L’Administration et l’Hôtel des Postes

L’Administration et l’Hôtel des Postes
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 67 (p. 167-203).


L’ADMINISTRATION
ET
L’HÔTEL DES POSTES

Au mois de mars 1850, un jour que j’étais en Nubie, assis près d’un temple ruiné auquel un dromos de lions a fait donner le nom de Séboua, je vis un vieillard qui courait sur la berge du Nil. D’une main il agitait une clochette, de l’autre il soutenait sur son épaule un bâton de palmier au bout duquel pendait un petit sac en peau de gazelle. À son approche, chacun se rangeait avec empressement et le saluait au nom de Dieu clément et miséricordieux. Poussé par la curiosité, je l’interpellai : — Eh ! l’homme, qui es-tu ? et où vas-tu si vite ? — Je suis courrier de la poste du vice-roi, sur qui soient les regards du prophète, et je ne puis m’arrêter. — Il continua sa route rapide, et je l’avais déjà perdu de vue que j’entendais encore le tintement de sa sonnette.

Dans ce pays d’Orient, si lent à se transformer, si rebelle, à cause des dogmes fatalistes qui le régissent, aux améliorations que l’Europe tente de lui apporter, la poste locale est restée telle que Cyrus l’a instituée pour la première fois dans le monde, cinq cent soixante ans avant Jésus-Christ. Hérodote et Xénophon racontent qu’il avait divisé son empire en stations calculées sur les forces moyennes d’un cheval, afin de pouvoir être en relations permanentes avec tous les agens de son pouvoir ; cent onze relais séparaient Suze de la mer Égée[1].

L’Égypte n’a même pas gardé intacte cette antique tradition, et, si l’on excepte les rapports presque européens établis entre Alexandrie, le Caire et Suez, la poste, pour toutes les provinces, n’est desservie que par des piétons. Pour un homme civilisé accoutumé à l’admirable rapidité des postes de Paris, rien n’est plus singulier que ces restes encore vivans des civilisations éteintes et remplacées depuis longtemps. Cette institution, si simple qu’aujourd’hui elle nous paraît naturelle, a été longtemps à s’imposer au monde ancien, et Rome, malgré son incontestable supériorité sur les nations d’autrefois, n’a réellement connu les postes que sous le règne d’Auguste. Suétone est très-affirmatif à cet égard lorsqu’il dit : « Voulant que l’on pût connaître promptement tout ce qui se passait dans les provinces, il disposa sur les routes militaires, à de courtes distances, d’abord des jeunes gens, puis des voitures, parce qu’il lui parut plus commode de pouvoir interroger aussi les courriers qui lui étaient dépêchés d’un lieu quelconque, quand les circonstances l’exigeaient[2]. » L’esprit soupçonneux de Tibère et de ses successeurs, le génie organisateur des Romains, ne devaient pas tarder à donner un développement régulier et considérable à ce genre d’administration postale. Bientôt en effet l’organisation fut complète et fonctionna dans la plus grande partie de l’empire. Il n’est pas superflu d’énumérer rapidement les divers services dont elle se composait, car nous les retrouverons plus tard sans modifications essentielles, lorsque nous aurons à parler des postes françaises. En ceci comme en tant d’autres choses, les Romains ont été nos maîtres ; nos inventions n’ont été en grande partie qu’un retour intelligent à leurs usages. Sur ces grandes voies de communication dont les débris font encore aujourd’hui l’admiration des voyageurs, l’empire romain avait établi de distance en distance des hôtelleries (mansiones) tenues par des maîtres de poste (mancipes), et des relais (mutationes) où l’on trouvait des chevaux de rechange. Les messagers spéciaux du gouvernement (cursores regii) couraient à franc étrier sur des equi singulares qui correspondent très nettement à ce que nous appelions, il y a peu de temps encore, des bidets de poste. Les voyageurs moins pressés ou qui redoutaient la . fatigue trouvaient aux stations indiquées des voitures (carpenta, rhœdœ) attelées de huit chevaux ou mules, avec renforts de bœufs dans les passages ou les saisons difficiles, et que conduisaient des carpentarii ; il était même possible de se faire précéder par des postillons (cartabulenses) chargés de faire préparer les relais. Pour envoyer les correspondances par ces moyens expéditifs, il était nécessaire d’être pourvu d’une autorisation particulière (diplomata tractoria).

L’invasion des barbares bouleversa l’administration des postes romaines, et il n’en restait plus qu’un vague souvenir lorsqu’on tenta de la restaurer en France.


I.

Ce fut Charlemagne qui l’essaya ; comme Cyrus, il voulut être en rapport facile et régulier avec les provinces les plus lointaines de son empire, et le premier en France il établit un service de courriers royaux. Ce fut en 807 que cette poste commença de fonctionner ; mais elle ne survécut pas à l’empereur qui l’avait fondée. La forte centralisation de Charlemagne s’écroula dès qu’il fut mort ; la féodalité battit en brèche l’autorité royale, renversa tout ce qu’elle avait établi, se substitua à elle partout où elle put ; les postes sombrèrent dans cette barbarie nouvelle, et durent attendre l’avènement de Louis XI pour reparaître, grandir et s’accroître jusqu’au point où nous les voyons maintenant. Cependant Paris s’affirmait déjà comme capitale de la France. Il avait pris la tête du mouvement, ainsi que l’on dit aujourd’hui, et l’université, malgré son esprit étroit et souvent tracassier, sentit le besoin de se mettre en communication avec les différentes provinces qui lui envoyaient la majeure partie de ses « escholiers. » Elle organisa un système de messageries qui se chargeaient du transport des voyageurs, des paquets et des correspondances. Ces dernières étaient souvent portées par des « petits messagers » que les vieilles chartes qualifient, fort arbitrairement sans doute, de nuntii volantes. Les premiers titres relatifs à ces messageries primitives datent de 1296 et de 1315, ce sont ceux par lesquels Philippe le Bel et Louis le Hutin confirment le privilège de l’université. Si défectueux, si lent, si dangereux même que pût être ce genre de communication, il suffisait jusqu’à un certain point aux besoins de l’époque. Il reçut, par la seule force des choses, bien des améliorations successives, et il était même devenu une source de produits importans pour l’université, lorsque Louis XI, voulant réunir et ramasser dans sa main toutes les forces dispersées de la royauté. créa définitivement les postes. L’édit est du 19 juin 1464. — Un grand-maître, nommé par le roi, eut sous sa direction des maîtres coureurs royaux ayant à peu près les attributions des maîtres de poste. Le service était fait par deux cent trente courriers. Toute cette administration nouvelle était aux gages du roi, qui, pour subvenir à ces frais considérables, frappa la nation d’un impôt de 3 millions de livres. Dans le principe, les courriers ne portaient que les lettres du roi ; mais, autant par tolérance que par nécessité, de spécialement royal qu’il était, ce service ne tarda pas à devenir administratif, sous l’expresse réserve que les lettres avaient été lues et ne contenaient rien qui pût porter préjudice à l’autorité royale. Du reste Louis XI n’était pas homme à négliger un tel moyen d’informations, surtout au moment où la guerre du bien public allait s’ouvrir. Nominalement réservées au roi, les postes pendant longtemps (jusqu’en 1630) ne servirent qu’à ses officiers, à ses ambassadeurs en pays étrangers, à ses délégués dans les provinces, ou à des particuliers, voyageurs de distinction, qui obtenaient l’autorisation d’en faire usage. Le reste de la nation employait les nuntii volantes de l’université, qui transportaient non-seulement les correspondances, mais aussi les voyageurs et les défrayaient en route, à prix convenu, à peu près de la même façon que les vetturini le font encore actuellement dans les provinces italiennes qui ne sont point pourvues de voies ferrées.

En lisant dans Brantôme la vie du maréchal « d’Estrozze » (Strozzi), on peut voir ce qu’était un maître-général des postes, à Paris, sous Henri III. Brusquet, dont « il faut dire que ç’a esté le premier homme pour la bouffonnerie qui fut jamais, ny sera, et, n’en desplaise au moret de Florence, fut pour le parler, fut pour le geste, fut pour escrire, fut pour les inventions, bref pour tout, sans offenser ny desplaire, » Brusquet avait une centaine de chevaux dans son écurie, et « je vous laisse à penser le gain qu’il pouvoit faire de sa poste, n’y ayant point alors de coches, de chevaux de relays, ny de louage que peu, comme j’ay dict, pour lors dans Paris, et prenant pour chasque cheval vingt solz, s’il était françois, et vingt-cinq s’il estoit espagnol, ou autre estranger[3]. » Henri III, pressé par des besoins d’argent, refusa de reconnaître à l’université le droit de messageries, à moins qu’elle ne prît et payât licence. La vieille institution regimba ; jalouse de ses privilèges, elle défendit celui-ci à outrance, et n’en fut pas moins condamnée à de fortes amendes, que Henri IV, qui voulait se mettre bien avec tout le monde, lui fit restituer en 1597. Sully, qui fut un homme universel, s’occupa spécialement des postes, dont il semble avoir deviné la future importance. Le nombre des relais est considérablement augmenté sous son ministère, les chevaux de poste sont soustraits aux réquisitions, déclarés objets du domaine royal, et, comme tels, marqués d’un H couronné et de la fleur de lis. Un édit du 3 août 1602 introduit de nouvelles améliorations ; des relais sont placés jusque sur les chemins de traverse, chaque ville est autorisée à posséder un dépôt de chevaux de louage, et toute l’administration des postes est confiée à la direction d’un contrôleur-général, qui, pour prix de son monopole, verse au trésor une somme de 97,800 livres. C’est de là que date l’origine de la ferme des postes.

Richelieu, comme tous les centralisateurs, s’intéresse vivement aux postes, qui étaient pour lui un moyen d’influence et d’investigation. Dès 1627 (26 octobre), il établit le premier tarif régulier qui frappe les lettres, dont la taxation avait été jusqu’alors trop laissée à l’arbitraire des commis ; en 1629, il enjoint aux gouverneurs des provinces de n’envoyer d’exprès que dans les cas absolument urgens et d’user habituellement de la poste ; en 1630 enfin, il divise la France en vingt zones postales obéissant chacune à un administrateur particulier qui correspondait avec le surintendant-général siégeant à Paris, et ordonne que dorénavant les particuliers soient tenus d’expédier leurs lettres par la poste royale ; en même temps il crée six offices spéciaux pour les correspondances avec l’étranger. De ce jour, les postes deviennent réellement et pour jamais un service public. L’université réclama encore, plaida, et ne fut déboutée de ses prétentions qu’en 1677, par un arrêt du conseil du roi qui mit fin à cet interminable procès pendant devant le parlement. En 1672, l’office des postes est remplacé par la ferme générale des postes, accordée à Lazare Patin pour la somme de 1,200,000 livres ; on peut se rendre facilement compte de l’accroissement extraordinaire que ce service prit en France pendant le XVIIIe siècle en comparant le prix des baux successifs de la ferme : en 1700, il est de 2,500,000 liv., en 1739 de 4, 000,000, en 1756 (le 5,000,000, en 1764 de 7,000,000, en 1777 de 10,000,000. En Cl nt ans, il a presque décuplé, et pourtant, pendant cette période, les départs des courriers de Paris pour la province n’avaient lieu que deux fois par semaine, et en 1720 il fallait trois jours pour aller de Paris à Rouen. On allait en coche, par eau, on allait en carrosse, on allait à cheval, on allait à pied, on allait comme on pouvait pour franchir trente lieues, et chaque soir on s’arrêtait pour faire la nuictée dans l’auberge choisie par le conducteur. Le même trajet se fait aujourd’hui en moins de trois heures, n’en déplaise à ceux qui nient à grandeur de notre époque et regrettent encore « le bon vieux temps. »

Cependant, malgré tant d’améliorations successives, Paris n’avait point de poste particulière : il communiquait avec la province, avec l’étranger, mais il ne communiquait pas avec lui-même. Les lettres y étaient portées par les « petits laquais, » par les commissionnaires ; nulle administration spéciale ne se chargeait de les recevoir et de les distribuer. Si l’on en croit Loret (Gazette rimée, 16 août 1653), un essai fut tenté qui ne réussit pas ; les « boëstes » placées aux carrefours principaux et dans les rues les plus fréquentées n’eurent pas grand succès : on s’amusait à les remplir d’immondices, à y faire entrer des souris qui rongeaient les lettres. Furetière en parle avec sévérité et menaces dans le Roman bourgeois, Paris attendit jusqu’au 1er juin 1760 un établissement régulier pour l’échange de sa correspondance urbaine. L’honneur en appartient à M. de Chamousset, dont « la tête était toujours en effervescence pour le bien de l’humanité, » dit l’abbé de Voisenon. Ce fut la poste à un sou d’abord, puis la poste à deux sous, plus communément la petite poste ; elle faisait une distribution par jour, et paraît avoir été accueillie avec reconnaissance par les contemporains : elle resta indépendante jusqu’en 1791, époque où elle se fondit dans la direction générale des postes.

