parlant d’Armand-Gaston de Rohan, « que ce prélat avait une argenterie des plus riches ; toutes les ustensiles, même celles de la cuisine étaient de ce métal[19] ». Il en perdit une quantité considérable dans le vol dont il fut victime en 1747, lors de l’étalage qu’il en avait fait pour la réception de la dauphine. Je pense que le préteur Klinglin avait eu l’esprit de se pourvoir convenablement aussi de cet élément indispensable à la dignité d’une grande maison. Peut-être que s’il avait duré, s’il n’avait pas été prématurément arrêté dans son essor de grand seigneur fantaisiste, lui aurions-nous vu faire un trait galant semblable à celui de ce duc de Savoie, bossu, qui, étant amoureux de sa belle-fille, lui donna une collation où toute la vaisselle d’argent était en forme de guitares à cause qu’elle en jouait[20].

Parmi les objets de luxe et les pièces d’argenterie qui s’étaient le plus répandus, il faut signaler les gobelets à boire, de vermeil et d’argent. L’on en trouvait dans toutes les maisons de la riche bourgeoisie ; ils se transmettaient presque comme un titre aristocratique, comme une preuve que la famille datait de loin et qu’il y avait longtemps qu’elle tenait un certain rang dans la cité. Beaucoup de nos contemporains conservent encore de ces coupes venant de leurs aïeux : j’en sais même qui n’ayant pas d’ancêtres à gobelets bien authentiques, achètent quelques coupes chez l’antiquaire et se font ainsi de force une généalogie apparente qu’ils jugent plus honorable que la leur. Le goût ou plutôt la vogue de ces vases a duré jusqu’à la Révolution. À Montbéliard chaque famille un peu aisée en possédait toujours un nombre au-dessus du nécessaire[21]. Les vieux Mulhousiens avaient poussé cette mode à l’excès, à en juger par un inventaire de 1587 qui nous apprend que deux frères Finninger étaient propriétaires de quarante-sept coupes d’argent.

Ce n’est encore rien en comparaison du Bâlois Sébastien Schrettlin qui invita une fois (1548) 300 personnes et les pourvut chacune d’un calice « volé aux églises catholiques ». C’était un fameux scélérat, ajoute le chroniqueur, et le juge rigoureux lui versera un jour sa récompense dans un autre calice[22].

Le corps de magistrature des villes possédait aussi de ces vases : c’étaient des présents des nouveaux élus. Cette vaisselle d’honneur jouait un rôle assez actif dans certaines cérémonies officielles, sans être dédaignée dans les conventicules intimes où les pères conscrits de la cité s’occupaient encore du bien public. Les comtes de Ribeaupierre en ont donné une série fort belle au corps de ville de leur résidence de Ribeauvillé. La municipalité moderne les conserve dans ses archives comme un souvenir historique ; ils méritent d’être vus ; plusieurs sont très-curieux, celui surtout qui a la forme d’un globe et qui retrace l’état de la géographie au commencement du dix-septième siècle[23]. Les mêmes archives possèdent aussi une douzaine de couverts d’argent provenant du château ; le manche de chaque pièce se terminait par la statuette d’un des douze apôtres ; ces pauvres couverts ont, comme nous-mêmes, subi les folles atteintes de la passion politique ; ils ont été décapités de leurs charmantes figurines, pour cause d’incivisme ! À Schlestadt, la Révolution se contenta de blâmer l’ancien usage des gobelets municipaux et reprocha à l’administration de les conserver. « Ils vendent les vases sacrés, mais ils conservent précieusement et se servent orgueilleusement eux-mêmes, dans leurs festins ou assemblées de villes, d’une quinzaine de grands vases ou gobelets d’argent purement profanes[24]. » Si cela se disait dès 1789, on peut juger que les vases n’existaient plus après 1792. Quelquefois, au lieu de recevoir des gobelets, les communautés en donnaient à leurs chefs, comme cela eut lieu à Sainte-Marie-aux-Mines, en 1665, « que la commune fit présent à M. le Stadtvogt, le jour de ses noces, d’un gobelet d’argent qui a pesé 34 onces et demie, suivant le billet de l’orfèvre[25] ».

Dans les accessoires du service de table, je trouve, outre les salières, dont il nous reste de si beaux spécimens, et les réchauds (Klutpfannen), « un instrument d’arjant ou d’estein à quatre logettes où ils mettent diverses sortes d’épiceries pilées[26] ». Ces épices étaient du safran, de la cannelle, du fenouil, de l’anis, de la muscade, du cumin, etc., dont chacun usait pour assaisonner la viande selon son goût. J’ai oublié de dire qu’aux quinzième et seizième siècles on se servait aussi de cuillers de bois à manche d’argent et que le Hortus deliciarum d’Herrad de Landsperg nous montre, au douzième siècle, des salières, des couteaux de table à manche d’ébène, des fourchettes à deux pointes ; mais ces objets ne sont destinés qu’au service général de la table ; les convives n’en sont point pourvus ; l’absence des cuillers est digne de remarque[27].

Je n’ai point trouvé de traces anciennes de l’huilier, qui ne peut être qu’une importation française, puisqu’il conserve encore dans l’Allemagne sa dénomination gauloise.

Je ne dirai qu’un mot du linge de table. Les Alsaciens ont toujours été très orgueilleux sur ce sujet. L’usage en est général dans la province, même chez les paysans et chez les pauvres, ce qui ne se voit pas communément en France. L’on faisait anciennement beaucoup de toile dans le pays ; les foires de Hatten étaient renommées pour ce commerce[28].

Saverne et Haguenau expédiaient leurs belles toiles en Suisse, déjà au quatorzième siècle[29]. Le linge de table de Giromagny était l’objet d’un commerce étendu avec la Lorraine, la Suisse et le Comté. On voit déjà figurer dans le Hortus de Herrad des nappes ou plutôt des tapis blancs à raies ou à carreaux jaunes, et d’autres tapis entièrement blancs ; une charte de 1340, relative aux droits de l’évêque de Bâle à Sierentz, nous informe que les cours colongères devaient fournir au prélat, lors de ses séjours, outre la vaisselle, des nappes blanches (Tischlachen) ; les bangards étaient chargés de les rendre en bon état de propreté « afin qu’on les prête d’autant plus volontiers[30] ».

La nappe est un progrès des siècles. Les anciens ne la connaissaient point, et il est plaisant de voir Perrault, dans la querelle des anciens et des modernes, nous trouver supérieurs aux Grecs et aux Romains, par cette raison que nous mettons des nappes sur nos tables, et qu’ils n’en mettaient point.

Les serviettes sont beaucoup plus jeunes. Montaigne « souffrait de la difficulté de n’avoir à table qu’un petit drapeau d’un demi-pied ». C’était, en effet, trop peu de chose, mais qui suffisait et au delà à la propreté des Suisses, « car le mesme drapeau, les Souisses ne le déplient pas seulement en leur dîner[31] ». Quand l’usage des serviettes raisonnables vint à se généraliser, on prit la peine de le remarquer. Le rédacteur du Götter-Both de 1674 nous révèle que l’on en donnait dans les auberges de Bâle[32] ; le mot est écrit en français ; la serviette est donc encore un des triomphes de la civilisation française. Les gens riches et les personnes de qualité qui étaient en bonne position de fortune achetaient leur linge de table d’apparat en Flandre ou en Saxe ; les maisons modestes se pourvoyaient dans le pays, et les gens du commun faisaient leur toile eux-mêmes. M. de Klinglin s’approvisionnait à Courtray. « Un jour, dit Beck, il me proposa un voyage à Courtray pour lui faire faire douze douzaines de serviettes plus larges que d’ordinaire et six nappes pour une table de vingt-quatre couverts, toutes travaillées à ses armes[33]. » La coutume ou plutôt l’art de plier le linge selon des formes diverses et compliquées faisait une partie essentielle du rituel des tables élégantes ; cet art était pratiqué en Alsace et l’est encore, sans que je puisse affirmer qu’il ait été poussé aussi loin qu’en France du temps de Henri III et de Henri IV, où l’on voyait le linge de table artistement plié en toutes sortes de formes de fruits, d’oiseaux, de monuments, etc.[34].

