Traduction par André Du Ryer.
Antoine de Sommaville (p. 358-366).



LE CHAPITRE DE LA FOURMY,
contenant quatre-vingt treize verſets,
eſcrit à la Meque.


AU Nom de Dieu clement & miſericordieux. Dieu eſt tres-pur, il entend tout. Ces myſteres ſont les myſteres de l’Alcoran, qui diſtingue la verité d’avec le menſonge, il conduit les hommes au droict chemin, & annonce les joyes de Paradis à ceux qui croyent en la loy de Dieu, qui font leurs oraiſons au temps ordonné, qui payent les dixmes, & qui ont cognoiſſance de leur fin. Ceux qui ne croyent pas au jour du Jugement, trouvent bon ce qu’ils font, & ſont dans la confuſion, ils ſeront à la fin au nombre des gens perdus. L’Alcoran t’a eſté apporté de la part du tres-prudent qui ſçait tout ; Souviens toy que Moyſe a dit à ſa famille, je voids un feu, je m’en vais luy, je vous en apporteray des nouvelles, je vous en apporteray une étincelle, peut-eſtre que vous en ſerez rechauffez, lors qu’il a eſté proche de ce feu il a oüy une voix qui luy a dit. O Moïſe, ce qui eſt dans ce feu & ce qui eſt à l’entour eſt benit, Loüange eſt deuë à Dieu Seigneur de l’Univers, je ſuis Dieu tout-puiſſant & eternel, jette ton baſton en terre ; Lors que Moiſe a veu mouvoir ſon baſton comme ſ’il euſt en vie, il ſ’eſt retiré tout penſif, & ne retournoit plus ; N’aye pas peur de ce baſton, mes Meſſagers & mes Prophetes n’ont point de peur auprés de moy, celuy qui ſe convertira me trouvera clement & miſericordieux, mets ta main en ta pochette, elle en ſortira, blanche ſans mal, elle fera vue des neuf marques de ma toute-Puiſſance à Pharaon & ſes miniſtres ſont entierement dévoyez, lors qu’ils ont veu mes miracles ils ont dit que ce n’eſt que ſortilege, ils les ont meſpriſés & ont augmenté leur impieté ; conſidere quelle eſt la fin des meſchants, & comme ils ont eſté exterminez. Nous avons donné la ſcience à David & à Salomon, ils ont dit, Loüé ſoit Dieu qui nous a gratifié pardeſſus pluſieurs de ſes ſerviteurs qui ont crû en ſa toute-Puiſſance ; Salomon a eſté heritier de David, & a dit au peuple, nous ſçavons le langage des oyſeaux, nous ſçavons tout ce qu’on peut ſçavoir, c’eſt une tres-grande grace. L’armée de Salomon ſ’eſt un jour aſſemblée auprés de luy, compoſée d’hommes, de Demons & d’oyſeaux, il l’a conduit à la valée des fourmis, une fourmy, leur Reine a crié. O fourmis entrez dans vos maiſons afin que Salomon & ſes troupes ne vous foulent aux pieds ſans le cognoiſtre, Salomon entendant ces paroles demeura quelque temps ſans parler, & à la fin il ſe prit a rire, & dit, Seigneur ſois en mon ayde, afin que je te remercie de tes bien-faicts, & des graces que tu as données à mon pere, ſi je fais bien, tu l’auras agreable, mets-moy par ta miſericorde au nombre de ceux qui exaltent ta gloire ; Il demanda la uppe, & dit, pourquoy ne voids-je pas la uppe ? elle eſt au nombre des abſents ? je la chaſtieray, & la feray mourir ſi elle n’a une excuſe legitime ; peu de temps apres elle ſ’humilia devant Salomon, qui luy demanda d’où elle venoit, elle reſpondit, je viens de voir ce que tu ne voids pas, je viens du Royaume de Saba, d’où je t’apporte des nouvelles aſſurées ; J’ay trouvé une femme leur Reyne qui a tour ce qui eſt