Œuvres de Saint-Amant/L’Amaranthe


Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 251-255).

LES OEUVRES
DU SIEUR DE
SAINT-AMANT


SECONDE PARTIE.


L’AMARANTE.


À quel poinct de folie et de témérité,
Contre mon vouloir propre, amour, m’as-tu porté !
Je m’estois résolu, malgré ta violence,
De retenir mes pleurs, d’observer le silence,
De déguiser si bien mes maux et mes plaisirs,
Qu’à peine mes pensers auraient sceu mes désirs ;
Que, de peur d’éventer mes ardeurs nompareilles,
Ma voix serait en garde avecque mes oreilles ;
Que mon esprit jaloux, s’immolant au respect,
Se trouverait luy-mesme à luy-mesme suspect ;
Qu’à ma fin douloureuse un jour ma seule cendre
Pourrait de mon brazier quelques indices rendre,

Et qu’au dernier soupir ma chaste passion
Enterroit ce feu sous la discretion ;
Et cependant ma bouche, infidelle à mon ame,
Oubliant tout devoir, vient d’en trahir la flame.
Je l’ay fait eclater, j’ay parlé, j’ay gemy
Devant ce beau soleil, mon aimable ennemy,
Et j’ay bien eu l’audace, apres un si grand crime,
De supplier ses yeux d’avouer pour victime
Agreable à son cœur le mien, que ses appas
Menent comme en triomphe au chemin du trespas.
Ô langue trop hardie ! ô licence effrenée !
Ô faute sans exemple ! ô ciel ! ô destinée
Qui gouvernes mes jours, et n’as deu qu’à regret
Consentir au dessein de rompre mon secret !
Que je me sens coupable, et combien j’ay d’envie
D’expier par ma mort les erreurs de ma vie !
Depuis sept mois entiers, nombre misterieux,
Que j’adore captif cet objet glorieux,
Ce miracle d’honneur, de vertus et de charmes,
Cette illustre beauté, doux sujet de mes larmes,
Depuis l’heureux moment qu’en si claire prison
Ma liberté se mit avecque ma raison,
Et que navré d’amour, mon jugement essaye
Non pas de me guerir, mais de cacher ma playe,
Un sort delicieux m’a souvent fait jouir.
Du plaisir de la voir, du bonheur de l’ouir,
D’admirer de sa main l’agile et mol albastre,
Quand avec des accens que l’oreille idolastre,
Sur les nerfs d’un bois creux qui chante et qui se plaint,
Qui m’esveille et, m’endort, me flatte et me contraint,
Ses doigts harmonieux font aux miens telle honte
Que de leur melodie on ne fait plus de conte.
J’ay veu ses beaux cheveux, blonds charmes des regars,
Sous l’yvoire ; d’un peigne à l’entourt d’elle espars,
Representer au vray le Pactole en sa source,

Qui, d’un bout marbre blanc faisant naistre sa course.
Tombe à gros bouillons d’or, et loin de soy s’enfuit,
Excepté qu’en leur cheute ils ne font point de bruit.
C’est ainsi qu’au matin l’aurore eschevelée
Vient annoncer le jour sur la voûte estoilée ;
C’est ainsi que Diane autrefois apparut
Aux yeux de l’indiscret qui son ire encourut,
Quand, surprise dans l’eau, sa main, aussi tost preste
De cacher son beau corps avec sa propre teste,
Luy construisit en haste un voile flamboyant
Des vifs et longs rayons de son poil ondoyant,
Et voulut que son soing obtint le privilège
De pouvoir par du feu conserver de la nege.
Je l’ay veue en maint lieu par le bal ordonné
De cristaux suspendus richement couronné,
Ou plutost de glaçons d’où s’exhaloient des flames,
Gagner d’un seul regard les plus superbes ames.
Ternir les diamans que le luxe y portoit,
Esblouir les flambeaux dont la salle esclatoit,
Et former de ses pieds de si nombreux misteres,
De si beaux entrelas, de si doux caractères.
Tracés avec tant d’art pour enchanter les dieux
Et pour tirer à soi tes esprits par les yeux,
Que les chiffres sacrez de l’obscure magie
Pour forcer les démons ont bien moins d’énergie.
J’ay veu les beaux trésors de ses deux monts de lait
S’enfler aimablement sous un jaloux collet,
Qui, fasché que leur teint rende sa blancheur noire,
Tasche au moins d’en couvrir la moitié de la gloire.
Mais pour estre trop fin il n’en sçait rien cacher :
Il trahit ce qu’il baise, et ne peut empescher
Qu’au travers des devans dont l’œil perce l’obstacle
L’on ne jouysse à plein d’un si rare spectacle
J’ay gousté seul à seul l’adorable entretien
Que forme son esprit, sa voix et son maintien,