Quant on traitait avec économie, que l’on donnait un festin à des évêques, à des ambassadeurs, à quelque grand personnage enfin, il était d’usage et du bon ton de parer extraordinairement la salle où l’on mangeait.

Lors du renouvellement de l’alliance de Mulhouse avec la Confédération, en 1520, la ville invita les envoyés suisses à un grand souper sous l’Hôtel-de-Ville ; « la salle était entièrement ornée et tendue d’étoffes orientales et de riches tapis ; des crédences chargées d’argenterie la décoraient et le sol était jonché d’herbes fraîches[35] ».

Plus d’un siècle après, Moscherosch disait : « Que la table soit parsemée de fleurs et le planchier[sic] de feuillages et herbes odoriférantes et qu’outre cela on face un parfum d’oisselets de cipre, de mastix ou d’encens, de benjoin ou de bois de cannelle… Je ne vois plus rien qui nous manque sinon de l’eau de rose dans l’aiguière[36]. » Les ablutions préépulaires et postépulaires étaient jusqu’au commencement du dix-huitième siècle une cérémonie importante. Depuis cette époque, elles tombèrent en désuétude. Je lis dans un vieux livre qui traite de la politesse : « S’il arrive qu’une personne de qualité vous retienne à manger, ne demandez point à laver, si on ne vous présente le bassin, et ne lavez point avec elle, sans un commandement exprès… Ce n’est plus la coutume chez les personnes de qualité de présenter à laver, et ceux qui croient en avoir besoin, doivent sortir et se laver hors de l’appartement[37]. » Cela me paraît, en effet, plus propre et plus bienséant que de faire sa lessive en société. Je préfère pourtant cet ancien usage à celui que les Anglais nous ont imposé de se rincer la bouche à table. Celui-là me semble être le comble de la malpropreté et le plus malheureux emprunt que nous ayons pu faire aux mœurs britanniques. Le professeur de bienséance que je viens de citer en était déjà très-sagement révolté, il y a cent ans. Écoutez-le : « Il est aussi de l’incivilité de se rincer la bouche après le repas devant des personnes que nous devons respecter. Il n’y a que des gens grossiers et très-impolis qui puissent s’oublier jusqu’à rincer la bouche à table et à rejeter ensuite l’eau. Ce serait une impertinence de faire quelque chose de semblable devant des personnes à qui on doit du respect, et il est même malhonnête d’en user ainsi entre égaux[38]. » Voilà ce que le bon sens a toujours enseigné, et il ne suffit pas que les Anglais en soient fatigués pour que les Français se livrent à une opération aussi naturellement incivile que dégoûtante. Les Anglais font à table bien d’autres choses qu’ils n’ont pas encore eu le crédit de nous faire accepter comme propres et bienséantes.

Au nombre des coutumes louables, et qui ne peuvent donner que de la gaîté et de l’agrément aux repas, il faut placer celle dont les Anglais ne se sont jamais avisés, de faire de la musique dans les salles de festin. Tous nos grands banquets alsaciens en avaient invariablement. Le Magistrat de Strasbourg avait son corps de musique à lui (Stadtpfeifer) ; il ne mangeait jamais officiellement sans se faire en même temps régaler de quelques symphonies, et s’il se rendait à quelque festin où il était convié, sa musique l’accompagnait. Un des plus curieux emplois que j’ai vu faire de la musique est celui que nos chroniques signalent au banquet d’intronisation de l’évêque Guillaume de Hohnstein, en 1507. Chaque service était apporté en cérémonie et huit trompettes l’accompagnaient depuis la cuisine jusqu’aux tables, au bruit de leurs plus éclatantes fanfares[39].

Les offices dépendant, à ces titres divers, du service de la bouche étaient nombreux dans les maisons de distinction. En 1345, la cuisine de l’évêque de Bâle était gouvernée par trois fonctionnaires, Heintzinus de Grüne, Jean Curriparius et Guillaume Cellerarius[40]. Nos évêques, le comte de Hanau, le comte de Ribeaupierre, etc., avaient leurs maîtres d’hôtel ; c’étaient presque toujours des nobles, comme Jacques de Landsperg attaché, en 1507, à Guillaume de Hohnstein, et Érasme de Venningen qui était au service de la maison de Ribeaupierre au dix-septième siècle. Au-dessous d’eux venaient les cuisiniers opérateurs, l’échanson, le panetier, les marmitons, les femmes de service, les servants de table (Tafeldecker), le jardinier, le pêcheur, les chasseurs, tout un monde. Dans beaucoup de maisons monastiques, les moines ou les religieuses se choisissaient leur administration culinaire dans le personnel de la communauté ; mais chez les chanoines de Saint-Augustin, chez les Bénédictins et dans quelques autres ordres, la cuisine était régie par des laïques. Les abbés des grands monastères ne se mettaient guère en route sans leur cuisinier ; quand celui d’Einsiedlen venait à Sierentz, son cuisinier avait le droit de choisir dans le troupeau commun un bœuf ou un porc[41].

En 1763, la cuisine de Ribeauvillé était composée d’un chef français, d’un rôtisseur de la même nation, d’un second cuisinier et d’un pâtissier-confiseur, tous deux Allemands. Il y a loin de ces modestes exemples aux deux cent soixante-dix-sept cuisiniers que Parménion trouva, après la bataille d’Arbelles, dans la smalah de Darius.

Les Alsaciens ont toujours été d’assez bons cuisiniers. Ceux qui, de nos jours, vont faire leur stage dans les laboratoires célèbres de Paris, sont excellents et très-recherchés à l’étranger. Ils n’effaceront pourtant pas la mémoire de quelques notabilités historiques. Je n’en veux citer que trois ou quatre.

L’abbaye de Sturzelbronn avait, avant 1789, un cuisinier tellement habile que son art tenait du sortilège. Il avait réussi à supprimer le maigre, tout en respectant religieusement les prescriptions canoniques. Avec la chair de poisson affermie par un savant travail, concentrée par des procédés ingénieux et secrets, il créait des filets de bœuf, des longes de veau, des gigots de mouton, des civets de lièvre, des rôtis de chevreuil, tout ce qu’on voulait. La vue la plus fine et le goût le plus exercé ne trouvaient rien à reprendre à ses œuvres ; il avait mis ces deux sens si subtils sous le charme le plus absolu. L’illusion du gras perpétuel régnait toute l’année dans l’imagination des bons pères[42].