Dès le commencement de la révolution française, on s’occupa de modifier et de fixer l’administration des postes ; elle avait excité de violens mécontentemens, ses abus étaient percés à jour, on en désirait ardemment la réforme ; les cahiers de 1789 en font foi. Les trois services, service de Paris, service de la province, service des messageries, sont réunis sous la direction d’un commissaire-général <(non intéressé aux produits d’exploitation, » et qui doit prêter serment entre les mains du roi (loi du 26-29 août J790). Cette disposition nouvelle était bonne, car dès l’année 1791 le bénéfice net des postes est de 11,668,000 livres. Le comité de salut public ne devait point respecter cette organisation, qui semblait pourtant répondre à tous les besoins du moment ; une loi datée du 24 juillet 1793 nomme neuf administrateurs choisis par la convention même pour diriger les postes ; tous les trois ans, leurs pouvoirs expiraient, mais pouvaient être renouvelés. De quinzaine en quinzaine, ils devaient rendre compte de leur gestion à l’assemblée souveraine, qui seule était apte à prononcer sur leur sort. Le peuple, dans les assemblées de district, nommait lui-même le directeur de la poste aux lettres des quartiers et des cantons. Ce fut à la suite de cette loi que fut adopté le modèle des malles-poste, inventées par Palmer, directeur du Post-Office de Londres, et que l’Angleterre employait depuis 1784. Elles devaient partir tous les jours de Paris, marcher nuit et jour, et faire réglementairement une moyenne de deux lieues à l’heure. Nous les avons connues au temps de notre enfance, ces bonnes voitures jaunes, formées d’un coupé-cabriolet et d’une rotonde; une large bâche de cuir retenait les paquets des quatre ou cinq voyageurs qu’elles pouvaient contenir; quatre chevaux montés par deux postillons les entraînaient à travers la poussière qu’elles soulevaient sur les routes. Elles ont duré en France jusqu’en 1839 et 1840. A cette époque, M. Conte, qui était un administrateur fort intelligent, alla lui-même en Angleterre étudier le coach-mall, qui avait succédé depuis longtemps aux pataches de Palmer, et la France fut dotée de ces excellentes berlines de poste, de ces briskas rapides et commodes qui firent jadis notre admiration, qui devaient voyager avec une vitesse moyenne de 16 kilomètres à l’heure, et qui n’ont disparu que devant les wagons des chemins de fer.

Cependant les postes n’étaient point florissantes tant que dura l’ardente période de la révolution : les maîtres de poste, aux trois quarts ruinés, donnèrent leur démission; mais la terrible assemblée ne plaisantait pas avec les services publics, et un décret du 8 octobre 1793 força les démissionnaires à reprendre leurs fonctions. Il y allait de la tête, ou peu s’en faut; ils n’hésitèrent pas et se soumirent. Par décret du 18 octobre 1794, la convention, fidèle à ses principes, abolit le privilège des messageries et accorda une liberté illimitée à l’industrie des transports. Sans aucun doute c’était nuire à l’administration des postes; mais, en les délivrant de leur service le plus encombrant, c’était les mettre à même de pouvoir suffire plus tard à l’extraordinaire accroissement des correspondances, et c’était, œuvre bien plus importante, augmenter par la concurrence des initiatives individuelles les moyens de transport et de communication dans une proportion considérable. Le service des postes allait mal, la convention n’en pouvait douter, et elle crut remédier à tous les inconvéniens qu’elle connaissait en portant à douze le nombre des administrateurs (août 1795). Ai-je besoin de dire que cette mesure ne fut d’aucune utilité? Tout ceci n’était que provisoire, et les tâtonnemens n’étaient point finis. Le directoire, assez bien inspiré cette fois, remet les postes sous la direction d’un commissaire-général et lui rend les messageries, qu’il ne tarde pas à restituer à l’industrie particulière, à la charge par elle de verser un dixième de ses bénéfices au trésor public (loi du 9 vendémiaire an VI). Le premier commissaire-général aux postes fut Gaudin, dont l’empire fit un duc de Gaëte. Bonaparte, par un arrêté consulaire du 4 janvier 1800, fonda l’organisation encore actuellement en vigueur; M. de la Valette, nommé commissaire-général en 1801, prend dès 1804 le titre de directeur-général, titre qui, après avoir été modifié en 1830 (président du conseil des postes) et en 1831 (directeur d’administration), redevient en 1844 et reste encore aujourd’hui la dénomination officielle. L’empire et la restauration ne donnèrent point cependant un bien vif essor aux postes; j’en trouve la preuve en comparant le nombre des bureaux, qui en 1791 était de 1,419 et en 1829 n’était encore que de 1,799. Une augmentation de 380 bureaux dans l’espace de trente-huit ans est significative, et indique une médiocre sollicitude. Cependant il ne faut point oublier que c’est le gouvernement de Charles X qui institua l’admirable et démocratique service des facteurs ruraux. Dans la discussion qui eut lieu à ce sujet à la chambre des députés le 13 avril 1829, le baron de Villeneuve apprend à la France étonnée que « 35,587 communes sont dépourvues de relations directes avec la poste. » Il fallait alors se rendre au chef-lieu de canton, souvent même au chef-lieu d’arrondissement, pour retirer ses lettres. Cet usage déplorable n’est pas encore tombé en désuétude dans la libérale Angleterre, qui nous envie notre excellente organisation du factage rural. Du reste, avant la révolution de juillet, et même dans les villes, le service était médiocre et n’avait pu se débarrasser d’un certain esprit de privilège qui travaillait encore les administrations les meilleures; les lettres n’étaient rendues à domicile que dans les villes dont la population dépassait 4,000 habitans, et le facteur exigeait pour ce service spécial une surtaxe arbitraire de cinq centimes. 1830 fît disparaître cet abus, qui existait encore, il y a trois ans, dans une grande partie de l’Allemagne.

Par notre armée de facteurs, nous sommes supérieurs aux agens des postes anglaises; mais sous le rapport de l’uniformité des taxes l’Angleterre nous a donné un excellent exemple que nous avons été bien lents à suivre. Le 10 janvier 1840, elle inaugure sa réforme, que nous tentons vainement d’imiter en 1845. À cette époque, la France postale était divisée en plusieurs zones, qui toutes avaient un tarif particulier. Dans la séance du 7 février 1845, il fut démontré à la chambre des députés que la zone la plus rapprochée, taxée à 20 centimes, produisait 5,300,000 francs, et que la plus éloignée, taxée à 1 franc 20 centimes, rapportait 90,000 francs. Une telle différence, si concluante cependant en faveur du projet de réforme, ne put entraîner la majorité; la chambre divisa ses voix en deux parts exactement égales, 170 contre 170; la loi fut rejetée. Elle fut reprise sous la république, et dans la séance du 24 août 1848 M. Goudchaux, ministre des finances, fit adopter la réforme postale malgré la très vive opposition du citoyen Des Longrais, qui n’entendait à rien et voulait imperturbablement rester fidèle aux vieilles zones et aux anciens tarifs. La loi fui votée à une grande majorité; elle fit une révolution réelle dans le service des postes, car, par l’abaissement de la taxe, elle amena dans les correspondances une augmentation extraordinaire, et par la création des timbres-poste, elle rendit possible le travail des employés, qui, sans cela, succomberaient aujourd’hui sous le nombre des objets qu’ils ont à manipuler. Une dernière et équitable amélioration a encore été introduite par la loi du 5 juin 1854, qui détermine la taxe actuelle et accorde à l’affranchissement une prime de moitié du prix de la lettre.

C’est en examinant et en comparant les chiffres qu’on pourra comprendre les résultats obtenus par les différentes mesures qui viennent d’être énumérées. Nous avons déjà dit qu’en 1791 il existait en France 1,419 bureaux de poste, et qu’en 1829 on en comptait 1,799; en 1838, le nombre est de 2,395; en 1865, il est de 4,776. Le nombre des objets manipulés par l’administration des postes est en 1825 de 86,342,197, en 1845 de 178,374,394, en 1865 de 700, 440,676. Le produit général de la vente des timbres-poste est en 1849 de 4,446,766 fr.; en 1865, il a été de 60,695,548 fr. sur lesquels la part seule de Paris, en dehors des nouvelles communes annexées, est de 10,958,214 francs. Enfin en 1829 il n’existait pas un seul facteur rural; aujourd’hui la poste en emploie 16,406, qui parcourent chaque jour, sans repos du dimanche, 428,256 kilomètres, c’est-à-dire un espace de chemin égal à plus de dix fois le tour de la terre. J’avoue que je ne puis qu’admirer sans réserve. L’impulsion donnée à cet immense service, qui est en activité jour et nuit, part de l’hôtel des postes de Paris.


II.

Avant d’examiner les différens détails d’une si considérable administration, il n’est pas inutile de revenir en arrière pour un instant et de dire quelques mots d’une institution qui a fait grand bruit jadis, qui a inspiré bien des colères, et qui reste justement flétrie par l’opinion publique : je veux parler du cabinet noir. Il prit réellement naissance en même temps que l’administration des postes, car, ainsi qu’on l’a vu, Louis XI eut soin de spécifier que les courriers royaux ne transporteraient les lettres que si elles avaient été lues préalablement, et si elles ne contenaient rien qui pût porter préjudice à son gouvernement. C’est là l’origine de cette institution, qui, malgré le mal qu’elle s’est donné, l’argent qu’elle a coûté, n’a peut-être jamais fait avorter une conspiration, une émeute, une révolution ou une tentative d’assassinat politique. Il paraît hors de doute que les anciens gouvernemens y ont eu recours. Les Concini, les Richelieu, les Mazarin, les Louis XIV, les Dubois, n’étaient point hommes à s’arrêter devant le cachet d’une lettre fermée; mais nul document précis n’existe, sur lequel on puisse baser une certitude. Dès que nous arrivons au règne de Louis XV, il n’en est plus ainsi, on sait positivement à quoi s’en tenir, et l’on peut même reconstituer assez facilement le mode de procéder. Ce fut ce prince en effet qui organisa le premier et d’une façon régulière « le cabinet du secret des postes. » Ses prédécesseurs ne s’étaient point fait faute de prendre copie des dépêches qu’il leur importait de connaître; mais c’est à lui que remonte le triste honneur d’avoir définitivement réglé cette étrange administration. Elle avait pour but de découvrir les secrets de la vie privée, et il ne faut pas la confondre avec l’agence politique destinée à percer les mystères de la diplomatie, et qui eut pour directeurs dans ce temps-là le prince de Conti et le comte de Broglie. Dans ses curieux mémoires. Mme du Hausset, femme de chambre de la marquise de Pompadour, raconte naïvement ce qu’elle a vu elle-même. Son témoignage est important. « Le roi avait fait communiquer à M. de Choiseul le secret de la poste, c’est-à-dire l’extrait des lettres qu’on ouvrait, ce que n’avait pas eu M. d’Argenson malgré toute sa faveur. J’ai entendu dire que M. de Choiseul en abusait, et racontait à ses amis les histoires plaisantes, les intrigues amoureuses que contenaient souvent les lettres qu’on décachetait. La méthode, à ce que j’ai entendu dire, était fort simple : six ou sept commis de l’hôtel des postes tiraient les lettres qu’il leur était prescrit de décacheter, et prenaient l’empreinte du cachet avec une boule de mercure; ensuite on mettait la lettre, du côté du cachet, sur un gobelet d’eau chaude, qui faisait fondre la cire sans rien gâter: on l’ouvrait, on en faisait l’extrait, et ensuite on la recachetait au moyen de l’empreinte. Voilà comme j’ai entendu la chose. L’intendant des postes apportait les extraits au roi le dimanche. On le voyait entrer et passer comme les ministres pour ce redoutable travail[4]. » Ces renseignemens sont inexacts, mais ils sont précieux, car ils mettent sur la voie de la vérité. La vapeur d’eau bouillante ne peut amollir que la cire animale et non point la cire-résine qu’on emploie pour sceller les lettres; ce procédé est bon pour décoller sans lacération les pains à cacheter. — Quant à prendre une empreinte avec du mercure, cela est absolument impossible, à moins qu’on n’arrive à le congeler en abaissant subitement la température à 40 degrés au-dessous de zéro; mais en combinant du mercure et de l’argent on obtient un amalgame très malléable, qui durcit rapidement, conserve nettes les arêtes d’une empreinte et peut parfaitement servir de sceau pour rétablir un cachet. La découverte de nouveaux métaux a singulièrement amélioré ces procédés primitifs, et l’on pourrait aujourd’hui, si on y avait intérêt, opérer presque à coup sûr et de façon à tromper les yeux, les plus défians. Sous la restauration, qui fut un temps glorieux pour le cabinet noir, des chimistes célèbres qui ont joui de grands honneurs pendant leur vie, qui ont laissé un nom fort honoré depuis leur mort et qu’il est inutile de désigner, n’ont point dédaigné de travailler de toutes leurs forces à perfectionner l’art du « ramollissement des cachets, » ainsi que disait le cardinal de Richelieu.