neceſſaire à un Roy, elle à un grand & magnifique troſne, je l’ay trouvée elle & ſes ſubjets qui adoroient le Soleil, le Diable leur faiſoit trouver leur action agreable, il les a devoyez du droict chemin, & ſeront devoyez juſques à ce qu’ils adorent un ſeul Dieu qui envoye la pluye du Ciel, & qui fait produire à la terre ſes plantes & ſes fruicts, qui ſçait tout ce qui eſt dans le cœur des hommes & tout ce qu’ils diſent ; Dieu ! Il n’y a qu’un ſeul Dieu Seigneur de l’Univers. Salomon dit, je verray bien toſt ſi tu dis la verité ou ſi tu es au nombre des menteurs, va luy porter cette lettre, & obſerve ce qu’elle & ſes gens reſpondront. (A ſon arrivée) cette Reyne dit à ſes Miniſtres : O vous qui eſtes eſlevez en dignité dans mes eſtats, on m’à donné une lettre de la part de Salomon de cette teneur. Au nom de Dieu clement & miſericordieux, ne vous eſlevez pas contre moy & m’obeiſſez. Donnez-moy conſeil de ce que je dois faire, je ne feray rien ſans voſtre advis, & que vous ne le voyez de vos yeux : Ils ont reſpondu, noſtre bonheur & noſtre malheur dependent de toy, commande tout ce qui t’agrera nous t’obeïrons. Elle a dit, lors que les Rois entrent dans une ville ils y apportent pluſieurs deſordres, ils abbaiſſent & humilient les principaux des habitans & les plus relevez, ſi Salomon & ſes gens viennent icy ils en uſeront de la façon, je trouve à propos de luy envoyer un Ambaſſadeur avec quelques preſens, peut-eſtre qu’il prendra la volonté de ſ’en retourner. Lorſque l’Ambaſſadeur a eſté arrivé auprés de Salomon, il luy a dit, m’apportez-vous des preſens ? Dieu m’a donné plus de richeſſes qu’à vous, les preſens vous reſjouïſſent parce que vous les aymez ; retournez à ceux qui vous ont envoyé, je les iray voir avec des forces ſi grandes qu’ils ne pourront pas reſiſter, je les chaſſeray de leurs eſtats, & ſeront mal-heureux ſ’ils ne m’obeïſſent ; Alors il a dit à ſes gens, Meſſieurs, Qui m’aportera le ſiege Royal de cette femme avant qu’elle & ſes ſujets m’obeyſſent, un d’entre les Demons luy dit, Je te l’apporteray avant que en ſois levé de ta place, je ſuis aſſez fort pour le porter, je le porteray fidellement. Un de ceux qui eſtoient aupres de Salomon qui ſçavoit les eſcritures[1], dit, Je te l’apporteray dans un clein d’œil ; Lors que Salomon vit ce Troſne devant luy, il dit, Voila une grace de Dieu pour eſprouver ſi je ſerai recognoiſſant de ſes bien-faicts, celui qui remercie Dieu de ſes graces fait ce qu’il doit, il n’a pas affaire de celui qui en eſt ingrat ; Je verrai ſi elle[2] ſuit le droict chemin, ou ſi elle eſt au nombre des devoyez, ils changeront quelque choſe en ſon ſiege Royal pour eſprouver ſi elle le connoiſtroit lors qu’elle ſeroit arrivée aupres de Salomon ; on le lui a monſtré à ſon arrivée, & demandé ſi le ſien eſtoit ſemblable, elle a dit, il lui reſſemble comme lui-meſme, Elle avoit connoiſſance du droit chemin, mais ce que ſes gens & elle adoroient au lieu de Dieu, l’avoit devoyée de l’obeyſſance de ſa divine Majeſté. On lui dit d’entrer dans une galerie, Lors qu’elle vid le pavé, elle crût que c’eſtoit de l’eau, & decouvrit ſa jambe devant ſa robe de peur de la mouiller, Salomon lui dit que le pavé eſtoit de verre