L’Allemagne vers l’Est - Le pangermanisme et l’expansion allemande vers l’Orient

L’Allemagne vers l’Est - Le pangermanisme et l’expansion allemande vers l’Orient
Revue des Deux Mondes5e période, tome 9 (p. 41-73).
L’ALLEMAGNE VERS L’EST

LE PANGERMANISME ET L’EXPANSION ALLEMANDE VERS L’ORIENT

Les mouvemens incessans du germanisme, son flux et son reflux, ainsi que les transformations de la puissance allemande, chargée de réaliser les aspirations de la race, forment, en réalité, l’histoire de l’Europe continentale. A l’heure actuelle, le germanisme continue comme par le passé sa patiente besogne d’expansion, toujours poursuivie, jamais abandonnée, même aux heures de la plus grande détresse ; et les développemens du nouvel empire garantissent la rapidité de ses progrès. Vers l’ouest, les événemens de 1870 étaient faits pour donner satisfaction à tous les désirs immédiats de l’expansion allemande ; le rétablissement de la puissance française, qui fut l’œuvre des trente dernières années, a, d’ailleurs, permis de relever, de ce côté, une digue efficace contre un nouvel excès d’ambitions germaniques. Vers l’est, au contraire, les difficultés intérieures de l’Autriche, la décomposition de l’empire ottoman, et le conflit des diverses nationalités danubiennes ou balkaniques ont créé un ensemble de circonstances assez favorables pour encourager, de la part de l’Allemagne, un redoublement d’activité. Depuis le traité de Berlin, qui réussit à aménager le Levant au profit des intérêts allemands, la poussée orientale du germanisme n’a cessé de s’accroître ; elle est même parvenue à un degré d’intensité tel que, déplaçant sa direction antérieure et son principal effort, naguère concentrés vers l’ouest, le germanisme paraît tendre de plus en plus à reporter à l’est l’ardeur de son action nationale et à envisager désormais le slavisme comme son plus sérieux adversaire. Il est donc intéressant de rechercher les principes qui dominent de ce côté la phase présente de l’expansion allemande, d’en étudier les causes et d’en marquer les progrès.


I

Dès l’origine, le germanisme n’a cessé d’être expansif ; il apparaît en débordant sur l’empire romain et en entamant ainsi sa lutte séculaire contre le « romanisme. » A l’est, l’expansion germanique fut plus tardive, mais son domaine sembla longtemps illimité ; elle n’eut devant elle que des groupes slaves et finnois, répartis en infimes peuplades, et partant susceptibles d’une colonisation rapide ou en petits royaumes trop faiblement constitués pour résister à une décomposition méthodique. Seuls, l’empire byzantin, puis l’invasion turque, enfin la consolidation de la masse russe, furent capables d’opposer une barrière, sinon à la pénétration, du moins à la puissance allemande. Aussi le germanisme dut-il se servir de procédés divers, selon qu’il s’agissait de son action orientale ou occidentale.. En face d’une force militaire constante et d’une culture propre, comme celle qu’il trouvait à l’ouest, il n’avait d’autre ressource que les armes ; vers l’est, au contraire, il lui parut préférable de pénétrer, de décomposer, voire de coloniser au travers de peuples doués d’une énergie intermittente et d’un faible début de civilisation.

A l’aurore du XXe siècle, comme aux premiers jours de son histoire, le germanisme maintient le caractère de son action persévérante, toujours souple vers l’est et belliqueuse vers l’ouest ; les procédés employés demeurent identiques dans leur principe, bien que transformés et perfectionnés par le progrès des temps. Et si l’on prend la peine d’étudier la marche actuelle de la germanisation, l’on ne peut manquer d’y relever de prime abord les élémens constitutifs de la vieille tradition, telle qu’elle s’est spontanément formée, dès le début de la poussée orientale, à l’égard des Slaves éparpillés au delà de l’Elbe, comme de la Bohême, de la Pologne et de la Hongrie.

Au Ve siècle, les invasions barbares avaient donné l’Elbe et la ligne des Alpes pour limite orientale à la race allemande. Sur cette longue frontière, elle touchait à des populations slaves, séparées eu tronçons inégaux par le cours du Danube, le long duquel s’était produite une coulée de race finnoise. La dynastie saxonne franchit l’Elbe ; avec elle commença la pénétration germanique, qui, se faisant l’agent de la rénovation spirituelle des populations païennes, entreprit, en même temps, de les germaniser et de les christianiser. Dès le VIIIe siècle, l’archevêché de Salzbourg s’était mis à travailler les Slovènes, l’évêché de Passau les Hongrois, celui de Ratisbonne les Tchèques ; le siège de Magdebourg s’attaquait aux Wendes, puis aux Polonais ; celui de Brème ouvrait la mer à ses missionnaires, qui prirent pied dans les provinces Baltiques. A l’évangélisation succéda la croisade, qui submergea la Prusse et installa sur la Vistule l’ordre teutonique.

La conversion, en temps utile, des Tchèques, des Hongrois et des Polonais, leur épargna la croisade germanique ; d’autre part, ils étaient, dès l’origine, constitués en groupes assez compacts pour éviter l’annihilation, réservée à la poussière des peuples Wendes. Ils n’échappèrent pas toutefois aux prétentions allemandes, quant au droit du Saint-Empire de dispenser et de garantir les couronnes ; ils ne purent davantage se soustraire à une lente infiltration germanique. L’Église, dans laquelle le germanisme avait acquis une prise solide, se mit à diriger les premiers essais de la culture et des institutions nationales ; les mariages fréquens des princesses allemandes tendirent à germaniser les cours et surtout la noblesse. A partir du XIIe siècle, provoqué par l’esprit de croisade, se produisit un nombreux déplacement de populations allemandes ; des colons lurent pris en masse dans l’inépuisable réservoir de la race, constitué par le pays du Rhin, pour être transportés dans les régions nouvellement ouvertes à l’expansion germanique. Le mouvement de colonisation déborda pareillement sur la Bohême, la Pologne et la Hongrie : des communautés allemandes de négocians et d’artisans y furent attirées dans les villes, et reçurent des privilèges destinés à les soustraire à la juridiction locale, les rois de Hongrie formèrent, au sud de la Transylvanie, une marche saxonne ; Prague et Pesth devinrent des villes allemandes. Dans le même temps, la recrudescence de ferveur catholique entraînait l’expulsion des juifs, et le plus grand nombre d’entre eux dut émigrer en Pologne. Ils y obtinrent un statut spécial ; l’état social du pays favorisa leur développement ; ils y conservèrent leurs habitudes et leur « jargon » germanique ; et c’est de cette forteresse improvisée que le judaïsme allemand finit par se répandre vers la Hongrie et la Russie, jusqu’à la Mer-Noire et au Danube.

Au XIVe siècle, après l’extinction des dynasties nationales en Bohême, en Pologne et en Hongrie, les divers princes allemands se mirent à prétendre à ces successions constamment ouvertes. Celle de la Bohême fut aussitôt réglée au profit du germanisme, et la première université allemande fut fondée à Prague par un prince de la maison de Luxembourg. En 1526, l’effet d’un heureux contrat de mariage donna aux Habsbourgs la Bohême et la Hongrie, si bien que l’influence allemande se mit à contrôler définitivement le gouvernement des deux Etats.

La pénétration germanique avait usé jusqu’alors de l’action religieuse, politique ou économique ; la Réforme lui procura sur les esprits une prise morale. Venue d’Allemagne, elle fut partout introduite par des Allemands ; fournissant d’autre part une base propice aux revendications nationales, elle trouva un accueil enthousiaste parmi les peuples que travaillait le germanisme ; grâce à elle, ce fut une influence allemande qui soutint, mais endigua toutes les révoltes ; elle présida au réveil des nationalités, à l’établissement d’imprimeries et d’écoles, aux premiers essais littéraires des diverses langues, se substituant à l’allemand et au latin ; elle eut même l’art d’étouffer, en Bohême, le mouvement hussite, qui avait soulevé les Tchèques contre les Allemands, et de fournir un terrain d’entente aux deux nations ennemies.

A son tour, la contre-réformation fit, elle aussi, œuvre germanique, car les Jésuites s’en prirent aux nationalités coupables, qui s’étaient abandonnées aux erreurs religieuses. Marie-Thérèse enserra ses États dans une administration allemande, appuyée par une force militaire également allemande. Joseph II prétendit même réaliser l’unification complète de la monarchie autrichienne, en y imposant l’emploi de la langue allemande. Enfin, quand la Pologne dut subir le même sort que la Bohême et la Hongrie, deux des copartageans furent des États allemands, qui entreprirent, chacun à leur manière, de germaniser leur part.

Au XIXe siècle, toute l’Europe centrale appartient au germanisme ; et les réactions nationales qui s’y produisent n’ont pu encore échapper à sa loi. La puissance allemande renaissante tend à consolider l’œuvre de pénétration et de colonisation séculaires, accomplie par la patience du Saint-Empire, en unifiant cette immense région dans un étroit système politique, commercial, économique et financier. L’expansion germanique dépasse même sa sphère primitive : à partir du XVIIIe siècle, elle a installé dans le sud de la Russie et jusqu’au Caucase des populations allemandes ; elle a pénétré tout l’empire voisin de sa culture et de son commerce. En Orient, la dépression de la puissance turque fait tomber l’obstacle qui s’était opposé jusqu’alors aux progrès du germanisme ; le Drang nach Osten précipite vers les Balkans et jusqu’en Asie Mineure une invasion allemande, destinée à germaniser ces régions nouvelles pour les rattacher ensuite au système de l’Europe centrale. Subissant à son tour une poussée plus vaste, le commerce allemand se met à rechercher des entrepôts sur la mer du Nord, la Méditerranée et la Mer-Noire ; il prend pied, successivement, à Rotterdam, à Anvers et à Gênes ; il entreprend l’aménagement du port de Constantza. Enfin l’expansion germanique déborde même hors de l’Europe, marque sa place dans toutes les parties du monde et inaugure l’ère actuelle de la Weltpolitik.


