L’économie politique en vingt-deux conversations/Conversation 04

Traduction par Caroline Cherbuliez.
Établissement encyclographique (p. 29-38).

CONVERSATION IV.


SUR LA PROPRIÉTÉ, Suite.

Effets du défaut de sûreté dans la propriété. — Exemples tirés des voyages de Volney. — Objections élevées contre la civilisation. — La Bétique du Télémaque. — Objections contre la communauté des biens. — Établissement des Jésuites au Paraguay. — Les Moraves. — La Suisse. — Avantages résultant de la sûreté de la propriété.
MADAME B.

À présent que nous avons rapporté l’origine et les progrès de la civilisation à la sûreté de la propriété, voyons si l’inverse a lieu, c’est-à-dire, si, dans un pays civilisé, le manque de sûreté dans la propriété ne dégrade pas l’état de l’homme, et ne le fait pas dégénérer, par une suite de pas rétrogrades, jusqu’à l’état de barbarie.

CAROLINE.

Y a-t-il des exemples de peuples civilisés qui soient redevenus sauvages ? Je n’ai pas le souvenir d’avoir ouï parler d’un changement de cette nature.

MADAME B.

Non, parce que quand la propriété a été une fois établie, les avantages qui en résultent sont tels, qu’elle ne peut plus être jamais totalement abolie ; mais dans les pays où la tyrannie du gouvernement rend la propriété mal assurée, le peuple dégénère toujours, le pays retombe dans la pauvreté, et dans un état qui, par comparaison avec le précédent, mérite le nom de barbarie. Nous avons remarqué déjà le changement déplorable opéré dans l’opulente ville de Tyr. L’Égypte, siège primitif des arts et des sciences, est tombée dans la plus abjecte dégradation ; et si vous voulez bien lire les passages que j’ai marqués pour vous dans les Voyages de Volney, vous y trouverez la vérité de cette observation attestée d’une manière frappante.

CAROLINE lit.

« Lorsque la tyrannie du gouvernement pousse à bout les habitants d’un village, les paysans désertent leurs maisons, se retirent avec leurs familles dans les montagnes, ou errent dans les plaines, avec l’attention de changer souvent de domicile pour n’être pas surpris. Souvent même il arrive que des individus, devenus voleurs, pour se soustraire aux lois ou à la tyrannie, se réunissent et forment de petits camps, qui se maintiennent à main armée, et deviennent, en se multipliant, de nouvelles hordes et de nouvelles tribus. On peut donc dire que, dans les terrains cultivables, la vie errante n’a pour cause que la dépravation du gouvernement. »

MADAME B.

Vous voyez que cela s’applique fort bien à l’objet que nous avons en vue ; mais voici un autre passage qui n’est pas moins applicable.

CAROLINE lit.

« Le commerce de Tripoli consiste presque tout en soies assez rudes, dont on se sert pour les galons. On observe que de jour en jour elles perdent de leur qualité. La raison qu’en donnent des personnes sensées est que les mûriers sont dépéris au point qu’il n’y a plus que des souches creuses. Un étranger réplique y sur le champ : Que n’en plante-t-on de nouveaux ? Mais on lui répond : C’est là un propos d’Europe. Ici l’on ne plante jamais, parce que si quelqu’un bâtit ou plante, le Pacha dit : Cet homme a de l’argent. Il le fait venir ; il lui en demande : s’il nie, il a la bastonnade ; et s’il accorde, on la lui donne encore pour en obtenir davantage. »

En outre, là où il y a si peu de sécurité au moment actuel, quel fonds peut-on faire sur l’avenir ? Quelle raison pourraient avoir les propriétaires d’espérer que les mûriers leur rendraient jamais le prix des peines et des dépenses nécessaires pour les planter ? Je m’étonne cependant que le gouvernement du pays n’encourage pas, pour son propre intérêt, l’industrie de ses sujets.

MADAME B.

Sous le malheureux gouvernement des Turcs, tout est si mal assuré, depuis la vie et la propriété du souverain jusqu’à celle du dernier des sujets, que personne ne s’occupe de l’avenir ; chacun s’efforce de piller et de jouir de ce qui est immédiatement à sa portée. Le passage suivant vous fera voir combien ont à souffrir ceux qui sont soumis à un système de gouvernement si vicieux.

