Le Soleil (p. 153-172).

IX

Loin de la terre natale


À la ville qu’il n’avait encore jamais vue, sous les yeux de Jean s’offre un aspect tout nouveau de la vie. Au village de Saint-Germain, il ne rencontrait guère personne qui ne sut ce qu’il en était de son être et de ses moyens intellectuels et matériels. Dans le grande cohue de la ville, il n’est plus qu’un grain de sable confondu au milieu de couches diverses d’humanité.

Tous ceux-là qui tourbillonnent au souffle d’intérêts divers, ils ont aussi comme lui le secret de leurs vies, un motif d’activité, une ambition, une angoisse peut-être qui les tourmente. Tous ceux-là conjurent les soucis du présent en vue des espoirs de l’avenir.

Alors le spectre du travail et de l’effort personnel se dressa devant lui. Il voulut se rappeler tout ce que lui en avait dit déjà Émile Dupin dans leurs conversations si intimes à bord du yacht « Le Dauphin  ». Il eut une idée plus compréhensive de la vie humaine en ce monde et pour ce monde ; et il se laissa très vivement impressionner pour la première fois des dernières paroles de son vieux curé de Saint-Germain, lui recommandant de se faire quelqu’un par son travail, par lui-même.

Fallait-il pour cela retourner dans son village, s’astreindre à y végéter entre des souvenirs et des privations ? N’allait-il pas plutôt chercher la protection du cousin riche là-bas ?

Non ! Ce serait encore la dépendance, une mendicité déguisée.

Le caboteur Després après quinze jours de cueillette et de chargement, en destination des postes de la rive nord du Saint-Laurent, a fixé son départ à la marée du lendemain. Jean, sans autre ressource que son travail disponible mais non encore en valeur, peut-il être moins humilié de le suivre dans ses courses pour vivre de son aide qu’il ne l’eût été de recourir à son cousin riche ?… Il savourait ce fruit aimer de son orgueil, dans la perspective d’avoir à s’attacher à ce besogneux ou de battre les pavés du port avec la cohorte de tant d’autres désœuvrés, lorsque ses pas distraits le conduisirent, à la veillée, une dernière fois, sur la grande terrasse où il aimait à repaître son esprit et ses yeux du spectacle de la vie heureuse. Le beau monde de la ville était là. Le paria s’y laissa entraîner sans plus de résistance qu’un débris d’épave dans le raz de marée. Un instant seulement une musique fascinatrice s’échappant de la rotonde du Château Frontenac lui fit dresser la tête, ce qui suffit pour lui laisser apercevoir à l’une des fenêtres du superbe édifice un couple fashionable jouissant du grandiose spectacle. Monsieur le docteur Hector Hardy et sa toute jeune épouse aiment tant le faste et la musique !…

Séparateur

Au môle de la basse ville où se trouve amarré le bateau de Charles Després, un vapeur français du port de Brest serait aussi en partance pour le lendemain si l’on pouvait seulement compléter l’équipage auquel il manque un manœuvre indispensable. Jean, qui n’avait pu acquérir chez son éducateur une connaissance bien pratique de la langue anglaise, s’était plu, depuis deux semaines, à fréquenter de préférence cet équipage français. Aussi ne fut-on que médiocrement étonné, — sauf Charles Després qui pensa suffoquer, — lorsque Jean, ce soir-là, descendant de la ville au lieu de rallier son bord accoutumé, courut offrir ses bras, son service et son sort au capitaine français.

Sa détermination subite résista aux remontrances amicales du père de Rose. La seule chose que le jeune homme demanda à ce dernier, ce fut d’accepter un sous-seing-privé à l’appui de cette réponse :

— « J’ai bien réfléchi, monsieur Després. Je vous remercie de m’avoir éloigné de Saint-Germain. Si je n’allais plus jamais revenir, je veux que la pauvre maison de ma mère appartienne à Rose qui, elle, ne sait qu’aimer, se dévouer et prier. En y priant pour les miens, je suis sûr qu’elle prierait pour moi, aussi bien disparu. »

Le lendemain, après midi, LE DESTIN, navire à vapeur du port de Brest, sortait du bassin de Québec et disparaissait au tournant de la Pointe-Lauzon. Au milieu de son équipage joyeux de revoir encore une fois la patrie française, le novice Jean Pèlerin voit pour la première fois fuir à ses yeux la patrie canadienne.