II

L’expansion germanique apparaît ainsi, dès le début, avec les procédés dont elle se servira pendant douze siècles et qu’elle développe encore à l’heure actuelle, après les avoir successivement appropriés à la nécessité des temps. Elle continue à utiliser la réserve humaine que lui vaut la forte natalité de la race. Le germanisme persiste dans son double système : il agit encore par la colonisation là où il ne saurait rencontrer de résistance ; se heurte-t-il, au contraire, à des États déjà formés et susceptibles de réaction nationale, il pénètre et décompose, comme il fit naguère pour la Bohême, la Pologne et la Hongrie. Afin de s’ouvrir les voies, ce n’est plus seulement le catholicisme dont il veut emprunter la puissance morale ; sa principale protection s’étend sur les communautés protestantes ; et il permet à la majeure partie du judaïsme continental de rechercher auprès de lui son point d’appui. De même que le Saint-Empire s’arrogeait jadis le droit de dispenser les couronnes, l’empire allemand tend à se rattacher les monarchies, en prétendant leur assurer une garantie d’existence. Aujourd’hui comme au moyen âge, des princesses allemandes s’introduisent dans les maisons royales et finissent par donner un vernis germanique à la plupart des cours ; le germanisme s’applique à essaimer dans les pays les plus divers des colonies d’artisans, de négocians et d’industriels, à s’inféoder les armées en leur fournissant l’éducation militaire et le matériel de guerre. Les transformations économiques du dernier siècle lui ont permis de multiplier en tous sens les liens commerciaux et financiers. A l’expansion de la race correspond celle de la culture, des institutions et des usages allemands. Fidèle aux traditions de la Réforme, le germanisme s’efforce de se rattacher les petites nationalités, en étayant leurs littératures débiles, incapables de vivre sans tuteur, et en facilitant par la science allemande leurs recherches nationales.

Au moyen âge, c’est inconsciemment que le germanisme a bénéficié de l’esprit de croisade, ainsi que des développemens du Saint-Empire ou de la maison de Habsbourg, en vertu du droit féodal. L’aveugle fortune l’a également servi à l’époque moderne, en lui permettant de profiter de la formation des États prussien et autrichien. Au contraire, depuis les bouleversemens amenés sur le continent par la Révolution française, les guerres qui s’ensuivirent et la constitution du nouvel Empire allemand, c’est le peuple allemand lui-même, qui, ayant pris conscience des destinées de la race, prétend en poursuivre le développement indéfini. Historiens, philosophes, et publicistes se trouvèrent donc amenés à remonter le cours de l’histoire et à formuler la théorie de l’expansion germanique.

Cette théorie s’est trouvée naturellement soumise aux variations de la pensée allemande dans tout le cours du siècle qui vient de finir. Sous l’influence de l’idéalisme vague et des tendances libérales, qui préparèrent le mouvement de mars 1848, les théoriciens de l’expansion nationale présentèrent au suffrage des peuples un germanisme pacifique et bienfaisant. Sans trop insister sur les fâcheuses croisades, dont la violence avait marqué le premier essor du germanisme au delà de l’Elbe, les penseurs allemands de cette douce époque firent surtout ressortir les services rendus à la civilisation par une race d’une culture supérieure à l’égard des races slaves ou finnoises, par elles introduites dans le giron européen ; ils proclamèrent toutefois que l’œuvre n’était point achevée, revendiquant le privilège de poursuivre l’éducation des peuples divers, épandus vers l’Est, dans la vaste région que K. E. Franzos devait caractériser du nom pittoresque d’Halb-Asien ; ils invoquèrent la nécessité de contrôler leur progrès national, en l’imprégnant de la culture allemande. Les historiens nationaux Palacki, Horvath et Maciejowski, appelés en témoignage, avaient été unanimes à reconnaître l’heureuse influence du germanisme sur la formation première des peuples tchèque, hongrois et polonais. On chercha des argumens pour consoler le slavisme de sa défaite : s’il avait été repoussé aussi loin par le germanisme, il y fallait voir la conséquence de ses propres fautes : sa légèreté, sa turbulence et son imprudence, ses divisions internes, son manque d’énergie nationale, sa pénurie de grands hommes aptes à concentrer les aspirations de tous et l’absence d’une classe moyenne servant de lien entre la classe dominante et la foule dominée. A vrai dire, le germanisme a ainsi arraché aux Slaves un énorme territoire de 7 à 8 000 milles carrés, mais que de bienfaits n’a-t-il pas prodigués en échange ! Et les premiers théoriciens de l’expansion allemande s’attendrissaient volontiers devant une telle générosité. Là où, comme en Prusse, s’est parachevée la germanisation du pays, il s’est créé une population forte, formée du croisement des deux races, joignant à la profondeur et à l’endurance germaniques la vivacité et l’habileté slaves ; là où le germanisme a dû se borner à une simple pénétration des peuples slaves ou finnois, il a apporté une culture supérieure, les vertus chrétiennes, l’idée de l’ordre et du droit, le principe d’une organisation administrative et judiciaire, les élémens d’une bourgeoisie, enfin l’art de mettre en exploitation le domaine national.

Ainsi témoignèrent de prime abord, en faveur de leur race, dans ses rapports avec ses voisins orientaux, les publicistes allemands, entraînés par un honnête libéralisme, aujourd’hui disparu ; tels sont les services qu’invoquent encore les avocats les plus modérés du germanisme souffrant, dans les luttes nationales de l’Autriche actuelle. La reconstitution de l’Empire allemand, fondé sur la force par un heureux usage du réalisme politique, devait nécessairement transformer toute la théorie de l’expansion germanique, en lui imprimant une allure plus autoritaire et plus réaliste. Se sentant désormais maître de l’espace, le germanisme ne se borna même plus à regarder d’un seul côté, il prit hardiment son essor aux quatre points de l’horizon et finit par aboutir à l’idée pangermanique. Maintenant, nous n’avons plus affaire aux rêveries de penseurs attendris, imbus des idées venues de la France et proclamant les bienfaits prodigués par le peuple allemand à une humanité inférieure ; nous sommes en présence d’une théorie de lutte, née de la philosophie de Kant, de Hegel et de la tradition prussienne, destinée à transformer la race en vue d’une action prompte, peu soucieuse d’inutiles suffrages et se contentant des seuls effets de la force. L’Association Pangermanique, qui s’est faite la gardienne et la propagatrice de la doctrine, a pris soin de la formuler nettement dans la première de ses publications[1] : Der Kampf mn das Deutschtum.

Avec le pangermanisme, l’idée allemande a complètement cessé de se faire douce et conciliante. Dans l’histoire comme dans la nature, affirme-t-on désormais, il n’y a qu’une loi, celle de la lutte pour l’existence. En donnant la victoire au meilleur, au plus fort, au plus beau, elle tend à l’ennoblissement de l’espèce humaine. Le résultat de la lutte marque le choix de Dieu parmi les peuples ; au vainqueur le butin dont lui seul est digne. C’est en vertu de cette loi fondamentale que les diverses races impériales — Herrenvœlker — ont successivement imposé leur domination aux races assujetties ; c’est par elle que se sont élevés, à tour de rôle, les Grecs, les Celtes, les Romains et les Goths, grandissant parce qu’ils avaient eu, à l’heure propice, le sentiment d’une politique universelle — Weltstaatskunst, — disparaissant quand ils venaient à abandonner l’idée créatrice de leur grandeur. Le christianisme tendit à obscurcir la conscience des races ; à mesure qu’il s’éloigna de sa pureté primitive, il adopta une allure plus efféminée et plus attendrie, il prit pitié de la faiblesse ; cet excès de sensibilité chrétienne, favorisée par la papauté en vue de faciliter l’établissement de sa domination universelle, n’eût pu conduire qu’à l’abaissement de l’humanité. Dans ces conditions, la Réforme fut moins une lutte pour la revendication du libre arbitre qu’une réaction de l’idée nationale contre le cosmopolitisme catholique, et c’est ce qui la fit adopter par toutes les races fortes. Les divers cosmopolitismes, nés, depuis lors, de l’affirmation des droits de l’homme — internationalisme, socialisme, anarchisme — sont également affaiblissans et, partant condamnables. L’empire du monde — Weltherrschaft — doit appartenir au peuple qui, s’abstrayant de tout amour universel pour l’humanité, concentre ses efforts pour assurer, dans la lutte éternelle de l’histoire, la prédominance de sa race.

Après un tel exposé de leurs principes, il ne reste plus aux pangermanistes qu’à en dégager les conséquences naturelles quant au but futur de l’expansion allemande. Le XVIIIe siècle fut cosmopolite, le XIXe a été national. De grands États se sont d’abord constitués en vue d’assurer la puissance des races fortes et la domination des idées, par elles représentées. L’accroissement des communications a provoqué, à son tour, la fondation d’empires — Weltreiche, — qui se sont réservé, pour satisfaire aux besoins de leur production et de leur consommation propres, d’immenses domaines d’exploitation économique. Ainsi se forment en ce moment les empires russe et américain ; ainsi s’achève l’Empire britannique, qui, plus avancé ou plus ambitieux que les autres, affirme déjà sa prétention à l’hégémonie. Si l’Angleterre a pu atteindre une semblable prospérité, elle le doit à la sottise de l’Europe centrale et occidentale, qu’elle a incitées à trois siècles de luttes continentales ininterrompues, pour s’agrandir successivement des colonies françaises, hollandaises, espagnoles et portugaises. C’est à l’Allemagne qu’il appartient de constituer, entre la Russie et l’Angleterre, un nouvel empire apte à former le fléau de la balance entre les deux rivales.