CAROLINE lit.

« C’est par les désordres d’un tel régime, que la plupart des pachalics de l’Empire se trouvent ruinés et dévastés. Celui d’Alep en particulier est dans ce cas : sur les anciens deftars ou registres d’impôts, on lui comptait plus de 3200 villages ; aujourd’hui le collecteur en réalise à peine 400. Ceux de nos négociants qui ont vingt ans de résidence ont vu la majeure partie des environs d’Alep se dépeupler. Le voyageur n’y rencontre de toutes parts que maisons écroulées, citernes enfoncées, champs abandonnés. Les cultivateurs ont fui dans les villes où leur population s’absorbe ; mais où du moins l’individu échappe à la main rapace du despotisme, qui s’égare sur la foule… Tandis qu’en d’autres pays les villes sont en quelque sorte le regorgement des campagnes, là elles ne sont que l’effet de leur désertion… Les chemins dans les montagnes sont très-pénibles, parce que les habitants, loin de les adoucir, les rendent scabreux, afin, disent-ils, d’ôter aux Turcs l’envie d’y amener leur cavalerie…

Le pacha peut s’applaudir de pénétrer aux sources les plus profondes de l’aisance, par la rapacité clairvoyante des subalternes ; mais qu’en arrive-t-il ? Le peuple, gêné dans la jouissance des fruits de son travail, restreint son activité dans les bornes des premiers besoins. Le laboureur ne sème que pour vivre ; l’artisan ne travaille que pour nourrir sa famille ; s’il a quelque superflu, il le cache soigneusement. »

Le peuple vit donc dans la pauvreté et dans la détresse ; mais au moins il n’enrichit pas ses tyrans, et la rapacité du despotisme devient son propre châtiment.

MADAME B.

La dégénération des puissantes monarchies de la Perse et de l’Inde, depuis la conquête de ces pays par les Mahométans, s’explique également par l’incertitude de la propriété, et offre les plus effrayants exemples de décadence nationale. Trott, dans son histoire de l’Indostan, nous apprend que, sous les règnes désastreux des derniers monarques de l’Inde, les cruautés et les actes d’oppression commis par les agents du gouvernement, furent portés à un tel point que les fermiers brûlaient leurs maisons, leurs ustensiles, leurs récoltes, et cherchaient un refuge dans les bois et dans les montagnes, où ceux qui ne pouvaient ni exciter la charité, ni se soutenir par la force, périssaient de misère.

CAROLINE.

Quel triste tableau, ma chère madame B. ! Il est je crois, encore plus douloureux à contempler que la misère des sauvages ; car à leur maux présents, se joint, pour ces peuples, le regret d’avoir connu de meilleurs temps.

MADAME B.

Les voyages du docteur Clarke abondent en exemples pareils de propriété mal assurée, et d’oppression légale, qui subvertissent la société et dégradent l’espèce humaine. « En Circassie, dit-il, le semeur, à l’instant où il répand le grain en terre, et le moissonneur, à l’instant où il fait ses gerbes, sont constamment exposés à de soudaines attaques ; et les instruments d’agriculture ne sont pas plus indispensablement nécessaires à la récolte, que la carabine, le pistolet et le sabre. »

Il dit encore en parlant de l’île de Chypre : « Partout le sol laisse voir une glaise blanche, marneuse, qui est, dit-on, par sa nature, singulièrement riche, quoiqu’on néglige d’en faire emploi. Les Grecs sont tellement opprimés par les Turcs leurs maîtres, qu’ils n’osent pas cultiver la terre ; s’ils l’entreprenaient, la moisson leur serait à l’instant enlevée. Leur unique objet semble être d’amasser, dans le cours de l’année, précisément ce qui suffit à payer au gouvernement la taxe qui leur est imposée. S’ils s’en dispensaient, ils en seraient punis par la torture ou par la mort ; et lorsqu’il arrive à quelqu’un des habitants d’être dans l’impossibilité de payer l’impôt, ils s’enfuient et sortent de l’île. Le nombre des émigrations qui ont lieu annuellement par cette cause est si considérable, que la population de Chypre s’élève rarement au-dessus de 60,000 âmes ; nombre qui autrefois aurait à peine suffi à une de ses villes. »

CAROLINE.

