L’école au soleil. Une méthode de prophylaxie antituberculeuse

L’école au soleil. Une méthode de prophylaxie antituberculeuse
Revue pédagogique, premier semestre 191668 (p. 367-373).

L’École au soleil.


Une méthode
de prophylaxie antituberculeuse.

Plus que jamais la France doit chercher et trouver les solutions pratiques du problème de la population, et l’école primaire peut y contribuer largement. Si l’école n’est guère en mesure d’exercer une influence directe sur l’augmentation des naissances, elle peut beaucoup pour aider à combattre les maux qui déciment la population : il n’y a peut-être pas d’institution capable de rendre des services plus éminents dans l’action prophylactique.

Des idées et des faits nouveaux nous viennent à ce sujet de Suisse.

Tout le monde connaît les essais tentés, un peu partout, pour « l’école en plein air ».

La ville de Lausanne a depuis quelque temps organisé la cure d’air pour les enfants malingres et chétifs avec un très grand soin et les résultats déjà constatés s’imposent à l’attention.

Mais voici une extension hardie de ces méthodes, qui vaut la peine d’être signalée. Il ne s’agit pas d’un plan théorique, mais des résultats de plusieurs années d’expérience. Le Dr Rollier, de Leysin, dont la compétence en matière de tuberculose est bien connue, préconise non seulement la cure d’air, mais la cure de soleil comme moyen efficace d’action préventive contre le bacille de Koch.

Quelques indications médicales sont ici nécessaires.

« D’après les conceptions actuelles, écrit le Dr Rollier dans sa brochure, l’ « École au Soleil »[1], il est admis que l’infection tuberculeuse se produit, en règle générale, pendant la période de l’enfance. En atteignant l’âge de la puberté, tous les enfants ou presque tous (95 p. 100) ont payé leur tribut à la tuberculose.

« L’infection tuberculeuse qui se fait essentiellement par la voie respiratoire, est arrêtée et localisée dans les ganglions trachéo-bronchiques. Ceux-ci, situés dans le hile (entre les deux poumons, vers la ramification de la trachée-artère) constituent la première ligne de défense de l’organisme et doivent être considérés comme le point de localisation de la tuberculose initiale, Si l’organisme de l’enfant est suffisamment résistant, l’infection s’y arrête, la tuberculose est vaincue, ou du moins inactive. Si la résistance de l’organisme est affaiblie, comme c’est le cas soit après certaines maladies infantiles, telles que la rougeole, la coqueluche, la scarlatine, etc., soit après un surmenage physique ou intellectuel, l’infection reste latente ou elle évolue. Dans ce dernier cas, le bacille de Koch fait irruption hors des ganglions trachéo-bronchiques et pénètre dans la circulation d’où il atteindra soit les méninges (méningite), soit les poumons (tuberculose pulmonaire), soit le péritoine (péritonite), soit les os ou les articulations (ostéites ou arthrites), soit enfin l’organisme tout entier (tuberculose miliaire ou généralisée).

« Il est communément admis aujourd’hui que la tuberculose de l’adulte est presque toujours une réinfection, dite endogène, consécutive au réveil (à la suite de maladies graves, d’excès ou de surmenage) d’une infection datant de l’enfance et restée latente dans les ganglions trachéo-bronchiques. Puisque c’est au cours de l’enfance que se contracte le germe de la maladie, c’est pendant cette période qu’il faut le combattre et le réduire à l’impuissance pour en éviter l’éclosion ultérieure ; il suffit pour cela de fortifier la résistance de l’enfant et d’éviter tout ce qui peut l’amoindrir. »

Or, pour fortifier la résistance de l’enfant, le Dr Rollier a eu recours à la cure solaire. Depuis douze ans, en effet, il a soigné et guéri par l’héliothérapie les formes les plus variées de la tuberculose dite externe, c’est-à-dire celle qui se localise dans les os ou dans les organes autres que les poumons et les méninges. Il a constaté l’excellente influence exercée par le soleil aussi bien sur l’état général que sur l’état local de ses malades.


Cliché Dr Rollier.

Les résultats si favorables déterminés par l’héliothérapie, prudemment dosée, chez des organismes atteints, le Dr Rollier a eu naturellement l’idée de chercher à les obtenir chez des êtres simplement débilités, affaiblis, qu’il espérait mettre ainsi en état de se défendre contre l’infection menaçante. Il a donc réuni dans la montagne, près de Leysin (canton de Vaud) quelques garçons et fillettes convalescents ou prédisposés à la tuberculose et les a soumis à la cure d’air et de soleil, très progressivement appliquée au début du séjour. Le mouvement, condition indispensable du développement physique de l’enfant, occupe une large place dans le régime prescrit.

Sans entrer dans le détail médical des résultats obtenus, signalons seulement que le bain d’air et de soleil, « le plus puissant des toniques et des reconstituants », refait le terrain et augmente la vitalité de l’organisme, tout en agissant d’une façon remarquable sur la peau. L’existence au grand air et au soleil endurcit ces enfants chétifs contre le froid : en été, ils circulent à peu près nus par tous les temps, et ceux qui souffraient de rhumes, de bronchites ou d’angines au moindre changement de température deviennent bientôt presque réfractaires à ce genre d’affections. Lorsqu’ils quittent Leysin, les petits pensionnaires du Dr Rollier sont dans le meilleur état de résistance physique.

Mais il ne faudrait pas qu’en améliorant la santé, on laissât l’esprit en friche. La culture intellectuelle doit marcher de pair avec la culture physique. L’enseignement se donne donc en plein air et au soleil, aussi souvent que le temps le permet.