Les victoires de Sadowa et de Sedan ont prouvé à l’univers que la race allemande entendait reprendre la place qui lui revenait dans le monde ; l’Allemagne est déjà devenue la principale rivale de l’Angleterre pour le commerce universel ; elle devra réaliser dans l’avenir l’idée napoléonienne du blocus continental.

Afin de constituer l’empire de ses rêves, le pangermanisme ne fait encore qu’une allusion timide à la réunion de « toute l’Allemagne ; » il sait que les arrangemens économiques ont efficacement préparé la formation du nouvel Empire allemand ; il se borne donc à préconiser, pour le moment, une union économique très étroite englobant, avec l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, les États des Balkans, la Belgique, la Hollande, et, si possible, le Danemark et la Suède. L’Empire Ottoman deviendrait l’hinterland naturel d’une semblable union, en ouvrant ses possessions d’Europe et d’Asie, à la colonisation germanique. Les colonies hollandaises et allemandes formeraient, en outre, l’amorce d’un domaine colonial, qui s’accroîtrait peu à peu de tous les territoires où auraient pénétré, dans leur expansion illimitée, la race, la langue et la culture allemandes, — deutsche Art, deutsches Wesen, deutsche Gesittung ; — ce qui ne tendrait à rien moins qu’à absorber rapidement l’univers dans la communauté germanique.

Ce n’est pas par la modestie que pèchent les pangermanistes. « Nous sommes, sans aucun doute, proclame M. Fritz Bley, le premier peuple guerrier de la terre. Pendant deux siècles, c’est l’énergie germanique qui a maintenu l’Empire romain vermoulu ; car des Allemands seuls étaient capables de vaincre la force allemande. En sept batailles décisives, dans la forêt de Teutobourg, aux champs catalauniques, à Tours et à Poitiers, sur le Leck, à Liegnitz, devant Vienne contre les Turcs et à Waterloo, nous avons sauvé la civilisation de l’Europe. Nous sommes le peuple le plus habile dans tous les domaines de la science et de l’art. Nous sommes les meilleurs colons, les meilleurs marins, les meilleurs marchands ! » Cela ne suffit point encore ; les pangermanistes tiennent à établir que leur peuple est le plus instruit, leur langue la plus riche ; le germanisme doit représenter la plus grande force civilisatrice ; c’est de lui que serait venu, directement ou indirectement, tout ce qui s’est fait de bon dans le monde, les libertés modernes comme les grandes découvertes ; les plus beaux monumens de l’architecture et de l’art s’épanouiraient sur le sol allemand. D’où la conclusion que, la race germanique étant la plus forte, la plus prolifique et la plus morale, c’est à elle qu’appartient l’avenir et le siècle qui s’ouvre sera le « siècle allemand. »


Wir sind von des Donnerers Heldengeschleeht,
Wir wollen das Weltall erben ;
Das ist alte Germanenrecht
Mit dem Hammer Land zu erwerben.


Comme on l’a vu, le pangermanisme est, de sa nature, anglophobe et anti-slave ; ses théoriciens n’ont point pour nous de malveillance particulière et se contentent de quelque dédain. A vrai dire, il ne nous font aucune place dans le système impérial du monde, auquel le pangermanisme devrait servir de clef de voûte ; cela tient à ce qu’ils nous considèrent comme définitivement vaincus, vaincus par l’Allemagne dans la lutte continentale, vaincus par l’Angleterre dans la lutte coloniale. D’après eux, les derniers siècles de notre histoire intérieure n’auraient été qu’un long suicide : ce serait le meilleur de notre « bourgeoisie germanique » que nous aurions chassé, en persécutant les Huguenots ; ce serait notre « noblesse allemande » que nous aurions évincée par la Révolution. Aussi le déplorable résidu celto-romain, que nous serions désormais, doit-il se débattre au milieu des divisions intestines, dans les affres de la décadence : la faible natalité française viendrait confirmer l’épuisement de la race. Le pangermanisme a la bonté d’offrir une place convenable dans son futur Empire à ce qui reste de la France ; il suffit pour cela que nous en manifestions le désir et que nous abandonnions nos rêves d’une inutile revanche. Dans le cas contraire, il ne nous resterait qu’à bouder dans notre coin solitaire, à surveiller anxieusement le progrès de notre affaiblissement national, et la race germanique, dans l’ascension indéfinie promise à son génie, n’aurait même pas à prendre la peine de troubler le crépuscule de la France Franzosendämmerung.


III

De fait, le pangermanisme en Allemagne, comme l’impérialisme en Angleterre, dérivent d’une même source. C’est le besoin de la domination exaspéré dans des races qui ont pris conscience de leur force et ne voient pas de limites à leur puissance. Le succès a développé l’idée de la supériorité, du caractère impérial de la race vis-à-vis du reste de l’humanité ; le but final est d’imposer au monde la paix allemande ou la paix britannique. Des deux côtés s’épanouit une école identique, pour laquelle la force devient un gage du droit et l’accroissement de l’Etat une raison suffisante à justifier tous les moyens.

La situation géographique de la France la place entre les deux pays, qui sont, à l’heure actuelle, emportés par cette même tendance ; nous nous heurtons à l’impérialisme anglais à chaque nouveau progrès de notre essor colonial ; le pangermanisme, qui entrave déjà notre expansion économique et culturale, pourrait devenir un jour gros de menaces pour notre sécurité continentale. — Les circonstances nous ont donné pour voisins la plus grande puissance maritime et l’une des premières puissances militaires du monde ; c’est un inconvénient dont nous avons dû prendre l’habitude, puisque toute notre histoire nous a mis en contact avec l’Allemagne et l’Angleterre. Aucun fait ne saurait donc nous toucher davantage que le double phénomène de l’impérialisme et du pangermanisme ; il importe, pour en apprécier la portée, d’observer le caractère distinct et la force relatives de deux mouvemens parallèles, entraînant à nos côtés la race anglo-saxonne et la race germanique.

Rien ne fait mieux ressortir l’esprit purement pratique de l’Anglais et le penchant à l’imagination, formant un des aspects du génie allemand, que la manière différente dont la même doctrine a pris naissance dans les deux races. La théorie impériale n’est pas née en Angleterre après Waterloo ; elle s’est formée peu à peu avec les progrès de l’Empire britannique ; elle a grandi avec les événemens, attendant sans impatience l’achèvement presque complet de l’œuvre, avant d’adopter une formule définitive. Conçue et propagée par des gens d’action, artisans de la grandeur impériale, elle a réagi sur la métropole des extrémités de l’Empire. C’est, au contraire, la victoire de Sedan qui, en inspirant à l’Allemagne l’ambition d’occuper le Vorrang en Europe, a fait brusquement fructifier dans les cervelles allemandes la semence du pangermanisme. Retardée par le souci de fortifier le nouvel Empire allemand contre l’idée française de la revanche, l’efflorescence dut attendre pour se produire les garanties de stabilité continentale fournies par l’alliance franco-russe, et l’impulsion plus vive imprimée au germanisme par l’empereur Guillaume II. Ce sont des écrivains et des penseurs, qui ont créé de toutes pièces la formule pangermanique et qui, de la métropole, s’efforcent d’y gagner les membres dispersés de la race allemande. La théorie est déjà complète, et pourtant le pangermanisme n’a pas encore de forme précise ; à peine distingue-t-on, à travers le monde, le jalonnement incertain de son domaine.

Il tombe sous le sens que le pangermanisme ne saurait disposer d’une base matérielle aussi large que l’impérialisme britannique afin d’y édifier la grandeur nationale. La race allemande peut, il est vrai, essaimer sur l’univers un excédent considérable de population, et c’est à son actif, dans la lutte pour l’Empire, un réel avantage sur la race anglo-saxonne. C’est d’ailleurs à peu près le seul : par tous les moyens d’action, l’Anglais agit dans la plénitude de sa force impériale, tandis que l’Allemand ne peut dissimuler une certaine faiblesse. Le marché de Londres a jusqu’ici suffi par lui-même à tous les besoins financiers de l’impérialisme ; le marché de Berlin est, au contraire, trop restreint et doit rechercher sans cesse le concours de l’argent étranger. L’Angleterre dispose d’une organisation industrielle et commerciale, mise à l’épreuve d’une longue expérience ; celle de l’Allemagne surprend autant par l’ampleur de son essor que par la gravité de la crise qui en affecte actuellement la croissance. Enfin, aux tâtonnemens inévitables qui marquent les débuts du pangermanisme s’oppose la méthode savante sûrement dégagée par les agens de l’impérialisme.

S’agit-il du prestige et des autres causes morales qui facilitent l’expansion d’une race, l’Allemagne apparaît également comme moins favorisée que l’Angleterre. Il n’est pas jusqu’à l’éclat de Londres et de la vie anglaise, qui ne fasse contraste avec la platitude de Berlin et de la vie allemande. Le snobisme international se réclame volontiers de la mode britannique ; ce qu’il y a d’élégance dans l’Europe centrale n’est point allemand, mais autrichien. L’influence anglaise repose sur une langue facile, une culture raffinée, des traditions libérales, une littérature ancienne, qui excelle dans tous les genres, un esprit précis et vulgarisateur, une science aussi avancée qu’aucune autre et pourtant mise à la portée de tous. De son côté, l’influence allemande cherche à imposer une langue compliquée, des idées autoritaires, une littérature qui ne brille ni dans le roman ni dans le théâtre, c’est-à-dire dans aucun des genres susceptibles d’expansion indéfinie, un esprit abstrait et une science difficilement abordable. La netteté et la brièveté des ouvrages anglais invitent à l’étude des choses britanniques ; les innombrables volumes, dans lesquels les savans allemands continuent à réunir un admirable amas de renseignemens et de recherches, rebutent, au contraire, des choses germaniques ; si bien que l’on est toujours tenté de maudire, comme Carlyle, Dryasdust et Smelfungus.

