L’Œuvre de Richard Wagner à Paris et ses interprètes/Le Cycle Wagnérien au théâtre/II

Maurice Senart et Cie, éditeur (p. 35-42).

II

TANNHAEUSER (1845)


Tannhaeuser a une histoire, sur laquelle il est inutile de revenir, car elle a été faite, et très complètement (par M. Georges Servières surtout), celle des représentations données, à grand’peine, par Wagner lui-même, à l’Opéra, en mars 1861, et par lui interrompues devant l’incompréhension manifeste du public et de la critique[1]. On eût pu penser que notre première scène tiendrait à honneur, du jour où elle en aurait reçu l’autorisation officielle, de commencer par cette réparation la mise régulière des œuvres du maître. Mais, puisque aussi bien l’on doutait que la représentation pût se passer sans encombre, du moins hors de la salle, il avait paru préférable de donner le pas à Lohengrin, qu’une plus récente et plus absurde mésaventure avait davantage illustré ; et même à la Valkyrie, réclamée avec une ardeur toute particulière. Tannhaeuser ne revit donc la rampe, et n’eut sa troisième représentation, à l’Opéra, que le 13 mai 1895.

Il paraîtrait que cette attente n’était pas un mauvais calcul, car, une fois de plus, l’inspiration qui pénètre et vivifie ce drame fut d’abord peu comprise. Les exaltés qualifiaient de « recul » la représentation d’une œuvre pas assez « avancée » à leur goût ; et les snobs, déçus, la déclaraient froide, pour n’y avoir trouvé que des beautés de grandeur et de vérité simples. Le troisième acte, en particulier, d’une profondeur et d’une pureté si émouvantes, ne fut pleinement goûté que lorsqu’il eut pour auditeur un public sans parti pris ni prétention critique.

Avec quelle supériorité pourtant n’était-il pas exécuté !

Toute l’interprétation, au surplus, est une des plus admirables qu’aucune œuvre de Wagner ait trouvée à l’Opéra. Elle réunissait les cinq artistes qui ont consacré le plus particulièrement leur talent à l’établissement du répertoire wagnérien sur notre première scène : Ernest Van Dyck, Maurice Renaud, Jean Delmas, Mme  Rose Caron et Lucienne Bréval.

J’ai déjà dit comment Van Dyck avait pris rang à l’école de Lamoureux, à la tête de nos chanteurs de concert, et quelle irrésistible action il exerçait sur le public. À l’époque où nous sommes ici, son apprentissage théâtral était achevé depuis longtemps. Après le Lohengrin de 1887, où sa jeune carrière semblait buter dès le premier pas, il avait été engagé à la fois à Bayreuth et à Vienne. Dans la cité de Wagner, il avait remporté, sous L’armure de Parsifal, des succès extraordinaires ; à l’Opéra de Vienne, il avait chanté Lohengrin et Roméo, Armide et Faust, créé Manon et Werther. Il avait triomphé, d’autre part, à à coup sûr, après le créateur du rôle, a été Albert Saléza, dont le tempérament ardent, la voix chaleureuse, se sont toujours alliés à un souci scrupuleux de la pensée du musicien. Ce respect était vraiment attachant chez ce bel artiste, qui eût été un Siegfried incomparable si la maladie n’avait, avant l’âge, terrassé son effort enthousiaste. Après lui, les voix généreuses d’Alvarez et de Franz sonnent encore à nos oreilles, comme celle d’Albers, de Dufranne ou de Roselly… dans le personnage de Wolfram. Mais qui nous a rendu l’écho de son âme tendre et généreuse, qui s’est assez détaché du rôle pour être le héros même ?

L’orchestre, pendant la première série des représentations, a eu Taffanel pour chef. C’était la première des œuvres wagnériennes qu’il lui était donné d’étudier et de rendre ; il s’était livré à ce travail avec l’ardeur et la joie d’un néophyte, — et le seul défaut qu’on put lui reprocher, était en effet de n’être encore qu’un néophyte ; — mais aussi avec le soin et le goût délicats qui restent inséparables du souvenir de ce flûtiste admirable, de ce fin musicien.

Si les impressions de la première soirée de 1895 pouvaient faire penser à certains auditeurs que Tannhaeuser serait loin d’obtenir la fortune de Lohengrin et de la Valkyrie, la suite des représentations ne tarda pas à les démentir. Tannhaeuser, en dix-neuf ans, a eu 243 exécutions à l’Opéra, soit une moyenne de 13, presque égale à celle de Lohengrin et sensiblement supérieure à toutes les autres. Sa carrière a eu un premier élan moins vif (52 représentations pendant les deux premières années) mais un fond plus sûr.

TANNHAEUSER
TANNHAEUSER
WOLFRAM
LE LANDGRAVE
ÉLISABETH
VÉNUS
Dir.
Taffanel.
1895 (Opéra).
Van Dyck.
Saleza.
Dupeyron.
Alvarez.
Renaud.
Bartel.
Delmas.
Chambon.
R. Caron.
Bosman.
Lafargue.
Bréval.
Lola Beeth.
Carrère.
Corot.
1898
Gibert. Ackté. Grandjean.
1899
Fournets.
1901
Gresse fils. Hatto.
1902
Noté. Nivette.
1903
Garay.
Casset.
Féart. Demougeot.
1904
Scaramberg.
1905
Lindsay.
1906
Gilly. Chenal.
1907
Dubois. D’Assy. Farrar. Mancini.
1908
Albers.
Dangès.
Marcoux. Mérentié.
Borgo.
Henriquez.
Foreau.
Carlyle.
1909
Allchewsky.
Franz.
Dufranne.
Whitehill.
Journel. Demougeot. Litvinne.
1910
Roselly. Bourdon. Dubois-Lauger.
Caro-Lucas.
1911
Duclos. Panis.
Dorliac.
Daumas.
Mazarin.
Henriquez.
Mati.
1912
Kirsch.
1913
Lestelly. Dubel.


Cliché Benque.
Maurice Renaud dans Tannhaeuser.
(Wolfram.)

Pl. IV.




Cliché Benque.
Rose Caron dans Tannhaeuser.
(Élisabeth.)


Cliché A. Dupont.
Ernest Van Dyck dans Tannhaeuser.
(Wolfram.)

Pl. V.


  1. Les interprètes étaient le ténor allemand Niemann, avec Morelli et Cazaux, et Mmes  Marie Sasse dans Élisabeth et Tedesco dans Vénus. Il est assez curieux de noter, en passant, que celui auquel était réservée en quelque sorte la troisième représentation, Ernest Van Dyck, naissait quelques semaines à peine après ces deux premières.