L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo/L’auteur s’en prend à la nature
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo, Texte établi par Guillaume Apollinaire, Bibliothèque des curieux, collection Les Maîtres de l’amour, (p. 239).
L’AUTEUR S’EN PREND À LA NATURE
Je te chie dessus, malandrine de Nature,
Encore bien que j’aie un cas de géant ;
Tu m’as fait deux jambes pourvues de deux pieds,
Et deux bras ayant main droite et main gauche.
À quoi servait de faire tant de dépense,
De me donner tant de dents, et tant et tant de doigts ?
N’eût-il pas été mieux d’en épargner un peu,
Et de me pourvoir d’une douzaine de cas ?
Que n’en ai-je du moins deux, en certaines
Occasions, afin que, si l’un mollissait,
L’autre pût s’acquitter de la fonction !
Eh ! n’est-ce donc pas l’œuvre d’une folle,
D’avoir mis tant de peau tout autour des roustons ?
Pourquoi n’en avoir pas fait un autre vit ?
Quel plaisir, quel bonheur
En un même instant éprouverait la femme,
De se sentir un cas derrière et un autre en moniche !