L’Allemagne depuis la guerre de 1866/03


L’ALLEMAGNE
DEPUIS LA GUERRE DE 1866


III.
les progrès récens de l’agriculture en Prusse.


Presque tous les gouvernemens ont dérangé leurs finances et appauvri leurs peuples en entretenant de trop nombreuses armées. On gémit quand on songe que c’est pour des intérêts dynastiques, pour des conquêtes souvent funestes au vainqueur même ou pour un faux point d’honneur, qu’on pousse les peuples à s’entr’égorger, et qu’en temps de paix on consomme en armemens ruineux l’argent que le travailleur gagne avec tant de peine. Si tous les états obérés, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne, avaient le bon esprit d’imiter en ce point la Suisse ou les États-Unis, quel soulagement pour les contribuables ! Comme leur patriotisme, maintenant refroidi ou boudeur, se retremperait dans le sentiment de satisfaction que leur inspireraient un bien-être plus grand et un avenir mieux assuré ! En fait de dépenses militaires, la Prusse n’a pas été plus sage que les autres, et depuis le grand-électeur elle a toujours entretenu un nombre de soldats hors de proportion avec le chiffre de ses habitans ; mais du moins elle a donné à son armée une organisation économique et égalitaire, et ses souverains ont compris que, pour la soutenir, il fallait à tout prix développer l’agriculture. Tandis que les rois de France ruinaient les campagnes en bâtissant des palais, en fomentant un luxe insensé, en attirant la noblesse à leur cour, les rois de Prusse desséchaient des marais, fondaient des colonies agricoles, ouvraient des routes, creusaient des canaux, créaient des haras et des bergeries pour améliorer les races de chevaux et de moutons. L’élan ainsi donné ne s’est ralenti que pendant les guerres de l’empire. Aussitôt après 1815, le progrès a repris, et il a été surtout remarquable dans ces dix dernières années[1]. C’est ce progrès, ce sont les moyens par lesquels il a été obtenu que nous allons faire connaître. Cette étude nous révélera en partie le secret de la position que la Prusse a pu prendre en Allemagne. Si sa population a doublé depuis un demi-siècle, c’est que la production agricole a doublé aussi. Une paix non interrompue de cinquante années lui a permis d’atteindre, ce résultat. Pendant tout ce temps, elle a eu la sagesse de se désintéresser des questions extérieures, de ne point aspirer à des agrandissemens nouveaux et d’appliquer ses forces au développement de ses ressources intérieures. De nos jours, la base réelle de la puissance des états est la prospérité économique. Que l’Autriche eût employé les centaines de millions inutilement dépensés en Italie à mettre en valeur les merveilleuses richesses de son territoire, et elle aurait fait une tout autre figure au jour suprême de Sadowa. Espérons que de malheureuses rivalités nationales n’entraîneront plus les peuples civilisés à des luttes fratricides ; en tout cas, il est bon de savoir comment un pays parvient à tirer parti de ses ressources naturelles de façon à pouvoir défendre efficacement son indépendance et ses frontières.


I

Il n’y a point en agriculture de question plus importante que celle des assolemens. Le chiffre de la population que la terre peut nourrir dépend de la succession des récoltes qu’on lui fait porter. L’homme pour vivre a besoin de pain et de viande. Dans un pays peu peuplé, la végétation spontanée des vallées et des forêts suffit à entretenir le bétail, et on obtient les céréales sur de vastes étendues dont la plus grande partie se repose ; mais, quand la population s’accroît, il faut avoir recours à un mode de culture de plus en plus perfectionné. En Allemagne, dès l’époque de Charlemagne, on trouve l’assolement triennal, qui correspond à un état social assez avancé déjà, et qui a régné jusqu’à la fin du siècle dernier. Au XVIIe siècle, le trèfle, venu des Flandres, au XVIIIe, la pomme de terre, firent leur apparition dans l’année de jachère. Ce qui montre toutefois combien cette innovation s’était peu répandue, c’est que l’empereur Joseph II crut devoir donner le titre de seigneur de Kleefeld, c’est-à-dire du Champ-de-Trèfle, au propriétaire Schubart, qui avait contribué à introduire cette utile légumineuse en Autriche. Les droits féodaux rendaient impossible l’adoption d’un meilleur assolement, car il fallait respecter le privilège de la vaine pâture que le troupeau seigneurial exerçait sur les chaumes. Même après les réformes de Stein, les corvées furent maintenues. Les paysans devaient exécuter tout le travail agricole (Hand-und-Spanndienst) nécessaire pour mettre en valeur le domaine de leur maître, labourer, semer, récolter et transporter le blé sur leurs chariots, dans leurs propres sacs, jusqu’au marché voisin, souvent éloigné de dix ou douze lieues. Ces corvées ne furent définitivement abolies qu’en 1833, au moins dans la partie orientale du royaume. Il se peut que la valeur en argent de ces charges féodales fût inférieure au fermage que paie ailleurs le locataire ; mais un pareil régime abaissait le paysan, tuait en lui tout esprit d’initiative, toute aspiration vers un sort meilleur, et opposait ainsi un obstacle invincible aux améliorations. Sur les biens nobles exploités par leurs propriétaires, l’assolement alterne[2] est aujourd’hui généralement appliqué. Dans ces dernières années, les paysans ont commencé à l’adopter également. Cependant la province de Posen et celle de Prusse offrent encore par endroits l’ancien système triennal avec jachère complète la troisième année. Dans la partie occidentale de ces provinces et du côté de la Baltique, on arrive à l’assolement holsteinois avec ses quatre années consécutives de céréales suivies de quatre années de plantes fourragères et de pâturages. Vers la Russie, où la grande propriété domine, des distilleries nombreuses avec machines à vapeur ont été établies pour tirer de la pomme de terre un produit susceptible d’exportation.

En Poméranie, des progrès considérables se sont accomplis en peu de temps. L’assolement triennal a presque entièrement disparu, et l’on adopte une rotation où les plantes sarclées et les fourrages prennent la moitié de la superficie. Ayant plus de nourriture pour les bestiaux, les cultivateurs en ont augmenté le nombre. Ils en ont aussi amélioré la qualité en faisant venir des reproducteurs de la race d’Ayr et du Danemark. La stabulation permanente s’introduit, et on élève la vache hollandaise, qui donne tant de lait. Le cochon du pays, efflanqué et haut sur jambes, cède la place au petit porc anglais, qui, avec moitié moins de dépense, se transforme en une boule de lard. Le mouton Rambouillet et le Southdown se disputent la faveur des éleveurs. L’académie d’agriculture d’Eldena et l’association de la Baltique (baltische Verein), qui organise des expositions agricoles dans les principales villes de la province, ont beaucoup contribué à ces progrès. Dans le Brandebourg, des efforts intelligens ont été faits pour augmenter le capital d’exploitation. Le système alterne avec culture du trèfle ordinaire, du trèfle incarnat, du lupin et de la pomme de terre est presque général. La jachère nue (reine Brache) n’apparaît plus que sur quelques communaux indivis et écartés. Presque partout le mérinos et le mouton de boucherie ont remplacé le petit mouton des bruyères. La Silésie est moins avancée malgré la fertilité plus grande du sol. Cependant les plantes industrielles, le lin surtout, ont pris plus de terrain, et des récoltes vertes sont mises dans la sole de la jachère ; mais la succession de deux céréales, l’une d’hiver, l’autre de printemps, rappelle encore le type de l’ancienne rotation. Dans les plaines des provinces de Saxe, de Westphalie et du Rhin, l’assolement alterne avec fourrages et récoltes industrielles a fait d’importantes conquêtes. Grâce à la hausse constante des prix, le cultivateur n’a plus peur de faire des avances ; il achète des engrais au commerce, beaucoup de phosphate de chaux, composé d’os traités à l’acide sulfurique, des phosphates de la saline de Steinfurth et même du guano, quoique le kilogramme coûte 35 centimes, c’est-à-dire plus cher que le même poids du grain qu’il est destiné à produire. Les districts montagneux, plus isolés, restent seuls en arrière, mais la même la jachère complètement improductive tend à disparaître. En résumé, dans le pays entier, elle n’occupe plus que la septième partie du sol au lieu du tiers. C’est une révolution économique de la plus grande importance, semblable à celle qui s’est accomplie en Angleterre à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci. Les racines et les fourrages nouvellement introduits ont permis de nourrir un poids vif de bétail double. Les céréales mieux fumées ont livré beaucoup plus de grains. La masse des subsistances a augmenté rapidement, la population s’est accrue dans la même proportion et a favorisé le développement de l’industrie soit par l’offre des bras, soit par la demande des produits.

D’après les conseils du professeur d’agriculture Burger, on a introduit dans les provinces orientales un système d’agglomération territoriale, nommé consolidation, qui a grandement contribué à l’adoption d’une rotation meilleure. Les parcelles qu’un même propriétaire possède dans différentes parties de la commune sont échangées contre d’autres parties de valeur égale, de manière à lui assurer désormais un bien d’un seul tenant, et ceux qu’il a fallu exproprier reçoivent une compensation équivalente. On taille des propriétés sans enclaves, qu’on attribue à chaque propriétaire en raison de ce qu’il possédait auparavant. De cette façon, on obvie aux inconvéniens du morcellement exagéré, et quand l’opération se fait équitablement avec le concours des autorités locales, tout le monde y gagne, la culture surtout. Il est plus d’une région en France où l’application de cette variété de l’expropriation pour cause d’utilité publique serait très profitable aux cultivateurs. Ce n’est en réalité qu’un échange obligatoire qui a pour résultat certain d’augmenter la valeur de toutes les propriétés qui y sont soumises. Si les hommes étaient assez raisonnables pour discerner leur propre intérêt, ils feraient l’opération spontanément, sans l’intervention de la loi. Ce qui rend celle-ci nécessaire, c’est que la mauvaise volonté et les prétentions exagérées d’un seul suffisent pour rendre le travail d’agglomération impossible.