Le branle-bas de partance, l’initiation à son travail durant les premières heures de la course ne lui ont pas permis d’en bien réaliser le fait. Mais sur la fin de la soirée, seul et réfléchi, il prête une oreille attentive à la conversation du pilote et d’un jeune lieutenant là-haut sur la dunette. Le ronflement de l’hélice et l’ébrouement de l’étrave dans l’onde enténébrée ne l’empêchent pas d’entendre distinctement ces voix solitaires qui s’élèvent dans la nuit :

— « Et ces trois feux de marine qui scintillent de file à tribord, qu’est-ce donc, pilote ?

— La Pointe-aux-Orignaux, que nous avons dépassée, la Grosse-Île de Saint-Germain, en ligne droite, et les Pèlerins, en aval. »

Jean se dit que si son œil pouvait percer les ténèbres comme le fait son cœur, il verrait en ce moment, là-bas, au ras du rivage, une pauvre maisonnette aux pignons rouges, une église à demi-masquée par les arbres d’un cimetière, et que tout au fond des eaux qui gémissent sous son passage, les restes de son père sont là privés d’une sépulture chrétienne.

Cette lumière de Saint-Germain qui vacille et fuit déjà dans le lointain, n’est-ce pas l’âme de son père, l’âme des ancêtres, l’âme de la patrie canadienne qui s’émeut de sa désertion dans ce vaisseau ravisseur ? Ce vaisseau-là, pourtant, c’est une partie de la vieille patrie française d’autrefois, celle qu’ont aimée les ancêtres, chère mère-grand, toujours chérie, mais dont l’imprévoyance a fait qu’elle n’est plus pour nous la patrie !

Cette lumière, ne serait-ce pas la légende familiale qui, à chaque génération, s’anime d’un éclat nouveau sur les berceaux pour s’éclipser momentanément sur les tombes ?

Cette lumière symbolique, qui raviva l’œil mourant de sa pauvre mère, et que celle-ci lui recommanda, comme un legs d’amour filial et sacré à ne jamais oublier, Jean comprend alors ce qu’elle dit de la vraie patrie natale, ce qu’elle remémore de tous les siens. C’est le souvenir intermittent des tristesses et des joies ainsi que des faits géographiques, au milieu desquels s’écoulèrent ses premières années de vie, qui va maintenant le poursuivre, comme l’œil de la conscience, sous tous les cieux.

Et, nouvelle souffrance pour lui jusqu’alors inconnue, il sent qu’il y a au fond de son cœur des attaches très intimes et très fortes qui se rompent cruellement : des liens qui le retiennent à la terre natale et que l’on ne soupçonne pas toujours avant de la quitter.

Dans ce village endormi où il ne croyait avoir à regretter que des affections mortes, il lui reste pourtant un cœur de vieux prêtre qui va souffrir de sa désertion, et un amour candide qu’il ignore. C’est pourquoi peut-être les souvenirs de son enfance malheureuse mais paisible, refluant à son esprit, s’offrent en contraste avec les agitations mondaines et la course aux intérêts cupides dont il avait été témoin pour la première fois dans la ville ; leçons de choses enfin sur la vie sociale qu’il avait apprises en une année.

Ces regrets imprécis qui travaillent son âme, les voix mystérieuses clamant de cette terre qu’il ne voit même pas, mais qu’il sent fuir dans les ténèbres avec les visions de son enfance, ne serait-ce pas cela, l’amour de la patrie ?

Avait-il donc raison, le vieux curé de Saint-Germain qui voulait depuis si longtemps lui en apprendre la force et le charme ? ce que Jean ne devra bien comprendre qu’après avoir lui aussi pleuré sur les eaux de Babylone.