Vous m’avez fait sentir les avantages de la civilisation ; j’avouerai toutefois que mon âme n’est pas pleinement satisfaite. N’y a-t-il aucun milieu entre la vie sauvage et l’extrême inégalité des conditions que nous voyons dans l’état présent de la société ? Ne pourrions-nous pas en avoir les avantages sans en avoir le luxe, l’abondance sans superfluité ? Il me semble avoir rencontré un exemple d’un tel peuple, madame B. ; mais je n’ose pas vous citer mon autorité, parce que vous l’avez ci-devant rejetée.

MADAME B.

Vous voulez parler de Télémaque. Il y a, dans cet ouvrage, beaucoup de doctrines saines ; quoiqu’il faille convenir qu’il n’est pas exempt d’erreurs. Mais quelle est donc, sur ce point, l’opinion de Fénélon ?

CAROLINE.

Vous rappelez-vous le tableau délicieux qu’il fait des habitants de la Bétique ? Il y a un charme irrésistible dans la description de leur félicité ; si tout cela est fabuleux, certainement du moins l’intention de l’auteur est de faire voir ce qui devrait faire le bonheur des nations ; l’égalité, la communauté des biens, peu d’arts et peu de besoins ; l’ignorance et le mépris du luxe ; des mœurs parfaitement conformes à la simplicité de la nature. Il faut que je vous lise ce passage, et vous me direz s’il ne contient pas la satire de l’économie politique.

« Ils vivent tous ensemble sans partager les terres ; chaque famille est gouvernée par son chef, qui en est le véritable roi… Il ne faut point de juges parmi eux ; car leur propre conscience les juge. Tous les biens sont communs, les fruits des arbres, les légumes de la terre, le lait des troupeaux, sont des richesses si abondantes, que des peuples si sobres et si modérés n’ont pas besoin de les partager. Chaque famille, errante dans ce beau pays, transporte ses tentes d’un lieu dans un autre, quand elle a consumé les fruits et épuisé les pâturages de l’endroit où elle s’était mise. Ainsi ils n’ont point d’intérêts à soutenir les uns contre les autres, et ils s’aiment tous d’un amour fraternel que rien ne trouble. C’est le retranchement des vaines richesses et des plaisirs trompeurs, qui leur conserve cette paix, cette union et cette liberté. Ils sont tous libres, tous égaux.

On ne voit parmi eux aucune distinction, que celle qui vient de l’expérience des sages vieillards, ou de la sagesse extraordinaire de quelques jeunes hommes qui égalent les vieillards consommés en vertu. La fraude, la violence, le parjure, les procès, les guerres, ne font jamais entendre leur voix cruelle et empestée dans ce pays chéri des dieux. Jamais le sang humain n’a rougi cette terre ; à peine y voit-on couler celui des agneaux.. Quand nous avons commencé à faire notre commerce chez ces peuples, nous avons trouvé l’or et l’argent parmi eux employés aux mêmes usages que le fer ; par exemple, pour des socs de charrue. Comme ils ne faisaient aucun commerce au dehors, ils n’avaient besoin d’aucune monnaie. Ils sont presque tous bergers ou laboureurs. On voit en ce pays peu d’artisans : car ils ne veulent souffrir que les arts qui servent aux véritables nécessités des hommes ; encore même la plupart des hommes en ce pays, étant adonnés à l’agriculture ou à conduire des troupeaux, ne laissent pas d’exercer les arts nécessaires pour leur vie simple et frugale. »

MADAME B.

Voilà ma chère Caroline, une peinture de ce que les poètes appellent l’âge d’or ; il n’y manque, pour être parfaite, que la vérité. Si c’était un récit historique, toutes les conséquences que vous en tirez seraient justes ; mais c’est une fiction ; et vous m’accorderez bien que cela fait une différence essentielle.