Le caractère individuel des deux peuples accroît encore les avantages de l’Anglais. Celui-ci a conscience de ses destinées impériales, avec le sentiment très net de son indépendance et de sa personnalité ; il envisagerait comme une déchéance l’abandon de son titre national. Formé au respect et à la discipline, l’Allemand n’est pas encore aussi selbstbewusst ; peut-être ne se dénationalise-t-il plus à tout venant avec le même empressement qu’autrefois ; mais il n’éprouve du moins aucune peine à masquer sa nationalité sous les naturalisations les moins flatteuses. Il en résulte que, si l’impérialisme est une idée réelle, produit du développement de la race britannique, le pangermanisme reste une création artificielle, un idéal fabriqué par des penseurs patriotes ; et, dans la pratique, la même orgueilleuse doctrine se trouve maniée, en Angleterre, avec une assurance seigneuriale, en Allemagne, avec une incertitude de parvenus.

Issus de principes si identiques, mais doués de facultés si inégales, le pangermanisme et l’impérialisme ne pouvaient user des mêmes procédés. Assurément, la plupart des peuples absorbés par l’Empire britannique se placent dans l’échelle de l’humanité à un degré beaucoup moindre que ceux entrepris par le germanisme : mais les races tendant à la dignité impériale n’ont plus l’esprit assez libre pour se préoccuper des nuances et, à leurs yeux, la « demi-Asie » est bien près de se confondre avec l’Asie elle-même. Si les procédés diffèrent chez les Allemands et les Anglais, il faut en chercher la cause, moins dans le caractère des races dominées, que dans le caractère des dominateurs, ainsi que dans les circonstances déterminant leur liberté d’action réciproque.

L’impérialisme ne connaît point de système en dehors de la superposition immédiate de la race impériale à la race assujettie. L’Anglais s’installe de prime abord au cœur d’un gouvernement, pour en contrôler l’exercice, sans se piquer de colonisation ni même de pénétration aucune. Désireux de s’imposer par la puissance éprouvée du génie national, il lui suffit d’essaimer une aristocratie peu nombreuse. Comme de juste, la force constitue l’instrument de la domination britannique, mais elle évite de lui servir de base ; l’autorité se manifeste par l’expression brève d’une volonté précise et les indications qui la précèdent sont fournies par les polémiques de la presse jointes aux discussions du Parlement. Jusqu’à une récente époque, l’impérialisme se targuait d’une allure cosmopolite ; il ménageait également les confessions et les nationalités, qu’il englobait toutes dans un égal dédain.

On a vu, au contraire, que le pangermanisme insistait sur le privilège de la force ; moins confiant sans doute dans la puissance expansive du génie allemand, il répugne à se détacher de la violence de ses origines, attendant de la force seule le prestige et les moyens d’action nécessaires à son développement. Son empereur est un souverain militaire, gouvernant un état purement militaire ; les tendances impériales se manifestent par des entrevues, des toasts solennels, des revues, l’octroi de régimens à des princes étrangers, si bien que le moindre incident de la politique générale se présente revêtu de l’appareil militaire. Dans son domaine propre, c’est-à-dire dans l’Empire allemand, le germanisme ne veut point compter sur les effets d’une civilisation supérieure, mais sur le simple progrès d’une germanisation impitoyable. En dehors de l’Empire, dans les territoires qu’il estime acquis à sa sphère d’influence, il substitue à la force brutale l’action d’une diplomatie autoritaire, chargée d’appuyer, au besoin par la menace, le développement régulier de la pénétration germanique, L’immigration allemande, qu’elle soit ancienne ou récente, a partout entrepris un début de colonisation, qui s’introduit doucement dans les couches moyennes et inférieures de la population indigène ; elle pénètre dans les corps de métier, la banque, le commerce, l’industrie, et même l’agriculture ; par l’éducation des enfans, elle entre dans les familles ; elle affecte un tel empressement à se dénationaliser qu’elle n’effraie point les susceptibilités nationales et son allure est si humble que toute race se croirait impériale au regard de la race allemande. C’est une démocratie besogneuse, qui se fait au loin l’agent du germanisme et, pour rehausser ces artisans modestes de la décomposition des nationalités et des Etats, l’Empire allemand se borne à multiplier les missions de ses officiers et de ses princes. Le pangermanisme est farouchement national et porte, de préférence, l’empreinte luthérienne ; il prêche la croisade contre les autres races ; s’il a quelque indulgence pour les petits peuples, c’est à la condition de les voir s’appuyer sur la puissance et la culture allemandes.

Mais la différence fondamentale entre l’impérialisme et le pangermanisme, celle qui ne peut manquer d’influer sur leur progrès réciproque, c’est le fait que l’Angleterre est insulaire et l’Allemagne continentale. En possession du contrôle de la mer, l’empire britannique est, pour le moment, insaisissable et la liberté de ses mouvemens reste absolue. L’Allemagne est, sur trois frontières, dépourvues de défenses naturelles sérieuses, limitrophe de trois grandes puissances militaires ; elle est donc partout saisissable, et l’alliance franco-russe, devenue la régulatrice de la paix continentale, suffit à solidement endiguer le pangermanisme. Dans le champ d’opération fort appréciable que lui laisse la double alliance, il est destiné à se heurter encore aux difficultés que lui vaut son allure absolue et exclusive, c’est-à-dire aux États qui ont leur staatsidee à défendre, aux nationalités qui préfèrent conserver leur culture propre, aux domaines économiques qui tiennent à protéger leurs intérêts, enfin aux croyances diverses, rebelles à la suprématie de la confession évangélique.

L’impérialisme et le pangermanisme sont logés à des enseignes si diverses que les deux États intéressés ne pouvaient adopter la même attitude à l’égard d’une doctrine, dont l’application dût paraître également séduisante à Londres et à Berlin. Conscient de la force impériale de l’Angleterre et des avantages de son insaisissabilité, le gouvernement britannique a fini par se rallier franchement à l’impérialisme, dont il a fait la règle unique de sa politique étrangère. Moins sûr de lui-même et sentant l’empire attaquable par toutes ses frontières, le gouvernement allemand s’est empressé de répudier, du moins officiellement, une théorie qui, si elle fût devenue le fondement de sa diplomatie, eût ameuté contre lui une formidable coalition. Aussi bien le mouvement pangermaniste n’a-t-il pas mis son espoir immédiat dans le concours de l’Empereur ni de son gouvernement, mais seulement dans la force future de l’opinion publique, l’Alldeutsche Verband est même né, en 1891, d’un accès de défiance contre Guillaume II, quand, après l’éviction du prince de Bismarck, et le traité anglo-allemand, relatif à l’Afrique orientale, qui fut le premier chef-d’œuvre du « nouveau cours, » on eut mieux compris en quelles mains incertaines était désormais tombée la politique allemande. Néanmoins, l’idée pangermanique a déjà fait un chemin considérable dans les esprits et partout elle a marqué sa trace. Si les générations anciennes, qui ont connu les divisions de l’Allemagne et ne se sont faites que péniblement à l’hégémonie prussienne, gardent encore une prudente réserve, la jeunesse, élevée sous l’impression du triomphe national, et dans la croyance à l’expansion illimitée de la race, s’y montre de plus en plus acquise. On remarque maintenant dans la presse allemande des traces constantes de l’idée pangermanique et la manifestation involontaire en ressort à chaque instant de la conversation de nos amis allemands. L’Empereur ni le gouvernement impérial ne peuvent eux-mêmes échapper à la séduction de semblables doctrines, qui flottent dans les rêves populaires comme l’idéal d’une politique éventuelle. L’allure heurtée de Guillaume II, ses contradictions perpétuelles représentent assez exactement les présentes perplexités de l’âme allemande : l’imagination pangermaniste entraîne la parole impériale, le sentiment de la réalité retient l’acte de l’Empereur. De son côté, la diplomatie s’applique bien à rejeter ouvertement une théorie compromettante, mais elle en favorise en sous-main la propagation et tend à poser, partout où faire se peut, les premiers fondemens du système pangermanique. C’est, au fond, la méthode panslaviste et le même double jeu, dont on fit naguère à la Russie un si grand grief.


IV

De toutes les parties du programme pangermanique, aucune n’a été mieux étudiée par les publicistes allemands, plus suivie par la politique impériale, ni plus avancée dans son exécution que la poussée orientale du germanisme. C’est en Autriche-Hongrie, dans les pays balkaniques et dans l’empire ottoman que commencent à apparaître, de façon distincte, sous la trame des États actuels, les contours déjà précis de la pangermanie future. Au reste, les circonstances lui furent, de ce côté, plus favorables que partout ailleurs. Ce fut, aussitôt après le traité de Berlin, la conclusion de l’alliance austro-allemande, qui créa dans l’Europe centrale, au profit du germanisme, un système compact à la fois politique et économique ; puis l’exaspération des querelles nationales, qui contribuèrent à paralyser le plus sérieux concurrent de l’empire allemand, en affaiblissant la force expansive de la monarchie austro-hongroise ; enfin, les crises multipliées qui secouèrent la Turquie et l’amenèrent à rechercher, en se livrant de plus en plus à l’Allemagne, une dernière garantie de son existence et de son intégrité.