Dans ses courses à travers le monde et ses aventures maritimes, Jean Pèlerin verra maintenant s’élargir à son regard et à son esprit l’horizon des choses et des idées. Il lui est resté de ses lectures qu’il aimait tant à entretenir de récits de voyages, — nous savons cela, — des connaissances géographiques, même ethniques qui lui donneront bientôt sur ses camarades de peine un ascendant intellectuel dont il ne manquera pas d’apprécier plus d’une fois la valeur. Et dans cette existence de marin pourtant improvisée, il subira encore une fois comme l’impression déjà ressentie d’une vie déjà vécue : reflet de la vie de ses pères sur son état d’âme, comme celui du phare de Saint-Germain à la fenêtre du pignon rouge ?

Le négoce maritime l’entraîna au cours de l’hiver dans les grands havres du littoral français, jusqu’à Dieppe et Calais, sur la Manche, et jusqu’à Bayonne, sur l’Atlantique, changeant au besoin de bord et de service. Partout son esprit inquisiteur et sérieux s’occupa de compléter l’instruction à base religieuse et classique qu’il devait à la charité de son vieux curé. Cette instruction qu’il n’a pas voulu parfaire au collège, il la recherche maintenant avec avidité dans ses pérégrinations, qu’il désire bientôt diriger vers les eaux du midi et du levant, où l’appellent les réminiscences de ses premières révélations puisées dans les livres. Quand il aura beaucoup vu, il pourra beaucoup abstraire et mieux comparer pour mieux apprécier ce qu’il y a de vrai et de faux dans la vie.


Un soir du mois de juin, sur la grande promenade d’un paquebot sorti du port de Marseilles, un couple de touristes américains s’entretient à la douce clarté du ciel étoilé dont les scintillations animent les flots bleus. Vêtus à la mode du nouveau monde, dont la population fortunée s’en va périodiquement d’accoutumée promener son opulence et son insouciance aux pays intéressants de l’ancien, ils jouissent à l’écart de l’agrément anticipé de cette navigation qui doit les conduire de Marseilles à Rome, de Rome à Naples et à Palerme. Le jeune homme plutôt sérieux s’impressionne visiblement de ce départ de plaisance, et peut-être plus intimement, du début de sa vie émancipée qui lui a fait quitter les siens, au bras de sa jeune épouse, avec la responsabilité encore trop nouvelle de son bien-être et de son bonheur. La jeune femme, plus folâtre, se plaît à mille questions dont elle accueille les réponses avec des petits cris exclamatifs des plus jolis et des plus maniérés.

En bas, sur le pont des manœuvres, accoudé au bastingage, un marin jeune et robuste, à la vareuse de laine bleue largement ouverte sous la gorge, hume aussi lui, rêveur, la bonne brise du soir. La dame, qui veut paraître impressionniste à son tour appelle sur lui l’attention de son mari :

— « Ne dirait-on pas, Émile, que ce beau marin souffre de quelque grand regret ? Celui, sans doute, des êtres, des lieux qu’il a quittés ? Pourquoi se tient-il là seul et non avec le reste de l’équipage ? Il est étranger peut-être ? Il a quitté peut-être une mère, des sœurs, une fiancée peut-être, un foyer paternel et lointain dont il rêve ? Oh ! que cela est triste ! »

Émile Dupin regarde avec un intérêt de plus en plus grand le marin qui fait maintenant l’objet de leur conversation jusque là oiseuse et distraite. Un officier du vaisseau passe auprès d’eux et il lui demande à quelle race appartient ce matelot.

— « Ce gabier-là qui attend l’heure de se hisser à son quart ? c’est un français du Canada, monsieur ».

Au même instant, le rêveur s’est retourné face à un puissant falot de course, et le touriste américain crut reconnaître les traits de son cousin Jean Pèlerin. Non plus qu’autrefois, lorsqu’il se présenta chez ses parents pauvres de Saint-Germain, l’opulent docteur Dupin ne voudra trahir le beau côté de son caractère. Et au grand émoi de sa jeune compagne qui n’y entendait rien, on le vit immédiatement rejoindre le gabier pour lui tendre les bras après avoir bien vérifié son pressentiment.