La lecture des lettres des particuliers était devenue le passe-temps favori de Louis XV, qui trouvait dans la satisfaction de cette malsaine curiosité un aliment et un divertissement pour son esprit égoïste et corrompu. L’honnête Louis XVI voulut, au commencement de son règne, mettre fin à ces scandales d’indiscrétion, qui n’étaient plus un mystère pour personne, et répudier un tel moyen de gouvernement. Un arrêté du 18 août 1775 déclara que « la correspondance secrète des citoyens est au nombre des choses sacrées dont les tribunaux comme les particuliers doivent détourner les regards. » Cette probité sérieuse et plus habile que toutes les roueries de la police ne fut pas de longue durée. On influença l’excellente et faible volonté du roi en invoquant la raison d’état, et le cabinet du secret des lettres fut rétabli; il fonctionnait activement peu de temps après l’arrêt que nous venons de rapporter. On peut se figurer à quel point cette question soulevait toutes les consciences en parcourant les cahiers qui contenaient les vœux de la France au moment où la révolution allait éclater. Ils sont unanimes pour réclamer le secret des lettres, la suppression du bureau qui, à l’hôtel des postes de Paris, a le droit d’ouvrir les correspondances, — la responsabilité des agens et leur punition sévère en cas de délit[5]. Les députés aux états-généraux ne furent point sourds à l’appel de leurs commettans; ils s’en firent l’écho. Dans la séance du 8 juillet 1790, sur le rapport d’Armand Gontaut (ci-devant Biron), l’assemblée nationale supprime les fonds affectés au cabinet du secret des postes; dans la séance du 22 août suivant, elle décrète, après avoir entendu le rapporteur La Blache, que les administrateurs et les employés des postes prêteront, les premiers entre les mains du roi, les seconds entre les mains des juges, serment de respecter et de faire respecter par tous les moyens en leur pouvoir « la foi due au secret des lettres de toute la correspondance du royaume. »

On pourrait croire d’après cela que le cabinet noir était définitivement fermé, et que les moyens de gouvernement dont usaient « les tyrans » ne pouvaient convenir à « un peuple libre; » on se tromperait. Il y a un cercle fatal où la médiocrité humaine semble forcée de tourner toujours: de quelque côté et pour quelque cause que l’on combatte, les armes sont perpétuellement les mêmes. Dès l’ouverture des états-généraux, on put deviner que, si jamais Robespierre arrivait au pouvoir, il ne mépriserait pas ce moyen d’investigation qu’on avait si justement reproché à la monarchie absolue. Répondant à Mirabeau, il dit dans la séance du 25 juillet 1789 : « Sans doute les lettres sont inviolables; mais lorsque toute une nation est en danger, lorsqu’on trame contre sa liberté, ce qui est un crime dans les autres temps devient une action louable. Les ménagemens pour les conspirations sont une trahison envers le peuple. » Grands mots, derrière lesquels les actes ne peuvent même pas cacher ce qu’ils ont d’odieux. Plus tard, Robespierre parut avoir changé d’avis : le 28 janvier 1791, il monte à la tribune, et à propos de correspondances renvoyées à l’examen de l’assemblée parce qu’elles attaquaient les représentans du peuple, il dit : « Comment sait-on que ce sont des écrits contre l’assemblée nationale? On a donc violé le secret des lettres? C’est un attentat contre la foi publique! » Ces paroles contiennent implicitement une promesse que devait démentir le comité de salut public. Du reste, en ceci comme en beaucoup d’autres choses, ce furent les girondins, lorsqu’ils étaient les plus forts, qui donnèrent le mauvais exemple. Ils ne se gênèrent point pour décacheter les lettres des feuillans, des fayettistes; la montagne devait le leur rendre quand son tour fut venu. Elle eut au moins le mérite de procéder ouvertement; ce ne fut plus une embûche, ce fut une mesure de sécurité publique, et deux membres de la convention furent délégués pour connaître des correspondances qui pouvaient compromettre le salut de la patrie. Après le 9 thermidor, on essaya de ramener les postes à un état normal; on voulut une fois de plus rompre avec la raison d’état et revenir à la probité. Dans sa séance du 19 frimaire an III (9 décembre 1794), la convention décrète u que le secret des lettres ne sera plus violé dans l’intérieur de la république, et renvoie au comité des transports les observations faites sur l’administration des postes. » Je doute que les thermidoriens, dont la moralité n’était point exemplaire, aient tenu grand compte de ce décret, car jamais peut-être la police ne fut plus pénétrante qu’à cette époque; par bonheur pour les intéressés, sa vénalité la rendait peu redoutable, et il était facile de s’accommoder avec elle.

Sous le consulat et l’empire, nulle hésitation n’est permise. Napoléon a fait à ce sujet des aveux qui ont été recueillis à Sainte-Hélène par les compagnons de sa captivité. En parlant du cabinet noir, il dit : « C’est une mauvaise institution, qui fait plus de mal que de bien. Il arrive si souvent au souverain d’être de mauvaise humeur, fatigué, influencé par des causes étrangères à l’objet soumis à sa décision, et puis les Français sont si légers, si inconséquens dans leurs correspondances comme dans leurs paroles! J’employais le plus souvent le cabinet noir à connaître la correspondance intime de mes ministres, de mes chambellans, de mes grands-officiers, de Berthier, de Duroc lui-même[6]. » M. de Las Cases est plus explicite, il entre même en quelques détails administratifs qui ne sont point sans intérêt. « Dès que quelqu’un se trouvait couché sur la liste de cette importante surveillance, ses armes, son cachet, étaient aussitôt gravés par le bureau, si bien que ses lettres, après avoir été lues, parvenaient intactes, sans aucun indice de soupçon... Ce bureau coûtait 600,000 francs... Quant à la surveillance exercée sur les lettres des citoyens, il (l’empereur) croyait qu’elle pouvait causer plus de mal que de bien[7]. » Un de ses ministres, un homme dont le dévouement n’est point suspect, et qui le servait avec ardeur dans toutes ses opérations secrètes, Savary, blâme énergiquement la violation des lettres, non pas au point de vue de la morale, qui paraît l’inquiéter assez peu, mais uniquement au point de vue de l’utilité qu’on en peut retirer. Il n’hésite pas à dire : « C’est ainsi que plus d’une fois on s’est servi, pour porter le mensonge jusqu’au chef de l’état, d’un moyen destiné à lui faire connaître la vérité. A l’aide de cette institution, un individu qui en dénonce un autre peut donner du poids à sa délation. Il lui suffit de jeter à la poste des lettres conçues de manière à confirmer l’opinion qu’on veut accréditer. Le plus honnête homme du monde peut ainsi se trouver compromis par une lettre qu’il n’a pas lue ou qu’il n’a pas comprise. » Et Savary ajoute ces paroles qui méritent de faire réfléchir lorsqu’on se rappelle les fonctions qu’il a exercées : « J’en ai fait l’expérience par moi-même[8]. » Bourrienne nomme les masques sans hésiter, et explique la cause de la disgrâce qui, pendant tout l’empire, pesa sur le général Kellermann. « M. Delaforest, directeur-général des postes, travaillait quelquefois avec le premier consul, et l’on sait ce que cela veut dire, quand un directeur-général des postes travaille avec le chef du gouvernement. Ce fut dans une de ces séances laborieuses que le premier consul vit une lettre de Kellermann à Lassalle, dans laquelle il lui disait : Crois-tu, mon ami, que Bonaparte ne m’a pas fait général de division, moi qui viens de lui mettre la couronne sur la tête? (Allusion à la bataille de Marengo). La lettre recachetée fut envoyée à son adresse, mais Bonaparte n’en oublia jamais le contenu...[9]. »

Le cabinet noir ne disparut pas avec l’empire, et il a fait beaucoup parler de lui sous les Bourbons. Il coûtait alors, comme sous le régime précédent, 600,000 francs, soldés par les fonds secrets du ministère des affaires étrangères, et était desservi par vingt-deux employés dont plusieurs étaient de hauts personnages. En 1828, lorsque M. de Villèle tomba, entraînant dans sa chute le préfet de police Delavau, chute qui nous valut l’étrange publication du Livre noir[10], le nouveau ministère déclara officiellement que le cabinet du secret des lettres n’existait plus à l’administration des postes. C’était une supercherie, on s’était contenté de le faire déménager. Après la révolution de juillet, on n’eut pas de longues recherches à faire pour découvrir et prouver qu’il avait fonctionné jusqu’au dernier moment. Un procès curieux occupa même l’attention publique dans les premiers mois qui suivirent l’avènement de la maison d’Orléans. Une jeune personne d’excellente famille avait épousé vers 1821 un employé supérieur des postes, personnage important, en relation directe avec les Tuileries et émargeant un très gros traitement. Ses fonctions, sur lesquelles il ne s’était pas expliqué, exigeaient presque tous les soirs sa présence à son bureau, et souvent il y passait une partie de la nuit. Après les événemens de juillet, la triste vérité apparut tout entière; le mari était l’un des principaux membres du cabinet noir. Sa femme indignée en recevant une telle révélation, à laquelle elle était loin de s’attendre, forma immédiatement près du tribunal civil de la Seine une demande en séparation de corps et de biens. Malgré tout le talent de son avocat, elle perdit son procès; mais l’opinion du monde était pour elle, et jamais elle ne consentit à revoir celui qui l’avait abusée sur sa situation et l’avait entraînée dans une honte qu’elle ne soupçonnait pas.

Je me souviens d’avoir été conduit, lorsque j’étais enfant, chez un vieillard qui habitait un assez médiocre château dans l’Orléanais. Je vis un homme grand, d’excellentes façons, poudré avec un soin qui ressemblait bien à de la coquetterie, vêtu d’un pantalon à pieds et d’une veste en molleton d’une blancheur éblouissante, aimable causeur, ne regardant guère les gens en face, se disant fort désintéressé des choses de ce bas monde et accusant dans toute sa manière d’être les habitudes d’une société disparue. Il était très savant, parlait sept ou huit langues, s’occupait de chimie à ses momens perdus et faisait beaucoup de bien autour de lui. Je me rappelle qu’il me montra un gnomon nouvellement établi devant sa maison, et que, par esprit de douce raillerie, il me pria de lui traduire les quatre mots latins qui entouraient le cadran demi-circulaire. C’était l’inscription de l’horloge d’Urrugne : vulnerant omnes, ultima necat. Il m’expliqua la légende et la commenta avec une tristesse et un charme que je n’ai point oubliés. Les vieillards du pays l’aimaient et à cause de sa bienfaisance l’avaient surnommé le saint; les jeunes gens s’en éloignaient et inscrivaient souvent des mots injurieux pour lui sur les murs de sa propriété. Je ne l’ai jamais revu, et depuis j’ai appris ce qu’il avait été. C’était le comte de..., ancien chef du cabinet noir sous la restauration.