Au moyen âge, lors de sa première poussée vers le Sud-Est, le germanisme s’était heurté à l’empire byzantin ; au XIIe siècle, sous les Comnènes, l’influence grecque disputait même la Hongrie à l’influence allemande ; mais la voie du Danube était ouverte au trafic, et, par elle, l’Allemagne commandait les communications entre l’Occident et l’Orient ; ce fut le grand chemin des Croisades. L’invasion turque barra le fleuve ; les produits allemands, auxquels Augsbourg servit d’entrepôt, durent alors emprunter la voie maritime, par l’intermédiaire de Venise et de Gênes ; Raguse et les sièges saxons de la Transylvanie exploitaient la route de terre à travers la péninsule balkanique ; un courant commercial s’établissait également vers la Mer-Noire par la Pologne et la vallée du Dniester. Dès la fin du XVIIe siècle, quand les Turcs commencèrent à reculer devant les armes impériales, le Danube tendit à reprendre son importance antérieure pour l’influence et le commerce allemands ; par les marchés de Breslau et de Vienne, surtout par la grande foire de Leipzig, l’Europe centrale se remit à dominer le Levant ; en 1782, un premier bateau partit de Vienne vers la Mer-Noire ; en 1830, la K. u. K priv. Donau Dampfschiffsfahrt Gesellschaft prenait possession du fleuve, et des escales de la rive droite, Belgrade, Widdin et Routschouk se détachaient vers le Balkan des pistes parallèles de pénétration. Au milieu du XIXe siècle, les progrès de la navigation à vapeur favorisèrent à nouveau la voie maritime, qui l’emporte une fois encore sur les routes terrestres et fluviale ; le port de Trieste et la mer Adriatique devinrent alors les débouchés du commerce allemand avec l’Orient.

Du reste, l’expansion orientale du germanisme n’était pas, à cette époque, favorisée par la politique générale : le traité de Paris avait organisé le Levant dans l’intérêt exclusif des puissances maritimes, si bien que leur commerce y était devenu prépondérant[2] ; les premiers chemins de fer, construits sur le territoire ottoman, tendaient uniquement à faciliter vers l’intérieur l’écoulement des produits débarqués dans les ports ; ils réunissaient la Mer-Noire au Danube, avec prolongement au delà du fleuve, et lançaient, de Constantinople et de Salonique, deux tronçons principaux, qui s’enfonçaient profondément à travers la Péninsule[3].

Le traité de Berlin renversa la situation. Il prépara l’aménagement de l’Orient au bénéfice du germanisme, en prévoyant la régularisation de la voie danubienne et le raccordement des chemins de fer orientaux avec les lignes de l’Europe centrale. Dès lors, les pays allemands se remirent à envisager le Levant comme leur domaine économique, leur Handelsgebiet naturel.

« Tant que les États des Balkans, écrivait il y a vingt ans M. Paul Dehn[4], ne sont encore consolidés ni à l’intérieur, ni à l’extérieur ; tant que la Turquie d’Europe subsiste encore, tant que l’Asie Mineure, avec la route de Trébizonde à Téhéran, n’est pas encore tombée dans des mains russes, ni les vallées de l’Euphrate et du Tigre dans des mains anglaises, il y a pour l’Europe centrale moyen de rattraper en Orient le temps perdu... Grâce à la sagesse de sa politique, la Prusse est devenue l’organisatrice du Zollverein et puissance prépondérante en Allemagne. Les mêmes procédés promettent à l’empire allemand des succès plus grands encore. Assurément un but aussi élevé ne peut être atteint d’un seul coup, ni même par l’effort d’une seule génération ; mais il faut l’avoir sans cesse présent à l’esprit, aussi bien dans nos luttes intérieures que dans le maniement de notre politique générale. »

Comme de juste, les Allemands de l’Empire entendirent prendre la place occupée jadis par les Autrichiens et diriger, cette fois, la nouvelle poussée germanique. Le procès de la politique orientale de l’Autriche fut promptement instruit par les publicistes du Nord.

« S’il y avait eu à Vienne, à l’heure propice, disait le même M. Paul Dehn, un prince de l’envergure du Grand Électeur, le Danube, jusqu’à son embouchure, serait aujourd’hui un fleuve allemand. Vienne était naguère la capitale d’un grand empire homogène et expansif, auquel revenait la tâche historique de faire pénétrer en Orient la civilisation européenne par la culture allemande. Le vieil Empire a disparu ; un autre est né, plus grand, plus homogène, plus expansif encore que l’ancien, et c’est à ce nouvel Empire que l’avenir demandera de réaliser les choses vainement attendues du passé. »

De fait, la reprise des destinées orientales du germanisme trouvait l’Autriche beaucoup moins préparée que l’Allemagne à profiter de cette heureuse fortune. Trop occupée autrefois des affaires allemandes et italiennes, elle avait un peu négligé l’Orient, et l’on avait beau jeu à lui reprocher d’avoir méconnu sa mission naturelle et compromis le privilège de sa position. Les querelles nationales retardaient le développement de ses forces et de son outillage économiques ; ses lignes de pénétration vers les Balkans s’achevaient à peine en 1880 ; le marché de Vienne était mal organisé, livré aux Juifs, bouleversé par les excès de la spéculation, déprimé par la crise de 1873 ; ses finances restaient mal assainies, le régime monétaire mauvais et l’incertitude des changes interdisait les grandes opérations financières. Autant de griefs soigneusement relevés contre l’Autriche pour soutenir la prééminence allemande.

Méconnaissant la contribution précieuse apportée par les savans autrichiens à l’étude de l’Orient ; les grands travaux de Hammer, Kanitz, Hahn, Beer, Jirécek, etc. ; les publications commerciales du musée oriental de Vienne, l’excellente tradition diplomatique conservée par l’Académie orientale ; enfin les services rendus par le Lloyd à la navigation dans le Levant, les écrivains allemands incriminèrent durement l’action autrichienne, en l’accusant d’avoir attiré sur le nom germanique le discrédit et la haine des populations orientales. — C’était, affirmaient-ils, aux sujets de l’Empire, aux Reichsdeutschen que revenait désormais le soin exclusif de réparer tant d’erreurs... Sur pareil sujet, la discussion se poursuit encore entre Allemands et Autrichiens : les premiers continuent à marquer quelque dédain, les seconds une jalousie croissante, et leurs rapports réciproques ne vont pas sans aigreur.

Mais la réalité s’accentue de plus en plus au profit de l’Allemagne : l’œuvre pangermanique est sa chose propre, et elle parvient à contrôler ainsi tout le progrès de la poussée orientale ; l’Autriche est réduite à la situation d’un simple vorland, chargé de servir d’étape à la pénétration allemande. Non point qu’une part quelconque ne lui ait été assignée dans la tâche commune : c’est la besogne politique qui lui incombe ; c’est-à-dire l’apparence vaine, les soins ingrats, les discussions pénibles et les démêlés avec la Russie. De son côté, l’Allemagne s’occupe de l’aménagement économique et cultural du Levant, c’est-à-dire des choses réelles, quoique ne suscitant point d’ennemis ; des résultats durables et des fondemens solides sur lesquels grandira la pangermanie future, quand sera devenu inutile le paravent austro-hongrois.

Aussi bien l’Autriche est-elle en voie de devenir elle-même une dépendance économique de l’Allemagne. Depuis le krach du marché de Paris, en 1882, les places de Vienne et de Pesth sont exclusivement tributaires du marché de Berlin ; l’argent allemand s’est engagé dans des valeurs autrichiennes ; les tendances protectionnistes du tarif autrichien de 1882 ont provoqué l’immigration d’industries allemandes ; des maisons allemandes se sont établies à Trieste pour bénéficier de la détaxe accordée aux provenances maritimes ; le capital et le travail allemands se sont engagés dans la création de l’industrie hongroise ; l’exportation autrichienne dut recourir de plus en plus aux chemins de fer et aux ports allemands. Si bien que l’Allemagne, devenue peu à peu la régulatrice du régime commercial et de tout le système économique de l’Autriche-Hongrie, se sentit en mesure de tenter l’organisation de la poussée orientale, dans le cadre spécial qu’elle avait réservé aux débuts de sa propre activité.

Afin d’aménager efficacement le Levant, c’est-à-dire la Péninsule balkanique et toute l’Asie antérieure jusqu’au golfe Persique, il importait d’abord au germanisme de commander les chemins divers qui rattachaient cette immense région à l’Europe centrale, à savoir : la voie maritime, le Danube et le faisceau de routes terrestres, le Uberlandweg, employé dès le moyen âge par le trafic allemand.

La mer a l’avantage d’être immédiatement utilisable, de rester ouverte à tous et d’assurer des frets peu élevés aux marchandises lourdes ; à ce triple point de vue, elle présentait pour l’Allemagne un réel intérêt commercial. Le port de Trieste, reconnu trop éloigné et d’accès difficile, fut en partie délaissé, comme entrepôt vers l’Orient, au profit de Brème et de Hambourg ; la Deutsche Levante Linie fut créée, il y a une douzaine d’années, pour relier les ports de la mer du Nord à la Méditerranée et à la Mer-Noire. Mais la voie de mer, gardant forcément un caractère international, n’apportait point de facilités suffisantes à l’œuvre pangermanique, qui tendait surtout à établir dans le Levant, par l’ouverture de marchés nouveaux, des foyers de culture allemande ; à cet effet, le Danube et les chemins de fer, susceptibles d’une appropriation progressive, constituaient les routes propices de la poussée orientale.