— « Toi, ici, Jean ! Comment et pourquoi ? »

Il n’eut que faire d’attendre une réponse que Jean trop vivement ému ne pouvait tout d’abord lui donner ; Jean dont le visage basané par le grand air des mers et le soleil du midi voulait cependant rougir et dont l’œil pourtant si viril roulait dans un pleur.

— « Ah ! je comprends tout, va ! Après la mort de ma chère bonne tante, le cœur déjà trop malade, tu as donné dans le coup de tête, hein ? Je ne t’en fais pas le reproche, je te plains quoique tu paraisses m’avoir trop tôt oublié. »

Jean lui pressa les deux mains, essaya de sourire à la charmante cousine que lui présenta son cousin, mais il n’eut pas le temps de se prêter à l’effusion de ses sentiments, car un impérieux son de cloche l’appela là-haut, dans le nid-de-corneille ou veille la vigie.

— « À demain, Jean ! »

Et pendant quatre heures, Jean, dans les airs et dans la nuit, verra scintiller des astres au ciel bleu, poindre au loin des feux de marine à signaler, et mille tendres souvenirs consteller son âme. Ils s’élèveront, ces souvenirs et ces émotions, de son enfance et d’une terre lointaine, par-delà les mers, pour lui dire en le consolant que sous ce ciel d’Italie, sur ce navire étranger, au milieu de cette cohue de voyageurs indifférents, il n’est plus seul comme il sentait si bien l’être il y avait quelques heures à peine ; non pas tant parce qu’il a retrouvé dans son cousin, Émile Dupin, la parenté et l’affection d’un cœur noble, mais un être isolé, comme lui, de tous ceux qui ont vécu de la vie des siens ; parce que ce cousin rappelle plus vivement le pays qui lui a mis au cœur un sentiment ainsi ravivé dans nul autre pays.

N’avait-il pas raison, le vieux curé de Saint-Germain ? Il existe donc un amour irrépressible de la patrie !

Dans la matinée du lendemain, les touristes, après le premier déjeuner, ne remarqueront pas plus qu’il ne faut la conversation étrangement intime que tiendront à l’écart un gentleman américain et un gabier du bord. Nous laisserons les touristes à leur étonnement pour entendre ceux-ci.

— « Mon cher cousin Jean, je ne te demanderai pas de me raconter l’histoire de ta vie récente, depuis nos vacances de Noël, l’an dernier. Je la connais ou je puis la supposer. Bien plus, comme je crois avoir été pour toi, involontairement, je t’en assure, la cause de certain cruel mécompte, tu me permettras, à moi ton parent le plus rapproché, de m’intéresser à ton avenir. Et d’abord, encore une fois, sans reproche irritant, dis-moi pourquoi, seul et libre, ne m’as-tu pas recherché, au lieu de te jeter dans l’aventure ? J’ai vécu de mon côté des événements rapides et fort graves : décès subit de mon père, biens de succession à régler, exploitation considérable à maintenir et assurer, examens professionnels à subir, et mon mariage, enfin. Si tout cela a pu me faire oublier d’aller à toi, pourquoi n’es-tu pas venu à moi ? Est-ce ton vieux précepteur qui t’en a empêché ? Comment as-tu voulu lui aussi l’abandonner ?…

— Loin de rechercher personne, je n’ai songé qu’à fuir ; fuir ce village où j’allais languir dans la pauvreté, fuir le cher vieux curé qui n’y pouvait plus rien ; me fuir moi-même dans mon personnage humilié. »

Jean se soulage enfin des rancœurs qu’il avait accumulées depuis dix mois contre ce qu’il appelait sa triste destinée.

— « Et Jean Pèlerin fuit sa destinée ou court après la fortune sous la vareuse d’un gabier ? Non ; il y a mieux que ça, vois-tu. C’était de te rappeler ce que je te disais à bord du Dauphin ; c’était de mettre en valeur et non pas déguiser ton instruction déjà notable, ta vigueur physique, ton énergie, ton intelligence à l’affût des connaissances nouvelles à acquérir. Avec cela, si la terre des ancêtres canadiens fait défaut, on s’empare légitimement et vaillamment des capitaux de l’étranger. Je sais que ton éducation ne t’a pas préparé pour cette vie-là, non plus que pour la vie de marin du reste ; mais avec les ressources intellectuelles que tu possèdes il faut savoir parer aux impromptus de la vie.