poli, & l’exhorta d’embraſſer la loi de Dieu. Alors elle dit, Seigneur, je me ſuis fait tort à moi meſme de t’avoir offencé, je ſuis obeyſſante avec Salomon, aux Commandemens du Dieu de l’Univers. Nous avons envoyé Salhé à Temod, & ſes gens pour les exhorter de n’adorer qu’un ſeul Dieu ; il leur a dit, O peuple accourez à la miſericorde de Dieu, ſi vous luy demandez pardon, vous ſerez pardonnez ; Ils ont dit, Nous veux-tu mettre dans ton erreur & dans l’erreur de ceux qui ſont avec toi ? Il adit, Dieu vous chaſtiera vous eſtes des ſeditieux. Ils eſtoient neuf perſonnes dans la ville qui ſaliſſoient la terre, & ne faiſoient point de bien, ils avoient dit entr’eux, Tuons cette nuit le Prophete & ceux de ſa ſuite, nous dirons à ceux qui le chercheront que nous ne l’avons pas veu, ny ceux qui l’ont tué, & jurerons que nous diſons la verité, ils ont fait les fins, mais nous avons eſté plus fin qu’eux, & ne l’ont pas connu, conſidere quel a eſté l’effet de leurs fineſſes, nous les avons exterminez avec leurs adherans, or leurs maiſons ſont demeurees deſertes à cauſe de leur impieté ; cela ſervira d’exemple à ceux qui ont connoiſſance de noſtre toute-Puiſſance, nous avons ſauvé le Prophete & tous les vray-croyans qui eſtoient avec luy. Souviens-toy de l’hiſtoire de Loth, qui a dit à ſes concitoyens, Vous ſalirez vous touſjours dans l’ordure à la veuë les uns des autres ? aimerez-vous les hommes plus que les femmes ? vous eſtes des ignorans ; Ils ont reſpondu, Chaſſons Loth & ſa famille de noſtre ville, ils ne ſe ſaliſſent pas comme nous ; Nous l’avons ſauvé & toute ſa famille excepté la femme, elle eſt demeuré entre ceux qui ont eſté chaſtiez, nous avons fait pleuvoir ſur eux une pluye qui leur a fait connoiſtre la rigueur de nos chaſtimens. Dis leur, loüé ſoit Dieu qui extermine les impies, & ſalut à tous ceux qu’il a eſleu, ne ſont ils pas plus heureux que ceux qui croyent qu’il y a pluſieurs Dieux ? Qui a. creé les Cieux & la terre ? Qui a fait tomber la pluye du Ciel ? Qui a fait produire pluſieurs jardins delicieux ? vous n’aviez pas le pouvoir de faire, pouſſer les plantes ſans l’ayde de Dieu, Certainement les infidelles ſont devoyez du droit chemin. Qui a affermy la terre & fait couler les rivieres ? Qui a appeſanty les montagnes ? Qui à mis la ſeparation qui eſt entre les mers autre que Dieu ? La plus grande partie du monde ne le connoiſt pas, Qui rend les hommes mal-heureux ? & qui les délivre d’affliction lors qu’ils l’invoquent ? Qui vous fait multiplier & laiſſer voſtre poſterité en terre autre que Dieu ? Neantmoins peu de gens l’en remercient ; Qui vous conduit dans l’obſcurité de la terre & de la mer ? Qui envoye les vents à avant-coureurs de la pluye autre que Dieu ? il eſt tres-hault & tres-puiſſant, mais les Impies ne veulent pas conſiderer les effets de ſa toute-Puiſſance. Qui forme les hommes ? Qui les fait vivre & mourir & reſſuſciter ? Qui les enrichy des biens du Ciel & de la Terre autre que Dieu ? Dis leur, Dites vos raiſons, apportez vos argumens ſi ce que vous dites eſt veritable ; dis leur, perſonne ne ſçait ce qui eſt au Ciel & en la Terre, perſonne ne ſçait le futur, le preſent & le paſſé que Dieu, les hommes ſçavent ils