Le gouvernement de juillet recueillit l’héritage que lui avaient légué les Bourbons; il continua de servir aux anciens agens secrets des postes le traitement qu’ils recevaient pendant la durée de leurs fonctions, et dans les comptes du ministère des affaires étrangères on trouve qu’en 1847 les fonds secrets payaient encore 60,500 fr. de pensions aux « employés de l’ancien cabinet noir. »

La période qui commence en 1830 est trop contemporaine pour que l’on en puisse parler en connaissance de cause. Les gouvernemens n’ont point l’habitude de livrer leurs secrets aux curieux qui les interrogent. Je suis donc réduit à raisonner par induction, car je n’ai aucun texte assez positif pour qu’il soit possible d’en tirer une conclusion sérieuse. De certains procès politiques où les correspondances saisies et lues à la poste servaient de base à l’accusation, on peut inférer que la royauté de juillet employa sinon régulièrement, du moins quand elle crut en avoir besoin, cette arme qu’on aurait pu croire brisée pour jamais; mais rien dans les révélations qui suivirent les journées de février ne vint prouver que le cabinet noir eût été rétabli d’une façon normale. Ce fut plutôt, je crois, un en-cas qu’une institution, et si l’on en usa, ce fut dans certains momens exceptionnels, qui paraissaient critiques ou dangereux.

Existe-t-il encore aujourd’hui?

Montaigne eût dit : Que sais-je? Et Rabelais : Peut-être !


Cependant je pencherais volontiers pour la négative, d’abord parce que le nombre inconcevable de lettres qui affluent chaque jour à l’hôtel des postes rendrait un examen préalable excessivement difficile, et ensuite parce que ce serait absolument inutile en présence de l’arrêt que la cour de cassation, toutes chambres réunies, a rendu le 21 novembre 1853. Par cet arrêt, qui a force de loi, la cour reconnait au préfet de police et aux préfets le droit de se faire délivrer par la direction des postes telles lettres qu’ils déterminent. Un simple commissaire de police peut aujourd’hui, en présentant une délégation ad hoc, se faire remettre contre un reçu les lettres adressées à tel individu désigné, et si plus tard elles sont rendues à l’administration, elles sont frappées d’un timbre particulier qui porte en exergue : ouvertes par autorité de justice, et renvoyées au destinataire. C’est brutal, j’en conviens, mais préférable néanmoins aux manœuvres du cabinet noir. La cour de cassation a prononcé en dernier ressort, il n’y a qu’à s’incliner. Cependant je lis dans le code pénal un article 187 ainsi conçu : « Toute suppression, toute ouverture de lettres confiées à la poste, commise ou facilitée par un fonctionnaire ou un agent du gouvernement ou de l’administration des postes, sera punie d’une amende de 16 francs à 500 francs et d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans. Le coupable sera de plus interdit de toute fonction ou emploi public pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. » Ce sont là de ces contradictions que les légistes excellent à résoudre, mais auxquelles nous n’entendons rien.

L’intérêt extrême que les gouvernemens ont à pénétrer leurs mutuels secrets les a souvent entraînés à des actes que la délicatesse et la morale réprouvent. Parfois on n’a pas hésité à commettre des crimes pour s’emparer des dépêches d’un agent diplomatique. Dans ce cas-là surtout, on faisait appel à la raison d’état, et tout se trouvait justifié pour les gens qui s’imaginent qu’en toutes choses le résultat seul est à considérer. Chacun se souvient encore de l’assassinat des plénipotentiaires français, dans la nuit du 9 floréal an VII (28 avril 1799), à cent pas des faubourgs de Rastadt, sur la route de Plittersdorff. Robeyrot et Monnier furent tués; Jean Debry, échappé par miracle, reçut treize blessures. Le but de cette agression, dont il faut lire le récit dans le procès-verbal même des ministres plénipotentiaires, était tout simplement de s’emparer des papiers que les envoyés français portaient avec eux dans leur voiture[11]. Un autre fait excessivement grave et beaucoup moins connu s’est passé dans la première moitié du gouvernement de la restauration. L’ambassadeur d’une très grande puissance près d’une cour italienne de premier ordre s’aperçut à des indices certains que ses secrets étaient divulgués. Ses dépêches les mieux chiffrées étaient devinées, ses correspondances particulières avec son gouvernement étaient percées à jour, et le ministère d’un pays voisin en avait connaissance. En vain l’ambassadeur avait établi autour de lui une surveillance très active, en vain il redoublait de perspicacité; le mystère demeurait impénétrable pour lui. Il était parvenu cependant à découvrir que ces renseignemens pleins de trahison partaient de la ville même qu’il habitait, et qu’ils étaient souvent transportés par ses propres agens. Le moyen qu’il employa pour connaître la vérité fut d’une violence sans pareille. Un jour que son courrier était parti chargé de ses dépêches, il le fit attendre près de la ville de T...., à un endroit mal famé du reste et volontiers visité par les coupeurs de bourse. Le malheureux courrier, qui venait de relayer, s’en allait au grand trot, sur le chemin qu’éclairait la lune, lorsqu’il reçut en pleine poitrine un coup de fusil qui le tua raide. Son sac de dépêches prestement enlevé fut remis à l’ambassadeur, qui, en l’inspectant, put se convaincre que le traître appartenait à son propre cabinet. Le secrétaire fut destitué sans bruit; on accusa les brigands d’avoir assassiné le courrier, on donna quelque argent à sa veuve, et l’affaire fut étouffée. L’auteur ou plutôt l’instigateur de ce meurtre a vécu parmi nous, fort honoré de tous; c’était un diplomate habile, et il est mort pair de France. Si secrète que fût tenue l’aventure, on finit par la savoir, et les gens habiles qui la racontaient disaient volontiers en terminant le récit : Certainement le moyen était excessif; mais, que diable! l’intérêt de l’état doit passer avant tout.


III.

L’établissement successif des chemins de fer amena une modification essentielle dans le transport des dépêches. Les grandes rapidités si admirées jadis nous feraient sourire aujourd’hui; les exigences se sont augmentées en raison directe des besoins, et les besoins se sont augmentés en raison directe des satisfactions qu’on leur donnait. Autrefois, dans les plus beaux temps de la direction de M. Conte, quatorze malles-poste attelées chacune de quatre chevaux menés à grandes guides quittaient Paris à six heures du soir, et allaient porter à la France entière les lettres et les journaux. Chaque matin, entre quatre et cinq heures, quatorze malles-poste apportaient à Paris la correspondance des provinces. Ce service était régulier, rapide, excellent. Il a disparu aujourd’hui et pour toujours. A la place de ces quatorze malles-poste qui traversaient nos rues au grand trot et parcouraient nos routes, où chaque voiture était tenue de leur céder le pavé, vingt bureaux ambulans partent de Paris, amarrés aux wagons qu’entraîne la locomotive: six employés, montés dans chaque bureau, utilisent le temps du voyage à trier les lettres, à les diviser en paquets destinés aux villes qu’on traverse, à en préparer à l’avance la distribution, qui peut, grâce à ce système, s’effectuer aussitôt après la remise des dépêches. Chaque jour, vingt autres bureaux ambulans arrivent à Paris, chargés des nombreuses correspondances qui y affluent de toutes parts. De plus chaque train de petite, de moyenne, de grande vitesse, reçoit des courriers chargés de convoyer, distribuer, recevoir les correspondances qui ont été jetées à la poste après le départ de l’ambulant. On peut affirmer avec certitude que les 43,000 boîtes aux lettres qui sont dispersées sur le territoire de la France sont remplies, vidées, visitées plusieurs fois par jour. On est effrayé quand on pense à la longueur du chemin que la poste aux lettres fait dans notre pays. Annuellement elle franchit sur les chemins de fer 27,730,000 kilomètres et 51,700,000 sur les routes de grande et de petite vicinalité. Quelque remarquable que soit ce service, il ne pourra que s’améliorer encore par l’ouverture de nouvelles voies ferrées, et bientôt sans doute on arrivera à un parcours de 100 millions de kilomètres par an.

Chacun a pu, sur les chemins de fer, remarquer ces vastes et spacieux wagons qui portent un numéro d’ordre et le mot allège écrit en gros caractères. Ce sont les bureaux ambulans, et ces bureaux sont véritablement les annexes mobiles de l’administration centrale. Le travail y est incessant; à chaque station, on reçoit autant de dépêches qu’on en délivre; il faut recommencer le triage, classer de nouveau toutes les lettres, tous les paquets destinés aux localités desservies par le railway, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on soit parvenu au terme du voyage. Lorsqu’on remonte vers Paris, la même besogne recommence, s’activant au fur et à mesure qu’on approche, — besogne fatigante, exigeant une rapidité de main extraordinaire, énervant les plus robustes, et rendue souvent très pénible par la trépidation incessante d’un train lancé à toute vitesse. La poste ressemble fort au tonneau des Danaïdes; le labeur y est excessif, incessant, et il faut toujours le recommencer. Malgré le dévouement des employés, leur extrême habileté et l’espèce d’ardeur fébrile qui est nécessairement devenue pour eux une seconde nature, c’est tout ce qu’ils peuvent faire que d’accomplir régulièrement la tâche énorme dont ils sont responsables. Pendant l’année 1865, la poste française a transporté 700,444,676 objets, qui tous ont été réglementairement manipulés par plusieurs agens, et dont beaucoup, tels que les chargemens ou les mandats d’articles d’argent, ont exigé plusieurs mesures de contrôle et d’enregistrement. On ne saurait imaginer quelles précautions minutieuses prend l’administration des postes pour assurer la remise des objets qu’elle transporte. Ainsi par exemple une lettre chargée destinée à Marseille et déposée au bureau de la place de la Madeleine, à Paris, subit une série d’opérations qui toutes sont vérifiées, et dont la preuve reste entre les mains de l’administration centrale. Le bureau de la Madeleine prend la lettre en charge et en donne un récépissé à l’expéditeur; il envoie ensuite la lettre au bureau central, qui l’inscrit et en donne reçu; celui-ci la remet avec les mêmes formalités au bureau ambulant, qui les exige à son tour du bureau de Marseille. Ce dernier la confie contre reçu au facteur, qui ne doit la livrer au destinataire qu’en échange d’une décharge définitive. Six enregistremens différens, six signatures différentes, sont donc nécessaires pour qu’une lettre chargée parvienne de Paris à Marseille; il est inutile d’ajouter que ces diverses formalités ne doivent causer aucun retard au transport de la dépêche. Nous avons dit le nombre vraiment extraordinaire et toujours croissant des objets confiés à la poste; ils se divisent en cinq catégories distinctes, qui sont : les lettres, 311,095,000; les chargemens, 3,722,000; les sous-seings, 106,000,000; les journaux, imprimés, échantillons, 275,499,120; les mandats d’articles d’argent, 4,124,556. — Chacun sait de quelle façon on procède pour les lettres, pour les journaux; on vient de voir les diverses phases que traverse un chargement : il nous reste à parler des échantillons, des mandats et des sous-seings.

La fixation d’un tarif minime pour les objets dits échantillons (loi du 25 juin 1856) a singulièrement favorisé ce genre d’envoi. On pourrait croire que le commerce se contente d’adresser par la poste des fragmens d’étoffe, des spécimens qui serviront à déterminer plus tard une commande, et que c’est à cela qu’est limité le droit d’expédition; pas du tout. Par suite de la tolérance de l’administration des postes, qui en toute chose fait acte de très bonne volonté pour se plier aux exigences du public, par suite de cet esprit d’abus qui semble inhérent aux Français, surtout en présence d’un monopole, les échantillons sont devenus peu à peu de véritables marchandises qui devraient être reléguées dans les wagons de messageries des chemins de fer. Comme les 100 grammes d’échantillons ne sont taxés qu’à 10 centimes, la poste transporte pour 30 centimes des paquets qui pèsent 300 grammes; chaussures, dentelles, chapeaux, douzaine de paires de gants, s’en vont tranquillement et fort économiquement dans les boîtes des facteurs pêle-mêle avec les lettres et les journaux. Ces facilités sont tellement appréciées par le commerce, que depuis dix ans le nombre de ces prétendus échantillons a quintuplé; il est devenu aujourd’hui un motif de sérieuses appréhensions pour l’administration. Son service en effet, son service essentiel et spécial est celui des dépêches, et il est encombré de la façon la plus gênante par tous ces colis qui tiennent beaucoup de place, exigent une manipulation plus délicate, et entraînent une perte de temps précieux. La poste succombe littéralement sous l’encombrement des lettres, des journaux, des imprimés ; il serait utile, dans son propre intérêt, qui est celui du public tout entier, de la débarrasser d’un surcroît de travail qui trouverait mieux son emploi ailleurs.

