III

OÙ MAÎTRE JEAN APPREND QU’IL EST PLUS FACILE D’ENTRER AU CHÂTEAU QUE D’EN SORTIR.


Maître Jean s’en allait vers le Château. Une idée l’y poussait… un pressentiment l’y attirait, car il n’avait nulle affaire à traiter là. Et cette idée ou ce pressentiment lui était venu à l’improviste, et comme si une voix intérieure et mystérieuse se fût fait entendre. Et tout en marchant, le vieillard se répétait :

— Oui, oui, il faut que je voie ce malandrin qu’on va mener à la potence à la brune…

Comme il venait de se répéter ces mots pour la quatrième fois, il vit venir le crieur public qu’un batteur de tambour et un flûtiste accompagnaient.

Le crieur clamait d’une voix retentissante :

« Bonnes gens de la bonne ville de Québec… Prenez avis que, à sept heures de relevée et par ordre du Conseil et de son Excellence Monsieur le Gouverneur, sera pendu au gibet de la rue Sault-au-Matelot et jusqu’à ce que mort s’en suive, un malandrin dont on ignore le nom, mais dont on verra la langue pendre d’au moins une aune au bout de la corde que lui serrera autour du col Maître Mathurin Le Bourreau ! »

Et le crieur et son escorte allaient ainsi par toutes les rues de la ville haute et basse. Des enfants suivaient de près, tant ils avaient plaisir à entendre la « musique » rendue par le tambour et la flûte. Car chaque fois que le brave crieur avait terminé son boniment, le tambour et la flûte résonnaient à qui mieux mieux. Les deux « musiciens » essayaient de donner un air de circonstance, tel un air funèbre pour mieux impressionner les habitants de la ville ; mais le plus souvent l’air funèbre devenait un air joyeux et endiablé qui faisait les délices des enfants. Le plus souvent aussi l’accord manquait : tantôt, le tambour courait devant la flûte ; tantôt c’était la flûte qui dépassait le tambour. Puis, ce dernier, plus loin, donnait à sa caisse trois coups formidables et espacés ; alors la voix du crieur reprenait sur un ton fort haut, lent et monotone :

« Bonnes gens de la bonne ville de Québec…

— Allons ! se dit Maître Jean après avoir croisé le crieur et son escorte musicale, ce nom du malandrin qu’on ne sait pas, je le saurai, moi. Car je veux le savoir ce nom-là ! Pourquoi ?… C’est drôle… mais c’est une idée qui m’est venue ainsi !

Marmottant des paroles incompréhensibles, le vieillard poursuivit son chemin. Plus loin, une vingtaine d’ouvriers travaillaient aux réparations de la rue : les uns remplissaient les rigoles et les fossés que les pluies diluviennes du printemps avaient creusés ; d’autres s’occupaient à paver la chaussée de pièces de bois qu’on posait dans de l’argile détrempée. Jusqu’à Monsieur de Frontenac, les gouverneurs du pays s’étaient donné peu de mal pour l’entretien des rues de la capitale. Dès l’arrivée de M. de Frontenac en 1672, les bourgeois et les nobles de la cité présentèrent au nouveau gouverneur une supplique par laquelle on demandait la faveur que l’administration donnât ses soins à la réfection, réparation et entretien en général des rues et voies publiques. Disons que, jusqu’à cette époque, les nobles et bourgeois voyageaient à cheval. Mais un peu avant l’arrivée de M. de Frontenac les premières voitures de luxe firent leur apparition, et sous M. de Frontenac on put voir berlines, carrosses et cabriolets parcourir les rues de la cité et même les routes qui couraient entre les Trois-Rivières et Montréal. Tant qu’on se contentait d’aller à cheval, on ne s’inquiétait pas beaucoup du mauvais état des voies publiques ; mais lorsque les belles voitures et les fins attelages parurent, ce fut différent. M. de Frontenac, le premier d’ailleurs, comprit que les voies carrossables devaient être réparées et entretenues aux frais de l’État, à condition que ces frais fussent couverts par des impôts tirés du gousset de ceux-là qui pouvaient se payer le luxe de la voiture. C’est à cette époque que disparut, en Québec, la chaise à porteurs.

Maître Jean traversa ce groupe d’ouvriers qui, à sa vue, s’écartèrent poliment, en le saluant d’un :

— Bonjour, Maître Jean !

Lui, rendit le salut avec son sourire placide et continua sa route.

Comme il franchissait la place du Château, ou, ainsi qu’on disait souvent, la Place d’Armes, un individu vint se heurter à lui. En même temps une voix sourde et gouailleuse disait en ricanant :

— Vous êtes donc devenu aveugle, Maître Jean, que vous vous cognez à vos amis ?

Le vieillard, qui allait tête basse tant il était pris par les pensées diverses qui tourbillonnaient en son cerveau, sursauta.