Quel est l’homme de cinquante ans qui n’a connu le père Jundt, le maestro du Poële-des-Vignerons de Strasbourg ? Il tenait la meilleure table de l’Alsace et de dix autres provinces. Tout ce qui savait le prix d’un dîner accompli, d’une cuisine artistique, tous les dilettanti de la bouche, généraux, députés, diplomates, académiciens, magistrats, descendaient dans cet Éden de la gastronomie. Une bonhomie antique, une rondeur de manières qui rappelait le siècle passé, un costume attardé de cinquante ans, une humeur joviale ; voilà le père Jundt. Il ne donnait que peu d’accès dans sa maison au luxe moderne et aux nouveautés ; toutes ses préoccupations étaient concentrées sur sa cuisine formée à la fois et d’une façon originale sur les traditions de l’ancien régime et sur les découvertes des temps nouveaux. Le père Jundt eût été aussi digne de servir un fermier général de Louis XVI que capable de travailler pour l’archichancelier Cambacérès[43].

L’ancien maître d’hôtel des Deux-Clefs de Colmar, un respectable vieillard qui est encore de ce monde, M. Rieffenach, était le modèle le plus parfait des administrateurs de ces grands hospices ouverts au plaisir et à la santé que nous appelons des hôtelleries. Une hospitalité du meilleur ton, une urbanité de gentleman, une noble générosité, des vins choisis et une table exquise faisaient de sa maison un lieu de plaisance où l’âme était aussi contente que le corps était bien traité. C’était de plus un des foyers de l’opposition alsacienne, sous la Restauration. La charte y a été célébrée plus qu’en aucun lieu de la France, et si le champagne bu à sa perpétuité avait été employé à arroser ses racines naissantes, les Bourbons régneraient encore. Le général Foy, Benjamin Constant, M. Barthe, Voyer d’Argenson, tous les beaux noms de l’époque, y ont prononcé des discours et tenu les grands jours du libéralisme français. Avant de gouverner les Deux-Clefs, M. Rieffenach tenait la Couronne à Wissembourg. Il y accomplit un de ces exploits de bravoure professionnelle qui est digne d’être sauvé de l’oubli.


C’était en 1815. L’Alsace était occupée par les troupes de la Sainte-Alliance. Le duc de Wellington avait ordonné une grande revue militaire à Reichshoffen ; une armée d’officiers devait être présente dans ce bourg. Le chef d’état-major du duc avait chargé M. Rieffenach de tenir prêt pour le jour de la solennité un banquet de quinze cents couverts. La veille du jour fixé, M. Rieffenach est à Reichshoffen ; le service, la vaisselle, les provisions, les vins, le dîner, tout est prêt, tout est en ordre ; il ne reste qu’un dernier coup de feu à donner ; le prince peut arriver avec ses quinze cents officiers. Dans l’après-dînée les invités du lendemain commencent à affluer ; Reichshoffen est inondé d’une troupe d’officiers exigeants et affamés ; ils réclament à dîner. M. Rieffenach se défend et se couvre du nom du généralissime. Il n’y a rien de disponible ; tout appartient au prince. Grand émoi. Quinze cents épées qui ont faim d’un côté, un pacifique maître d’hôtel bien pourvu, mais inflexible comme le destin, de l’autre, la situation était extrêmement tendue. Cependant le nom de Wellington contenait la sédition prête à éclater. Un incident bouleversa tout. Parmi les arrivants se trouvait un vieux major allemand, ancien commensal de la Couronne de Wissembourg. Il supplia si bien son hôte de ne pas le laisser mourir de faim, que M. Rieffenach condescendit à lui servir une volaille. Cet acte de partiale charité fit évanouir le charme du talisman dont M. Rieffenach s’était couvert jusque-là. La volaille octroyée au major devint le signal d’une révolte générale. Le dîner de Wellington fut pris d’assaut et pillé de vive force dans une heure. À trois heures, le chef d’état-major arrive et apprend aussitôt la belle équipée. Il mande M. Rieffenach. — Eh ! bien, monsieur le maître d’hôtel, où en sommes-nous ? — Votre Excellence doit savoir que je viens d’être pillé jusqu’à la dernière côtelette. — Cela importe peu ; si, demain, à l’heure fixée, l’état-major de l’armée du duc ne trouve pas son dîner prêt, vous ou moi, et peut-être tous les deux, nous aurons l’agrément de prendre le chemin du Hoh-Asperg. Réglez-vous là-dessus. — M. Rieffenach rêve une minute. — Votre Excellence m’accorde-t-elle les fourgons d’artillerie qui campent à l’entrée du village. — Je vous accorde tout, excepté de ne pas faire dîner le duc. M. Rieffenach, qui n’avait qu’un goût fort restreint pour le Hoh-Asperg, court à Strasbourg avec les fourgons militaires de la coalition, tombe comme une tempête sur les comestibles de toute sorte, les enlève et revient victorieux dans la nuit à Reichshoffen. Le même jour, à deux heures, le duc de Wellington et ses quinze cents officiers dînaient splendidement au château de Reichshoffen, et le noir fantôme du Hoh-Asperg délogea de l’imagination qu’il avait un instant assombrie.

Vatel, dont on a tant abusé, est bien pâle en face de ce trait héroïque qui dénote et la force d’intelligence et la foi en soi-même. Vatel se serait certainement percé de son épée à Reichshoffen ; l’état-major de Wellington en eût été bien avancé ! Mourir, c’est quelque chose, sans doute ; mais qu’est-ce que mourir de désespoir et dans un accès de frénésie ? Il faut que ce soit sur le champ de bataille ou pour accomplir un acte de son devoir, comme le pauvre marmiton qui fut brûlé à son poste dans l’incendie de la cuisine des Dominicains de Colmar en 1458[44], ou comme le cuisinier de Mme la princesse de Montbéliard, qui se noya dans le Doubs en 1657, en traversant cette rivière à cheval pour aller faire le dîner de sa maîtresse[45].

Enfin, il y aurait de l’ingratitude à ne pas citer Formis, l’ancien cuisinier de Félix Desportes, l’un des artistes les plus corrects et les plus vigoureux de la grande école française. L’imagination, la fougue, le coloris étaient ses dons particuliers ; ses œuvres avaient un caractère de grandeur romaine quasi-épique. C’était le Rubens de la cuisine.

L’Alsace a aussi ses écrivains-cuisiniers, ses théoriciens. Aucune province, assurément, n’en peut présenter autant. Notre littérature culinaire s’ouvre, au seizième siècle, par le traité qu’Anne Keller, femme de Jean-Jacques Wecker, médecin à Colmar, composa pour former d’honorables cordons-bleus ; elle dédia son livre à la princesse d’Orange. J’ignore où il a été imprimé, n’en ayant jamais vu d’exemplaire ; je soupçonne que c’est à Bâle, chez les Froben, où son mari faisait imprimer son traité de médecine, en 1585.

La deuxième grammaire gastronomique que je rencontre est celle de Bernardin Buchinger, abbé de Lucelle, chevalier d’église au Conseil souverain d’Alsace, homme grave et docte en toutes matières. Elle porta le titre de Kochbuch so für geistliche als auch weltliche Haushaltungen, c’est-à-dire, Livre de cuisine pour les ménages religieux aussi bien que pour les laïques. Ce traité a été imprimé à Molsheim en 1671[46]. Buchinger ne l’a pas signé ; sa dignité le lui interdisait ; l’auteur y prend la qualité de geistlicher Küchenmeister des Gotteshauses Lützel (cuisinier ecclésiastique du monastère de Lucelle). Le dix-huitième siècle ne fournit aucun monument ; il se pourrait pourtant qu’il en possédât et que je ne les connusse point. J’accepterais avec gratitude l’occasion qui me serait fournie de combler cette lacune regrettable, si, comme je le crains, c’en est une. Après la grande crise révolutionnaire apparaît le Cuisinier bourgeois de Buisson, restaurateur français qui s’établit à Strasbourg dans l’hôtel du maréchal Luckner, où il prit pour enseigne le mot allemand de Busch qui n’était que la traduction de son nom. Le Cuisinier bourgeois de Buisson fut composé en français, mais traduit et imprimé en langue allemande.