Si je blâme les facilités abusives accordées au transport des échantillons, je ne puis qu’approuver les efforts accomplis pour rendre les mandats d’articles d’argent accessibles à tout le monde. Par l’abaissement successif des droits dont ils sont frappés, on est arrivé à les mettre à la disposition des bourses les plus pauvres. La loi du 2 juillet 1862 a abaissé de 2 à 1 pour 100 le droit de transmission ; de plus la loi du 2 juin 1864 a réduit le droit de timbre de 50 à 20 centimes : aussi dans l’année 1865 l’administration des postes a émis 4,124,556 mandats, qui représentent une somme totale de 120,236,788 francs. Il est facile de faire comprendre à quel point ce service est utile aux petites gens en disant que 13,490,340 fr. ont été expédiés en 1,798,712 mandats de 10 fr. et au-dessous. Du reste, les sommes envoyées de cette manière ne sont jamais très considérables, et le mandat le plus élevé dont on ait conservé le souvenir était d’une valeur de 30,000 francs ; venu de Constantinople, il fut touché à Paris le 11 juin 1863. En 1865, on a compté 5 mandats pour une somme de 33,930 francs 20 centimes, ce qui donne un peu plus de 6,000 francs par mandat. Mais, comme l’on sait, la poste se charge aussi de transporter des valeurs déclarées moyennant une prime d’assurance qui est de 1/10e pour 100 ; elle ne reçoit pas de déclaration au-dessus de 2,000 fr., et c’est la somme maxima qu’elle est autorisée à restituer en cas de perte. Lorsque nous nous sommes enquis du motif qui avait fait limiter à 2,000 francs la somme la plus élevée que la poste consentait à transporter dans une lettre, il nous a été répondu qu’elle voulait, par ce moyen, éviter de tenter la cupidité de ses agens. En 1865, 1,298,816 lettres contenant 775,824,000 francs de valeurs déclarées ont été enregistrées à l’administration. Ce total est considérable, et cependant il n’est rien en comparaison des valeurs contenues dans les lettres chargées, valeurs qui ne sont soumises à aucune déclaration préalable, et qui, d’après un calcul approximatif, s’élèvent à plus de 3 milliards. Ce chiffre, rapproché du total des mandats et des valeurs déclarées, prouve que la poste transporte annuellement environ à milliards de francs. De telles richesses peuvent tenter bien des agens pauvres, j’en conviens ; mais la surveillance est perpétuelle. À la fois occulte et patente, elle s’exerce jour et nuit; dans les bureaux sédentaires, dans les bureaux ambulans, partout où elle soupçonne une fraude possible, elle ouvre des yeux accoutumés à voir vite et bien. Aussi en 1865, malgré l’énormité des valeurs manipulées par tant d’employés divers, l’administration n’a eu à rembourser que 8,020 francs, — 700 francs pour quatorze chargemens disparus, à 50 francs l’un, et 7,320 pour perte ou détournemens de valeurs déclarées. Dans ce dernier cas, l’administration est responsable de la totalité de la somme inscrite sur ses registres; dans le premier, elle ne rembourse jamais plus de 50 francs pour perte d’une lettre chargée, quel que soit le nombre de billets de banque qu’elle contienne. En présence d’une perte si minime qu’elle est insignifiante, comment ne pas admirer la régularité, la moralité et le haut sentiment du devoir qui dirigent et soutiennent les 27,749 agens auxquels le soin des correspondances est confié? Leur responsabilité est permanente, et malgré quelques déplorables exemples, sur lesquels les tribunaux ont eu à prononcer, on peut dire que cette armée administrative est un modèle d’honneur et de probité.

A. côté des tentations qu’elle repousse, il y a les encombremens officiels qu’elle débrouille avec une sagacité merveilleuse sans permettre qu’ils puissent nuire au service public. Ce qu’on appelle les sous-seings suffirait à occuper toute une administration spéciale; c’est un abus qui paraît croître dans des proportions telles qu’il est bon de le signaler. Comme le cabinet noir, il remonte à Louis XI. Dans son édit du 19 juin 1464, on lit : « Art. 21. Et quant aux paquets envoyés par ledit seigneur (le roi) ou qui lui seront adressés, lesdits maîtres coureurs seront tenus de lui porter en personne, sans aucun délai de l’un à l’autre, avec la cotte cy-mentionnée, sans en prendre aucun payement, ains se contenteront des droits et gages qui leur seront attribués. » Sans en prendre aucun payement, ces cinq mots contenaient en germe le sous-seing ou le droit de franchise, que bientôt chacun réclama soit à titre courtois, soit comme privilège de charge exercée, soit enfin pour cause d’utilité publique. Peu à peu l’abus se propagea de telle sorte et devint si menaçant que sous la convention il fut reconnu que plus des trois quarts des correspondances transportées par les postes jouissaient du droit de franchise. Ce ne fut que sous le directoire (décret du 27 vendémiaire an vi) qu’on osa faire payer régulièrement la taxe à cette innombrable quantité de fonctionnaires de tout ordre qui avaient trouvé moyen de s’en affranchir. Lors de la discussion du 7 février 1845, M. Monnier de la Sizeranne demanda hardiment l’abolition de toutes les franchises. Malheureusement, tout en ayant raison, il heurtait tant de petits intérêts qu’il ne fut point écouté. Les sous-seings furent maintenus, et ils existent si bien aujourd’hui qu’ils ont dépassé en 1865 le chiffre de 100 millions d’objets pesant ensemble plus de 7 millions de kilogrammes, qui, taxés selon le droit commun, auraient rapporté la somme approximative de 56 millions de francs. En vérité c’est trop.

De cette franchise, qui dans le principe ne devait appartenir qu’au seul souverain, tous les dépositaires, tous les représentans de l’autorité ont demandé leur part. Aujourd’hui cent vingt mille fonctionnaires correspondent franco avec leurs supérieurs, leurs subordonnés et leurs collègues. Toutes les sociétés de bienfaisance, tous les comices agricoles, toutes les compagnies savantes harcèlent l’administration de demandes et réclament à hauts cris ce bienheureux droit de sous-seing qui embarrasse le service, grève le budget, fatigue les employés et menace de tout envahir. Ai-je besoin de dire que la poste refuse de se plier à ces exigences sans cesse renouvelées, repousse ces prétentions que rien ne justifie? Elle a eu à lutter sérieusement contre quelques très hauts fonctionnaires qui voulaient envoyer à l’abri de la taxe les invitations à dîner qu’ils adressaient à leurs amis. La poste a beau se défendre, elle est débordée par les sous-seings; ce ne sont pas seulement des correspondances administratives qu’on lui remet, ce sont des colis de toute sorte, des écharpes municipales, des pains de munition. La gendarmerie a été plus loin : sous le cachet de sa franchise, elle a expédié des bottes à l’écuyère, et elle a même trouvé fort mauvais qu’on se soit permis de lui soumettre quelques observations. Cet abus, qu’il devrait suffire de signaler pour qu’on s’empressât de le faire disparaître, durera-t-il longtemps encore en France? Je ne le pense pas. C’est l’Angleterre qui a ouvert la voie de la réforme postale, c’est elle aussi qui nous apprend ce que nous avons à faire en présence de ce droit exorbitant. Dans le royaume-uni, la correspondance administrative est frappée de la taxe ordinaire; la reine elle-même n’y échappe point, et ses lettres sont tarifées comme celles du plus humble de ses sujets. Comme les lettres nécessitées par le service public ne doivent pas toutefois être une charge particulière pour les fonctionnaires, le parlement vote chaque année une somme consacrée à l’affranchissement des correspondances de chaque département ministériel; le contrôle parlementaire exerce naturellement sur cet objet une surveillance légitime, il empêche les abus de se produire et n’accable pas les postes sous un fardeau qui chaque jour devient plus pesant. Dans l’état actuel des choses, le sous-seing en France est une cause perpétuelle de difficultés pour le service des lettres et de pertes sérieuses pour le trésor public. Il est certain qu’une réforme radicale mécontenterait beaucoup de fonctionnaires qui ne se gênent guère pour faire passer leurs correspondances privées à l’abri de leur droit de franchise ; mais l’intérêt général y gagnerait d’une façon notable, et cela seul est à considérer.


IV.

On a comparé le cœur à une pompe aspirante et foulante; on peut dire la même chose de l’hôtel central des postes : il attire sans cesse à lui les correspondances, et les refoule pour les distribuer dans toutes les directions. Paris est moralement le centre de la France, c’est de là que la vie s’élance, c’est là qu’elle revient; c’est plus qu’une capitale, c’est un monde, et bien des états n’ont point un mouvement postal semblable à celui de cette seule ville. Pendant l’année 1865, 283,595,921 objets y ont été manipulés par une légion d’employés pour qui les heures, en se succédant, n’apportent que du travail et jamais de repos. Cet énorme labeur, dont on peut dire que le poids augmente en raison de la vitesse forcée, est accompli par 1,190 agens, tels que facteurs et fonctionnaires divers de l’hôtel des postes et des trente-six bureaux qui s’ouvrent dans les principaux quartiers de Paris, l’ancien Paris, j’entends le Paris en dehors des communes nouvellement annexées, et qui est resté jusqu’à présent le Paris postal. Il est curieux d’étudier et de raconter comment une telle masse d’objets divers, lettres, imprimés, échantillons, est reçue, réunie, vérifiée, triée, divisée, subdivisée et enfin distribuée. Du moment où elle est jetée à la boîte jusqu’au moment où elle est remise à la maison du destinataire, une lettre subit une série d’opérations que nous allons essayer de faire connaître.

L’administration des postes, afin de simplifier et d’activer son travail, s’est fait un cadastre municipal fictif, et a partagé Paris en onze zones principales, qui ont chacune un centre autour duquel viennent rayonner d’autres zones moins importantes. Parmi les trente-six bureaux urbains, on en a choisi onze qu’on appelle techniquement bureaux de passe, destinés à réunir dans leur sein le produit des vingt-cinq autres bureaux, à lui faire subir une trituration sommaire et à l’expédier, à des heures réglementaires, à l’administration centrale de la rue J.-J. Rousseau. Ce système est la base de toute la division du travail et de la distribution des lettres; c’est à la fois le point de départ et le point de retour; en un mot, c’est l’explication de l’énigme, explication sans laquelle il est difficile de se rendre un compte exact du mécanisme de cette administration, à la fois si simple et si compliqué. Sept fois par jour des facteurs visitent les boîtes dont seuls ils ont la clef; ils les vident, en rassemblent le contenu qu’ils renferment dans un large sac de cuir clos d’une serrure solide, et vont le porter à celui des onze bureaux de passe qui se trouve dans leur circonscription. Là le sac est vidé sur une table, et des employés spéciaux font un tri préalable; ils divisent la masse de lettres recueillies en quatre paquets différens; chacun de ces paquets forme ce qu’on appelle une dépêche. On fait ainsi la dépêche de Paris, la dépêche de la banlieue, la dépêche des départemens, la dépêche de l’étranger. Chacune de ces dépêches est ficelée à part et garnie d’une étiquette à gros caractères qui en indique la destination; puis tous ces paquets, après avoir été désignés sur un registre spécial, sont enfouis dans un sac de toile doublé de cuir, qu’on ferme à l’aide d’une corde, qu’on scelle d’un cachet de cire portant l’empreinte du bureau expéditeur, et auquel on attache un numéro d’ordre qui permet d’en reconnaître immédiatement la provenance. Dès que ce travail est terminé, le sac est déposé dans un tilbury à caisse qui part immédiatement au grand trot et se rend à l’hôtel des postes. A la même heure, les onze tilburys qui ont été relever les dépêches des onze bureaux de passe arrivent dans l’ancienne cour des malles-poste, et remettent leur dépôt aux employés qui les attendent.

Les sacs, rapidement montés dans une salle garnie de plusieurs tables, sont reçus par un agent qui, au fur et à mesure qu’il les ouvre, en indique d’un mot l’origine à un employé qui l’inscrit sur un registre. Le sac est non-seulement ouvert et vidé, mais, sous peine d’amende, il doit être retourné de façon qu’on puisse en voir le fond. Avec une dextérité, une rapidité que seule une longue habitude peut donner, l’agent lance les différentes dépêches aux tables où elles doivent être manipulées : ici Paris, là les départemens, ailleurs l’étranger. La dépêche générale de la province se subdivise en vingt sous-dépêches correspondant aux vingt bureaux ambulans qui voyagent par les chemins de fer; ces sous-dépêches sont, en attendant l’heure du départ, déposées dans un vaste casier où chaque compartiment porte un nom indicateur : le Havre, Quiévrain, Strasbourg, etc. Les dépêches pour l’étranger sont divisées suivant les offices postaux auxquels elles doivent parvenir. La dépêche pour Paris est dépecée immédiatement; toutes les lettres qui s’en échappent sont versées en monceau sur une table autour de laquelle une quinzaine d’hommes sont réunis. En hâte et fiévreusement, car les minutes sont comptées, on divise les lettres en deux parts, celles qui ne sont point affranchies et celles qui le sont. Les premières sont portées à un agent particulier qui en fait onze parts et additionne le total des taxes; les secondes, poussées sur la table même du tri à des employés qui tiennent deux timbres dans la main droite, sont frappées de deux cachets, l’un qui indique la date du mois et l’heure de la levée, l’autre qui oblitère l’affranchissement. La précision et la rapidité de ce travail sont vraiment extraordinaires; dans l’espace d’une minute, calculée à l’aide d’une montre à secondes, un de ces hommes a timbré devant moi, sans se douter que je l’examinais, quatre-vingt-sept lettres, et encore je dois ajouter que trois fois il a repris des lettres au tas, qu’on augmentait à chaque instant.