En supposant que la terre fût un paradis, qu’elle donnât spontanément tout ce qui maintenant est produit par la culture, même encore en ce cas, sans l’établissement de la propriété, on ne pourrait pas en jouir ; les fruits de la terre seraient cueillis avant leur maturité ; les animaux seraient tués avant d’avoir achevé leur croissance ; car qui protégerait des choses qui ne lui appartiendraient pas ; ou qui userait d’épargne, lorsque tous les trésors de la nature seraient ouverts devant lui ? On verrait un singulier mélange d’abondance, de pillage, et de famine.

Dans ce pays-ci, par exemple, où la seule propriété commune consiste en noisettes et en mûres sauvages, combien il est rare qu’on les laisse arriver à terme ! Dans quelques parties de l’Espagne, où la beauté du climat produit une quantité de très-bons fruits sauvages, il est d’usage que les prêtres les bénissent avant qu’il soit permis à qui que ce soit de les cueillir, et ils ne font cette cérémonie qu’à l’époque où l’on estime qu’en général les fruits sont mûrs ; par ce moyen on empêche qu’ils ne soient cueillis trop tôt. C’est dans le même but que nos lois prohibent la chasse, jusqu’au moment où les oiseaux ont pris leur croissance.

CAROLINE.

Mais quoique les habitants de la Bétique eussent tous leurs biens en commun, ils n’étaient pas sans lois pour les protéger.

MADAME B.

La terre n’est pas un paradis, et ne donne pas spontanément ses produits avec abondance. Si elle était possédée en commun, qui se mettrait à cultiver tel ou tel morceau de terre ? Il faudrait que le gouvernement assignât à chaque homme sa tâche journalière ; qu’il dit à l’un, vous travaillerez ici ; à un autre, vous travaillerez là. Y mettraient-ils la même activité et le même zèle, que s’ils travaillaient pour leur propre compte, c’est-à-dire s’ils recevaient des salaires proportionnés à leurs efforts ? Non certainement. Un tel système transformerait les hommes indépendants en esclaves, en véritables machines. Il n’y aurait point, il est vrai, d’inégalité dans les conditions ; mais la terre ne donnerait pas la dixième partie de son produit actuel ; la population diminuerait en proportion ; et si tous échappaient à la détresse et à la pauvreté, aucun ne jouirait de l’acquisition des richesses ; cette jouissance cependant, lorsqu’elle est le fruit du travail et du talent, est un sentiment juste et vertueux ; il élève l’homme non-seulement par la richesse même, mais par le pouvoir qu’elle lui donne de faire du bien, d’étendre la sphère des connaissances humaines, et par tous les inestimables biens qui en sont la suite.

Il a cependant réellement existé quelques établissements fondés sur la communauté des biens. Celui des Jésuites au Paraguay était de ce nombre. L’influence de la religion mettait ces prêtres en état d’exercer un pouvoir despotique sur les pauvres indigènes qu’ils avaient convertis ; il faut convenir qu’ils tempéraient ce pouvoir par le soin patriarcal qu’ils prenaient de leurs sujets. Cette espèce de gouvernement pouvait être adaptée à une tribu d’indigènes ignorants et étrangers à la civilisation ; mais elle n’aurait jamais pu faire un peuple libre, heureux, indépendant et riche. Je dois le dire encore, l’industrie de l’homme a besoin du stimulant de la possession et de la jouissance exclusive ; elle se proportionnera toujours à l’avantage personnel qu’il en retire.

Il y a, il est vrai, une secte, qui existe encore sous le nom de Moraves, qui se gouverne par des principes de communauté ; mais ce sont leurs principes religieux, qui seuls les mettent en état de maintenir ce système artificiel ; et leur société pourrait se comparer à un couvent de moines et de nonnes, plutôt qu’à une grande nation.

CAROLINE.

Je vois bien qu’il faut que j’abandonne la communauté des biens ; mais je ne peux m’empêcher de croire que la grande inégalité des conditions, qui a lieu dans l’état actuel de la société, est un mal très-réel.

En Suisse, où il y a beaucoup moins d’inégalité dans les fortunes qu’en ce pays, j’ai souvent admiré, et presque envié, les mœurs simples et innocentes de ses habitants. Ils semblent n’avoir pas d’idée d’une moitié de nos besoins, et ne pas éprouver la moitié de nos soucis.