Les instrumens aratoires perfectionnés et les machines commencent à se répandre. La charrue généralement employée dans la Prusse orientale était un araire d’une forme très primitive (Zoche), mais qu’on dit être facile à tirer. La charrue du Brabant et la charrue américaine, avec leurs socs bien aiguisés et leurs grands versoirs, qui retournent les sillons en volutes régulières, deviennent chaque jour moins rares ; cependant elles le sont encore beaucoup trop. Sur le domaine princier de Pless, une charrue à vapeur marche depuis 1863. C’est une admirable machine qui fait un bon travail ; mais elle a l’inconvénient de coûter fort cher et de ne fonctionner que pendant quelques jours de l’année. Les machines qu’emploie l’industrie coûtent encore davantage, mais elles rendent au moins des services continus, et gagnent d’une façon permanente l’intérêt du capital engagé. Les machines à battre avec manège sont très nombreuses ; celles à vapeur sont plus rares, on en compte de quinze à vingt par province. La province de Saxe seule en a soixante-dix. Le semoir à cheval est d’un usage assez général, surtout pour les betteraves. L’emploi des locomobiles agricoles s’étend. Dans différentes localités, entre autres à Bittburg et à Schweich, des cultivateurs se sont associés pour acheter une batteuse locomobile qu’ils emploient d’abord pour battre leur propre récolte et qu’ils louent ensuite aux autres fermiers, spéculation excellente qui offre un placement sûr aux petites épargnes villageoises, et qui, généralisée, rendrait de grands services aux campagnes. Il serait à désirer que dans chaque commune il se formât des sociétés par actions de ce genre. La machine serait mise à la portée de tous, même du petit cultivateur. Les paysan pourraient surveiller eux-mêmes l’emploi de leur argent, et ils apprendraient à administrer une affaire industrielle.

L’esprit d’association a encore donné naissance à d’autres bonnes Ainsi dans les provinces rhénanes il s’est formé des sociétés ayant pour but de servir d’intermédiaire entre les cultivateurs et les constructeurs d’instrumens aratoires. Un dépôt a été établi où ces instrumens sont exposés avec indication du prix ; une légère commission est abandonnée par le vendeur pour couvrir les frais généraux, d’ailleurs très peu considérables. Dans d’autres endroits, notamment dans le district de Trêves, les cultivateurs se réunissent pour acheter et nourrir à frais communs des taureaux de bonne race. C’est l’institution, des haras appliquée à la commune et soutenue uniquement par l’initiative individuelle. Qu’on le remarque bien, ce qui rend ces améliorations possibles, c’est la diffusion de l’instruction dans les campagnes. Sans instruction, les cultivateurs ne parviendraient ni à comprendre les avantages de l’association, ni à s’entendre pour la constituer et la diriger.

Parmi les cultures industrielles, il en est une qui a pris dans ces derniers temps un merveilleux essor en Allemagne : c’est celle de la betterave, qui, comme on sait, favorise singulièrement tous les progrès agricoles. Par un curieux échange de services réciproques entre peuples voisins, c’est un Allemand, Marggraf, qui le premier a conçu l’idée d’extraire du sucre de cette racine indigène, et c’est un Français, Achard, qui a introduit cette industrie en Allemagne, où elle s’est si rapidement développée à partir de 1836. En 1837, on comptait dans le Zollverein 122 fabriques qui de 25 millions de kilos de racines extrayaient seulement 1,408,000 kilos de sucre, ce qui constitue un rendement de 5 pour 100. En 1851, il y avait 184 fabriques, et 736 millions de kilos de betteraves produisaient 53 millions de kilos de sucre, soit un rendement de 7,25 pour 100. La production correspondait à 1 kilo 565 grammes par habitant. En 1865, 270 fabriques ont travaillé 2 milliards de kilos de betteraves, livrant à la consommation 170 millions de kilos de sucre ou 5 kilos 130 grammes par tête. En France, la production donnait 4 kilos par tête. Le rendement montait à 8 1/2 pour 100. La production moyenne par fabrique était de 632,000 kilos de sucre, tandis qu’en France elle ne s’élevait qu’à la moitié ; mais le nombre des fabriques était plus grand : il était de 364. Sur les 270 fabriques du Zollverein, 234 étaient prussiennes. Si le développement de l’industrie saccharine est beaucoup plus rapide en Prusse, où en dix ans elle a triplé, qu’il ne l’est en France, cela tient d’abord à la modicité relative des droits, ensuite au mode mieux entendu de perception. Les droits d’accise s’élèvent en France et en Belgique à 45 francs par 100 kilos, en Prusse à 22 fr. 50 centimes environ, donc à peu près à la moitié. En France, l’impôt se perçoit sur la quantité effective de sucre produit ; il n’en échappe pas un atome à l’impôt. Ce système est juste, mais il est vexatoire dans la pratique. Il comporte un grand nombre de règlemens compliqués et nécessite des mesures de surveillance rigoureuse, non-seulement dans la fabrique même, mais aussi dans tout le rayon d’alentour, sur les voies de communication et dans les magasins. En Prusse, on paie le droit sur le poids brut des betteraves. Les racines sont pesées au sortir de l’appareil à laver, et le fisc les impose comme si elles devaient rendre environ 8 1/2 pour 100 de sucre, c’est-à-dire à raison de 15 silbergros (1 franc 87 centimes) par 100 kilogrammes. Tout ce qui dépasse le produit moyen échappe donc à l’impôt. Ce système a l’inconvénient de rendre la fabrication impossible dans toutes les régions à sol médiocre, où la betterave ne peut acquérir une richesse saccharine supérieure à 8 1/2 pour 100 de rendement : de là vient que l’industrie sucrière se concentre dans certains districts, comme dans la Saxe prussienne, où se trouvent réunies plus de la moitié des fabriques que compte le Zollverein ; mais il a l’avantage de favoriser, d’appeler même tous les progrès que les régimes français, belge ou hollandais ont pour effet d’entraver. En Prusse, la loi ne s’occupe pas du mode de fabrication ni du rendement obtenu. Pourvu que les employés puissent peser exactement les betteraves, opération bien simple, le fabricant est en règle. Il est affranchi de toute réglementation, de toute surveillance, de toute crainte de contravention et d’amendes. Il n’a qu’un seul intérêt, et celui-là très pressant, retirer des racines sur lesquelles il a payé l’impôt le plus de sucre au meilleur marché possible. Il se trouve sous le régime commun à toutes les industries libres, stimulé d’abord par la concurrence, en second lieu par le désir de bénéficier sur les droits qu’il a dû acquitter. Comme il est facile de le prévoir, il est résulté de ce système fiscal que les procédés de fabrication se sont perfectionnés plus rapidement en Allemagne que dans les autres pays[3], et la quantité de sucre produite augmente chaque année dans des proportions inconnues ailleurs, au grand bénéfice de l’agriculture.

II

Pour mieux comprendre comment le progrès agricole s’est accompli, il est bon de sortir des généralités et de considérer un cas particulier. Tout deviendra plus vivant ainsi, et l’on saisira mieux la réalité des choses. Transportons-nous donc dans le domaine de Steinbusch, situé aux limites des trois provinces de Prusse, de Poméranie et de Posen. Cette terre est immense ; elle comprend 54,927 morgen[4], dont 12,786 en terre arable, 31,370 en bois, 3,000 en prés et 6,161 en lacs et étangs. Cet imposant ensemble a été constitué par son propriétaire, mort il y a quelques années, M. Sydow. Ce n’est pas une terre princière, que domine un vieux château féodal transmis de génération en génération. M. Sydow, à force d’ordre et d’économie, l’a formée par la réunion de sept rittergüter, biens nobles acquis successivement de 1811 à 1849. C’est ainsi que s’est formée la Prusse elle-même. A l’origine, M. Sydow avait peu de fortune ; mais à l’époque des grandes guerres de l’empire les propriétés dans cette région se vendaient à vil prix, et elles restèrent dépréciées jusqu’après 1830. Un détail donnera l’idée de l’état de l’agriculture en ce temps-là. Le rittergut de Steinbusch, comprenant 1,000 hectares en 1816, ne possédait que 2 chevaux, 10 bœufs, 22 bêtes à cornes, 500 moutons, et en fait d’instrumens aratoires que trois charrues et deux herses de bois en mauvais état. Le produit net que pouvait donner un pareil bien était à peine suffisant pour faire subsister le propriétaire. Le sol était sablonneux et humide, entrecoupé de marais et d’étangs. Sur ce triste domaine végétaient quelques rares familles de paysans, vivant de seigle et de pommes de terre. M. Sydow étudia les ressources naturelles de sa propriété, visita avec soin les contrées avancées en culture, s’enquit partout des bonnes méthodes, et les appliqua chez lui avec un discernement, une persévérance et une sage économie que couronna le plus brillant succès. Les bois étaient dévastés par les troupeaux des paysans, qui y exerçaient de temps immémorial le droit de vaine pâture. Il acheta les petites occupations des pauvres cultivateurs, leur donna du travail et un bout de pré pour leur vache. Les servitudes se trouvèrent ainsi abolies. Les bois, divisés par des avenues parallèles en carrés réguliers de 50 hectares, furent replantés ou ressemés dans les parties vides et traités systématiquement par un chef de sylviculture (Forstmeisier), mais à quoi bon des forêts, même admirablement aménagées, dans une contrée où la population manque pour en faire usage ? Les produits des coupes annuelles de ces 8,000 hectares couverts de résineux et de bouleaux ne trouvaient pas d’emploi ; il fallait en imaginer un. M. Sydow établit une verrerie dont les fourneaux, chauffés avec ce bois, convertirent le sable, qui ne manquait pas, en bouteilles expédiées et vendues à Berlin. Cette industrie rapporte aujourd’hui par an 32,500 thalers, somme très supérieure au revenu primitif du domaine tout entier.