Lorsque toutes les lettres ont reçu leur double cachet, elles sont jetées dans des mannes portées sur de petits chariots en fer qu’on traîne dans une autre salle, salle singulière et dans laquelle je n’ai pu me défendre d’un subit serrement de cœur. Il est triste que le droit et le devoir d’une administration soient toujours de soupçonner ses agens; mais c’est la première loi des services publics, et il serait criminel d’y manquer. Devant de grands casiers en cristal et par conséquent transparens de toutes parts, surveillés de tous côtés, des employés reçoivent les paniers qui contiennent les lettres. Ils prennent ces dernières et les mettent une à une, après en avoir vérifié l’adresse, dans l’un des onze compartimens qui représentent les onze circonscriptions postales de Paris; sur une large table voisine, onze corbeilles portant des numéros d’ordre sont disposées au-dessous de onze cordons de sonnettes. Un employé va sans cesse visiter les casiers transparens; il y prend, par exemple, les lettres appartenant au district n" 3; il les dépose dans le panier n° 3, et tire la sonnette placée au-dessus du panier. Cette sonnette correspond à une salle voisine, salle immense où douze tables énormes reçoivent autour d’elles chacune quinze facteurs; la sonnette a retenti précisément au-dessus de la table n° 3; deux facteurs se lèvent, vont prendre le panier, le rapportent et le vident sur leur table particulière. Alors commence le travail du piquage; chaque facteur prend dans le monceau de lettres celles qui sont destinées aux rues qu’il dessert, et les dispose selon l’ordre même de sa distribution. Dans cette salle, si curieuse à visiter lorsque toute cette fourmilière s’y agite silencieusement, il y a une douzième table; elle représente un canton fictif, le canton des erreurs. En effet, dans la hâte excessive de ce tri, il n’est pas rare et il est fort naturel qu’un employé se trompe, qu’il attribue au district n° 7 ce qui appartient au district n° 9. Il est presque sans exemple qu’un facteur ne relève pas immédiatement l’erreur; la lettre qu’on a envoyée à sa table est alors expédiée, séance tenante, à cette douzième table supplémentaire. Là l’erreur est rectifiée, et la lettre est remise aux distributeurs de la circonscription à laquelle elle appartient. Ce n’est pas tout; il arrive tous les jours qu’en écrivant une adresse on mette le nom du destinataire et qu’on oublie d’indiquer sa demeure. Toutes les lettres dont l’adresse est ainsi incomplète sont remises à un inspecteur; il monte dans une petite chaire située précisément au milieu de la salle, et d’où il domine facilement tous les facteurs occupés à leur piquage. Il crie d’une voix haute : Attention à l’appel, et alors il prononce le nom qui, sur la lettre, n’a été suivi d’aucune indication d’adresse. Le facteur qui est accoutumé à voir ce nom dans son service se lève, crie le renseignement demandé et devient dépositaire de la lettre. Dans un coin, devant une toute petite table, un facteur particulier dit facteur du gouvernement, ayant comme tel le droit de porter une broderie d’or au collet, un chapeau à trois cornes sur la tête et un portefeuille au lieu de boîte, fait le tri spécial des Tuileries. Chaque facteur, quand son piquage est terminé, reçoit les lettres non affranchies dont il doit toucher la taxe; on lui remet en même temps une feuille sur laquelle son compte est écrit et détaillé; de ce moment, il devient vis-à-vis de l’administration débiteur de la somme portée sur ce compte, et il doit en justifier au retour de sa tournée, soit en apportant l’argent qu’il a reçu, soit en rendant les lettres qui le représentaient, si elles ont été refusées par les destinataires. L’opération est terminée; les facteurs, debout devant leurs places respectives, attendent le signal de partir. Ils défilent un à un dans un ordre établi d’avance, se rendent dans la cour, montent dans les omnibus qui les attendent, les emportent et les déposent au point même où commence leur distribution. Grâce à la régularité des différentes opérations que je viens d’énumérer, une lettre doit être rendue d’un bout de Paris à l’autre dans un laps moyen de quatre heures, trois heures au moins, cinq heures au plus.

Les diverses phases du travail qui vient d’être raconté se renouvellent sept fois par jour pendant la semaine et cinq fois le dimanche; mais cette activité remarquable devient littéralement vertigineuse deux fois par jour, le malin à l’arrivée, et le soir au départ des trains de chemin de fer. Lorsqu’on assiste à cette formidable manipulation, on est surpris, non pas que la poste commette par-ci par-là quelque erreur, mais qu’une seule lettre puisse arriver à destination. A cinq heures précises du matin, les employés, les facteurs sont à leur poste; ils ont devant eux, non plus des paquets, mais des avalanches de lettres, d’imprimés, d’échantillons, représentant non-seulement le produit de la dernière levée de Paris et de l’ancienne banlieue, mais tout ce que les départemens et l’étranger ont envoyé par les bureaux ambulans. Aussi cette première distribution, dite courrier de province, est la plus considérable; en outre elle est la plus importante, puisque c’est par elle en général qu’arrivent les lettres d’affaires; elle est donc toujours impatiemment attendue, et il a fallu redoubler d’activité pour satisfaire aux exigences du public. Mettre un facteur de plus dans la salle du piquage est impossible, grâce à l’insuffisance du local, dont j’aurai à parler plus tard; le personnel qui l’occupe n’y est déjà que trop tassé et trop à l’étroit. Voici par quel procédé ingénieux on accélère cette première distribution sans encombrer l’hôtel des postes. Chaque facteur, en sortant de la salle où le tri s’est fait, emporte avec lui deux boîtes; à l’endroit précis où l’omnibus le dépose, il trouve un de ses camarades qui l’attend; il lui remet la boîte contenant les lettres qu’il doit distribuer, la feuille où sont portées les taxes qu’il doit percevoir, le carnet des chargemens dont il lui faudra demander reçu, et la tournée commence, se dédoublant pour ainsi dire elle-même et arrivant ainsi à être terminée à l’heure normale où les affaires commencent.

Pour obvier à l’encombrement qui risque chaque jour de paralyser le départ du soir, auquel incombent naturellement les dépêches pour la province et l’étranger, l’administration s’est vue forcée de confier une partie du travail aux bureaux ambulans, qui dès trois heures de l’après-midi sont garnis de leurs agens et prêts à fonctionner. D’heure en heure et quelquefois plus fréquemment, selon les besoins du service, des fourgons partent de l’hôtel des postes et vont verser aux bureaux remisés dans les gares d’énormes quantités d’objets qui déjà ont subi le tri préalable d’une destination générale de ligne de chemin de fer. Les rapports journaliers de l’hôtel des postes avec les gares peuvent se résumer par deux cents voyages de fourgons, aller et retour. Les imprimés seuls représentent une moyenne de deux cent quarante-trois sacs plus larges et plus hauts que des sacs de blé. Le 1er et le 15 du mois, ce nombre est singulièrement dépassé. C’est sur des crochets, dans des voitures à bras, dans des tapissières que les recueils périodiques, les brochures, les journaux, sont apportés. Chacun de ces imprimés exige autant de soins, de manipulations, de formalités qu’une lettre; de plus ils tiennent beaucoup plus de place, risquent d’être détériorés par des froissemens trop brusques et nécessitent par conséquent des précautions plus minutieuses. Toute la préoccupation de l’administration est de désencombrer l’hôtel des postes et d’alimenter le travail que les six employés de chaque bureau ambulant sont chargés de faire. Aussi on porte réglementairement aux gares à trois heures les imprimés, à quatre heures les paquets pour la province et l’étranger déjà recueillis dans les levées de la journée. A cinq heures, on fait un nouvel envoi de dépêches; enfin au dernier moment, vers sept heures moins un quart, tout ce qui, apporté par les trains-poste arrivés à six heures, ne fait que traverser Paris et tout ce qu’on récolte dans les boîtes à la dernière limite de temps accordé par la loi est expédié aux chemins de fer par un dernier fourgon. Les employés, rapides, silencieux, portant des liasses de lettres, charriant des mannes regorgeant de papiers, vont et viennent sans se heurter dans les corridors resserrés; par de longues trémies aboutissant aux fourgons mêmes, on fait glisser les sacs bourrés de dépêches; dès qu’une de ces lourdes voitures a reçu son chargement, on l’entend qui s’ébranle, tourne dans la cour et s’éloigne brusquement vers la gare qui l’attend. La grande boîte, celle des dernières levées, et que garde un factionnaire, est vidée de cinq minutes en cinq minutes; des hommes haletans s’élancent à travers les escaliers, versent les lettres sur la table, où les manipulations dernières sont accomplies avec une rapidité fatigante à voir et plus fatigante à imaginer. L’heure sonne; un dernier sac est lancé par la trémie, un dernier fourgon résonne sur le pavé; tout est-il bien? — Tout est bien!

Les hommes essuient leur front baigné de sueur; les chefs donnent un dernier coup d’œil ; une inspection générale est faite pour bien s’assurer que nulle lettre ne traîne, que nulle cause d’incendie n’existe; une voix dit : A bientôt, et surtout de l’exactitude! — et l’hôtel des postes entre dans sa période de repos, période qui ne doit pas durer longtemps, car de neuf à onze heures il faut préparer le train du Havre et celui d’Angleterre, Et ainsi tous les soirs, tous les jours, avec un accroissement quotidien qui ne semble rien au premier abord, mais qui au bout de l’année se compte par 30 ou 40 millions d’objets[12], Si à cela on ajoute le surcroît de travail de certaines époques exceptionnelles, telles que le jour de l’an, qui apporte à l’hôtel central 4 millions de cartes de visite, on ne pourra qu’admirer un service qui en est arrivé, à force de soin et de volonté, à ne plus commettre qu’une erreur et demie sur mille objets.

Ce que le public ne sait pas, ce qu’il ne peut deviner qu’imparfaitement, c’est la constante activité que l’administration déploie pour éviter ou réparer ces inévitables erreurs qu’on lui a parfois reprochées avec une amertume imméritée. J’avoue que j’ai soumis la poste à plusieurs expériences qui toutes ont tourné à sa plus grande gloire. Je me suis fait écrire des lettres dont la suscription était en arabe, en russe, en grec; je les jetais moi-même à la boîte afin d’être bien certain qu’elles n’avaient point été égarées. Elles me sont toutes parvenues — avec un retard de dix ou douze heures qui est parfaitement justifiable, puisque, arrivées à l’hôtel des postes, où elles n’avaient pu être déchiffrées, ces lettres avaient été portées aux ambassades de Turquie, de Russie, de Grèce, où la traduction de l’adresse avait été faite. La question fiscale ne pouvait entrer pour rien dans l’ardeur de l’administration à remplir son devoir, car elles étaient affranchies. Dès qu’une lettre porte une adresse illisible, incomplète ou erronée, elle est mise à part et confiée à deux employés spéciaux qui rendraient des points à Œdipe, liraient les tables de Manéthon à première vue, et pour qui nul rébus, si compliqué qu’il soit, ne peut avoir de mystère. Ils sont dans une sorte de cage vitrée appuyée contre une fenêtre bien éclairée, près d’un casier chargé de dictionnaires, devant une table où brillent des loupes de toute dimension. Ce sont des déchiffreurs et des devins aussi, car non-seulement il faut déchiffrer, mais encore il faut deviner. L’un d’eux, homme grand, sec, à cheveux blancs et dont les yeux brillent d’une intelligence singulièrement perspicace, s’est composé pour les besoins de sa besogne personnelle un dictionnaire qui est bien la plus étrange œuvre de patience qu’on puisse imaginer. Il a fait le catalogue de tous les châteaux et de toutes les usines; il en connaît exactement le nombre et le nom des propriétaires; il sait que les La Rochefoucault ont vingt-trois châteaux et que les La Rochejaquelein en ont cinq. Bien des gens pensent avoir libellé régulièrement une adresse lorsqu’ils ont écrit : A M. E. B. en son château. La lettre, mise au rebut provisoire par le manipulateur, est envoyée au déchiffreur : celui-ci consulte ses documens qui lui permettent d’assurer le trajet certain de la dépêche en inscrivant au dos : Trangy, commune de Saint-Eloi, par Nevers, Nièvre. Une lettre simplement adressée à M. F, O. à sa fabrique sera vérifiée, complétée, et partira ensuite sans encombre pour Vernon, Eure. Parfois un mot oublié, le mot principal, celui de la ville même, amène un autre genre de recherches. J’ai vu l’adresse suivante : M. P., négociant, Isère. Immédiatement en interrogeant l’Almanach de Bottin, on apprit qu’il y avait à Grenoble un M. P. qui est marchand de bois. Ceci n’est pas un cas de certitude, ce n’est qu’un cas de probabilité. La lettre sera dirigée sur Grenoble; si elle y est refusée, on tentera de nouvelles démarches. Il y a des suscriptions qui rendent forcément toute transmission de lettre impossible : Mlle Françoise, pour faire parvenir à son père, Lille en Flandre. Ici le mystère est trop profond, et il faut renoncer à le pénétrer. La moyenne des lettres qui exigent un travail de rectification est environ de mille par jour, sur lesquelles on parvient à en placer près de neuf cent cinquante. Celles que la poste est obligée de renoncer à remettre sont envoyées au bureau des rebuts définitifs.