En 1811, paraît l’Oberrheinisches Kochbuch, à Mulhouse. Cet ouvrage a été composé par Mme Spörlein, femme d’un pasteur protestant ; il a été écrit sous sa dictée par un candidat en théologie, M. Müntz. Luther et Calvin ne pouvaient rester muets sur une matière qui avait été traitée par le clerc papiste de Lucelle. Voilà comme le monde s’enrichit. Ce livre a eu un succès populaire qui dure encore ; il en est aujourd’hui à sa huitième édition allemande et il en a plusieurs françaises. C’est le catéchisme de la cuisine protestante d’Alsace. Si quelques articles de foi paraissent un peu surannés ou voisins des vieilles superstitions, le fonds général de la doctrine est néanmoins très-sain.

À Strasbourg, l’imprimeur Heitz a publié, en 1826, un supplément au bréviaire de Mme Spörlein sous le titre de Nützlicher Hausschatz. Enfin, en 1862, Mulhouse a donné un nouveau manuel culinaire intitulé Die Feinere Kochkunst, par Louis Brauer.

Les écrivains-cuisiniers sont aussi nécessaires, plus nécessaires que les autres littérateurs ; ils nous font connaître la théorie du plus ancien des arts, car, comme l’a remarqué Brillat-Savarin, Adam naquit à jeun. La cuisine forme une branche du savoir humain ; elle a toujours eu une place dans l’encyclopédie universelle, sous le titre de res cibaria, res culinaria. Elle a eu ses docteurs, ses interprètes, ses savants dès les temps les plus reculés. Platon et Athénée nous ont conservé le nom de ceux qui, chez les Grecs, avaient écrit sur ce sujet ; la Gastronomie d’Archestrate était un chef-d’œuvre. Varron, Apicius, et beaucoup d’autres ont traité de l’art des confections culinaires dans la langue des dominateurs du monde. Des savants de la Renaissance, tels que Charles Estienne, ont fait des livres sur la science de nourrir le genre humain. Descartes ne voyait dans l’amour qu’un adjuvant à une bonne digestion. « Je remarque, dit-il[47], en l’amour, qu’on sent une douce chaleur dans la poitrine et que la digestion des viandes se fait fort promptement dans l’estomac, en sorte que cette passion est utile pour la santé. » Berchoux nous a laissé le poëme de la Gastronomie. Le Pâtissier français de 1655, un elzévir introuvable, était le plus précieux bijou de la bibliothèque de Charles Nodier. L’Art de la cuisine française au dix-neuvième siècle, en 5 volumes in-8°, s’il vous plaît, par Carême, chef des cuisines de la maison Rothschild, cette sixième grande puissance de l’Europe, et Plumery, cuisinier du prince de Talleyrand, est une véritable école normale, la Somme définitive de cette science et bien plus utile que celle de saint Thomas d’Aquin. Enfin, existe-t-il une création littéraire plus charmante, plus originale, plus spirituelle que le livre de Brillat-Savarin, si rempli d’érudition et de goût, si parfumé de douces consolations et de bonne philosophie ? Quand nous serons devenus à notre tour l’antiquité, dans une vingtaine de siècles, que l’humanité d’alors n’aura que faire de nos sciences à peine naissantes, les méditations de Brillat-Savarin seront un des quatre ou cinq volumes qu’on lira encore quelquefois, tandis que je suis bien sûr que personne n’ouvrira plus la Chimie de Gay-Lussac, ni le Répertoire de Dalloz.

Notre satirique Sébastien Brant a donc eu tort de placer un cuisinier dans sa Nef des fous. Il devait y mettre tous ceux que nous y voyons, depuis les méchantes femmes jusqu’aux astrologues ; mais il devait se garder de faire figurer dans sa Narragonie (pays de la folie) et d’affubler du bonnet de la démence le représentant de l’art qui console des impuissances et des déceptions de tous les autres. Si Brant avait connu les charmes de la dinde truffée, des délices de la carpe à la Chambord ; s’il avait aspiré la suavité d’une meringue à la vanille, trempé sa lèvre aux liqueurs qui furent inventées pour faire vivre plus longtemps Louis XIV ; s’il avait goûté les voluptés de la fève arabique et du havane qui mélangent si doucement la pensée et le rêve ; si Brant avait su qu’une reine d’Angleterre laisserait son nom à un grand nombre de préparations et qu’on dirait after queen’s Ann fashion, comme on dit la soupe à la Rumford ou l’artillerie à la Gribeauval ; s’il avait pu deviner que Potemkin offrirait à la grande Catherine un oulkâ ou potage de sterlets (Accipenser ruthenus) qui coûterait 60,000 francs, il aurait parlé plus avantageusement du cuisinier et n’en aurait pas laissé le portrait que voici :

« Quand nos maîtres sont absens, nous nous gaudissons et faisons bombance à leurs dépens, avec les amis que nous invitons par-dessus le marché. Ah ! quelles bonnes accolades nous donnons aux cruches, aux bouteilles, aux dames-jeannes ! Lorsqu’ils sont couchés, nous visitons leur meilleur vin, et nous guidons les uns les autres pour regagner silencieusement nos lits ; si nous trébuchons en chemin, nos bons maîtres mettent ce bruit sur le compte des chats qui vaguent par la maison. Nous ne nous oublions pas non plus à la cuisine, nous prenons les morceaux de choix pour notre usage. — Allons, maître-queux, grillez-moi un bon boudin, dit le sommelier, et en récompense j’étancherai votre soif. Et ce n’est que justice : car quand nous mourrions de faim, nous passerions néanmoins pour avoir succombé à notre gloutonnerie. » Et le moraliste ajoute : « Le cuisinier et le caviste sont rarement à jeun et leur puissance d’absorption est infinie ; l’un est le grand traître de la cave, l’autre est le rôtisseur du diable qui prend déjà, à la chaleur de ses fourneaux, un avant-goût du feu éternel que lui réserve l’autre monde[48]. »

Puisque j’ai Brant sous la main, j’en profiterai pour mettre sous les yeux de mes lecteurs le tableau assez vivement enluminé qu’il a tracé de la rusticité, de l’incongruité des habitudes de table des paysans alsaciens de la fin du quinzième siècle. Il n’a pas fallu moins de trois siècles et demi, et je ne sais combien de guerres, de révolutions et d’éditions du Galanthomme pour raboter cette profonde couche d’incivilité jusqu’à l’épaisseur qui en subsiste encore aujourd’hui. « L’on appelle fous grossiers ceux qui se mettent à table sans se laver les mains et qui prennent sans gêne les places réservées à d’autres, ceux qui s’avisent de mettre les premiers la main aux plats et de se remplir le museau avant que les autres aient commencé. Voyez celui-ci ; il est tellement pressé de manger qu’en soufflant sa soupe il enfle ses joues comme s’il se préparait à enfoncer la grange de son voisin ; celui-là remet au plat ce qu’il a laissé choir ; un autre porte le nez à tous les mets ; cet autre s’engoue à force de boire rapidement ; celui-ci a si goulûment entonné que son nez est transformé en fontaine à vin. En voici qui ont la bouche tellement remplie qu’on la croirait bourrée de paille et ils roulent les yeux en tous les sens, comme des singes. Je n’approuve point qu’on fasse du bruit en buvant, ni qu’on tire le vin à travers les dents ; ces bruits sont fâcheux. Il en est qui font autant de vacarme en buvant que les vaches en rentrant du pâturage. S’essuyer les doigts à la nappe, s’accouder, se balancer, remuer la table, mettre les quatre quartiers sur la table comme la fiancée de Geispolsheim, maculer son pain avec les sauces, prendre du sel avec son couteau qui a servi on ne sait à quoi, au lieu de le prendre avec les doigts, sont des actions messéantes ; je pourrais faire une légende complète, une véritable Bible de ces vilains usages[49]. »