Pour transporter à moindres frais ses matières premières, il creusa un canal de 22 kilomètres de long, passant en tunnel sous une colline, ce qui lui permit d’établir des prairies arrosées, de construire quatre moulins et de se mettre en communication avec la rivière la Drage, et par suite avec les marchés consommateurs. C’est un grand travail qui a exigé une forte avance, mais qui en paie largement l’intérêt. Sur ses terres arables, il remplaça l’antique assolement triennal misérablement conduit par une excellente rotation alterne dont le type suivant donnera l’idée : première année, pommes de terre fumées ; deuxième, seigle d’été ; troisième, pommes de terre ; quatrième, lupins avec trèfle blanc et graminées ; cinquième, pâturage pour les moutons ; sixième, seigle d’hiver. Il arriva ainsi à entretenir. 160 chevaux, 660 bêtes à cornes et 11,000 moutons, ce qui revient à une tête de bétail par 2 hectares, proportion déjà satisfaisante pour un sol si médiocre. Le lait des 330 vaches est converti en fromages envoyés au marché des grandes villes. Huit distilleries utilisent le seigle et les pommes de terre, qu’on ne pourrait faire arriver aux lieux de consommation que grevés de frais exorbitans ; la pulpe sert à engraisser le bétail. Ces distilleries livrent 4,150 hectolitres d’esprit payant 15,700 thalers d’impôt. Voilà donc 59,000 fr. de revenu annuel procuré à l’état par l’industrie d’un seul homme. L’impôt foncier pour les bâtimens et les terres monte à 1,980 thalers, ce qui fait environ 60 centimes par hectare. Tous les bâtimens d’exploitation ont été successivement reconstruits en briques conformément aux exigences d’une exploitation moderne. L’habitation centrale de Steinbusch, où est concentrée toute l’administration de cette petite province, s’élève au milieu d’un parc disposé en jardin anglais. Les 250 hectares de prairies arrosées donnent une énorme quantité de foin. Aucun produit n’est négligé, pas même celui de la pêche dans les étangs, qu’on repeuple par la pisciculture, ou celui de la chasse, qui, en sangliers, cerfs et chevreuils, s’élève, année moyenne, à 1,800 thalers. 518 personnes sont employées sur le domaine à l’exploitation rurale, à la verrerie, aux briqueteries et aux moulins ; avec leur famille, elles peuplent plusieurs petits villages. Le salaire n’est pas élevé. Aux ouvriers fixés sur la terre et qui ont une bonne maison, 1/2 hectare de terre, le droit de prendre de bois et de faire paître gratuitement une vache ou six moutons, on paie 62 centimes l’hiver, 74 centimes l’été. Les ouvriers étrangers ont 92 centimes l’hiver et 1 fr. 25 centimes l’été. C’est peu sans doute, mais c’est plus qu’en Belgique et en Hollande, où le travailleur rural ne gagne guère davantage, et où il paie toutes les denrées bien plus cher. En résumé, M. Sydow a supérieurement résolu ce difficile problème où tant d’autres ont échoué, et qui consiste à mettre en valeur une terre de mauvaise qualité, située dans une province écartée, loin des grands centres de consommation. Il l’a fait en créant le capital sur place par l’emploi judicieux de l’épargne et en transformant en produits industriels facilement transportables les produits bruts qui manquaient de débouchés. Nous n’aurions pas insisté sur ces détails, si l’on ne pouvait en tirer le plus utile enseignement. D’où vient que l’accroissement de la richesse a été beaucoup plus rapide en Prusse qu’en Autriche ou en Russie ? D’abord de ce que les lumières sont ici plus répandues, ensuite de ce que l’épargne y a créé plus de capital. Pour créer du capital, il faut ne pas consommer le produit net en jouissances personnelles ; il faut l’employer d’une façon reproductive en ouvrant des routes, des canaux, en construisant des machines, en bâtissant des fermes, en drainant la terre, en y appliquant des amendemens, des engrais, en y plantant des arbres, en exploitant des mines nouvelles, en élevant des usines, en faisant des travaux d’irrigation, en un mot en tirant parti de tous les dons naturels que le pays possède. Si celui qui a 100,000 livres de rente les consomme, le pays ne s’enrichit pas ; mais s’il vient à se contenter d’une dépense de 30,000 francs, et s’il emploie le surplus à améliorer sa propriété, il y aura épargne. L’année suivante, le revenu de ce bien sera plus grand, la production générale accrue, et la nation se trouvera enrichie. Qu’un grand nombre de ceux qui disposent du revenu net agissent ainsi, et la fortune nationale se développera rapidement. Si M. Sydow n’avait pas épargné et fait ensuite de son épargne un emploi intelligent, au lieu d’un magnifique domaine donnant un produit brut d’au moins 1 million, il y aurait une maigre lande peuplée de quelques pauvres paysans et d’une demi-douzaine de hobereaux relativement aussi misérables qu’eux. L’étranger se plaint ou se moque parfois de l’économie du Prussien ; il a tort. Cette vertu solide, dont les souverains ont toujours donné l’exemple, a été le salut et la force du pays. En Russie, en Autriche, les habitudes de dissipation, d’incurie, de prodigalité, ont été trop longtemps le cachet distinctif des gens comme il faut. Les propriétaires dépensaient leurs revenus dans les capitales, dans les villes de bains à l’étranger, souvent même ils grevaient leurs biens d’hypothèques pour satisfaire de ruineuses fantaisies. Si ceux qui disposent du produit net le consomment tout entier, d’où viendra le progrès économique ? Que dans un pays riche comme l’Angleterre l’aristocratie use avec prodigalité de son immense fortune cela n’arrêtera point l’accumulation du capital, parce qu’au-dessous d’elle il y a une classe moyenne compacte disposant aussi d’énormes ressources et portée par tempérament aux emplois reproductifs ; mais chez ces nations de l’Europe orientale, au-dessous du grand propriétaire, on ne trouve que de pauvres cultivateurs, des paysans à peine échappés au joug du servage, vivant au jour le jour, sans instruction, sans prévoyance, sans aspiration vers une condition supérieure. Est-ce donc de cette classe déshéritée et impuissante qu’il faut attendre le persévérant effort d’intelligence et de volonté nécessaire au développement économique du pays ?

Presque partout en Europe, même en Angleterre, le salaire de l’ouvrier agricole est extrêmement réduit, et suffit à peine à satisfaire les besoins les plus urgens de la famille. La Suisse d’abord et puis la France sont les pays où la condition du travailleur à la campagne est la moins gênée. En Prusse, le salaire, partout assez modique, est plus élevé dans les provinces occidentales, quoique la population y soit deux fois aussi dense que dans les provinces orientales. A l’est, la journée de l’ouvrier ne se paie pas même 1 franc, tandis qu’à l’ouest elle dépasse 1 fr. 25 c. Dans les provinces de Posen, de Poméranie et de Prusse, chaque exploitation s’attache le nombre de familles qui lui sont nécessaires pour exécuter les travaux ordinaires de la culture. À ces travailleurs appelés suivant la localité Insleute, Gürtner) Komorniks, on accorde une habitation, un demi-hectare de terre, souvent le bois de feu et le pâturage pour une bête à cornes. En échange, ils s’engagent à travailler toute l’année sur le domaine à un silbergros (12 centimes 1/2) meilleur marché que l’ouvrier ordinaire. Beaucoup de travaux se font à la tâche : ainsi on paie pour faucher un morgen de blé 8 silbergros, ce qui revient à environ 4 francs l’hectare ; on donne la moitié pour faucher le foin, et 7 francs s’il faut aussi le sécher et aider à le rentrer. Les gages d’un domestique de ferme sont en moyenne de 80 francs, ceux d’une servante de 50 francs. Dans les provinces de Saxe, de Westphalie et du Rhin, ils montent presque au double, preuve nouvelle de l’avantage qui résulte pour tous d’une plus grande subdivision de la propriété. Voici comment était constitué en 1861 le personnel adonné aux travaux agricoles : d’abord 1,119,134 propriétaires et 60,644 locataires formant le groupe des entrepreneurs et comptant avec leur famille 6,149,462 individus ; ensuite 46,384 directeurs, chefs de culture, femmes de ménage, 558,424 domestiques, 500,500 servantes, 574,934 ouvriers, et 565,704 ouvrières, soit en tout 2,245,946 personnes employées au service des entrepreneurs de l’industrie agricole. Les provinces occidentales présentent de nouveau ici un contraste frappant avec les provinces orientales. Tandis que dans celles-ci on trouve trois salariés pour un maître, dans les autres on n’en compte qu’un seul. Le travail est donc exécuté pour la plus grande part d’un côté par ceux qui en retirent le profit, de l’autre par ceux qui doivent être indifférens aux résultats. Quoi d’étonnant que le produit brut à l’ouest soit le double de celui de l’est ?