« Ne serais-tu pas romanesque, Jean ? N’y a-t-il pas chez toi un peu trop d’orgueil inerte avec trop peu d’énergie ? Je connais bien des gens aux États-Unis qui recherchent leur destinée dans le travail au service de la volonté, qui s’aident pour être aidés du ciel. Dans la lutte de la vie comme à la guerre, fuir c’est trahir ; l’affaissement, c’est la défaite, et je m’étonne que l’élève d’un si bon vieux prêtre n’ait pas mieux retenu ses leçons rien moins que fatalistes. Mais tu l’as voulu fuir aussi celui-là.

— Que pouvais-je faire, moi à Saint-Germain, sans profession, sans métier, sans autres ressources que le travail du mercenaire, avec en plus ce que tu appelles mon orgueil de déclassé, qui existe tout de même et fait souffrir ?

— Tu pouvais faire face à l’avenir et non pas fuir ; poursuivre une destinée nouvelle comme a fait mon père. Lui aussi a dû un jour renoncer à la terre canadienne qui lui était devenue ingrate. Il ne connaissait des aciéries que le fer de ses voitures et de ses grotesques outils de laboureur. Ce qui l’a conduit à la fortune, ce n’est pas d’avoir fui au-delà des mers, mais d’avoir su changer sa destinée qui le trompait comme la tienne. Car la Providence, ce qui vaut mieux que ta destinée païenne, nous demande surtout de savoir bien choisir.

« Il me tarde maintenant d’en venir à la conclusion pratique de mon homélie.

« Mon cher cousin, à la mort de mon père, je n’ai pas voulu liquider l’entreprise qui a fait sa fortune. Nous avons transformé l’établissement en une sorte de commandite à l’américaine, qui m’en laisse en très grande partie la propriété en me libérant des soucis de son exploitation. Car, sans vouloir consacrer mes jours à la découverte d’aucuns nouveaux sérums ou spécifiques de longue vie, j’entends vivre de la vie professionnelle. — «  Deus nobis haec otia fecit » . — comme l’a dit ton ami Virgile. Or, l’aciérie de Charles Dupin s’appelle aujourd’hui : The Cincinnati Bridging and Steel Work. Sans être sentimental, il me déplaît de voir s’effacer le souvenir avec le nom de celui qui a créé cette œuvre. Nous lui devons de le rétablir, ce souvenir, et ce sera par toi, si tu le veux bien. Je vais te donner toutes les lettres de créance et tout ce qu’il te faudra, et tu vas t’en aller conjurer ce que tu appelles ta triste destinée, auprès de ma mère qui n’a eu comme la tienne qu’un seul fils à aimer. Aime-là aussi comme j’aurais voulu aimer plus longtemps ma bonne tante. Je serai là un jour pour te voir me donner raison.

— Mais que puis-je faire dans cette usine ?

— Tout, en commençant par dépouiller la défiance de toi-même. Tu paieras d’assurance, de cette audace même qui conduit à la fortune ainsi que tes latins le supposaient, et que les américains en sont bien certains. Le travail le plus simple que tu feras d’abord, serait-ce celui du manœuvre, fais-le bien, avec intelligence, autrement, mieux que tout autre, si tu le peux ! Pour la mentalité américaine, c’est le gage le plus sûr des promotions, qui supplée aux diplômes et aux brevets. Je serai là bientôt pour seconder tes efforts, te substituer progressivement à la direction des affaires dont je ne veux pas. Je veux t’apprendre ce qu’un travail généreux peut produire chez un peuple généreux. »

Ces paroles énergiques de son cousin, l’offre et les moyens qu’il mettait à sa disposition ouvrirent aux yeux de Jean Pèlerin un aspect tout nouveau de son avenir. Un sourire aux lèvres et des larmes dans les yeux lui servirent de réponse et de remerciements.

Ils se quittèrent à Rome, les bons cousins, heureux tous deux, l’un de sa richesse paternelle, l’autre de ses nouvelles espérances.