Le Danube, avec ses affluens, offre bien un magnifique développement de 8 645 kilomètres de voies navigables ; mais les inconvéniens en sont multiples. Malgré les travaux de régularisation entrepris, la navigation y reste difficile et coûteuse ; les froids de l’hiver ou l’insuffisance de l’étiage l’interrompent périodiquement ; le canal des Portes-de-Fer soulève de nombreuses critiques. Dans ces conditions, le Rhin et l’Elbe font au haut du fleuve une concurrence redoutable, le mouvement des ports de Passau et de Ratisbonne est restreint ; celui de Pesth, dans le bassin moyen, ceux de Braïla et de Galatz sur le Bas-Danube ont seuls quelque importance ; enfin la Mer-Noire, dans laquelle il se jette, est un véritable cul-de-sac. Aussi le Danube semble-t-il simplement destiné à un commerce local, et le transit allemand vers le bas fleuve n’y peut-il être attiré que par la faveur des tarifs.

Il en résulte que les voies ferrées paraissent le mieux en mesure d’assurer définitivement les communications du germanisme avec le Levant, et qu’au premier aspect, la question d’Orient se présentait pour l’Allemagne comme une question de chemins de fer, une Orientbahnfrage.

Deux routes principales déjà établies traversent l’Europe centrale pour atteindre l’Orient : 1° celle de la Hongrie et de la Serbie vers Constantinople et Salonique par Pesth, Belgrade et Nisch ; 2° celle de la Galicie et de la Roumanie vers la Mer-Noire par Breslau, Léopol et la Moldavie. Diverses lignes ont été projetées pour doubler chacune de ces routes : l’une de Sérajewo vers Mitrowitza, qui, par la Bosnie, éviterait le territoire serbe ; deux lignes parallèles en Bulgarie, réunissant le Danube à l’Archipel et à Constantinople ; enfin, un raccordement des réseaux russe et roumain entre Dorohoï et Nowoselitza, permettant de contourner la frontière autrichienne. Toutes ces lignes une fois construites, le germanisme posséderait vers l’Orient son réseau complet de chemins de fer.

Si la pénétration allemande doit rechercher un système aussi varié de voies concurrentes, c’est qu’il lui importe d’éviter toute dépendance à l’égard de l’un quelconque des pays interposés entre l’Allemagne et l’Orient. De même que l’opposition des races est appelée à consolider l’hégémonie germanique, dans le domaine à la fois politique et cultural c’est la lutte des intérêts qui doit ouvrir de nouveaux marchés au commerce allemand, en le favorisant par des traités de commerce et des concessions de tarifs de chemins de fer (Gütertarifverbande). Que, par impossible, les États interposés finissent par former entre eux une union solide ou que quelqu’un d’entre eux se trouve en mesure de dominer seul la route de l’Orient, du coup le germanisme perd, sinon l’usage, du moins le contrôle du Uberlandweg et doit subir des conditions, au lieu d’en dicter.

La diplomatie autrichienne, à laquelle incombe la besogne politique avec l’appui discret de l’Allemagne, a efficacement assuré jusqu’ici l’émiettement des États et des races parsemés sur le chemin de l’Orient. L’organisation économique, dont se charge la diplomatie allemande, est beaucoup plus délicate, et l’attitude de l’Autriche-Hongrie elle-même n’en constitue pas la moindre difficulté. A moins d’emprunter les chemins de fer russes et la voie un peu excentrique d’Odessa, toutes les routes de l’Europe centrale vers l’Orient traversent le territoire austro-hongrois ; à ce point de vue, il n’y aurait que la mer susceptible d’assurer la complète indépendance de l’Allemagne. Or, si la crainte de la Russie est pour la monarchie dualiste le commencement de la sagesse allemande, il s’en faut de beaucoup qu’elle soit aussi docile comme associée économique que comme alliée politique. D’ailleurs, l’Autriche-Hongrie constitue, en réalité, deux domaines économiques distincts, réunis par un Zoll-und Handelsbundniss renouvelable tous les dix ans, et chacun d’eux garde sur les chemins de fer la liberté des tarifs. Afin de s’assurer la route de l’Orient, l’Allemagne doit donc s’entendre au préalable avec un double geschæftsfreund dont l’un, le Hongrois, représente dans l’association beaucoup plus de raideur et d’autorité que l’Autrichien. A vrai dire, les rapports commerciaux austro-allemands sont influencés par les tendances protectionnistes des deux États ; mais ce sont surtout les questions de chemins de fer qui sont de nature à affecter le transit allemand.

La Cisleithanie est guidée par une tendance naturelle à combiner ses tarifs de façon à favoriser sa propre exportation vers le Levant, au détriment de la concurrence industrielle allemande ; de son côté, la Hongrie cherche, non seulement à soutenir son industrie, mais encore à entraver vers l’Europe centrale la concurrence agricole des pays balkaniques. Si une guerre douanière vient à éclater avec quelqu’un de ces pays, l’Autriche est naturellement tentée de la rendre plus efficace, en barrant le transit allemand ; elle a, du reste, un souci permanent de s’opposer le plus possible aux conventions spéciales de tarifs, qui se négocient par-dessus elle, entre l’Allemagne et les États des Balkans. Enfin, s’agit-il de déterminer le parcours des grandes voies commerciales, l’Allemagne a intérêt à soutenir le trajet le plus étendu sur son territoire par Breslau et Oderberg, tandis que l’Autriche, pour une raison inverse, préfère celui par Prague et Bodenbach, Ces multiples conflits d’intérêts provoquèrent, après le Reform-tarif allemand de 1880, une véritable lutte de tarifs, qui dura trois ans entre les chemins de fer des deux Empires ; et la rupture des relations commerciales entre l’Autriche et la Roumanie, en 1886, obligea pour un temps le transit allemand vers le Bas-Danube à se servir des lignes russes.

Ce n’est donc pas une tâche commode pour l’Allemagne que d’assurer sa pénétration parmi les intérêts contraires qu’elle rencontre en Autriche et les régimes divers qui se ramifient dans les Balkans.

Elle y est parvenue jusqu’à ce jour en accentuant partout ses prises économiques et, par conséquent, son autorité. A défaut d’une entente concrète par une réglementation commune des tarifs de douane et de chemins de fer entre les deux Empires, en vue du transit vers le Sud-Est, les circonstances ont cependant permis à l’Allemagne d’obtenir en détail de précieux résultats. La rivalité de la voie danubienne et des routes terrestres lui a valu de sérieux avantages pour l’utilisation du fleuve ; la concurrence des lignes autrichiennes et hongroises lui a facilité à bon compte l’accès du Danube par le Nordbahn et l’usage des chemins de fer de la Galicie et de la Bucowine. Elle cherche enfin à détacher peu à peu les États de la Péninsule du système autrichien pour les ramener vers le système allemand ; à se rendre maîtresse de leur législation douanière et de leurs tarifs ; et, tout au moins en ce qui concerne la Roumanie, elle a obtenu, sur ce point, un succès définitif.

Au regard de l’action politique, à laquelle sert d’instrument la diplomatie autrichienne, ainsi que de l’organisation économique et culturale, réservée à l’Allemagne, — toutes choses qui constituent, sous sa forme actuelle, la poussée orientale du germanisme, — il va sans dire que tous les États intéressés ne marquent pas la même bonne volonté ; par conséquent, les diverses routes terrestres ne fournissent pas à la pénétration allemande en Orient une égale sécurité. La voie serbo-hongroise vers Salonique et Constantinople est affectée par l’attirance de la Russie, qui s’applique avec succès à ramener dans le giron slave la Serbie et la Bulgarie ; c’est-à-dire que le concours de ces deux États cesse d’être acquis, pour un temps indéterminé, au progrès sur leur territoire de l’œuvre pangermanique. Le commerce allemand y conserve, sans doute, un passage ; mais l’influence allemande n’y dispose plus d’un terrain propice. La Serbie et la Bulgarie restent donc des élémens incertains, sur lesquels le germanisme n’a encore qu’une faible prise et que la patience seule sera capable de pénétrer et d’assouplir. De ce côté, la poussée orientale est provisoirement entravée vers Constantinople ; afin de gagner Salonique, elle doit réclamer le raccordement des réseaux bosniaque et ottoman entre Sérajewo et Mitrowitza.

La voie roumano-galicienne et celle du Danube sont mieux à l’abri de semblables inconvéniens. Elles se servent, en effet, de la coupure effectuée dans le slavisme par l’invasion magyare et traversent des populations que leurs aspirations politiques rattachent étroitement à l’Allemagne. Dans les bassins moyen et inférieur du Danube, aussi bien qu’en Transylvanie, Hongrois et Roumains, resserrés par l’étau slave, recherchent dans le système de l’Europe centrale la plus solide garantie de leur existence nationale. Au nord des Carpathes, les Polonais autrichiens ont jusqu’ici envisagé du même côté les conditions les meilleures dont puisse actuellement bénéficier leur race. Les circonstances présentes contribuent donc à faire du Danube et des lignes hongroises, roumaines et galiciennes vers la Mer-Noire des voies constamment ouvertes au profit du germanisme ; et, quelles que puissent être de ce côté les résistances économiques ou nationales, les peuples intéressés, plus sensibles aux intérêts communs et mieux pénétrés de la nécessité d’une entente, se montrent moins réfractaires à l’action germanique. Il en résulte que les conditions spéciales de la Hongrie et de la Roumanie les préparaient à fournir la route la mieux assurée à la nouvelle poussée orientale du germanisme, et c’est, par conséquent, chez elles qu’il devient le plus intéressant d’étudier les premiers jalonnemens de la pangermanie future.