Depuis 1816, le chiffre de la population rurale a augmenté dans toutes les provinces. Elle s’élevait à cette époque à 7,438,460, en 1849 à 11,714,285, en 1860 à 12,865,368. Celle des villes montait à cette dernière date à 5,611,132, de sorte qu’elle était inférieure au tiers de la population totale. L’accroissement dans les villes était un peu plus rapide que dans les campagnes. Pendant ces quarante-deux dernières années, d’un côté le chiffre de 1,000 âmes était monté à 1,817, de l’autre à 1,672 seulement, différence assez faible qui correspond à un phénomène observé partout et qu’explique l’amélioration des voies de communication. On sait qu’en France les résultats que présentent les mouvemens de la population sont loin d’être aussi satisfaisans[5], Le nombre total des habitans s’accroît très lentement, et celui des naissances diminue. C’est là, il est vrai, un phénomène auquel certains économistes applaudissent, qu’ils ont même appelé de leurs vœux et favorisé de leurs conseils ; mais le fait extrêmement grave et que nul ne considérera comme avantageux, c’est la dépopulation persistante des campagnes. Depuis 1846, elles ont perdu 749,044 habitans. Pendant la même période, la population rurale de la Prusse s’est accrue d’un million. Ainsi diminution d’un côté, augmentation de l’autre, tel est le résultat qu’il faut constater et qui est doublement fâcheux, soit qu’on considère les intérêts permanens de la paix, soit qu’on pèse les chances éventuelles de la guerre, car ce sont les campagnes qui produisent les denrées alimentaires, élément principal du bien-être des peuples, et ce sont elles aussi qui fournissent aux armées les soldats les plus sains, les plus robustes, les plus durs à la fatigue. Toutes les améliorations introduites dans la culture doivent se traduire par une hausse dans le prix des terres. C’est précisément ce qui a eu lieu en Prusse dans ces dernières années. Jusque vers 1840, la valeur des immeubles ne s’était guère relevée de la dépréciation dont les avaient frappés les guerres de l’empire et la crise du rachat des servitudes féodales. Les grains étaient à un bon marché inouï dans toute la Prusse orientale. De 1820 à 1830, le seigle s’est vendu en moyenne 6 francs l’hectolitre, de 1830 à 1840 8 francs environ. Le revenu des terres était presque nul ; tout le monde était dans la plus profonde misère. La crise n’épargnait même pas les grands propriétaires, M. de Lavergne-Peguilhen[6] a pu affirmer sans être contredit que, dans le gouvernement ! de Stettin, dont la situation est pourtant exceptionnellement favorable, sur 1,600 rittergürer, 1,300 étaient à vendre. La terre ne valait plus les lettres de gage qui représentaient l’hypothèque dont elle était grevée. Exproprier était souvent inutile ; on ne trouvait pas d’acheteurs. A mesure que les entraves de l’ancien régime disparurent et que les voies de communication s’améliorèrent, le prix des produits agricoles se releva. Le courage revint, on se mit à l’œuvre, et aujourd’hui la valeur des biens-fonds, a triplé. Cette hausse est si rapide qu’elle étonne même ceux qui la constatent dans les rapports officiels[7]. Ainsi dans le district de Posen le morgen se payait, il y a dix ans, 40 thalers ; en 1864, il se vendait sur le pied de 60 thalers, et du côté de Kosten et de Franstadt 70 et 78 thalers. Dans la province de Prusse, les estimations d’il y a quelques années portaient le prix du morgen à 35 thalers ; maintenant on parle de 100 thalers dans la région haute, de 120 thalers dans la région basse. En Lithuanie, de 30 thalers ion est passé à 50 et 60 ; même dans la Haute-Silésie, il n’y a rien au-dessous de 30 thalers, et les fermages des biens domaniaux au dernier renouvellement des contrats ont été doublés. Dans le Brandebourg, par suite de l’influence qu’exerce la proximité de Berlin, la hausse est encore plus rapide. Le prix de vente monte à deux, trois et quatre fois la valeur estimée lors de la constitution des hypothèques pour les lettres de gage. Dans les provinces occidentales, la hausse se produit aussi ; mais elle est moins énorme, parce que la situation agraire y était dès longtemps plus favorable. Les causes de cette augmentation si prodigieuse et si rapide du prix des immeubles sont multiples. La première est sans contredit le progrès de la culture, qui a considérablement accru la quantité des produits. En second lieu, ces produits se sont vendus plus cher, parce que l’argent a un peu perdu de sa valeur, que les frais de transport, supportés toujours par le producteur, ont été réduits, et qu’enfin le développement de l’industrie, en augmentant les profits des maîtres et les salaires des ouvriers, a ouvert à la production agricole de nouveaux débouchés à l’intérieur, les plus assurés, les plus vastes et les plus profitables qu’un pays puisse conquérir. Il faut ajouter que l’impôt n’est pas venu arrêter l’essor de la propriété immobilière. Quoique la contribution foncière ait été augmentée récemment d’environ 4 millions de francs, elle ne monte encore qu’à la somme de 10 millions de thalers pour les 28 millions d’hectares que comprenait l’ancienne Prusse, soit 1 franc 32 centimes par hectare. En France, elle s’élève à plus du triple de cette somme, différence qui paraît énorme, même en tenant compte de la fertilité plus grande du sol français. L’impôt foncier est le meilleur qui existe, car il n’a pas pour effet d’augmenter le prix des produits, et je ne crois pas qu’il soit trop élevé en France ; mais ce n’en est pas moins un grand avantage pour le propriétaire prussien de payer trois fois moins que le Français.

C’est surtout à l’accroissement du chiffre du bétail qu’on peut mesurer la prospérité agricole d’une contrée. D’abord les animaux domestiques livrent les produits les plus recherchés, ceux dont le prix s’élève le plus rapidement dans les sociétés avancées, c’est-à-dire, la viande, le lait, le beurre, le cuir, la laine ; ensuite c’est au moyen du fumier qu’ils laissent dans l’étable qu’on parvient à augmenter le rendement du sol. Le bétail donne à l’homme la nourriture la plus substantielle et à la terre le plus haut degré de valeur. Les recensemens officiels qui le concernent[8] permettent d’affirmer que l’agriculture prussienne n’a cessé de progresser depuis 1816, et que c’est durant ces dernières années que les améliorations les plus marquées ont été introduites. Pour qu’on puisse saisir ces résultats d’un coup d’œil, nous croyons nécessaire d’insérer ici le tableau suivant :

Années Chevaux[9] Bêtes à cornes[10] Moutons Porcs Chèvres Total[11]
1816 1,243,261 4,013,912 8,260,396 1,494,369 143,433 7,090,387
1864 1,856,623 5,793,905 19,314,667 3,242,059 869,351 11,399,369
Augmentation 613,362 1,779,993 11,054,271 1,747,690 725,918 4,308,982

L’augmentation totale est donc de 61 p. 100 environ en cinquante ans. Elle avait été très rapide de 1830 à 1840, 16,45 pour 100, ensuite presque insignifiante de 1849 à 1858, de 1,19 pour 100 seulement ; pendant les sept années écoulées entre 1858 et 1864, elle avait été de nouveau très considérable, puisqu’elle s’était élevée à 12,26 pour 100. Ces chiffres, tout satisfaisans qu’ils paraissent, ne suffisent pas à donner une idée du progrès accompli, parce qu’ils n’expriment pas l’amélioration des différentes races, qui a été aussi très remarquable. On estime que le produit moyen de chaque animal a augmenté d’un tiers en viande, beurre et laine, de façon que la valeur du produit total aurait en réalité doublé, et que l’augmentation aurait marché aussi vite que celle de la population.

Le cheval de Prusse, même celui qu’on emploie au labour, est léger ; on lui fait tirer non une charrette, mais un chariot à quatre roues, et dans l’ouest on attelle généralement quatre chevaux. L’Allemagne manque de ces fortes races de gros trait qu’on trouve en Flandre, dans le Boulonnais et en Angleterre. Pour le travail, c’est un désavantage de ne pas avoir cette puissante espèce ; mais le service de l’armée s’en trouve bien, la plupart des chevaux prussiens étant bons pour la remonte : aussi l’Allemagne du nord suffit-elle largement à ses besoins. Le gouvernement et les particuliers ont rivalisé d’efforts pour améliorer la race chevaline. L’état possède trois grands haras, ceux de Neustadt, de Graditz et de Trackenen. Ce dernier est le plus considérable et le plus renommé : situé dans la Prusse orientale, il comprend douze exploitations et environ 4,000 hectares. Plus de 1,300 chevaux y sont entretenus ; on y produit des chevaux de selle, mais surtout, des carrossiers forts et élégans qui sont très renommés en Prusse. Les attelages de la cour appartiennent à la race trackène. Outre les haras, le gouvernement a établi huit stations d’étalons dans les différentes provinces ; il possède en tout 1,100 étalons, qui, en 1865, ont produit 35,000 poulains. C’est un résultat énorme, car il équivaut au cinquième des naissances annuelles dans la race chevaline ; il faut donc bien peu d’années pour la modifier entièrement. Si l’on veut apprécier l’ordre et l’économie qui règnent dans l’administration des haras en Prusse, il est bon de noter que la dépense n’a dépassé les recettes que d’environ un demi-million de francs. Il se forme en outre des associations libres pour se procurer de bons reproducteurs ; récemment il s’en est constitué quatre en une seule année le long du Rhin, à Duisburg, Wesel, Moers et Rees. Elles achètent des danois, des percherons et des trackènes de la plus forte espèce.

