Nemo
Petrot-Garnier (p. 3-6).

CHAPITRE I

L’Amitié.


Il est une affection honnête, sainte autant que tendre et inviolable, fondée sur l’estime réciproque, sur une conformité d’inclination et de volonté.

Délicate et noble, exaltée par tous les sages de la terre, toutes les nations l’ont eue en honneur. Les Gentils ne se purent défendre même de l’envier aux premiers chrétiens à qui la bouche la plus pure la recommanda, comme en devant être à jamais le signe de marque.

Un vieux peuple la représente sous les traits d’une personne jeune, vêtue d’une tunique sur la frange de laquelle on lit :

la mort et la vie

Sur son front sont gravés ces deux mots :

l’été et l’hiver

Son côté est ouvert jusqu’au cœur, qu’elle montre du bout du doigt, avec ces deux mots :

de près et de loin

Son nom est doux et puissant :

Amitié !

La langue infirme et défaillante des hommes ne saurait dire tout ce qu’apporte de bonheur son désintéressé commerce à des âmes sœurs qui, passant comme l’une dans l’autre, ne paraissent plus n’en faire qu’une : toutes les joies, tous les charmes que, comme une douce et bienfaisante aurore, elle répand sur leur existence.

En un sujet sur lequel s’exercèrent les plus beaux génies et que je ne saurais qu’effleurer, je ne te veux dire que ma façon de penser.

Aussi bien que dans la croyance des anciens, il a toujours été dans la mienne que, l’amitié, c’était ensemble vouloir et ne pas vouloir ; mais, bien entendu.

Il n’est pas rare de voir les méchants désirer, haïr ou craindre la même chose, aspirer à un même but, ensemble vouloir et ne pas vouloir.

L’amitié n’étant que dans le bien, ce n’est pas l’amitié cela ; c’est cabale, faction, complot, conjuration pour le mal, sans vraie estime réciproque, complicité de méfaits.

L’amitié, c’est aimer et être aimé ; c’est s’attacher par un sentiment gratuit, dont le besoin n’est pas le principe ; ni l’utilité, la fin.

C’est, sous le regard de Dieu, aimer sans arrière pensée et être aimé de même ; vouloir à ceux qui sont l’objet de notre affection tout le bien possible, être prêts à verser notre sang.

En effet, le cœur humain étant fait pour aimer, cette tant haute et noble qualité résulte de sa constitution elle-même.

Immortelle, elle est faite pour le vrai beau ou la vertu, cette inappréciable autant que ferme et constante disposition à se porter vers ce qui est conforme à la raison, à la conscience, à la religion, et à s’éloigner de ce qui est opposé à toutes trois.

Or, dès que, d’un côté, elle se montre et que, de l’autre, elle est vue, les hommes se comprennent, les cœurs s’échauffent et s’attachent par une mutuelle bienveillance.

Cela posé, si telle est sa puissance qu’elle se fasse estimer même d’un ennemi, pourquoi s’étonner que, quand nous la croyons découvrir en ceux avec qui nous pouvons nous lier, nous y soyons sensibles ?

Noble et sainte amitié, dont le nom seul est cher aux âmes bien nées, dont la pensée, autant qu’elle réjouit, élève, grandit, que ne puis-je, te montrant seulement par quelques-uns de tes côtés, pour ne se pas entre-déchirer, te faire apprécier des mortels !

D’où viens-tu ?

Où veux-tu qu’on te rencontre ?

Qui sont ceux qui font ta couronne ?