— Ah ! ah ! fit-il en reconnaissant l’exécuteur des hautes œuvres royales, c’est toi, Mathurin ? Tiens ! dans ce sac que je vois à ton épaule, je parie que c’est ta corde que tu as mise dedans ?

— Ma corde… dites-vous ? Mais non, elle n’est plus à moi, Maître Jean. Maintenant et dorénavant c’est la corde de l’autre… de celui qui pendra au bout !

— Ah ! c’est juste. Tu viens donc de la lui essayer ?

— À son cou ? oui. Et j’ai fait le nœud coulant tout prêt, de sorte que je n’ai plus qu’à attendre qu’on m’amène la canaille au gibet.

— Tu es content ?

— Dame ! pourquoi pas ? N’ai-je pas touché déjà mes vingt-cinq livres ? Et puis, faut bien vous le dire, je commençais à rouiller faute de besogne. Ah ! Maître Jean, je souhaite bien qu’il vienne d’autres malandrins en notre bonne ville de Québec… ah ! oui, je le souhaite bien !

Il ricanait toujours, et ce ricanement presque diabolique donnait le frisson au vieillard.

— Enfin, ce malandrin, interrogea ce dernier, le connais-tu ?

— Lui ? Jamais vu.

— Mais son nom ?

— Pas davantage. Il est muet, mon homme. Je ne sais qu’une chose : c’est qu’il m’a l’air d’un gaillard peu commode. Quand j’ai voulu prendre la mesure de son cou, il a tenté de résister. Ta ! ta ! ta ! mon garçon, ai-je fait, il faut y passer bon gré mal gré. Je lui sautai dessus, le couchai sur les dalles et, avec l’aide du capitaine Flandrin, je mesurai tranquillement ma corde à son cou. Ah ! Maître Jean, si, tout de même, vous aviez pu voir l’œil qu’il m’a décroché… Mais je vais lui en faire décrocher un autre à la brunante, c’est Mathurin qui vous le dit.

Et sans attendre la réplique ou les commentaires ou même les autres questions qu’aurait pu lui poser Maître Jean, Mathurin le Bourreau poursuivit son chemin vers la Basse-Ville et vers son terrier.

Maître Jean, plus pensif encore, continua sa marche et pénétra dans la cour du Château grâce à la complaisance d’un portier qu’il connaissait.

Mais lorsqu’il voulut entrer dans le logis du Maître du pays, ce fut autre chose : les gardes et huissiers s’y opposèrent fermement.

— Comment ! s’écria un huissier d’importance… Un Huguenot dans la maison de son Excellence ? Jamais de la vie !

Le vieillard, toujours souriant, demanda :

— Ne suis-je pas un citoyen comme un autre ? Voyons ! je vous défie bien de me dire le contraire, puisque Son Excellence daigne me reconnaître comme un citoyen de cette ville.

Ces paroles dites sur un ton ferme parurent impressionner l’huissier et son importance.

— Sans doute, sans doute, fit-il vivement… On ne saurait, Maître Jean, vous nier cette qualité. Seulement, voilà : vous laissez entrer sans un ordre spécial, c’est nous attirer, croyez-le bien, les foudres et de Monsieur le Comte et de Monseigneur l’évêque.

— Pourtant, vous savez bien que Monsieur le comte m’a reçu l’an passé ?

— Oui, oui, sans doute. Mais l’an passé, c’était l’an passé, et nous sommes en l’an présent ! Tout de même, si c’est à Monsieur le comte que vous avez affaire, pour vous rendre service j’irai bien demander à Monsieur le comte s’il veut vous recevoir.

— Non, mon ami, non, répliqua l’ancien boulanger, ce n’est pas à Son Excellence que j’ai affaire ce matin, mais à ce bon et brave capitaine Flandrin Pinchot.

— Tiens ! tiens ! le capitaine Flandrin est donc un de vos amis ?

— Justement. Peux-tu me conduire à lui ?

Maître Jean, ce disant, sortait une belle bourse de l’une de ses poches.

À cette vue, l’huissier, qui paraissait être le chef de la bande, entraîna le vieillard dans la cour et assez loin pour que personne ne pût entendre l’échange de paroles qu’il méditait d’avoir avec le visiteur.

— Maitre Jean, commença-t-il à voix basse, c’est bien votre ami, le capitaine Flandrin, que vous désirez voir et nul autre ?

— Oui, c’est bien au capitaine Flandrin et à nul autre que je désire parler. Tiens ! mon ami, voici, pour commencer, un écu d’or qui te permettra de boire à ma santé après ton service. Si le cœur t’en dit, tu pourras inviter tes camarades et trinquer avec eux.

À la vue de la belle pièce d’or l’huissier avait ouvert des yeux plus grands que l’écu lui-même.

— Hein ! un écu d’or de Sa Majesté ! fit-il tout émerveillé.