Les détracteurs de la démocratie mettront sans doute cet amas de malhonnêtetés au chapitre du passif des mœurs populaires, et diront dédaigneusement qu’il a toujours été à peu près impossible d’acclimater des usages décents et polis dans les classes inférieures de la société. J’ai de quoi les rendre modestes et leur prouver que les gentilshommes ne portaient pas plus de finesse et de décorum dans leurs façons que les rustres du Kochersberg ou du Sundgau. Une ordonnance autrichienne de 1624, ayant force et vigueur dans le landgraviat de la Haute-Alsace, contient des règles de conduite à l’usage des cadets ou jeunes officiers qui étaient invités à dîner chez un archiduc d’Autriche.

Qu’on juge quelles ont dû être les belles manières de la noblesse de l’empire des Habsbourg, en ce temps-là, s’il était nécessaire de faire les prescriptions suivantes. « Son Altesse Impériale et Royale ayant daigné inviter plusieurs officiers à sa table, comme j’ai eu maintes fois occasion de remarquer que la plupart des officiers observent entre eux la plus grande courtoisie et bienséance et se conduisent en véritables et dignes cavaliers, ce néanmoins je dois signaler à l’attention des cadets qui ne sont pas encore suffisamment rabotés, la mesure régulaire suivante :

« 1° Présenter ses civilités à Son Altesse en tenue propre, habits et bottes, et ne point arriver à moitié ivre ; 2° à table, ne point se balancer sur sa chaise ou étendre ses jambes tout du long ; 3° ne pas boire après chaque morceau, sans cela on se soûle trop vite ; ne vider, après chaque plat, le hanap qu’à moitié, et avant de boire, s’essuyer proprement les moustaches et la bouche ; 4° ne pas mettre la main dans le plat, ne point jeter les os derrière soi ou sous la table ; 5° ne point se lécher les doigts, ne point cracher sur l’assiette, ni moucher dans la nappe ; 6° ne point hanaper trop bestialement au point de tomber de sa chaise et de ne pouvoir marcher droit devant soi[50]. » Quand les soldats de Gustave-Adolphe et du cardinal de Richelieu n’auraient servi qu’à dégrossir de pareils malotrus, la guerre de Trente ans se trouverait suffisamment justifiée.

Que la politesse et les bienséances, dans le degré de nette simplicité, de correction et de bon ton auquel nous les voyons aujourd’hui parvenues, aient été lentes à s’établir et surtout à pénétrer dans toutes les parties du corps social, c’est ce dont on ne peut douter. L’imprimeur Amand Kœnig, de Strasbourg, a édité, en 1766, des Éléments de politesse où nous pouvons voir comment la civilité était entendue du temps de Mme Dubarry[sic]. L’auteur de ce livre est un M. Prévost. Nous emprunterons à notre professeur de belles manières, sur la conduite à tenir à table, une double série de recommandations et nous nous étonnerons autant de ce qu’il prescrit que de ce qu’il prohibe. Voici les étrangetés qu’il conseille d’éviter : « Ne poussez point du coude ceux qui sont proches ; ne vous grattez point ; ne mettez point la main aux plats avant que celui qui est le plus considérable ait commencé ; ne témoignez par aucun geste que vous avez faim et ne regardez pas les viandes avec une espèce d’avidité, comme si vous deviez tout dévorer ; qui que ce soit qui distribue les viandes coupées, ne tendez pas précipitamment votre assiette pour être servi des premiers ; quelque faim que vous ayez, ne mangez pas goulûment, de peur de vous engouer ; ne mettez pas un morceau à la bouche avant que d’avoir avalé l’autre, et n’en prenez point de si gros qu’il la remplisse avec indécence ; ne faites point de bruit en vous servant ; n’en faites point non plus en mâchant les viandes, et ne cassez point les os, ni les noyaux avec les dents ; ne mangez pas le potage au plat, mais mettez-en proprement sur votre assiette ; ne mordez pas dans votre pain ; ne sucez point les os pour en tirer la moelle ; il est très indécent de toucher à quelque chose de gras, à quelque sauce, à un sirop, etc., avec les doigts, outre que cela vous oblige à deux ou trois autres indécences, l’une d’essuyer fréquemment vos mains à votre serviette et de la salir comme un torchon de cuisine, l’autre de les essuyer à votre pain, ce qui est encore plus malpropre, et la troisième de vous lécher les doigts, ce qui est le comble de l’impropreté ; gardez-vous bien de tremper votre pain ou votre viande dans le plat, ou de tremper vos morceaux dans la salière ; ne présentez pas aux autres ce que vous avez goûté ; tenez pour règle générale que tout ce qui aura été une fois sur l’assiette ne doit point être remis au plat, et qu’il n’y a rien de plus vilain que de nettoyer et essuyer avec ses doigts son assiette et le fond de quelque plat ; pendant le repas, ne critiquez pas sur les viandes et sur les sauces, ne demandez point à boire le premier, car c’est une grande incivilité ; évitez soigneusement de parler ayant la bouche pleine ; il est incivil de se nettoyer les dents durant le repas avec un couteau ou une fourchette[51]. » Tel est le plus gros des règles d’abstention. Passons maintenant à ce qui est du bel air, en fait d’action, selon notre Aristarque. « En vous plaçant à table ayez la tête nue ; essuyez toujours votre cuillère, quand, après vous en être servi, vous voulez prendre quelque chose dans un autre plat, y ayant des gens si délicats, qu’ils ne voudraient pas manger du potage où vous l’auriez mise, après l’avoir portée à la bouche ; joignez les lèvres en mangeant pour ne pas lapper comme les bêtes ; que si par malheur vous vous brûlez, souffrez-le patiemment si vous pouvez ; mais si vous ne pouvez pas le supporter, prenez proprement votre assiette d’une main, et la portant contre la bouche, couvrez-vous de l’autre main et remettez sur l’assiette ce que vous avez dans la bouche, que vous donnerez par derrière à un laquais, car la civilité veut bien qu’on ait de la politesse, mais elle ne prétend pas qu’on soit homicide de soi-même ; la bienséance demande qu’on porte la viande à la bouche d’une seule main, et pour l’ordinaire de la droite, avec la fourchette ; quand on a les doigts gras, il faut les essuyer à la serviette et jamais à la nappe, ni à son pain ; observez de ne jamais rien jeter à terre, à moins que ce soit quelque chose de liquide, encore est-ce mieux fait de le remettre sur l’assiette ; ne goûtez point le vin, et ne buvez point votre verre à deux ou trois reprises, car cela tient trop du familier, mais buvez-le d’une haleine et posément, regardant dedans pendant que vous buvez, je dis posément, de peur de s’engouer, ce qui serait un accident fort malséant et fort importun, outre que de boire tout d’un coup, comme si on entonnait, c’est une action de goinfre, laquelle n’est pas de l’honnêteté ; il faut aussi prendre garde en buvant de ne pas faire du bruit avec le gosier pour marquer toutes les gorgées que l’on avale, en sorte qu’un autre pourrait les compter. »