Pour l’amélioration de la race bovine, l’état s’en est fié à l’initiative individuelle, et celle-ci n’est pas restée inerte. Des animaux de choix ont été importés d’Angleterre et de Hollande, et les races indigènes ont été à peu près partout améliorées. Cependant c’est pour les moutons que le progrès a été le plus marqué. Frédéric II fit à plusieurs reprises des tentatives pour introduire le mérinos ; mais elles n’aboutirent point. Ce n’est que depuis 1815 que des résultats sérieux ont été obtenus. L’état fit acheter 2,000 moutons mérinos en France et les plaça dans les bergeries royales de Frankenfeld, près de Berlin, et de Panthenau, près de Liegnitz, en Silésie. Des ventes annuelles répandirent rapidement dans le pays la race Rambouillet, ainsi nommée de la célèbre bergerie d’où elle provenait. En 1822, des associations se formèrent pour faire venir des troupeaux d’Espagne. Les grands seigneurs, les riches propriétaires, suivirent leur exemple ; ce fut une mode qui heureusement ne pouvait que faire beaucoup de bien. L’introduction du mouton français eut pour effet de tripler la valeur du produit de la tonte, qui doit approcher maintenant de 150 millions de francs. La laine est plus abondante et vaut deux fois plus. Une autre race très recherchée dans toute l’Allemagne du nord, c’est le négretti, dont la forme est admirable et la laine de première qualité. Elle date du siècle dernier. En 1755, l’impératrice Marie-Thérèse acheta un troupeau de mérinos en Espagne et le donna au baron Geisler, qui le plaça dans sa fameuse bergerie de Hoschstitz, ett Moravie. La race s’acclimata, se multiplia et se répandit au dehors. Le baron de Maltzah[12] en possède un troupeau superbe dans son domaine de Lenshow, en Mécldembourg. Les plus beaux sujets se vendent 10,000 ou 12,000 francs pièce, et s’exportent en Russie, en Amérique, en Australie. Les béliers dépouillent de 12 à 22 livres de laine non lavée, et les brebis de 8 à 17. Maintenant que le prix de la viande a tant haussé, on commence à se tourner vers le mouton de boucherie, et c’est à l’Angleterre nécessairement qu’on le demande. L’introduction des races à laine fine n’a pas été une de ces innovations isolées qu’on ne rencontre que chez quelques amateurs. Grâce à la diffusion des lumières et à l’abondance des informations qu’un grand nombre de recueils à vulgarisées, une véritable transformation s’est opérée. Les 79 centièmes des moutons appartiennent aux races anoblies. Les races communes ne comptent plus que pour un cinquième, et on ne les trouve guère que dans les distincts où l’extrême pauvreté du sol ne convient qu’aux espèces les plus rustiques. La France, on ne doit pas se le dissimuler, présente sous ce rapport un pénible contrasté. Depuis 1829 jusqu’en 1852, le chiffre des moutons s’était constamment accru : il s’était élevé de 28,930,000 à 33,510,000. S’il eût suivi la même progression, en un siècle il eût été doublé ; mais à partir de 1852 se produit un fait désolant, le nombre des moutons diminue rapidement. En 1857, il ne monte plus qu’à 27,185,000, accusant ainsi une réduction de 6,325,000 têtes, soit en somme 1,745,000 de moins qu’en 1829[13]. De 1858 à 1864, la Prusse au contraire est passée de 15,362,196 à 19,314,667, soit une augmentation de 3,952,471. Ainsi d’un côté perte de 6 millions, de l’autre accroissement de 4 millions, différence relative 10 millions, — voilà comment se résume le bilan de la race ovine dans les deux pays pour la période qui commence en 1852. En France, il n’y avait lors des derniers recensemens que 100 moutons par 200 hectares et 133 habitans ; en Prusse, il y en avait le même nombre par 140 hectares et par 100 habitans.

La Prusse possède aussi plus de chevaux que la France relativement à son étendue et à sa population, car la statistique y constate la proportion d’une tête de cheval par 10 habitans et par 15 hectares, La France, ayant environ 3 millions de chevaux, n’en offre qu’un par 17 hectares et pour 12 habitans. Cette infériorité ne se fait guère sentir dans les travaux agricoles, qui sur une grande partie du pays s’exécutent au moyen de bœufs ; mais elle rend ordinairement impossible la remonte de la cavalerie et de l’artillerie par les ressources nationales, et c’est précisément à l’Allemagne que l’armée demande le contingent qui lui fait défaut. Pour la race bovine, la situation des deux pays doit être à peu près la même. Le recensement français non publié donne pour 1857 12,765,000 têtes au total, ce qui faisait sur le recensement précédent de 1852 une légère augmentation, le chiffre étant à cette dernière époque de 12,150,000. En Prusse, le dernier relevé porte 5,837,000, sans compter les veaux au-dessous de six mois. En ajoutant cette catégorie, ou arriverait au chiffre d’environ 6,500,000, soit de part et d’autre une tête par 4,2 hectares et par 2,9 habitans, Quant aux produits, ils doivent aussi être équivalens. L’espèce bovine française, étant généralement plus grande, donne plus de viande ; mais les vaches de la Prusse, naturellement plus lactifères et recevant dans un climat humide beaucoup plus de fourrages, livrent plus de lait. Le seul point où la France l’emporte considérablement, c’est la volaille, dont le produit annuel en œufs seulement est porté à 100 millions de francs.

Si, pour établir une comparaison générale, nous ramenons les différens types d’animaux à celui d’une tête de gros bétail, nous trouvons pour la Prusse un avantage assez marqué, car la proportion y est de 100 têtes par 214 hectares et 138 habitans ; elle est pour la France de 100 têtes par 267 hectares et par 185 habitans, ce qui signifie qu’en Prusse la même étendue de terrain entretient plus de bétail, et que la population a plus d’animaux domestiques à sa disposition pour répondre à ses divers besoins. Quand M. Royer, inspecteur-général de l’agriculture, exécutant en 1847 un voyage agricole en Allemagne[14], établit une comparaison semblable pour les chiffres de 1837, les derniers qui fussent à sa disposition, il arrivait à un résultat inverse. La France alors possédait l’équivalent d’une tête par 23 ares, la Prusse une tête seulement par 26 ares, ce qui constituait une différence d’un huitième à l’avantage de la France. En prenant le poids d’un mouton à 40 kilogrammes, la France entretenait 175 kilogrammes de viande par hectare, la Prusse seulement 153. Si aujourd’hui la balance penche du côté de l’Allemagne, ce n’est pas que la France ait précisément rétrogradé, sauf pour les moutons ; mais elle est restée stationnaire, tandis que les peuples du nord avançaient à grands pas. Il y a vingt ans, l’auteur, que nous venons de citer prévoyait ce résultat. Après avoir dépeint l’agriculture prussienne sous les plus tristes couleurs, très exactes à cette époque, il ajoute : « Il ne nous semble pas douteux, que la Prusse fait pour l’amélioration des races de chaque espèce des progrès plus rapides, plus généraux et surtout plus intelligens que la France. »

III

On vient de constater que l’agriculture en Prusse a marché dans ces dernières années d’un pas si rapide que ce pays, si peu favorisé par la nature, s’est trouvé porté presque au niveau de la France avec son riche territoire, son beau climat et sa population si intelligente et si bien douée sous tous les rapports : Quelles sont les causes qui ont amené ce résultat ? Voilà ce qu’il faut examiner maintenant. La première, la principale, a ère indiquée par l’auteur dont nous invoquions le témoignage : c’est l’instruction largement répandue dans les campagnes. La connaissance des lois naturelles et économiques a opéré le miracle de la multiplication des produits ; cette action toutefois est insensible et lente. Dans le champ intellectuel, on sème aujourd’hui, on ne récolte que dans vingt ou trente ans ; l’effet se fait attendre. Il ne suffit pas que le paysan sache lire et écrire ; il faut qu’il lise, qu’il comprenne ce qu’il lit et qu’il apprenne à en tirer profit. Aux États-Unis, quelque découverte utile se produit-elle, au bout de deux ou trois ans elle est appliquée partout. L’année dernière, on y a vendu 70,000 machines à faucher. Combien en a-t-on placé en France et même sur tout le continent européen ? Une vive lumière ressort de ce simple chiffre. Il ne faut point s’étonner qu’une nation qui s’empare avec cette ardeur impatiente de tout ce qui peut abréger le travail et le rendre productif devienne en moins d’une génération l’état le plus riche, le plus puissant du globe.

La Prusse, à peine échappée aux entraves de l’ancien régime et à ses morbides influences, ne va pas aussi vite, il s’en faut, que la vigoureuse démocratie américaine ; mais elle a pris ses mesures pour regagner le temps perdu. Non contente d’ouvrir dans chaque village, dans chaque hameau, une bonne école, et de forcer les enfans à la fréquenter, elle a organisé un système complet d’enseignement agricole pour les différentes classes sociales qui sont appelées à diriger les travaux des champs. Au sommet et représentant l’enseignement supérieur, on trouve d’abord quatre académies royales d’agriculture, celles d’Eldena, de Proskau, de Poppelsdorf et de Waldau. En outre un institut agricole très fréquenté est attaché à l’université de Halle et un autre à celle de Berlin. Ces institutions sont destinées à des jeunes gens ayant quelque aisance et désirant apprendre à bien diriger un domaine soit comme régisseurs, soit comme propriétaires. Celle d’Eldena est peut-être la plus intéressante à visiter, et il peut être utile d’en faire connaître l’organisation.