le jour de la reſurrection ? au contraire ils en doutent & ſont aveuglez. Les impies ont dit, Quoy ? Nous ſerons pouſſiere comme ſont nos peres & nous ſortirons des monuments ? cela a eſté cy-devant promis à nos peres & à nous, ce n’eſt que fable de vieilles gens : dis leur, qu’ils conſiderent qu’elle a eſté cy-devant la fin des meſchans ; ne t’afflige pas de ce qu’ils conſpirent contre toy, & de ce qu’ils demandent en quel temps ils verront la punition qu’on leur a promiſe : dis leur, elle n’eſt pas eſloignée de vous, vous vous y precipitez, mais Dieu eſt pitoyable envers ſon peuple, neantmoins la plus grande partie ne le remercie pas de ſa grace, ton Seigneur ſçait tout ce qui eſt en leur cœur & tout ce qu’ils diſent, il n’y à rien au Ciel ny en la Terre qui ne ſoit eſcrit dans un livre tres-intelligible, l’Alcoran explique aux enfans d’Iſrael la plus grande partie de leurs difficultez, il les conduira au droict chemin, & delivrera des peines de l’Enfer ceux qui te croiront, ton Seigneur les jugera au jour du Jugement, il eſt tout-Puiſſant & ſage : confie toy en Dieu, tu és au chemin de la verité, les morts & les ſourds ne t’eſcouteront pas, & les infidelles ſ’eſloigneront de toy penſifs & eſtonnez, tu ne dois pas conduire les aveugles, ny faire entendre les ſourds, excepté ceux qui croiront en l’Alcoran, & ſeront obeïſſants, lorſque le temps ſera venu de la punition qu’on leur a promiſe, nous ferons ſortir un animal de deſſous la terre qui leur parlera & dira, Le Peuple ne croid pas en la Loy de Dieu, il ne connoiſt pas ſes miracles. Souviens-toy du jour que raſſembleray un bon nombre de toutes les nations qui ont defobey à mes commandements, pour rendre compte de leurs actions : Je leur diray, vous avez dementy mes Prophetes, vous ne ſçaviez pas ce que vous diſiez, qu’avez vous fait ? Alors ils ſeront chaſtiez de leurs pechez, & ſeront ſans excuſe, ils.ne diront pas un mot. Les infidelles ne voyent-ils pas que nous avons creé la nuit pour repoſer & le jour pour travailler ? Cela eſt une marque de me toute-Puiſſance ; Souviens toy du jour que l’Ange ſonnera la trompette, & que tout ce qui eſt au Ciel & en la Terre tremblera de peur, excepté ceux qui ſeront en la grace de Dieu, ce jour tu verras les montagnes ſuſpenduës cheminer comme les nuës, ce ſera une œuvre de Dieu qui a creé toute choſe, & qui ſçait la fin de toute choſe, celuy qui aura fait de bonnes œuvres en ſera recompenſé, il ſera ſans apprehenſion, & ceux qui auront mal fait demeureront dedans le feu d’Enfer ; On leur dira, n’eſtes vous pas chaſtiez ſelon vos demerites. Dis au peuple, je vous ordonne d’adorer le Seigneur de cette ville privilegiée[3], tout luy appartient, je vous recommande de croire en l’unicité de ſa divine Majeſté, & d’eſtudiez l’Alcoran, qui bien fera bien trouvera. Dis a celuy qui ſera devoyé, je ne ſuis envoyé que pour preſcher les tourmens de l’Enfer ; Dis aux vray croyans, loüé ſoit Dieu qui vous a fait voir ſes miracles, & qui vous a donné la cognoiſſance du droict chemin, ton Seigneur n’eſt pas ignorant de ce qu’ils font.

  1. Gelaldin dit qu’il ſçavoit le nom de Dieu.
  2. Cette Reyne ſe nommoit Balkis Voy Gelaldin.
  3. C’eſt la Meque, Voy Gelaldin.