En ce temps-là, c’était encore l’usage de manger la tête couverte. On ne se découvrait qu’au benedicite et au moment où l’on se plaçait à table ; quand tous les convives avaient pris séance, chacun mettait son chapeau. On ne l’ôtait plus, dans le cours du repas, à moins qu’on ne portât une santé ; alors on se tenait debout et découvert ; mais cela n’était de mise que chez les personnes de la plus haute qualité, « car pour celles qui ne sont pas si éminentes et entre lesquelles il y a peu ou point de différence, il ne faut pas violer la maxime de la table, qui est de ne point se découvrir, l’usage l’ayant tellement établi, que l’on passerait pour un nouveau venu dans le monde d’en user autrement ». On se découvrait aussi lorsque la personne chez qui l’on était invité vous adressait la parole et lorsqu’on lui répondait, et on en usait ainsi jusqu’à ce qu’elle le défendit expressément. Enfin on se découvrait en se levant de table et pendant qu’on disait grâces.

La prière avant et après le repas n’était jamais négligée ni chez les catholiques, ni chez les protestants ; elle était une constante habitude dans l’intérieur des familles, aussi bien que dans les festins publics. Dans les monastères elle s’étendait parfois en un formulaire assez compliqué. J’ai déjà fait connaître le Liber benedictionum de Saint-Gall[52]. Le Benedicite des capucins de Colmar donnera une idée des impressions terrestres qui pouvaient se mêler à ces actes de dévotion. « Si vous avez des aliments savoureux et agréables, que votre âme se reporte vers la bonté céleste, en se disant : Ô Seigneur que ton esprit est suave ! ou bien : Que tes paroles sont douces à ma bouche ! Si, au contraire, on te sert des mets insipides et fâcheux, songe au repas suprême du Christ, et que l’homme ne vit pas seulement de pain terrestre, mais de toute parole venant de Dieu[53]. »

Anciennement les domestiques mangeaient à la même table que leurs maîtres, excepté dans la noblesse. Dans la bourgeoisie c’était la règle. Du temps de Louis XIV, les repas, en Alsace, se faisaient en commun, comme le travail. Le maître était assis au haut de la table, sa femme à droite, ses fils à gauche, les filles à côté de la mère, puis les domestiques. Au milieu du dix-septième siècle encore, les valets, les servantes, les couturières et les laveuses prenaient leur repas à la même table qu’un ammeister de Strasbourg ; on ne les exilait pas même à la cuisine si l’ammeister avait invité un étranger à dîner. Ils mangeaient de tous les plats qu’on servait, soupe, légumes, viande, rôti. On ne connaissait pas le dessert comme pratique journalière ; tout au plus le dimanche il y avait des gâteaux frais, et chaque domestique alors en recevait un avec un verre de vin[54]. Chose singulière ! depuis que les principes d’égalité sont admis comme un dogme social, les domestiques sont relégués à manger dans la cuisine, même chez les petits bourgeois. Il est vrai qu’autrefois les domestiques s’élevaient par l’affection, la fidélité, le dévouement et la longueur des services, presque au rang de membres de la famille, tandis que de nos jours ils ne sont guère que des industriels de passage dans nos maisons, et les traversent à la hâte pour voler à la caisse d’épargnes.

Cependant, déjà dans les temps anciens, il leur arrivait parfois de desservir désagréablement leurs maîtres, comme le firent les gens de la suite de l’empereur Ferdinand Ier, dans son voyage d’Alsace en 1555, où ils se permirent de forger une litanie qui irrita les habitants de plusieurs de nos cités. Rassemblant les souvenirs du traitement que la cour avait reçu dans six villes impériales de la province, ils caractérisaient ainsi l’hospitalité qui leur avait été donnée :


À Landau (liederlich) pitoyablement ;
À Wissembourg (nachgiltiglich) passablement ;
À Haguenau (demütiglich) humblement ;
À Strasbourg (prächtich) magnifiquement ;
À Schlestadt (baurisch) rustiquement ;
À Colmar (freundlich) amicalement[55].


Il semble que les gens et les courtisans de l’empereur aient été fort sujets à leur bouche. Ils avaient bonne grâce de censurer les réceptions qu’on leur avait faites, eux qui servaient une maison qui marchandait la dépense faite par la régence d’Ensisheim en 1583 pour héberger Frédéric de Wurtemberg et prescrivait de ne plus traiter aucun personnage ni prince sans un ordre émané d’elle[56].

La ville de Strasbourg était moins parcimonieuse ; elle régalait, au contraire, très-volontiers les étrangers de distinction et les fonctionnaires royaux.

Quand Pigalle vint, en 1776, poser le monument de Maurice de Saxe à Saint-Thomas, la chambre des XIII délibéra, sur la proposition du préteur, de témoigner sa reconnaissance à M. d’Angevilliers par un présent de cent bouteilles de vin du Rhin, et de faire à l’artiste la galanterie d’un déjeuner, eine Galanterie von einem déjeuné, dit le protocole en son allemand quelque peu welche[57].

Si la république était libérale à faire des cadeaux, elle n’entendait pas que ses dignitaires en reçussent. L’ammeister Jean Melbrüh, qui avait accepté un envoi de gibier de la part d’un prince, fut condamné en 1458 à une forte amende et à la privation infamante des honneurs funèbres[58].

Ce souvenir m’amène à envisager la cuisine dans ses rapports avec la mort. Je ne dirai rien des anciens, les cérémonies de leurs funérailles et leurs idées sur la fin de la vie humaine sont trop connues. Elles ne sont pas, d’ailleurs, de mon sujet. Ils redoutaient toutefois moins que nous d’aller souper chez Pluton. Les vieux Germains aussi considéraient le trépas avec peu d’effroi, grâce aux espérances solides que contenait le Walhalla. Comment se fait-il que le christianisme, cette religion toute d’esprit, de douces consolations, d’une si vivante confiance dans la miséricorde de Dieu, ait tant assombri la mort et lui ait donné un si lugubre cortège ? Cela pourrait bien venir de la terrible poétique qui a présidé à la liturgie mortuaire et par conséquent de la prépondérance qui a été donnée au culte extérieur sur la pensée intime, à l’imagination sur le sentiment, à la figure sur le verbe. Nos mœurs, développées sur les deux rameaux latin et germanique, ont retenu assez de leur sève originale pour que les antiques traditions épulaires s’y pussent allier aux impressions luctueuses et que la table de festin ne fit point scandale au milieu de l’appareil des obsèques. La mort eut ses agapes comme la vie.

Au moyen âge, ces banquets portaient en Alsace le nom de Lipfel[59]. Ils étaient presque toujours une occasion de folles dépenses et d’ostentation. Plus on voulait honorer le défunt et montrer l’étendue de la perte qu’on avait faite, plus on agrandissait la table et on la chargeait de plats gigantesques et de hanaps monstrueux. Ces festins dégénérèrent en de si violentes orgies que le Magistrat de Strasbourg les interdit sévèrement au milieu du quinzième siècle[60], bien longtemps avant la Réforme. La scandaleuse dispute de l’Ultimum vale entre les ordres mendiants et le clergé paroissial (Leut-priester, plebani) ne fournissait que trop de motifs pour frapper ces saturnales que les excès, l’ivresse, la gaîté et les bouffonneries revêtaient de je ne sais quel air sacrilège et satanique.