L’école d’Eldena est établie dans un vaste bâtiment, ancien couvent de l’ordre de Cîteaux, qui appartient à l’université de Greifswald. Cette université est l’un des grands propriétaires fonciers de la Poméranie. Elle possède un immense patrimoine de 55,000 morgen, renfermant 16 domaines et 18 villages peuplés de plus de 7,000 habitans. La situation de l’école est très bien choisie, elle s’élève dans le village d’Eldena, à quelques kilomètres de la petite ville de Greifswald et au bord du golfe que forme l’île de Rugen. 300 hectares forment le champ d’exploitation, que termine un beau bois de hêtres disposé en parc et coupé de promenades, le Elisenhain. Les ruines de l’ancienne chapelle sur le rivage de la mer complètent l’aspect pittoresque du paysage. La ferme entretient 26 chevaux de travail, 17 bœufs, 70 bêtes à cornes et 1,200 moutons, de façon que les élèves peuvent s’initier à tous les détails d’une grande exploitation. Une brasserie, une briqueterie et une fabrique de tuyaux de drainage y sont annexées. La forêt voisine sert de champ d’expérience pour les leçons de sylviculture. La ferme est conduite de façon à réaliser des bénéfices, seule manière de donner une instruction pratique. Rien de pis que ces prétendues fermes-modèles qui apprennent à gaspiller le capital et donnent à rire aux paysans, qui avec raison regardent toujours aux résultats pécuniaires. Sur le revenu net, une partie, — 5,000 thalers, — sert à former un fonds au profit de l’académie, et le reste à améliorer la propriété. Le cours complet dure deux ans : il comprend l’économie politique et rurale appuyées sur la statistique, l’agriculture, l’arboriculture et la sylviculture, en fait de technologie la fabrication du sucre, de la bière, des briques, des tuyaux de drainage, en fait de sciences naturelles la minéralogie, la géologie, la botanique, la chimie, avec des expériences et des excursions, enfin les mathématiques, la trigonométrie, l’arpentage, la mécanique usuelle, l’art vétérinaire, le droit rural, l’histoire du pays et le droit constitutionnel. Des excursions faites dans les régions les plus intéressantes à étudier complètent ce programme, qui, comme on le voit, est très étendu et peut ouvrir l’esprit du jeune homme tout autant que des études latines. Il ne lui enseignera pas seulement à bien diriger une exploitation, il relèvera à ses yeux ses occupations champêtres en lui apprenant à y suivre l’œuvre merveilleuse des lois naturelles. On ne donne jamais trop d’instruction à l’homme de métier, pourvu qu’on ne lui enseigne rien qui n’ait un rapport direct avec le travail qu’il exécute. L’Allemand a l’instinct de la pédagogie : il naît professeur. Autrefois la science germanique était abstraite, pédante, enfouie dans les formules ; aujourd’hui elle devient vivante, et elle excelle surtout à ennoblir les plus humbles travaux par l’exposition des théories qui les expliquent. Pour être admis à l’école d’Eldena, il faut avoir terminé ses études moyennes. Le cours entier coûte 390 francs pour les deux ans, et il se termine par un examen facultatif, dont un diplôme vient constater le succès, s’il y a lieu. Les élèves vivent en chambre dans le village, comme les étudians à l’université. Les Allemands désapprouvent complètement pour la jeunesse studieuse la vie cloîtrée des collèges d’internes. Ils-veulent que le jeune homme s’habitue de bonne heure à se gouverner lui-même et à jouir de la liberté, à laquelle il faut bien qu’il arrive tôt ou tard. La ville de Greifewald, quoiqu’elle n’ait que 16,000 âmes, n’est ni pauvre ni triste. Pendant les longs hivers sur ces sombres rivages de la Baltique, les familles aisées donnent de petites fêtes de musique et des bals avec cette simplicité d’outre-Rhin qui favorise l’expansion et le plaisir. Les élèves de l’école d’agriculture y sont invités avec les étudians de l’université. Ils se forment ainsi aux relations du monde, ce qui n’est pas superflu, car cela leur apprend à rendre agréable la vie à la campagne.

Outre ces quatre académies, 19 écoles d’agriculture existent dans les différentes provinces. Elles comptent en tout 232 élèves et ne coûtent à l’état qu’un subside de 21,158 thalers, soit 233 francs 75 centimes par élève, de qui est fort peu ; mais ces écoles sont montées sur un pied très modeste. Elles sont ordinairement tenues par quelque grand fermier aidé de deux ou trois maîtres, le vétérinaire, le maître d’école ou le chimiste du voisinage. Le but est de former de bons régisseurs de fermes, travaillant eux-mêmes, mais d’une façon plus intelligente que les autres. La plus ancienne de ces institutions est celle de Riesenrodt, qui date de 1845 ; la plus récente est établie à Polko depuis 1863. Il existe en outre un grand nombre d’écoles de perfectionnement (Fortbildungschule) et différentes écoles spéciales. Une école forestière est établie à Neustadt, fréquentée par beaucoup de boursiers. Récemment encore l’Allemagne était le seul pays où faire produire aux bois le plus qu’ils peuvent rendre était réellement une science, et où le mot de sylviculture avait un sens. L’art vétérinaire a deux écoles, l’une à Berlin et l’autre à Munster ; la praticulture en a trois, l’une à Kramenz en Poméranie, l’autre à Janowitz, près Hoyerswerda en Silésie, la troisième à Siegen. Potsdam possède une école supérieure de culture maraîchère et d’arboriculture qui exerce une grande influence. Le goût des jardins anglais, des fleurs rares, des arbres exotiques, des bons fruits, s’est singulièrement répandu, et contribue à donner plus de charme aux campagnes. En une seule année, la froide Prusse a expédié 3,000 kilogrammes d’ananas aux rives du Bosphore pour la consommation de Constantinople. Il existe dans les anciennes provinces 134 écoles de pomiculture, dont 26 dans celle de Silésie. Dans celle de Posen, les maitres d’école se chargent d’enseigner cet art, dont le plus humble ouvrier peut tirer parti en plantant près de sa chaumière quelques bons arbres fruitiers.

Comme le paysan n’est pas toujours disposé à aller chercher l’instruction, on s’efforce de la lui apporter sous la forme la mieux faite pour agir sur son esprit. Les associations agricoles entretiennent des instituteurs d’agriculture ambulans (Wander-Instruktoren) ; chaque instituteur va de village en village donner des conférences pour expliquer les améliorations les plus urgentes à adopter. Il cite les exemples de celles qui ont réussi et invite les auditeurs à aller visiter ces exploitations modèles. Ces apôtres nomades de l’économie rurale ne prêchent pas dans le désert, car les rapports annuels de la commission centrale constatent les progrès qui leur sont dus. Ils ont contribué surtout à l’introduction des rotations plus rationnelles et à une meilleure conservation des engrais, qu’on commence même dans certains districts à couvrir d’un toit, pratique excellente qui en augmente notablement l’efficacité. Parmi ces professeurs ambulans qui ont le plus de succès, on cite dans le pays rhénan M. Gsell au nord et M. Schneider au sud de la province.

Une autre institution non moins intéressante est celle des stations de chimie expérimentale. Dans la patrie de Liebig, on attendait beaucoup des conquêtes de la chimie organique. L’agriculture est un art dont le résultat dépend d’une série d’opérations chimiques qui jusqu’ici échappent pour une large part au contrôle de l’homme. Des forces mystérieuses font échouer l’entreprise la mieux conduite. Dans l’industrie, il n’en est pas ainsi : certaines préparations donnent toujours les mêmes résultats, prévus et voulus. Les puissances naturelles sont domptées ; elles obéissent régulièrement à celui qui les évoque. Pourquoi n’en serait-il pas de même en agriculture ? Il devrait suffire d’analyser exactement la composition des terrains et celle des engrais : pour amener les réactions chimiques qu’on désire et assurer ainsi le succès des récoltes. Voilà le brillant espoir qu’on avait conçu et qui, ne se réalisant pas, a abouti à un certain découragement. Néanmoins la chimie a déjà rendu d’incontestables services à la culture, et c’est pour les mettre à la portée de tous qu’on a établi les stations expérimentales. Dans sept endroits différens, à Salzmunde, à Regenwalde, à Lauersfort, à Schmiegel, à Insterburg, à Ida-Marienhütte et à Dahme, des chimistes ont été chargés d’exécuter toutes les expériences qui peuvent être utiles aux cultivateurs. Déterminer la constitution des terrains, indiquer la valeur relative et la composition des engrais du commerce, mettre le public en garde contre les tromperies dont il est trop souvent victime, étudier l’influence fies diverses nourritures sur l’engraissement du bétail, telles sont quelques-unes des questions qui leur sont soumises. On comprend sans peine de quelle utilité peuvent être ces hommes de science dans un pays où l’on veut introduire une culture rationnelle et où l’on aime à procéder méthodiquement. Nulle part, dit-on, les études chimiques ne sont plus avancées qu’en Allemagne ; nulle part en tout cas elles ne sont plus répandues. Il y a un très grand nombre de jeunes gens qui entourent les maîtres en renom, qui travaillent avec eux dans le laboratoire, et qui se répandent ensuite dans toute la contrée, se contentant d’une position très modeste et y rendant de grands services à l’industrie et à l’agriculture.