Qui tous trois sans pareils en graces amoureuses,
Rendant comme les yeux les oreilles heureuses,
Donnent aux moindres mots des charmes si puissans
Par les gestes diserts et les tons ravissans,
Que l’Éloquence mesme à sa bouche attachée,
D’oser luy repartir seroit bien empeschée.
Ô bouche ! ô belle bouche ! ô quand on vous entend,
Quand on vous oit chanter, dieux ! que l’on est content !
Un doux air qui murmure et passe entre des roses
Ne nous fait point sentir de si divines choses.
Hé ! chantez donc toujours  ; vos rubis animez
Ne devroient, ce me semble, estre jamais fermez.
Toutesfois je me trompe : amour veut qu’ils se taisent,
Afin qu’en se pressant eux-mesmes ils se baisent.
Nul n’en est digne qu’eux ; je n’en suis point jalous.
Levres, baisez-vous donc, sans cesse baisez-vous,
Mais non pas sans parler ; le silence est un crime
À quiconque en beaux traits si noblement s’exprime ;
Faites et l’un et l’autre en discourant d’aymer,
Prononcez-en le mot, ou daignez me nommer,
Et j’auray cette gloire, en l’ardeur qui m’emporte,
D’estre dans vos baisers admis en quelque sorte.
Ha ! je me laisse aller à trop d’ambition ;
C’est changer le respect en indiscretion.
Dites-moy que je meure, et (joyeux de vous plaire)
On me verra soudain obeir et le faire.
Ouy, je mourray joyeux si vous me l’ordonnez :
Aussi bien les ennuis qui me sont destinez
Estans trop violens pour estre perdurables,
Mettront bien-tost un terme à mes jours miserables.
Enfin, pour revenir à mon triste sujet,
J’ay d’un accès facile approché cet objet ;
J’ay de cette beauté de tant d’attraits pourveue,
Satisfait à plaisir mon ouye et ma veue ;
J’ay, si je l’ose dire, ô supreme bon heur !

J’ay dans la bien-seance eu maintefois l’honneur,
Sous les loix du salut qui le toucher avoue,
De succer librement les roses de sa joue,
Et par mon imprudence à descouvrir mon feu,
Par mon audace extresme à declarer le vœu.
Que sur l’autel d’Amour j’ay fait sans artifice
D’offrir à ses appas mon cœur en sacrifice,
Je me verray privé, peut-estre pour jamais,
Devoir ces beaux soleils à qui je me soubmets,
Et de qui me seroit l’absence plus cruelle
Que l’horreur d’une mort dure et perpetuelle.
Vrayment, c’est bien à moy de m’en piquer aussi !
Elle qui des dieux seuls doit estre le soucy,
Elle dont tout Paris admire les merveilles,
Elle à qui nous devons tous les fruits de nos veilles,
Elle que cent galands de suite accompagnez,
Cent amoureux discrets, jeunes et bien peignez,
Trouvent sourde à leurs vœux, oserois-je pretendre
Qu’en mon poil desjà gris elle voulût m’entendre ?
Mais c’est mal raisonner pour un amant expert :
De propos en propos mon jugement se pert.
On diroit à m’ouir qu’il depend de mon ame
De s’embrazer ou non d’une si belle flame,
Comme si de tout temps le destin souverain,
Par un arrest fatal gravé dans de l’airain,
N’avoit point resolu sur la voûte esclairante
Qu’on me verroit un jour brusler pour Amarante,
Et comme si, dans l’heur de languir en ses fers,
Où je trouve à la fois mes yeux et mes enfers,
La volonté du sort, quoy qu’enfin il m’advienne,
Ne devoit pas regler et conduire la mienne !