V

La vallée du Danube a été le chemin favori des migrations de peuples. Lors des invasions barbares, toutes les races s’y engouffrèrent à tour de rôle et le hasard voulut, qu’après avoir refoulé le germanisme vers l’Occident, séparé le slavisme en deux tronçons inégaux, ce fût la race finnoise qui parvînt à s’y maintenir. Après la disparition des États éphémères fondés par les Huns, puis par les Avars, apparut la puissance hongroise, qui réalisa sur le moyen Danube un établissement définitif. Quand, à la fin du XIIIe siècle, le flot tartare se fut retiré des plaines du Bas-Danube, la race roumaine, oubliée parmi tant de bouleversemens, descendit des Carpathes pour fonder successivement les deux principautés de Valachie et de Moldavie. Ainsi se formait, sur une large bande destinée à réunir les pays allemands à la Mer-Noire, un double organisme, l’un finnois et l’autre latin, qui devait résister aux pires vicissitudes de l’histoire, en achevant la séparation durable des Slaves du Nord et des Jougo-Slaves.

Les bassins moyen et inférieur du Danube comportent deux grandes plaines, dont l’une appartient aux Magyars, la seconde aux Roumains. Le brusque coude du fleuve devant Belgrade les réunit en un bloc compact, au milieu duquel se développe la courbe des Carpathes, avec le massif transylvain qui en forme l’épanouissement central. La plaine hongroise s’étend des deux côtés, à la fois ; du Danube et de la Tisza ; au contraire, la plaine valaque n’emprunte que la rive gauche du fleuve, tandis que les falaises de la rive droite servent, jusqu’au Balkan, de soubassement au vaste plateau de la Bulgarie danubienne. Vers la Mer-Noire, la Moldavie remonte en pente douce par les vallées du Pruth et du Séreth, qui sortent côte à côte du groupe montagneux de la Bucowine, détaché des Carpathes vers le Nord-Est. Enfin, du versant septentrional descendent, à travers la plaine galicienne, la Vistule et son affluent, le San, Les plaines hongroise et roumaine, avec le commencement de la plaine polonaise ; la chaîne des Carpathes, les deux massifs de la Transylvanie et de la Bucowine, tel est le domaine que la nature et les circonstances réservent, à l’heure actuelle, comme le plus favorable à l’expansion germanique, pour assurer ses communications avec le Levant.

Le Danube est l’artère vitale du pays hongrois comme du pays roumain. Une fois sorti, en amont de Pesth, des derniers contreforts qui rejoignent les Carpathes au système des Alpes, il s’élargit à mesure qu’il pénètre dans la plaine ; son cours, désormais parsemé d’îles jusqu’à la mer, se déroule au milieu de la verdure pâle des saules ; les troupeaux de buffles, précurseurs de l’Orient, commencent à apparaître sur ses berges basses. Un long défilé, qui marque la rencontre du Balkan avec les Carpathes, sépare le bassin moyen du bassin inférieur ; la passe de Kasan resserre le fleuve dans une étroite coupure de rochers, toute fleurie, au printemps, de lilas et de sureaux sauvages. Après avoir franchi les écueils des Portes-de-Fer, le Danube longe les pentes de la rive bulgare, puis les collines de la Dobroudja ; s’enfonce dans la balta sans issue de la rive roumaine, pour se jeter enfin dans la Mer-Noire par trois bouches différentes.

Depuis l’ouverture du canal des Portes-de-Fer, en 1895, les deux bassins sont assez efficacement réunis pour la navigation ; mais le gouvernement hongrois, désireux de fermer le plus possible la route fluviale à la concurrence agricole des pays balkaniques, tend à maintenir, par l’élévation des taxes, les barrières primitives. Aussi le Danube reste-t-il, en fait, dans son cours moyen comme dans son cours inférieur, principalement réservé au commerce local. Le port de Pesth sert d’entrepôt aux bois, aux céréales, au sel et aux charbons venus de la Hongrie méridionale et, par la Save, de la Bosnie et de la Croatie ; sur le Bas-Danube, les schlepps apportent les céréales roumaines et bulgares jusqu’à Braïla et Galatz, d’où elles sont réexpédiées par la voie de mer ; les mêmes ports reçoivent, par le Séreth, les bois flottés de la Bucowine.

Les traités de Paris et de Berlin ont successivement proclamé la liberté du Danube ; mais, en réalité, les Hongrois ont su s’y prendre pour dominer leur propre bassin et s’assurer la docilité des Serbes dans la partie commune aux deux États. Le fleuve appartient aux deux compagnies autrichienne et hongroise de navigation, qui y ont organisé l’alternance de leurs services : une compagnie allemande n’y peut mener qu’une existence intermittente et précaire (Süddeutsche Donau Bampfschiffsfahrt Ges.). Plus bas, l’indépendance du Danube est mieux garantie : les divers États riverains ont créé des sociétés de navigation, serbe, bulgare et roumaine, qui réussissent au moins à gâter les affaires de leurs puissantes concurrentes austro-hongroises. Les Russes font remonter jusqu’en Serbie les bateaux de la compagnie de navigation de la Mer-Noire (anciennement Gagarine) ; On rencontre sur le Bas-Danube des voiliers ottomans, des schlepps et des remorqueurs, portant pavillons grec, italien et même français. Aux bouches du fleuve, la commission européenne, dont le sort présent a été réglé, en 1883, par la Conférence de Londres, a canalisé le bras de Sulina et maintient, depuis Galatz, une souveraineté bienfaisante, à l’abri d’un drapeau multicolore. A côté d’elle, une commission restreinte, formée des trois pays intéressés (Autriche, Russie, Roumanie), s’occupe à améliorer la navigabilité du Pruth.

La plaine hongroise et la plaine valaque présentent un aspect presque identique. Ce sont terrains bas et argileux, dans lesquels les cours d’eau se sont creusé des lits capricieux. La nature du sol rend les routes mauvaises ; on voyage, l’hiver dans une boue profonde, l’été dans une lamentable poussière ; L’eau se trouve à quelques pieds du sol, amenée par des puits à balancier, dont les longues poutres, profilées sur l’horizon, forment une des caractéristiques du paysage. Chaque bouquet d’arbres masque un village, allongeant sur la route ses pauvres maisons espacées et gardant l’allure du campement primitif, dont les ancêtres firent un beau jour un établissement durable. La campagne est infinie et monotone ; peut-être est-ce une des régions les moins séduisantes de l’Europe, mais c’est, en revanche, l’une des plus riches. Le blé hongrois se maintient, par sa qualité supérieure, contre les blés russes et américains ; la terre roumaine est si fertile qu’elle continue à produire sans engrais, malgré l’insuffisance des procédés de culture. Cependant, ceux qui sont nés dans un tel pays ou qui en ont pris l’accoutumance en ressentent volontiers le charme ; on finit par se plaire à parcourir, pendant les longs mois de froidure, la grande plaine couverte de neige et peuplée de corbeaux, dont la tristesse est souvent éclairée par un beau soleil, brillant dans un ciel très bleu ; on apprécie la pureté de la lumière, la délicatesse des teintes, même les effets de mirage provoqués par les chaleurs excessives des étés, et l’immense nappe ondoyante, verte, puis dorée, qui s’étend à perte de vue dès le printemps jusqu’à la moisson. Pétœfi a célébré la poésie de la plaine hongroise ; Alecsandri, celle de la plaine roumaine.

Il y a peu de contrées qui aient conservé moins de témoignages de leur passé historique ; l’invasion de l’Islam a été impitoyable. En dehors de la cathédrale de Kassa, préservée par sa situation septentrionale, à peine les Turcs ont-ils épargné aux Hongrois les ruines de Visegrad, aux Serbes les murailles de Semendria et la forteresse de Golubac, aux Roumains quelques monastères. En l’ace d’Orsova, l’empreinte romaine était trop profonde pour ne point sauver de la dévastation la table de Trajan. Mais ailleurs, rien n’est resté : Pesth, Belgrade et Bucarest sont villes refaites d’hier ; les agglomérations des plaines hongroise ou roumaine, les échelles du Danube gardent l’aspect de grands villages. L’histoire ne vit plus là que dans les noms des traités et des batailles ; Nicopoli et Mohacs rappellent la défaite de la chrétienté ; Saint-Gothard et Zenta, la reconquête contre les musulmans ; d’une part, Jean Huniade ; de l’autre, Montecuccoli et le Prince Eugène de Savoie. Les négociations de Carlowitz, de Passarowitz, de Belgrade et de Sistowa marquent les étapes progressives de l’influence autrichienne ; l’action russe est descendue par la Moldavie vers les bouches du Danube. De ce côté, le souvenir des Russes est partout, et nombreux sont les monumens, en forme de pyramide, par eux élevés en mémoire de leur passage ; ils ont successivement traité sur le Pruth, à Focsani, à Kaïnardji, à Jassi et à Bucarest ; et c’est laque s’est peu à peu constituée dans le droit public la Russie méridionale.

A mesure que l’on avance vers la Mer-Noire, se produit insensiblement la transition de l’Occident à l’Orient. Les stipulations de Carlowitz maintiennent encore à Bude une modeste mosquée ; mais, à partir des Portes-de-Fer, l’Islam a gardé ses prises ; la petite île d’Ada-Kaleh reste un dernier coin d’Asie enfoncé au pied des Carpathes. Les minarets dominent toutes les villes de la rive droite du Danube, de Widdin à Silistrie ; la Roustschouk bulgare se dégage à peine de l’ancienne ville turque ; les voiliers ottomans, à la proue recourbée au-dessus de l’eau, remontent du Bosphore vers les divers ports du fleuve ; la population turque persiste en Bulgarie, les Tartares dans la Dobroudja. Enfin, la culture germanique, venue de l’Europe centrale, a imprégné la Hongrie tout entière, tandis que la culture française, remontant de la Méditerranée, a pénétré la Roumanie, si bien que les Carpathes forment exactement la frontière entre les deux civilisations.