Jérôme Gebwiler a remarqué l’importance des repas d’enterrement à son époque, chez nous[61]. La Coutume de Ferrette, rédigée en 1567, les réglemente dans les dispositions suivantes : « Comme il était d’usage jusqu’ici que, lors des services funèbres célébrés pour un défunt, tous les habitants d’une commune, après avoir été à l’église, se donnaient rendez-vous dans les auberges et faisaient de fortes dépenses à la charge des communes, nous disposons pour l’avenir : quand une personne jeune ou vieille vient à mourir, et qu’il s’agit d’assister à son service funèbre, les habitants du lieu seront tenus par esprit de dévotion et de charité d’aller à l’église et de prier Dieu pour le repos de l’âme du trépassé ; à l’issue du service chacun devra retourner chez soi et à son travail. S’il arrivait que les héritiers du défunt fissent préparer un repas pour les prêtres, soit chez eux, soit à l’auberge, il leur sera permis d’admettre à la même table six convives de leur choix et de leur servir un repas qui ne dépassera pas le nombre de quatre plats. Après le repas, qui ne pourra durer plus d’une heure et demie, chacun devra retourner chez soi. Celui qui invitera plus de six personnes à ces repas, paiera par chaque personne en sus, à la seigneurie, une livre, et à l’église cinq schillings. S’il arrivait, comme cela a eu lieu jusqu’ici, que toute la commune fût réunie, il ne devrait être fait aucune dépense sur les fonds communaux, et les héritiers du défunt ne devraient y contribuer pour rien, à peine d’une amende de cinq livres à payer par la commune, et d’une livre et dix schillings à payer par les héritiers s’ils y ont contribué[62]. »

Les festins funéraires se sont conservés dans nos campagnes, et jusqu’à présent il n’y a nulle apparence qu’on songe à les extirper des habitudes nationales. Un observateur de notre temps a fait ce tableau des repas d’enterrement en usage dans le Kochersberg :

« De même qu’aux noces, la vaste parenté se réunit après la mort d’un membre de la famille pour lui rendre les derniers devoirs ; elle est convoquée souvent de loin à la ronde ; les uns arrivent à pied, les autres en voiture, et la maison mortuaire s’emplit d’hommes et de femmes, tous habillés de noir. Des témoignages de condoléance, des plaintes, des pleurs se succèdent ; le cortège funèbre se dirige en priant à l’église et au cimetière, et quand la bénédiction est prononcée sur le défunt, quand les sanglots et les cris de douleur ont retenti sur la tombe, quand tous les assistants ont jeté un dernier regard dans la fosse, tout le monde rentre dans la maison mortuaire. Là on trouve les tables dressées dans la grange, même dans la chambre où quelques heures auparavant gisait le cadavre, et le festin funéraire commence pour finir très-souvent, sous l’influence des libations trop répétées, par les démonstrations bruyantes d’une gaîté déplacée et même par des rixes. Triste contraste, usage barbare, qui jure autant avec les sentiments d’affection qu’avec le respect dû aux morts, et qui n’a pas même ce cachet du mépris de la mort que portent les fêtes funèbres de l’antiquité[63]. »

Cette coutume existait aussi dans le pays protestant de Montbéliard, et les obsèques des princes n’étaient pas plus exemptes de ces mangeries que l’humble inhumation du paysan. « J’eus l’honneur, dit le conseiller Perdrix, d’assister aux funérailles de S. A. et de souper au château où le peu d’ordre qu’il y avoit en rendit beaucoup de mécontents[64]. »

Les repas funèbres sont pareillement pratiqués dans la Lorraine vosgienne : « On a conservé dans les campagnes la coutume de donner un repas funèbre dans la maison mortuaire aux parents et aux amis qui ont assisté à l’enterrement. Ces tristes agapes étaient autrefois d’une grande simplicité ; on n’y servait pas de vin ; — aujourd’hui il n’est pas rare de voir, dans ces réunions, chacun, le verre à la main, boire tant et si bien qu’on semble avoir totalement oublié celui dont on vient de déplorer la perte… En 1614, c’était encore l’usage à Remiremont de porter et de laisser sur les tombeaux du pain, du vin, du sel et autres choses qui ressentent les superstitions et vanitez des Gentils, dit l’ordonnance de réformation[65]. »

À Cornimont, dans la vallée de la Bresse, on a encore renchéri sur ces singuliers usages. La jovialité des Lorrains trouve moyen de s’exercer jusque dans les veillées des morts. « On se livre près du lit mortuaire à une folle joie et à des jeux bruyants excités par une grande quantité de tranches de pain grillées et trempées dans du vin chaud, et de liqueurs fortes[66]. »

L’exécution des criminels était même, dans certaines contrées, une occasion de profits gastronomiques. À Montbéliard, les ministres, le maire, les neuf bourgeois jurés et les quatre chesels recevaient pour salaire de leur assistance au supplice des condamnés, chacun : 1 franc 10 gros et 2 blancs, plus quatre channes de vin, une livre de figues et une livre de raisins secs. Le greffier, le tue-chiens et les autres agents subalternes touchaient aussi quelques gros et quelques channes de vin. Les neuf bourgeois se rendaient, en outre, au cabaret et y dépensaient communément trois florins à la charge de la ville[67].

Je ne pense pas que chez nous l’on ait eu l’idée de régaler les autorités qui avaient vu décapiter, noyer, pendre ou brûler des misérables. La bonhomie germanique avait un meilleur cours. Elle s’émouvait de pitié et avait un tressaillement de charité pour le malheureux que la loi dévouait au supplice. Lorsqu’on menait le condamné au Galgenbühl, hors de la porte de Saverne, à Strasbourg, on lui faisait faire en chemin une station dans la maison des pauvres pécheurs (Armensünderhaus), et là on lui servait une collation suprême pour l’affermir contre l’horreur de la mort. Plus loin, dans une chapelle, un prêtre disait la dernière messe, la messe des morts, pour l’homme déjà retranché de la vie, et il recevait en retour de ce pieux office rendu à l’agonisant, un dîner[68] que le Pfennigthurm payait.

Celui qui parcourrait nos vieilles légendes verrait que les trépassés pensaient au delà de la tombe aux festins que nous faisions sans eux. Quelquefois, ils revenaient de l’autre monde pour les troubler et répandre l’épouvante parmi leurs ennemis dont ils n’avaient pu se venger pendant leur vie, comme le fit le chevalier Jean de Westhausen à la curie noble de la Haute-Montée[69]. D’autres fois ils venaient mêler leur pâle et froid sourire dans les chaudes joies d’une compagnie d’amis ou de parents, comme il arriva à ce jeune chevalier, moissonné avant l’âge, et qui sortit de son linceul pour servir au festin de noces de son ami[70].