Afin de pousser au progrès et de généraliser les bonnes pratiques, il s’est formé de tous côtés des associations agricoles. La Prusse en comptait, en 1864, 519 avec 64,000 membres et un revenu de 141,000 thalers. Depuis dix ans ce chiffre a augmenté d’un tiers, et le revenu a doublé. Ces sociétés ont souvent un local et une bibliothèque de littérature rurale tenue au courant. A l’exemple de l’état, elles se sont formé par l’épargne un trésor, un capital placé de 600,000 francs. Elles organisent des expositions, — 102 en 1865, — et des concours, distribuent des prix pour des mémoires dont elles indiquent le sujet, et enfin discutent elles-mêmes les questions à l’ordre du jour. Celles qu’on a étudiées l’an dernier sont des plus intéressantes. Il s’agissait d’examiner la théorie de Liebig sur l’épuisement progressif du sol, de déterminer le rapport à établir entre le chiffre du bétail et l’étendue de l’exploitation, enfin de décider quelle était l’espèce la plus avantageuse, le mouton ou la vache. Ces sociétés font un bien incalculable : elles répandent la vie, réveillent l’initiative individuelle et donnent le goût des innovations[15]. Il s’est fondé aussi des associations spéciales de sylviculteurs, d’apiculteurs, de distillateurs, de fabricans de sucre, qui se réunissent de temps à autre pour se communiquer leurs observations ou pour défendre leurs intérêts. L’état n’intervient ni pour les guider, ni pour les soutenir, ni même pour les surveiller. Il prête seulement son concours aux associations dites d’amélioration (Landes-Meliorationen), parce qu’il leur est indispensable. Quand il s’agit d’un grand travail de dessèchement, de reboisement, d’irrigation, les intéressés peuvent demander à l’état qu’il les constitue en une sorte de société où les décisions de la majorité emportent les résistances de la minorité. C’est une sorte de demi-expropriation pour cause d’utilité publique qui frappe les opposans, mais qui les enrichit malgré eux, comme dans le système des polders en Hollande et des wateringen dans les Flandres. La province ou l’état leur prête souvent des fonds à un petit intérêt et les autorise à employer leurs ingénieurs. En 1865, 102 de ces associations opéraient sur une étendue de 450,000 hectares. Le budget des dépenses faites pour l’agriculture, les haras et les écoles ne s’élevait, recettes déduites, qu’à 3,141,000 francs, et celle pour les quatre académies agricoles ne dépassait pas 92,000 fr. Sous le ministère de l’agriculture fonctionne une commission centrale, Landes-OEconomie-Collegium, dont le secrétaire est un écrivain agronome bien connu, M. G. Von Salviati. En 1862, l’entretien des bâtimens et du mobilier de ce ministère n’a coûté que 1,200 thalers (4,410 fr.) Ces chiffres montrent avec quelle merveilleuse économie procède l’administration.

Nous venons de voir que la diffusion de l’instruction et des notions scientifiques est la cause principale du récent progrès de l’agriculture prussienne. Il convient d’ajouter que les habitudes de la classe aisée y ont contribué, et que l’action économique de l’état n’y a point apporté d’obstacle. Voilà deux points qu’il nous reste à éclaircir. En Prusse, les villes ne sont ni belles ni gaies. L’homme d’étude y rencontre de quoi satisfaire largement ses goûts ; l’homme de plaisir n’y trouve que de l’ennui. Heureux le pays dont les villes sont ennuyeuses, elles chassent les riches à la campagne, et celle-ci en profite. Il n’est point de contrée où les villes soient plus sombres qu’en Angleterre ; il n’y en a point dont l’agriculture soit plus prospère. Jusqu’à ces derniers temps, le propriétaire prussien était pauvre parce que la terre rapportait fort peu. Comme il avait de l’ordre, il résidait la plus grande partie de l’année dans son domaine, dont il s’efforçait d’augmenter le revenu en y appliquant ses épargnes et son intelligence. L’hiver, s’il se décidait à quitter les champs, il se contentait d’un appartement modeste où il vivait avec économie ; mais il voulait que sa résidence d’été fût aussi comfortable que ses moyens le lui permettaient. C’est ainsi que s’est élevé ce nombre considérable de maisons de campagne qu’on rencontre dans presque toutes les provinces et pour lesquelles les architectes allemands ont adopté un style mixte qui n’est pas sans grâce. Comme dans le drame de Goethe Hélène et la Grèce viennent se mêler à la légende de Faust et aux souvenirs du moyen âge, dans ces constructions des motifs d’ornementation byzantine ou romane relèvent les lignes droites et les profils sévères de l’architecture antique. Presque tous les propriétaires font valoir eux-mêmes leurs biens ; à moins qu’il ne s’agisse de parcelles, la location est l’exception. Ils sont donc retenus aux champs par le soin de leurs intérêts, car rien n’exige plus impérieusement l’œil du maître qu’une exploitation rurale. Il est vrai qu’ils y sont aidés par une classe d’employés qu’on ne retrouve dans aucun autre pays. Ce sont des jeunes gens instruits, appartenant à des familles assez aisées, sortant souvent d’une école d’agriculture et qui vont faire un stage dans quelque grande propriété afin d’apprendre à diriger une entreprise pour leur propre compte. Le noviciat est un usage ancien conservé dans beaucoup de métiers. C’est ainsi que fréquemment le fils d’un riche hôtelier appelé plus tard à tenir une maison considérable, n’hésitera pas à s’engager dans un autre hôtel en qualité de sommelier ou de domestique (Kellner), pour s’initier à tous les détails du service auquel il devra présider un jour. Lorsqu’on visite les rittergüter, on est très étonné d’y trouver comme chefs de culture les fils d’un banquier, d’un baron ou d’un riche propriétaire. Vous voyez ces jeunes gens conduire la charrue et la herse, A midi, ils rentrent, soignent leurs chevaux, puis vont s’habiller et dînent à la table du maître de la maison, auquel ils ne sont inférieurs, il s’en faut, ni par l’instruction, ni par la naissance. ni par la distinction des manières. Après le repas, ils remettent leur costume de travail et retournent sans fausse honte à leurs rustiques occupations. On rencontre ainsi dans la Prusse féodale un trait de mœurs propre à la société démocratique des États-Unis et qui plus tard se généralisera. En France, en Angleterre surtout, un jeune homme de la classe aisée croirait compromettre sa dignité en faisant l’ouvrage d’un domestique de ferme. Le mépris du travail manuel, cet inique préjugé des époques antérieures, infecte encore, quoi qu’on en dise, nos sociétés modernes. En paroles, on célèbre le travail, créateur du capital ; en fait, c’est le capitaliste et non le travailleur qu’on respecte. A mesure que la classe laborieuse s’élèvera, ces sentimens changeront. Le moment viendra où l’homme de travail et l’homme de science se confondront. Il est singulier que ce soit en Prusse, pays de caste et d’esprit aristocratique, qu’il faille chercher ce type du producteur tel qu’il sera dans l’avenir. Ces jeunes gens facilitent beaucoup la tâche des propriétaires-cultivateurs, qui ne sont pas ainsi sans cesse attachés au champ qu’ils font valoir ; ils peuvent voyager, aller aux eaux ou s’occuper d’une autre affaire, certains qu’en leur absence leurs intérêts ne seront pas compromis. C’est grâce à la présence du propriétaire et de ces employés instruits que l’esprit de progrès a pénétré dans les campagnes de l’ouest. Sans cette circonstance, la moitié orientale de la Prusse ne serait encore que la continuation de la Russie.

Dans beaucoup de pays, le pouvoir central a entravé l’essor de l’agriculture en lui enlevant l’argent dont elle a besoin. La Prusse a eu le bonheur de n’avoir ni colonie qui l’épuise, ni capitale qui la dévore. Sauf Java, vaste ferme à café, dont la Hollande possède le sol et qui lui livre une partie de ses produits comme équivalent de la rente, toute colonie enlève au pays qui se croit heureux de la posséder une partie de ses capitaux et de sa population. Quand les capitaux et les hommes se recréent avec une merveilleuse fécondité comme en Angleterre, le mal n’est pas grand ; mais on n’en peut dire autant des contrées où il reste beaucoup à faire pour développer les ressources nationales. La Prusse a placé ses épargnes sur son propre territoire ; elle a colonisé ses sables et ses marais. La fertilité qu’elle a communiquée au sol, les bâtimens d’exploitation qu’elle y a élevés, les animaux qu’elle y entretient, tout cela est bien à elle, c’est une conquête définitive qui ne peut lui être enlevée par quelque revers maritime, comme des colonies lointaines. Elle aspire aujourd’hui, dit-on, à en posséder et à y associer une forte marine militaire. Ce sont là de ces ambitions creuses empruntées aux vues erronées de l’ancien régime. La science économique en a montré l’inanité, et l’Angleterre, qui comprend ces enseignemens, travaille patiemment à se libérer des charges et des responsabilités que ses colonies lui imposent. Supposez que la Prusse ait possédé depuis trente ans quelque Algérie ; quel plus bel établissement colonial eût-elle pu désirer ? Pourtant il lui eût coûté pour la flotte, l’armée, l’administration, 100 millions par an, c’est-à-dire de quoi mettre en valeur définitive 400,000 hectares annuellement ou 12 millions d’hectares depuis le moment de la conquête. Qu’elle n’ambitionne donc point ces brillantes possessions d’outre-mer et ces formidables vaisseaux cuirassés nécessaires pour les défendre. Ce n’est point cela qui donne aux peuples le bien-être et le bonheur.