C’est là, dans d’immenses pupitres fermés par un grillage en fil de fer, que dorment ces lettres embryonnaires qui n’ont pas eu la faculté d’arriver à la vie complète. Elles sont en assez grand nombre et composées de lettres refusées à cause de la taxe (c’est la majeure partie), de lettres absolument illisibles, de lettres dont les adresses sont trop incomplètes pour être comprises, et enfin de lettres qui n’ont aucune suscription. Si singulier que le fait puisse paraître, il n’en existe pas moins ; j’ai vu un tiroir plein de lettres, affranchies pour la plupart, dont on avait oublié de mettre l’adresse. Il y a des lettres dont la suscription est régulière, mais dont le destinataire est si loin qu’il a été impossible d’arriver jusqu’à lui, ainsi celle-ci : pour le bon Dieu, dans le paradis (ciel). Une fois apportées au bureau des rebuts, les lettres (non refusées à cause de la taxe) y sont ouvertes pour vérifier si elles ne contiennent pas quelque indice qui permette de les faire parvenir à destination ou de les retourner à l’expéditeur. Cette mesure donne d’excellens résultats, puisque sur 2,353,596 lettres tombées au rebut pendant l’année 1865, on est arrivé à en placer 961,595. On pourra s’étonner du chiffre considérable des rebuts, mais il diminuera singulièrement d’importance lorsqu’on remarquera qu’il se rapporte à un total de 311,095,000 lettres, et que beaucoup de personnes refusent les plis non affranchis.

La cause principale des rebuts est sans aucun doute la défectuosité des adresses ; les pauvres gens dont l’instruction n’a été que trop négligée commettent en souscrivant des lettres des bévues qu’on ne peut soupçonner. L’administration des postes leur est venue en aide d’une façon ingénieuse, et qui, à mon avis, mérite toute sorte d’éloges. Elle s’est entendue avec le ministère de l’instruction publique, et a fait distribuer dans les écoles primaires soixante-dix mille cahiers de modèles d’écriture qui contiennent, comme exemples, des adresses de lettres correctes et régulières. Vraiment il est difficile de pousser plus loin la passion du devoir, et il faut espérer que tant d’efforts généreux ne resteront point sans résultat. On comprendra facilement que, si la poste conservait indéfiniment tous les rebuts qu’elle recueille, l’hôtel central serait, au bout de peu de temps, encombré de la cave au grenier. Pour éviter cet inconvénient, on détruit au pilon les lettres de rebut, mais graduellement et dans des proportions déterminées par un règlement qui tient compte de toutes les conditions essentielles[13].

Nulle lettre n’est anéantie sans avoir été ouverte. Six employés armés d’une forte serpette sont occupés à cette fastidieuse besogne ; lorsque l’enveloppe a été fendue, la lettre en est extraite, dépliée, secouée. Quand on s’est assuré qu’elle ne contient aucune valeur soit en billets de banque, soit en effets commerciaux, soit en mandats sur la poste, soit en timbres d’affranchissement, on la jette dans un trou carré, creusé au centre même de la table devant laquelle opèrent les six employés placés face à face, puis elle est emportée pour être réduite en pâte et devenir du papier neuf ou du carton, selon les hasards de sa destinée future.

Un autre bureau fort curieux est celui de la poste restante ; c’est là que se jouent le prologue et l’épilogue de bien des drames et de bien des comédies ; les employés y ont les mains pleines de dénoûmens. Trois guichets s’ouvrent du bureau sur la salle d’attente, où le public est toujours impatient, et contraste par son attitude avec l’impassibilité des agens chargés de la distribution. — C’est là que viennent les étrangers de passage à Paris, les faiseurs de projets imprimés à la quatrième page des journaux, et qui, n’osant avouer leur nom, demandent qu’on leur réponde à des initiales indiquées ; à ceux-là les lettres ne sont remises que sur le vu de la quittance du fermier d’annonces : c’est là le moyen d’éviter les erreurs possibles ou les mauvaises plaisanteries. Il est une catégorie de personnes qui fréquentent plus spécialement la salle de la poste restante : ce sont les jeunes femmes voilées et parlant d’une voix émue ; ce sont les amoureux traqués par la jalousie conjugale, qui entrent effarés, et regardent s’ils ne sont pas suivis; ce sont des vieillards soignés, rafraîchis par toute sorte d’artifices, qui redoutent leur femme et se méfient de leur portier. Il y a là, chaque jour, dans cette pauvre salle terne, grise, froide, des élans de reconnaissance et des cris de désolation qu’on ne peut soupçonner.

Nul n’a le droit, à moins qu’il ne soit délégué par la justice, de se faire délivrer une lettre qui ne lui a pas été adressée; il y a des maris malavisés et trop bénins qui ont été, avec simplicité, s’informer si la poste restante n’avait point de lettres pour leur femme; on leur a répondu tranquillement : « Cela ne vous regarde pas ! » Une fois, il n’y a pas fort longtemps, les employés voient entrer dans la salle d’attente un homme visiblement agité et qui traînait, plutôt qu’il ne conduisait, une jeune femme pâle se soutenant à peine. Le monsieur fit la grosse voix et dit: « Avez-vous des lettres pour Mme L...?» L’employé prit le paquet correspondant à l’initiale du nom, le feuilleta avec soin, le referma de ce geste sec, sûr et rapide que donne l’habitude, et répondit : « Il n’y en a pas. » Le couple dramatique sortit. Une heure après, la femme revint, seule cette fois et toute tremblante encore. Au premier coup d’œil, l’employé la reconnut, il prit de nouveau la liasse étiquetée L, en tira prestement une lettre et la remit à la malheureuse femme qui se confondait en remercîmens. « Elle était à votre adresse, et sous aucun prétexte, lui dit l’employé, je ne pouvais la livrer à un autre que vous! » Je soupçonne cette femme d’avoir gardé une haute opinion des agens de la poste restante.

Dans un autre coin de l’hôtel des postes, et aussi isolé que possible, s’ouvre avec toute sorte de précautions un long cabinet mal éclairé, où le gaz est nécessairement allumé une bonne partie de la journée, cabinet silencieux et presque mystérieux : c’est le bureau des chargemens. Vingt-trois employés, assis chacun devant une table spéciale, inscrivent et décrivent sur des registres dont toute page est paraphée les lettres scellées de cinq cachets dont ils ont la responsabilité. J’ai dit plus haut les formalités vétilleuses que nécessite ce genre d’envoi; nulle fraude n’est possible, ou du moins celui qui se hasarderait à en commettre une serait immédiatement découvert, car l’état civil d’une lettre chargée est tel qu’on peut, en le consultant, savoir précisément en quelles mains elle a passé, combien de temps elle y a séjourné, depuis la minute où elle a été déposée à la poste jusqu’à celle où elle est enfin remise au destinataire. Dans ce bureau spécial, chacun travaille avec une sorte de défiance; une main écrit, l’autre est placée sur le précieux dépôt. La consigne y est tellement sévère que nul employé ne peut s’absenter pour n’importe quel motif, pour si peu d’instans que ce soit, sans avoir confié la lettre dont il est dépositaire à l’un de ses camarades, qui lui en donne un récépissé. Ce dernier alors prend en charge les dépêches jusqu’à ce que l’absent soit revenu et ait restitué le reçu après vérification. Chaque lettre est l’objet d’un procès-verbal particulier sur lequel sont relatés la date, le poids, la taxe, ainsi que le nombre, la couleur et la devise des cachets. Il faut reconnaître que l’administration des postes a fait tout ce qui était possible pour assurer la régularité de ce service, à la fois si important et si délicat. Quelle valeur représentaient les lettres que j’ai vues dans ce bureau lorsque je le traversais sans que ma présence ait fait seulement lever la tête aux employés? — On peut le dire avec une certitude presque positive. Le bureau central de Paris reçoit et expédie par an 82 millions de sommes déclarées et une énorme quantité de lettres chargées contenant des valeurs inconnues, mais dont on estime le montant à plus d’un milliard. C’est donc une somme de 2,964,383 francs que j’avais sous les yeux, garantie par une frêle enveloppe de papier et fermée par des cachets fragiles, faible défense contre une telle tentation. Certes les précautions ingénieusement prises par l’administration sont indispensables; mais la moralité des agens les rend superflues, de même que leur improbité les rendrait illusoires. Un simple rapprochement de chiffres prouvera de quelle estime et de quel respect sont dignes les hommes chargés de cette tâche, qui serait dangereuse pour toute vertu mal forgée. Le service des chargemens de l’hôtel des postes occupe vingt-trois employés commandés par un commis dirigeant, au traitement de 3,600 francs. L’ensemble des émolumens de ces vingt-trois agens représente 48,000 f., soit 2,087 francs par tête. Or le travail qu’exige la manipulation de ces 3 millions quotidiens qui passent dans ce bureau est rémunérée par la somme quotidienne de 131 fr. 50 c. L’écart est profond, si profond qu’il cause une surprise involontaire; mais ces hommes insuffisamment rétribués, dont le salaire parait dérisoire en présence de ce Pactole qui coule incessamment à travers leurs mains, restent impassibles, fermés à toute tentation malsaine, tant ils ont une haute idée de leurs fonctions, et tant ils portent loin le juste sentiment du devoir professionnel. Je les comparerais volontiers à ces dragons dont a parlé le moyen âge; ils gardent des trésors, les protègent et n’y touchent jamais.


V.

