Librairie aéronautique (p. 58-60).

XI
LE PROCÈS DU CHASSIS DE ROULEMENT
Le chassis de roulement est un moyen de fortune. — Son utilité pendant la période héroïque. — Son illogisme. — Ses dangers. — Là n’est pas la solution définitive de l’atterrissage.

Ce qui manquait à l’homme pour pouvoir quitter le sol est enfin apparu ; le moteur léger n’est pas encore tout à fait au point, cependant son fonctionnement est déjà très suffisant pour effectuer quelques bonds, quelques timides envolées. Mais il faut partir et arriver, il faut perdre et reprendre contact avec l’appui-terre.

Dans sa hâte compréhensible de réaliser enfin ses aspirations millénaires, il ne se met pas en quête d’imagination et il adopte purement et simplement les procédés de la locomotion terrienne.

Et ceci semble, d’ailleurs, logique, puisqu’il s’agit tout d’abord de se sustenter par la terre, d’utiliser l’organe idoine : la roue.

Elle présente bien des avantages : elle est simple, elle s’harmonise bien avec l’hélice, dans le démarrage, pour le développement des efforts de traction considérables nécessités, non pas tant de son fait que de celui des forces d’inertie des masses à mettre en mouvement. Presque tous les chercheurs l’ont adoptée dans leurs essais. Les frères Wright et quelques autres employèrent des procédés différents et qui, dans leur genre et surtout dans leur réalisation, étaient aussi précaires. Mais ce qu’il faut faire ressortir, c’est que les grands précurseurs américains, à une époque où l’aviation naissait et où la formule du vol intégral sans restrictions était triomphante, semblaient déjà sentir a priori qu’il ne fallait pas demander à l’aviation plus qu’elle ne peut donner. Les procédés des Wright ont été abandonnés, ils sont condamnés : on leur reproche toutes les sujétions auxquelles ils astreignent, toutes les contraintes qui en résultent et qui limitent l’utilisation de la machine volante. Ces procédés spéciaux ne sont, d’ailleurs, pour le moment que des embryons de solution et, actuellement, le châssis de roulement triomphe.

Si l’on proposait à un conducteur de voiture automobile de se lancer à toute vitesse dans un champ présentant des ornières, des obstacles, souvent non reconnus, il est probable qu’il déclinerait cette invitation subversive. Il dirait à bon droit : La roue est faite pour la route.

Et, cependant, chaque jour, nos aviateurs sont contraints de rouler dans des conditions plus délicates encore, parce que le centre de gravité d’un avion est beaucoup plus élevé que celui d’une automobile et que le capotage les guette constamment. C’est l’un des accidents classiques inhérents à l’atterrissage par roulement et plus généralement à l’atterrissage que nous qualifierons de tangentiel.

Admettons même que partout où il désire se poser, l’aviateur trouve un terrain absolument propice, sans aucun obstacle, un billard. Eh bien ! l’atterrissage tangentiel serait encore très dangereux.

C’est qu’il comporte à un haut degré cette période intermédiaire, ce passage progressif de l’appui-air à l’appui-terre, moment critique où le pilote est à la merci d’un caprice de l’atmosphère, sans qu’il puisse agir d’une façon efficace contre cet ennemi sournois.

Abandonnez un avion dans un champ. Revenez trois mois après. Il est infiniment probable que vous le retrouverez assez loin de son point de stationnement, les roues en l’air, les ailes brisées. C’est que, dans ce laps de temps, bien certainement, les conditions atmosphériques auront été au moins une fois telles que, bien qu’il repose sur ses organes de sustentation par appui-terre, bien qu’il soit à ce moment un terrien et rien qu’un terrien, l’avion a subi l’influence de l’air parasite qui a été assez fort pour faire sentir sa prépondérance.

Voilà ce qui ne devrait pas se produire dans un état de choses logiques. Il faut un terrible cyclone pour renverser une automobile ou une locomotive ; il suffit d’un bon zéphir pour retourner un avion.

De deux choses l’une : ou l’avion est en l’air et il règne, il triomphe par la vitesse ou bien il fait retour à la terre et il doit prendre une liaison immédiate et immuable avec son appui. Il ne doit pas y avoir de période de transition : c’est d’elle que viennent la plupart des catastrophes.

Mettre des roues à un avion est une hérésie, une monstruosité mécanique. Cela a été commode pendant la période héroïque des tâtonnements, mais il faudrait maintenant songer sérieusement à abandonner ce moyen de fortune.

Et ce n’est pas le technicien qui tique le plus sur la roue : c’est… l’artiste ! Voyez une illustration où l’avion est représenté avec la fantaisie personnelle de l’auteur : presque toujours le châssis d’atterrissage est dissimulé, ou, s’il est représenté, ce n’est qu’une vague esquisse, on dirait que l’artiste en a honte.

C’est que l’art, comme la logique, est ami du beau et qu’il faut bien convenir que le châssis de roulement, cette voiture sous cet oiseau[1], n’est pas beau.

  1. L’expression n’est pas de l’Auteur ; il se souvient l’avoir lue, il y a longtemps (en matière d’aviation, longtemps, c’est quelques années).