On reproche à Berlin d’avoir des monumens en briques et point d’égouts[16]. Croit-on qu’il eût mieux valu suivre l’exemple de Paris, qui en ce moment éblouit le monde ? C’est le cas de relire le petit écrit de Bastiat, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Ce qu’on voit, ce sont ces boulevards interminables, ces palais alignés, ces édifices en pierres sculptées où de toutes parts l’or étincelle au soleil. Ce qu’on ne voit pas, ce sont les campagnes qui se dépeuplent et où l’argent fait défaut pour mettre en valeur des terres fertiles. Dans une de ces tirades hautes en couleur dont abonde l’Ami des hommes, Mirabeau le père tonne contre l’accroissement de la capitale. « Une capitale, dit-il, est aussi nécessaire à l’état que la tête l’est au corps ; mais si la tête grossit trop et que tout le sang s’y porte, le corps devient apoplectique, et tout périt….. L’accroissement de la capitale doit être pris pour une preuve d’abondance dans l’état à peu près comme d’énormes loupes le sont de la santé du corps. Tout l’argent vient à Paris, et l’homme suit le métal comme le poisson suit le courant de l’eau. De là le prodigieux gonflement de cette ville, cause réelle de l’engourdissement dont souffre le reste du pays. » Si l’irascible et spirituel marquis parlait déjà ainsi en 1762, qu’eût-il dit aujourd’hui ! Maintenant que les chemins de fer favorisent à un si haut degré la concentration de la population dans les grandes villes, c’est un crime de lèse-économie que d’accélérer ce mouvement par d’énormes dépenses auxquelles le pays tout entier doit contribuer. L’argent qu’a coûté telle salle de théâtre aurait suffi pour bâtir tous les bâtimens d’école que réclame l’enseignement primaire dans la France entière.

Jusqu’à présent, la Prusse n’a point commis la faute d’enlever aux campagnes les capitaux et les hommes qui font leur richesse. Au contraire, par l’excellente organisation de l’enseignement primaire, par les institutions de tout genre que l’état a fondées ou encouragées, il a contribué à répandre dans toutes les provinces le goût des améliorations économiques et les lumières nécessaires pour les accomplir ; mais il faut qu’il se garde des visées chimériques et des ambitions impatientes. Toute l’Europe a besoin de paix, la Prusse au moins autant que les autres peuples. C’est grâce aux cinquante dernières années de paix, dont seule elle a joui, qu’elle a pu réaliser les progrès que nous venons d’indiquer. Elle souffrirait plus qu’un autre pays de la guerre, parce que, étant naturellement pauvre, le capital péniblement accumulé par l’épargne se fondrait vite dans les crises d’un conflit européen. La lutte de l’été dernier n’a duré que six semaines, et cependant la gêne et la misère qu’elle a produites durent encore. Les états nouvellement annexés souffrent des charges assez dures que leur impose l’honneur d’être incorporés dans la monarchie de Frédéric II. Pour qu’ils s’y résignent, il faut qu’une grande prospérité matérielle, que la certitude de la paix rend seule possible, vienne alléger le fardeau des contributions nouvelles et du service militaire obligatoire pour tous. Le rôle de la Prusse est tracé ; qu’elle renonce à l’unique et maladroite prétention de retenir sous sa loi malgré eux quelques milliers d’hommes d’une autre race, qu’elle évite de blesser le sentiment de justice de l’Europe, qu’assurée ainsi du respect des peuples voisins pour ses droits légitimes elle étende son influence non par la conquête, mais par le rayonnement et l’exemple d’institutions libres, de l’activité scientifique, de la gloire littéraire, d’une bonne administration, du développement industriel et agricole, et la France considérera des succès de ce genre sans malveillance et sans envie, car elle sera la première à en profiter.


EMILE DE LAVELEYE.

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juin, le Sol de la Prusse et la Constitution de la propriété.
  2. L’assolement alterne consiste, on le sait, à ne jamais demander deux années de suite des céréales au même champ. Entre les soles de grains, on intercale des plantes sarclées comme la pomme de terre, le navet, la betterave, ou des plantes fourragères comme le trèfle, le lupin, le sainfoin, la luzerne. Les avantages de ce système sont considérables : on supprime la jachère, le sol se repose et se nettoie en portant des récoltes vertes, on peut nourrir plus de bétail, puisque la moitié de la superficie lui est consacrée, et on obtient tout autant de grains, parce qu’on fume deux fois plus la terre.
  3. Dans l’ancien système de fabrication, on râpe la betterave, on comprime la pulpe dans des sacs de laine au moyen de presses hydrauliques, et l’on fait passer le jus obtenu par une série d’opérations qui ont pour but de le débarrasser des matières impures par l’addition de chaux et par le filtrage sur du noir animal. Il est ensuite concentré par l’évaporation et cuit jusqu’à consistance d’une pâte sirupeuse ; enfin le sucre est séparé de la mélasse à l’aide de turbines. La cuite dans le vide, l’évaporation dans les appareils dits à triple effet, la carbonatation trouble, sont des perfectionnemens récens qui ont notablement élevé le rendement de la fabrication ; mais le moyen d’obtenir le jus ne s’était pas modifié, et présentait de graves inconvéniens. L’emploi des sacs et des presses était coûteux. La râpe, en détruisant les cellules où le jus est contenu, y mêlait des substances très sujettes à fermentation, qui colorent les sirops et entravent la formation de la matière saccharine dans les appareils de cuisson. Extraire le sucre des cellules sans détruire celles-ci, tel était le problème à résoudre, et pour y parvenir il fallait transformer en procédé industriel le phénomène physique appelé endosmose, qui permet aux sucs végétaux de sortir de la cellule sans la rompre. Un fabricant de la Moravie, d’origine française, M. Robert, de Seclowitz, y est parvenu par la macération des racines simplement découpées en tranches dans de l’eau chauffée à 60 degrés et maintenue sous une pression d’une atmosphère. C’est ce qu’on appelle le système de diffusion.
  4. Le morgen équivaut à 25 ares 5 centiares.
  5. Voyez entre autres dans la Revue du 15 mai dernier : Du mouvement de la population en France à propos de la nouvelle réorganisation de l’armée, par M. Léon Le Fort.
  6. Ce nom, en Prusse comme en France, a bien mérité de l’économie rurale. M. de Lavergne-Peguilhen, entre autres services rendus à l’agriculture de son pays, a présidé à l’amélioration de plus de 6,000 hectares de terres marécageuses, travaux considérables entrepris par différentes associations de propriétaires.
  7. Voyez le rapport de M. Salviati, secrétaire de la commission centrale d’agriculture. Jahres-Bericht des Kön. Landes-OEconomie-Kollegiun für das Jahr 1864.
  8. Dans aucun pays, les statistiques concernant le bétail n’ont été publiées aussi régulièrement qu’en Prusse. C’est en Angleterre que, faute de documens antérieurs, il est le plus difficile d’établir des comparaisons. En France, il a été fait plusieurs recensemens, mais ou n’a pas jugé opportun de publier les derniers. En Belgique, le recensement de 1846 a été fait avec soin. Celui de 1856 a laissé à désirer, mais celui de 1866 promet de donner des résultats mieux contrôlés. La Saxe, le Wurtemberg, les Pays-Bas, publient aussi régulièrement des chiffres assez exacts.
  9. Non compris les chevaux de l’armée, qui étaient au nombre de 41,750.
  10. Non compris les veaux au-dessous de six mois.
  11. Pour établir ce total, on prend comme équivalent d’une bête à cornes deux tiers d’un cheval, 10 moutons, 4 porcs, 12 chèvres.
  12. A l’exposition universelle de cette année, on peut voir dans le secteur allemand un compartiment exclusivement consacré aux laines en suint. Plusieurs grands propriétaires de la Prusse et de la Silésie y ont exposé des toisons et les portraits photographiés de leurs moutons. Ce salon, consacré à la gloire de la race ovine, est gardé par deux béliers, admirables négretti, reproduits en plâtre. L’arrangement est aussi coquet qu’instructif.
  13. Nous devons ces chiffres à l’obligeance de M. Léonce de Lavergne, qui les a empruntés aux statistiques officielles de 1857, qu’on n’a pas jugé utile de publier. La diminution du nombre des moutons est parfois le résultat d’un progrès de l’agriculture, quand on les remplace par des bêtes à cornes nourries à l’étable, comme cela a lieu en Belgique, où la race ovine décroît régulièrement ; mais en France la dépopulation a atteint les départemens du centre, c’est-à-dire précisément ceux qui se prêtent le mieux à l’entretien des bêtes à laine.
  14. L’Agriculture allemande, par M. Royer, inspecteur-général de l’agriculture (1847).
  15. Ce goût des innovations propre à l’Américain commence aussi à distinguer l’industrie et l’agriculture prussiennes. C’est ainsi que sur le domaine de Neudorf l’Ober-Amtmann Korbe a établi un télégraphe électrique pour transmettre ses ordres à une autre ferme distante d’une lieue et demie. Ce moyen de communication instantanée est utile en cas d’orage et de changement de temps, ou quand il faut demander des ouvriers, un attelage. C’est toujours l’application de la science à la production qu’il faut poursuivre.
  16. Il faut noter d’ailleurs que la construction des égouts y rencontre une difficulté presque insurmontable. Dans ce pays tout plat, la pente est insuffisante, et les eaux de la Sprée sont presque au niveau du sol.