D’après tout ce qui précède, et si je suis arrivé à faire comprendre les avalanches de papier qui chaque jour s’abattent sur le bureau central, on doit imaginer que l’hôtel des postes de Paris est un vaste monument, composé d’un immense rez-de-chaussée où des salles aérées, éclairées, de plain-pied les unes avec les autres, ouvertes de larges débouchés, outillées de tous les ustensiles de la science moderne, entourées de cours spacieuses, précédées de galeries d’attente, salles ventilées ou chauffées selon la saison, offrent au travail cyclopéen qui s’y accomplit toutes les ressources et toutes les commodités possibles. Il n’en est rien. L’hôtel des postes de Paris est presqu’un bouge, une superposition de cabanons reliés par des échelles; quand une fois on l’a parcouru en détail, il est difficile de comprendre qu’un service quelconque puisse s’y faire, et l’on voit avec stupéfaction qu’il faut, à force d’intelligence et de bonne volonté, suppléer à tout ce qui lui manque. C’est une honte pour le Paris monumental qu’on nous a fait et que j’admire, quoique ce ne soit pas la mode. Situé rue Jean-Jacques Rousseau, s’appuyant sur la rue Pagevin et la rue Coq-Héron, rues étroites et qui sont à peine des dégagemens, composé des hôtels d’Épernon et de la Sablière, destiné au service des postes en 1757, il n’a reçu depuis cette époque que des accroissemens insuffisans. On a eu beau l’agrandir en 1786 et en 1815, y faire quelques constructions indispensables en 1827, louer encore dernièrement trois chambres dans une maison voisine, percer de gros murs, emmancher des escaliers, imaginer de nouveaux expédiens; il ne répond nullement aux besoins de l’administration qu’il contient ou plutôt qu’il étouffe. Dès 1847, le ministre des finances déclarait que la situation était intolérable; qu’ est-elle donc aujourd’hui! Ces corridors où la lumière du gaz est indispensable en plein jour, ces escaliers où deux hommes non chargés ne peuvent passer de front, ces salles trop étroites où les employés sont empilés les uns sur les autres, ce dédale de chambres annexées qui ne se commandent pas et ne communiquent que par des degrés construits après coup, cet outillage suranné, ces paniers qu’on tire à la corde et qui chapechutent avec tout leur contenu contre les feuillets disjoints du parquet, tout est à refaire, tout est à remplacer, tout est à édifier de nouveau et selon les exigences d’un service qui s’accroît tous les jours dans une inconcevable proportion. Sans cesse et sans cesse on surveille les lampes, les becs de gaz, les calorifères, les poêles, les cheminées, car le feu semble toujours prêt à saisir ce vieux bâtiment, où les cloisons, les poutres, les escaliers, le faîtage, les lambris en bois rendraient un incendie excessivement dangereux. Le poste de pompiers, qui occupe une partie du rez-de-chaussée de l’hôtel, est toujours sur le qui-vive. On a mis de l’eau partout où l’on a pu, les pompes sont toujours gréées, les fontaines toujours pleines, les seaux toujours préparés, car tout est à redouter avec un tel amas de matières combustibles dans un local aussi combustible qu’elles.

Le bureau de la poste restante, où pendant l’exposition universelle de 1855 il venait plus de deux mille personnes par jour, est précédé par une salle d’attente où quinze individus pourraient difficilement se trouver réunis; à côté s’ouvre la salle des vaguemestres, où se fait le service de toute l’armée de Paris : elle est tellement étroite que deux hommes assis l’encombraient lorsque j’y suis entré, et qu’ils ont été obligés de se lever, de se ranger contre la muraille pour me permettre de passer. Aussi, en prévision de l’exposition de 1867 et de l’affluence extraordinaire d’étrangers qu’elle doit amener à Paris, le directeur-général vient d’abandonner son jardin afin qu’on pût y construire une poste restante provisoire. Le bureau des rebuts, visité chaque jour par un nombre considérable de personnes qui vont faire des réclamations, est situé au second étage, et pour l’atteindre il faut franchir plusieurs escaliers qui s’entre-croisent. Ce qui est plus grave et plus incompréhensible encore, c’est que la grande salle des facteurs, la salle des manipulations constantes, est située au premier étage, qu’il faut y apporter à bras, par des escaliers où l’on ne peut passer qu’un à un, la récolte toujours renouvelée des boîtes de Paris et le produit des bureaux ambulans de la province. A la fin de la journée, aux dernières limites d’heure, quand on lève la boîte de cinq minutes en cinq minutes, il faut, pour porter à la table de trituration ces lettres qui ne peuvent perdre une seconde, traverser trois salles, faire plusieurs détours et franchir quelques marches que le gaz éclaire toujours. Un seul agent, un seul, je ne plaisante pas, connaît aujourd’hui les inextricables détours de ce nouveau dédale, c’est le portier même de l’hôtel de la rue J.-J. Rousseau, et il arrive souvent que des chefs de service l’ont consulté sur la position d’un bureau où ils avaient des recherches à faire. Quarante-deux fourgons, onze tilburys, neuf omnibus, faisant quatre cent cinquante et un voyages par jour, deux cents chevaux, sont nécessaires pour le service de la poste. Si on ajoute les fourgons qui viennent des ministères et de l’Imprimerie impériale, les voitures particulières, on aura pour l’entrée et la sortie plus de quatorze cents colliers, ainsi qu’on dit en terme de roulage. Or les cours sont insuffisantes, les voûtes sous lesquelles il faut passer beaucoup trop étroites, les écuries trop exiguës et les remises nulles. Dans ce service, où tout devrait être prévu, résolu d’avance, où la régularité nécessaire devrait être assurée par l’emploi d’un attelage perfectionné et par l’amplitude des emménagemens, tout se fait par expédient. Qu’on en juge : soixante-deux voitures sont indispensables au service; l’hôtel des postes parvient vient à en remiser onze; vingt-six passent la nuit dans les cours; les vingt-cinq autres sont gardées par tolérance dans les gares des chemins de fer. Les éventualités exigent qu’on ait toujours au moins quarante chevaux sous la main; l’écurie de la poste peut en contenir dix-huit; je l’ai visitée, un dix-neuvième n’y trouverait pas sa place.

De tout il en est ainsi; le résultat de l’exiguïté du local amène fatalement l’encombrement; les hommes et les dépêches sont en nombre beaucoup trop considérable dans un espace beaucoup trop restreint. Il a fallu obvier à cet inconvénient, qui menaçait d’entraver complètement le service et de paralyser des efforts sans cesse renouvelés. C’est alors qu’on a été forcé de donner aux bureaux ambulans une partie du travail qui normalement incombe au bureau central. Or le travail qu’on exécute en chemin de fer, dans une caisse étroite, avec une trépidation que rien n’arrête, avec la préoccupation constante d’avoir terminé avant la minute réglementaire, ce travail est nécessairement défectueux et amène souvent des irrégularités regrettables dont la responsabilité remonte à l’administration, quoiqu’elle ait fait le possible et l’impossible pour les éviter. Les erreurs commises par la poste sont bien rares, mais on les diminuerait encore, et on arriverait à les réduire à néant, si de vastes salles au rez-de-chaussée, desservies par des railways, offraient aux agens chargés de tant de manipulations délicates et rapides un emplacement convenable et en rapport avec leurs besoins. Est-ce par économie qu’on ne construit pas à Paris un hôtel des postes digne enfin de la capitale de la France? Je ne le crois pas, car la somme dépensée depuis cinquante ans pour ajouter des. appendices aux bâtimens actuels, pour remanier ces derniers et les disposer à des appropriations impérieusement exigées, aurait suffi à édifier un hôtel des postes modèle, armé d’un outillage sérieux et vraiment fait pour l’énorme mouvement de correspondances dont il est le centre.

En 1798 et en 1811, l’abandon de l’hôtel de la rue Jean-Jacques Rousseau avait déjà été décidé en principe. Le ministère actuel des finances a été élevé avec l’intention d’y placer l’administration des postes. En 1854, on a dû l’établir place du Châtelet, mais deux théâtres ont obtenu les terrains qui lui étaient réservés; d’autres projets ont été mis à l’étude, le public les connaît, je n’ai point à en parler, non plus que des causes qui les ont fait ajourner. Quand la transformation de Paris atteindra-t-elle enfin l’hôtel des postes? La situation actuelle crée des difficultés que chaque jour vient accroître. L’homme éminent qui dirige aujourd’hui les postes avec une ardeur et une connaissance approfondie de son sujet auxquelles chacun rend justice épuise son intelligence à chercher des palliatifs, à imaginer de nouvelles combinaisons empiriques, à parer aux dangers que lui apporte sans cesse l’augmentation des correspondances combinée avec l’insuffisance de plus en plus sentie du local.

Tel est le côté matériel défectueux de l’administration des postes; quant à ses imperfections d’un autre ordre, elles méritent qu’on en dise un mot. La France est aujourd’hui le seul pays où la poste appartienne à l’élément fiscal; elle dépend du ministère des finances; elle rapporte des bénéfices fort importans, qu’elle ne peut même pas employer à d’indispensables améliorations. Elle est une source de revenus pour l’état, qui ne fait rien pour elle, se déclare trop pauvre pour lui venir sérieusement en aide, et la force à fonctionner dans des conditions désastreuses. Le transport des correspondances est un service public; s’il couvre ses frais, c’est tout ce qu’on peut lui demander; il doit avoir le droit de se parfaire avec ses propres ressources, et ne doit les verser au trésor que si elles lui sont absolument inutiles. La poste, qui occupe 30,000 employés, qui maintenant par ses paquebots va aux quatre coins du monde, où elle a des agens spéciaux, qui pendant ces cinq dernières années a fait 424,920,408 francs de recette brute, qui donne annuellement au trésor un bénéfice net de plus de 20 millions, mérite d’être indépendante, d’être soustraite à la fiscalité, qui en profite sans la secourir, et de devenir enfin une sorte de surintendance placée à côté des ministères et en dehors de leur direction immédiate. On la verrait alors se développer, se mettre à la hauteur des besoins qu’elle a mission de servir, appeler à son aide les ressources de la science moderne, placer enfin son administration centrale dans un établissement approprié à sa destination et digne d’un peuple qui se dit volontiers la première nation du monde.


MAXIME DU CAMP.

  1. La Bible donne quelques détails sur l’organisation postale de la Perse ; on lit dans Esther, VIII, 9 : « Les secrétaires du roi furent appelés en ce temps, le La Bible donne quelques détails sur l’organisation postale de la Perse ; on lit dans Esther, VIII, 9 : « Les secrétaires du roi furent appelés en ce temps, le jour du troisième mois, mois de sivan, et il fut écrit selon l’ordre de Mordechaï (Mardochée) aux Jéhoudins (Juifs) et aux satrapes, aux pachas et aux princes des provinces, depuis Hodon jusqu’à Couleh, cent vingt-sept provinces, à chaque province selon son écriture et à chaque peuple selon son langage et aux Jéhoudins selon leur écriture et selon leur langage. — 10. Et l’on écrivit au nom du roi, on scella de l’anneau du roi, on envoya les lettres par des courriers à cheval sur des coursiers rapides, sur des dromadaires issus de jumens. — 14. Les courriers montés sur des coursiers, sur des dromadaires, partirent à la hâte… » (La Bible, trad. Cahen.)
  2. Suét., De Aug., XLIX.
  3. Brantôme, éd. Monmerqué, t. Ier, p. 450 et suiv.
  4. Mémoires de Mme du Hausset, éd. Barrière, p. 33 et suiv.
  5. Les Cahiers de 89: Léon de Poncins, p. 138.
  6. Récits de la Captivité de l’empereur Napoléon à Sainte-Hélène, par M. le général Montholon, ch. VII.
  7. Mémoires de Sainte-Hélène, t. II, p. 71 et suiv. Édit. de 1823.
  8. Mémoires du duc de Rovigo, t. Ier, p. 420. 1828.
  9. Bourrienne, t, IV, p. 90.
  10. 4 vol., Paris 1829.
  11. Moniteur du 22 prairial an VII.
  12. En 1863, la boite de Paris a manipulé 205,883,419 objets; en 1864, 252,157,238; en 1865, 283,595,921. — On peut juger de la progression.
  13. On détruit au bout d’un mois plein, plus la fraction du mois pendant lequel elles sont entrées dans le service, les lettres refusées ; au bout de deux mois pleins, plus la fraction du mois, etc., 1o les lettres adressées à des personnes décédées ; 2o les lettres adressées poste restante, 3o les lettres adressées sans indication de domicile à des voyageurs, marins, passagers, etc., 4o les lettres portant une annotation extérieure qui en indique le contenu. On détruit au bout de trois mois : 1o les lettres adressées à des personnes inconnues, 2o les lettres adressées à des personnes parties sans faire connaître leur nouvelle résidence, 3o les lettres sans adresse ou portant une adresse illisible ou incomplète, et celles adressées sous le couvert des agens des postes, 4o les lettres d’origine française à destination de l’étranger et renvoyées comme rebuts par les différens offices, 5o les lettres provenant des pays étrangers du continent dont les relations avec la France ne sont pas réglées par des conventions de poste. — On détruit au bout de six mois : 1o les lettres non affranchies à destination des pays de l’Europe pour lesquels l’affranchissement est obligatoire, 2o les lettres originaires des pays étrangers d’outre-mer dont les relations avec la France ne sont pas réglées par des conventions de poste, et qui sont apportées dans les ports de France par des paquebots réguliers. — On détruit au bout d’un an ; 1o les lettres non affranchies à destination des pays situés hors de l’Europe pour lesquels l’affranchissement est obligatoire, 2o les lettres originaires des pays d’outre-mer qui ne correspondent avec la France que par la voie des bâtimens de commerce. — Au bout de huit ans, on détruit les lettres renfermant des papiers importuns, effets de commerce, timbres-poste, etc.