MADAME B.

Les Suisses sont gouvernés par des lois douces et équitables, qui en font un peuple vertueux et heureux. S’ils ne composent pas une nation riche et populeuse, ce n’est pas faute d’activité, mais c’est que la nature du pays oppose des obstacles particuliers à l’agriculture et au commerce ; car les Suisses sont au contraire laborieux et entreprenants. J’ai vu souvent des hommes porter sur leurs épaules des hottes de fumier par des montées rapides, inaccessibles aux bêtes de somme ; et cela pour cultiver quelque petit coin de terre isolé, que l’on n’aurait pas cru digne de tant de peine. Les femmes, dans les campagnes, portent leur ouvrage à tricoter attaché autour du corps, afin d’avoir sous la main de quoi remplir tous les petits intervalles que leur laissent leurs occupations domestiques. Si une femme va à la fontaine pour prendre de l’eau, ou au bois pour en rapporter des fagots, elle met son fardeau en équilibre sur sa tête, et ses doigts restent libres pour faire aller ses aiguilles. Mais tout industrieux qu’ils sont, ils ne trouvent pas dans leur pays assez de ressources pour qu’un père puisse pourvoir à l’entretien de tous ses enfants ; il faut donc que quelques-uns d’eux sortent du pays et aillent chercher fortune dans les pays étrangers, qui offrent à l’industrie plus d’emploi. De-là ce nombre de négociants, de gouvernantes, de petits marchands ou de gens de métier, de domestiques suisses que l’on rencontre presque partout. Ces diverses personnes expatriées ne seraient-elles pas plus heureuses, si elles trouvaient les moyens d’exercer leur industrie et de développer leurs talents, sans quitter un pays auquel elles sont si fort attachées, et qu’elles ont tant de raison d’aimer ? Dans l’âge de la force et de l’activité, les hommes peuvent souvent quitter leur patrie et vivre heureux dans une terre étrangère ; mais demandez aux parents prêts à se séparer de leurs enfants au moment où ils atteignent l’âge qui doit réaliser leurs espérances, si ce serait un malheur pour leur pays de pouvoir leur offrir des moyens de fortune et d’activité.

Les Suisses ne peuvent pas suffire à l’entretien d’une armée pour la défense de leur territoire ; ils sont en conséquence obligés de se mettre au service des puissances étrangères, afin de pourvoir à l’entretien d’une partie de leur population, et de se ménager, en temps de danger, une ressource en les rappelant. Ces guerriers ne seraient-ils pas plus heureux de défendre leur propre pays, que de verser leur sang, comme des mercenaires, dans la cause des étrangers ? Nous en avons une preuve remarquable dans l’effet que leurs chansons patriotiques ont sur eux, à ce qu’on assure. Lorsque ces simples airs rappellent à leur pensée leur patrie si chère et si regrettée, ils les poussent à la désertion ou les rendent tout à fait malheureux. Telle est sur eux l’impression de ces airs nationaux, que l’on a cru devoir défendre de les chanter dans les troupes suisses au service des étrangers.

CAROLINE.

Il n’y pas moyen de résister à vos attaques, madame B. ; vous me chassez de tous mes postes de retraite. J’espérais avoir trouvé un asile sûr dans les montagnes de la Suisse ; mais je vois que je dois revenir chercher un refuge à Londres, où je suis bien sûre que vous conviendrez enfin avec moi que le luxe des riches et la misère des pauvres font un contraste choquant pour les personnes douées de quelque sensibilité.

MADAME B.

Si la misère des pauvres était l’effet du luxe des riches, je serais certainement d’accord avec vous sur ce point ; mais je crois qu’il en est tout autrement. Toutefois, comme les peuples, dont nous nous sommes occupés dans nos deux derniers entretiens, et dont nous avons observé les progrès vers la richesse et la civilisation, sont loin encore d’être assez avancés dans la carrière pour se rendre coupables d’excès de luxe considérables, nous les suivrons patiemment dans leur avancement en lumières et en richesses, avant d’entamer le sujet du luxe.