Au point de vue ethnique, la Hongrie et la Roumanie présentent un caractère également oriental, c’est-à-dire que les races les plus diverses s’y sont juxtaposées sans se confondre et que toutes les croyances y cohabitent les unes à côté des autres. La plaine du moyen Danube appartient bien, en majeure partie, à la race magyare, celle du bas fleuve à la race roumaine ; quant aux montagnes de la Transylvanie, au travers desquelles coulent les multiples affluens de la Tisza parmi les vignobles et les champs de maïs, elles forment le bastion commun des deux races. C’est là que les colons latins de la Dacie Trajane se sont abrités, dès la fin du IIIe siècle, contre le flot des invasions barbares, pour réapparaître ensuite en qualité de Roumains ; c’est aussi là que les Hongrois ont su maintenir l’État magyar, au XVIe et au XVIIe siècle, à la fois contre la conquête turque et contre les prétentions autrichiennes. Comme la Transylvanie domine par sa position les plaines du moyen et du bas Danube, celle des deux races qui en garde le contrôle devient forcément prépondérante dans cette région de l’Europe. S’il est vrai que les Roumains y sont plus nombreux que les Hongrois, même en ajoutant à ces derniers leurs congénères Sicules, le droit historique ne s’en est pas moins constamment exercé en faveur de la Hongrie, et la querelle pour la Transylvanie continue à diviser les deux peuples.

La poussée magyare s’est vigoureusement installée dans le bassin moyen du Danube ; mais sa force expansive était trop restreinte pour pénétrer effectivement jusqu’aux Alpes et aux Carpathes et y imposer autre chose que le principe de la domination hongroise. Aussi les Allemands empiètent-ils sur la plaine en descendant de la Styrie et de la Basse-Autriche ; leurs colons prospèrent encore dans le comté de Zips, le Banat et le sud de la Transylvanie. Les Croates débordent en Slavonie ; les Serbes ont franchi le Danube, il y a deux siècles, et partagent le Banat avec les Roumains. Au nord, les Slovaques, prolongement de la race tchèque, se développent au pied des aiguilles de rochers grisâtres, qui émergent des forêts de sapins de la Tatra. Plus loin, un petit groupe ruthène est venu, au XIVe siècle, prendre, dans le comitat de Maramaros, la place abandonnée par l’émigration roumaine vers la Moldavie. Au moyen âge, les Tsiganes commencèrent à éparpiller, à travers tout le pays, leurs bandes musicales et vagabondes.

Les Roumains ont été plus heureux à leur descente des Carpathes ; leur race était assez compacte pour former, à l’unique exception des Tsiganes, un seul bloc ethnique dans les principautés ; à peine fut-elle pénétrée dans la suite par une mince coulée sicule, qui filtra dans la vallée du Séreth ; quant à la population tartare et aux inévitables colonies allemandes de la Dobroudja, ce fut un legs de la Turquie au nouveau royaume de Roumanie.

En revanche, les pays roumains n’échappèrent pas davantage que les pays hongrois à des pénétrations diverses, plus récemment provoquées soit par les bouleversemens politiques, soit par le jeu des transformations économiques. Un afflux de juifs allemands se dirigea de la Galicie vers la Hongrie, et de la Petite Russie vers la Moldavie ; des juifs espagnols passèrent le Danube pour s’installer en Valachie ; une petite proportion d’Arméniens remonta jusqu’en Transylvanie et en Pologne ; les Grecs prirent pied en Valachie et s’installèrent dans les ports du bas fleuve. Des sectaires, les Lipovans et les Skoptsi, chassés de la Russie par l’intolérance religieuse ou par la justice des lois, se réfugièrent en Bucowine et en Roumanie ; le malheur des temps implanta sur la rive gauche du Danube des colonies serbes et bulgares ; le travail des champs continue à attirer, chaque année, en Roumanie une immigration temporaire des deux races. Enfin, le développement du commerce et des affaires, la création des industries provoquèrent une dernière importation de capital et de travail étrangers : les Allemands furent à peu près seuls à s’emparer du domaine hongrois ; en Roumanie, ils prennent une place grandissante, mais s’y trouvent en concurrence avec la plupart des nationalités européennes.

Les religions sont aussi multiples que les races : le catholicisme latin réunit les Hongrois, la majorité des Slovaques, une fraction des Allemands, quelques Serbes et Bulgares ; les Ruthènes et les Roumains possèdent chacun une église unie. L’orthodoxie embrasse le plus grand nombre des Roumains, des Serbes et des Bulgares, et les Ruthènes non-unis ; la communauté lipovane a son centre en Bucowine, Le protestantisme est très divisé : l’église évangélique est surtout allemande, avec un certain élément slovaque et hongrois ; les Saxons de Transylvanie y représentent un groupe autonome ; l’église réformée est hongroise ; enfin une communauté unitaire se maintient chez les Sicules. Dans le judaïsme, la plupart appartiennent au rite occidental, une faible minorité au rite oriental ; quelques Karaïtes, venus de Crimée, sont dispersés en Roumanie et jusqu’en Galicie. Enfin l’islamisme garde sur les bords du Danube les derniers vestiges de son ancienne domination.

L’évolution sociale forme un autre point de ressemblance entre la Hongrie et la Roumanie ; elle y a subi la même loi qui préside à l’organisation primitive de toutes les sociétés de l’Europe orientale, affectant aussi les Polonais et les Russes. De fait, l’établissement des Magyars et des Roumains dans leurs plaines respectives y avait introduit une collectivité d’hommes également libres, ayant tous droit à la répartition des terres ; parmi eux surgit une aristocratie turbulente, s’employant sans cesse à limiter le pouvoir du prince, et aucune bourgeoisie nationale ne parvint à se constituer. L’écart s’accrut ainsi de plus en plus entre le paysan et le seigneur ; la subordination définitive du premier au second fut simplement la conséquence des nécessités militaires ; en échange des services de guerre rendus par le noble, le paysan fut déclaré corvéable et fixé au sol. Cette transformation commence en Hongrie, dès le XIVe siècle ; elle s’accomplit en Valachie à la fin du XVIe L’émancipation n’eut lieu qu’en 1848 chez les Hongrois, en 1864 chez les Roumains ; elle était la conséquence du mouvement libéral qui, depuis le commencement du siècle, s’était emparé des deux peuples et y marchait de pair avec le mouvement national. Ce mouvement parallèle eut l’heureuse fortune d’assurer l’indépendance ainsi que la constitution actuelle des deux pays, où le gouvernement, malgré ses formes démocratiques, continue à appartenir en fait à des aristocraties.

Pour compléter la similitude, un dernier trait achève de réunir la Hongrie et la Roumanie : c’est la crainte commune de la race slave et de la Russie, dans lesquelles toutes deux affectent de redouter la seule ennemie dangereuse de leurs nationalités et de leurs institutions libérales. Depuis le compromis de 1867, les Hongrois ont pris au sérieux leur entente avec le germanisme ; ce sont eux qui ont retenu, en 1870, les impatiences de l’Autriche et réalisé, en 1879, l’alliance austro-allemande. Les Roumains ont été moins prompts à adopter une direction semblable ; leur évolution a été progressive, et leur adhésion, désormais définitive, au système de l’Europe centrale accentuée ou ralentie selon les progrès du slavisme dans la Péninsule balkanique.

Voici donc deux États, de conditions analogues, rattachés par un égal intérêt à la politique allemande et offrant, par conséquent, leur territoire comme le chemin le plus favorable à l’expansion germanique vers le Levant. Et pourtant, leur attitude est entièrement différente à l’égard du germanisme. La Hongrie possède assez d’assurance pour réagir ; elle développe, à l’encontre de l’œuvre pangermanique, sa tradition nationale et magyarise impitoyablement les Allemands du royaume ; elle s’efforce à défendre son indépendance économique et veut faire sentir, dans la Triple Alliance, la valeur de son concours. La Roumanie, au contraire, est timide et sa docilité se prête à toutes les concessions, trop heureuse d’une modeste place au foyer des Puissances centrales. Elle livre sans résistance sa vie économique à l’influence allemande et sa vie nationale au contrôle exclusif d’une cour germanisante. Resserrée dans la suite des siècles par la race magyare, la race roumaine semble faite pour adhérer à tout système qui lui assure une garantie d’existence contre ses anciens oppresseurs hongrois et l’espoir d’être préservée d’une pression trop violente dans l’étau redouté du slavisme. Vis-à-vis du germanisme, la Hongrie réussit à être un associé qui discute et défend ses points de vue ; la Roumanie ne représente guère qu’un instrument commode, dont l’Allemagne dispose à son gré, afin de se réserver une issue certaine vers la Mer-Noire par le chemin de la Galicie et amener, eu cas de besoin, à résipiscence le Hongrois récalcitrant.


  1. Fritz Bley, die Weltstellung des Deutschlums.
  2. Dans la période de 1863-72, importation moyenne en Turquie, 495 millions ; Angleterre, 240 ; France, 73.
  3. Varna-Routschouk, 225 kilomètres. — Kustendjé (Constantza)-Cernavoda, 64 kilomètres. — Constantinople-Bellova, 552 kilomètres. — Salonique-Mitrowitza, 278 kilomètres.
  4. Paul Dehn, Deutschland und Orient in ihren wirthschaftpololischen Beziehungen.