Enfin, la danse des morts elle-même eût paru incomplète et avoir oublié un élément essentiel de la société, si le personnage du cuisinier n’avait distinctement figuré dans la funèbre sarabande. Le vieux Holbein lui a donné une place dans la fresque saisissante dont il épouvanta, à Bâle, le moyen âge finissant. Ouvrez le Basler-Todtentanz[71] ; après la femme païenne et avant le pauvre paysan courbé par l’âge, vous verrez l’ironique squelette appréhender au corps la forme réjouie, grasselette et bien portante d’un praticien du grand art. La recrue se fait un peu prier, non pas qu’elle rechigne devant le pas aventureux que toute existence sautera un jour ou l’autre, mais parce qu’elle est un peu obèse et chargée de l’attirail de son métier. La mort soulage le pauvre cuisinier en portant sa broche, où fume encore une volaille dodue et appétissante. Il me semble que nulle part la mort n’a revêtu une physionomie plus satirique et plus facétieuse ; le maigre squelette triomphe d’emmener le gros bonhomme :


Allons, viens, Jean, il faut partir ;

Que tu es gras ! c’est à peine si tu peux marcher ;
Les douces friandises que tu as si longtemps préparées,

Vont se tourner en amertume pour toi ; il faut partir.

À quoi, Jean répond :

J’ai rôti pour la table de mon maître

Chapons, oies, poissons,
Venaisons, pâtés et marcipan :
Ô malheur à mon ventre !

Il faut donc quitter la vie !

L’église de Colmar avait à son service, il y a vingt-cinq ans, un organiste qui envisageait la mort plus philosophiquement que ne le fait le grand-queux du poëme macabre de Bâle. À la vérité, il s’agissait de la mort des autres. Cet organiste était plus de l’école de Rabelais que de celle de Sébastien Bach, et mettait sans façon Chevet au-dessus de sainte Cécile. Quand il entendait sonner le glas d’un décès, il dressait l’oreille et écoutait la mélodie. Si la sonnerie était riche, bien étoffée, M. Vonesch, qui avait un appétit à la Louis XIV, cinglait tout droit chez le traiteur ; il y mangeait joyeusement la moitié de la messe noire du lendemain, et buvait non moins gaîment tout le Dies iræ.

Ce souvenir nous ramène à des idées plus riantes. Nous allons aborder une des plus grandes consolations de l’humanité, le chapitre des bons vins avec la manière ancienne de s’en servir.

  1. Annales et chronique des Dominicains de Colmar, édition de 1855, p. 111. Le potier de Schlestadt ne découvrit pas le procédé de glacer la poterie, qui se perd dans la nuit des temps, mais il le retrouva et le propagea dans les pays germaniques. Les Arabes le pratiquaient déjà au douzième siècle.
  2. Fischart, Gargantua, liv. IV, ch. iv, édition de 1608.
  3. Légendes et chroniques alsaciennes, p. 168.
  4. Das Kesslerlehn par C. Heitz. Alsatia, 1854-1855, p. 226.
  5. Montaigne, Voyages, t. Ier, p. 55.
  6. Grandidier, Essais sur la cathédrale, p. 392.
  7. Berler, Chronick. Code historique de Strasbourg, t. II, p. 53.
  8. Eintritt des Bischofs. Code historique de Strasbourg, t. II, p. 261.
  9. Spach, Deux voyages d’Élisabeth d’Autriche, p. 30.
  10. Duvernoy, Éphémérides de Montbéliard, p. 300.
  11. Archives du Haut-Rhin. Fonds d’Ensisheim.
  12. Chronique des Dominicains de Guebwiller, p. 386.
  13. Strobel, Vaterl. Gesch. des Elsasses, t. III, p. 419.
  14. Kœnigshoven-Schilter, Chronick, p. 819.
  15. Gærtner, Die Schlösser der Pfalz, t. Ier, p. 73.
  16. Piton, Strasbourg illustré. Faubourgs, p. 142.
  17. Perdrix, Chronique, année 1662.
  18. Chronique des Dominicains de Guebwiller, p. 386.
  19. Beck, Factum contre le préteur Klinglin, p. 11.
  20. Tallemant des Réaux, Historiettes, t. X, p. 78
  21. Duvernoy, Éphémérides de Montbéliard, p. 300.
  22. Chronique des Dominicains de Guebwiller, p. 242.
  23. Ils ont été décrits dans le Musée pittoresque de l’Alsace, art. Ribeauvillé, p. 13, et dans une excellente monographie de Ch. Goutzwiller, Les Vases de Ribeauvillé. Mulhouse, 1872. In-8°.
  24. Tableau de l’ancienne municipalité de Schlestadt, 1789, pp. 75-76.
  25. Comptes communaux de Sainte-Marie. Archives du Haut-Rhin.
  26. Montaigne, Voyages, t. Ier, p. 71.
  27. Engelhardt, Herrad von Landsperg, p. 98.
  28. Herzog, Chronick, 3e partie, ch. xviii.
  29. Basel im vierzehnten Jahrhundert, p. 327.
  30. Trouillat, Monuments de l’évêché de Bâle, t. III, p. 512.
  31. Montaigne, loc. cit., p. 50.
  32. Gœtter-Both, année 1674, p. 7. C’est une espèce de Mercure allemand.
  33. Beck, Factum contre Klinglin, p. 27.
  34. Tallemant, Historiettes, t. X, p. 113.
  35. Petri, Mülhausens Geschichte, p. 250.
  36. Moscherosch, Adeliches Leben, p. 158.
  37. Prévost, Éléments de politesse. Strasbourg, 1766, p. 82.
  38. Prévost, loc. cit., p. 95.
  39. Eintritt des Bischofs. Code historique de Strasbourg, t. II, p. 29.
  40. Trouillat, Monuments de l’évêché de Bâle, t. III, p. 565.
  41. Idem, p. 517.
  42. J’ai recueilli cette tradition à Niederbronn et d’une bouche tout à fait véridique.
  43. Piton, Strasbourg illustré. Ville, p. 285.
  44. Annales et chronique des Dominicains de Colmar, p. 233.
  45. Bois-de-Chêne, Chronique, année 1657.
  46. Voyez Revue d’Alsace, 1860, p. 115, à la note.
  47. Descartes, Des Passions de l’âme, article 97, édition de 1844, p. 259.
  48. Brant, Narrenschiff, édition Strobel, p. 222.
  49. Brant, loc. cit., p. 286.
  50. Document publié par l’Ostdeutsche-Post, année 1860.
  51. Prévost, Éléments de politesse et de bienséance, p. 82 à 96.
  52. Revue d’Alsace, année 1860, p. 125.
  53. Exercitia spiritualia F. F. Capucinor., p. 170.
  54. Ancienne Revue d’Alsace, année 1836, p. 347.
  55. Hermann, Notices, t. Ier, p. 173.
  56. Archives du Haut-Rhin, Fonds de la régence d’Ensisheim.
  57. Memoriale der XIII. 20 July 1776. Archives de Strasbourg.
  58. Bussière, Établissement du protestantisme en Alsace, p. 16.
  59. Lipfel, Convivium quod die exsequiarum olim habebatur. — Scherz, Clossar, p. 397, ex Leibfall, corruptum.
  60. Kœnigshoven-Schilter, Chronick, p. 1132.
  61. Gebwiler, Panegyr. Carolina, p. 15.
  62. Goutzwiller, Esquisses historiques du comté de Ferrette, p. 78.
  63. Piton, Strasbourg illustré, t. II, p. 183.
  64. Perdrix, Chronique, 27 juillet 1662.
  65. Richard, Traditions populaires de la Lorraine, p. 118.
  66. Richard, loc. cit., p. 115.
  67. Société d’émulation de Montbéliard, année 1854, p. 103.
  68. Piton, Strasbourg illustré. Faubourgs, p. 127.
  69. Kleinlawel, Gereimte Chronick, p. 89.
  70. Paulli, Schimpf und Ernst, p. 214.
  71. Basler Todtentanz, par Mérian. Francf., 1596. In-4°, p. 117.