« Il n’y a pas, à vrai dire, de local spécialement affecté aux travaux scolaires. Pour permettre aux écoliers de prendre leurs leçons à un endroit quelconque, nous avons adopté un dispositif, construit par M. Jules Rappaz, de Genève. C’est un appareil composé de deux parties, un petit banc et un pupitre. Elles se replient l’une sur l’autre au moyen de charnières formant un tout peu volumineux et peu encombrant, que l’enfant assujettit à ses épaules par des courroies comme un sac de soldat, Une poche de toile, fixée à l’une des parties, renferme cahiers, livres, écritoire. Pour la leçon, chacun déplie son appareil, et s’assied sur le banc ayant devant lui à la hauteur voulue pour les yeux, le pupitre où il posera ses cahiers et ses livres. Ce système a l’avantage d’être extrêmement léger et portatif, et de ne charger les enfants que d’une manière insignifiante pendant les sorties. L’institutrice choisit dès lors l’endroit qui lui paraît le plus propice à l’enseignement qu’elle veut donner, suivant la saison et suivant les conditions atmosphériques du moment : un sous-bois ombragé, une clairière abritée du vent, l’orée d’une forêt. »

Ce régime exceptionnel dont profitent quelques privilégiés, le Dr Rollier voudrait en voir bénéficier tous les enfants des écoles. « On ne sait pas assez que le soleil, puissant microbicide, est l’agent de prophylaxie le plus actif, et en même temps le plus simple à utiliser. » Mais une cure de soleil aussi rigoureuse que celle pratiquée à Leysin n’est pas indispensable pour les enfants bien portants qu’il s’agit seulement de prémunir contre la maladie.

C’est au cours de la belle saison que les écoliers de la plaine puiseraient dans les rayons du soleil les forces nécessaires pour lutter pendant l’hiver contre les infections diverses auxquelles ils sont exposés. On commencerait, aux premiers beaux Jours, par faire faire aux enfants le bain de soleil des extrémités inférieures, puis des jambes. Dès que le temps le permettrait, des exercices de gymnastique seraient ensuite organisés au grand air et au soleil ; suivant la méthode excellente du lieutenant de vaisseau Hébert, auquel le Dr Rollier rend hommage, les élèves seraient torse et jambes nus, les garçons portant simplement des caleçons de bain et les fillettes de petites combinaisons. Enfin lorsque les enfants seraient progressivement et prudemment entraînés à la cure scolaire, on profiterait des beaux jours pour faire la classe au soleil soit dans la cour de l’école, soit de préférence dans la campagne voisine où un site favorable serait réservé aux classes mobiles : « Une fois arrivés à l’emplacement choisi, qui pourrait être clos d’une enceinte de planches, les enfants se déshabilleraient et se mettraient dans la tenue indiquée pour se livrer, en toute liberté sous le soleil, à leurs joyeux ébats ou à leurs exercices scolaires. »

Le Dr Rollier ne se dissimule point les objections que son projet pourra soulever.

« Nous comprenons parfaitement, écrit-il, qu’une idée aussi nouvelle puisse étonner, effrayer même au début par les détails de sa réalisation. Mais que pèsent ces considérations devant l’importance des résultats que nous prétendons obtenir ? Il s’agit de la santé de tous les enfants ! Il s’agit de les prémunir contre l’une des plus redoutables maladies en leur donnant une résistance considérable, Quel éducateur hésiterait à utiliser une méthode aussi grosse d’excellents résultats parce que, dans les premiers temps de sa mise en œuvre, elle froissera certains préjugés de l’opinion publique ? »

Le jour où les conseils médicaux de l’École seraient favorables à la cure solaire, il conviendrait assurément de procéder avec prudence à la mise en pratique. Il faudrait d’abord choisir, dans chaque école, quelques enfants chétifs auxquels la cure d’air et de soleil serait prescrite, comme à Lausanne, par le docteur, à titre de traitement spécial. Les exercices de gymnastique exécutés par les écoliers torse et jambes nus accoutumeraient aussi l’opinion publique à la nouveauté de la méthode. Ce n’est qu’après avoir parcouru ces premières étapes que l’école au soleil pour tous pourrait être intégralement appliquée sans heurter les idées courantes,

Il semble d’ailleurs que le bain de soleil ne puisse pas sans inconvénient, en plaine et pendant la saison chaude, être d’une durée supérieure à une heure et demie ou deux heures par jour. Combiné avec les récréations et les exercices physiques, il pourrait donc prendre droit de cité à l’école sans déterminer de graves complications.

« On arrivera ainsi progressivement, écrit le Dr Rollier, par des dispositifs de détail modifiables suivant l’état d’esprit de chaque région, à faire admettre par tous que les enfants ont besoin d’être directement en contact avec l’air et le soleil, et qu’il n’y a pas d’autre moyen pour cela que d’exposer à nu certaines parties de leur corps. »

Cette question capitale : la prophylaxie antituberculeuse par l’héliothérapie et l’école primaire, mérite assurément de retenir l’attention de nos hygiénistes et de nos éducateurs.

Mieux vaut prévenir que guérir : c’est là l’idée fondamentale de la méthode solaire appliquée à tous les enfants des écoles. Les générations que la France doit élever physiquement et moralement avec un soin jaloux, ne seront saines et vigoureuses que si des méthodes nouvelles d’hygiène leur sont appliquées : celle qu’on nous propose aujourd’hui a fait ses preuves.

Donnons donc du soleil à nos enfants, en nous rappelant la belle parole de Michelet : « La fleur humaine est de toutes les fleurs celle qui a le plus besoin de soleil. »


  1. Paris, Baillière et fils.