— Oui, mon ami, c’est bien un écu d’or de Sa Majesté !

— Et un écu d’or qui vaut bien cinq livres, quatre sols et six deniers ?

— C’est exact, mon ami.

L’huissier prit la pièce de monnaie, la palpa, l’examina sur ses deux faces, la soupesa comme s’il eût douté qu’elle fût authentique, et il parut n’en point croire ses yeux.

Disons que l’écu d’or frappé par Louis XIV n’était pas très connu ni très répandu en Nouvelle-France, et ceux-là qui en possédaient quelques pièces les conservaient avec tout autant de soin qu’ils eussent fait de bijoux précieux. C’était la monnaie d’argent, de cuivre ou de bronze qui circulait d’ordinaire, du moins dans le commerce et dans les affaires transigées, mais les affaires de maigre importance. L’écu d’or n’allait donc pas dans le gousset du pauvre, et seuls les gros marchands, hauts bourgeois, nobles, officiers et grands fonctionnaires pouvaient en connaître le tintement sonore. Et si ces gens privilégiés avaient la bonne fortune de voir tomber dans leur escarcelle de telles pièces d’or, bien malins eussent été ceux qui auraient pu les en faire sortir. Au surplus, ces gens ne traitaient les affaires qu’entre eux ; et si d’aventure l’un de ces bourgeois ou nobles avaient à traiter une affaire quelconque avec du bas peuple, il se servait d’un agent intermédiaire, notaire ou autre.

Rien d’étonnant que l’huissier fit des yeux énormes d’admiration et, aussi, de convoitise, tandis qu’il soupesait la belle pièce d’or dans sa main. Ajoutons qu’à cette époque cinq livres représentaient déjà une belle somme d’argent, surtout si la pièce de monnaie vous tombait dans la main à titre pur et simple de pourboire. Car un huissier ou un garde de M. de Frontenac ne touchait annuellement que cent livres de salaire, et le huissier de même que le garde devait à même cette somme d’argent pourvoir à son logement et à son entretien. Hormis les cuisiniers, maîtres d’hôtel et valets de chambre, tous les autres serviteurs vivaient hors du château une fois leur service accompli. Oui, mais à cette époque comme à la nôtre, le pourboire venait grossir le salaire annuel.

Si Maître Jean sortait de son gousset des pièces d’or et savait les faire scintiller de la belle manière, l’autre, l’huissier, quand l’occasion s’en présentait, savait glisser habilement les précieuses pièces dans sa poche. Et c’est ce qu’il fit à l’instant tout en parlant et tapant familièrement l’épaule du vieillard.

— Bon ! bon ! Maître Jean… je vous comprends. Vous voulez parler ou simplement dire un mot au sieur Flandrin Pinchot, maître-geôlier et gardien des salles basses ?…

— Oui, oui, c’est bien ce que je veux. Peux-tu me conduire à lui ?

— Hein ! vous conduire à lui ! s’écria l’huissier stupéfait et en ouvrant des yeux chargés d’effroi. Mais vous n’y pensez pas ! Vous conduire là… mais c’est pour le coup que Son Excellence m’enverrait promener avec le malandrin qu’on va pendre sur la fin du jour. Non ! non ! Maître Jean, pas de ça. Comme vous, je tiens à ma tête. Seulement…

— Eh bien, quoi ?

— Je peux, pour vous être agréable, aller quérir le capitaine, maitre geôlier es-qualités, et vous l’amener ici.

Maître Jean hocha la tête d’une façon qui signifiait que cet arrangement ne faisait pas tout à fait son affaire ; puis, sans mot dire, il exhiba une autre pièce d’or.

Ravi, l’huissier prit encore cette pièce, l’examina avec pas moins d’attention qu’il en avait mise à l’examen de la première et la fourra dans sa poche.

— C’est bien, c’est bien, Maître Jean, fit-il avec précipitation, je cours mander votre ami Monsieur le Capitaine…

Maître Jean, sans jamais perdre une parcelle de son sourire candide, le retint.

— Minute, mon garçon…

Et l’huissier, tout pâle et tout tremblant, voyait le vieillard tirer de son gousset une troisième pièce d’or… puis une quatrième… une cinquième une dixième ! Et lui, le généreux vieillard, glissait toutes ces pièces d’or dans la poche de veste du huissier. Celui-ci demeurait médusé… Mais en même temps aussi il se sentait devenir fou de joie… car il entendait à merveille le merveilleux tintement des dix pièces d’or qui alourdissaient agréablement la poche de sa veste. Il put s’écrier dans son émerveillement ;

— Ah ! ça, Maitre Jean, méditez-vous de m’acheter mon âme ?

— Non, mon ami. Sois tranquille, je te la laisse ton âme, attendu qu’elle ne me vaut rien. Mais je veux descendre dans les salles basses et là, parler au capitaine Flandrin Pinchot.

L’huissier, très cupide, c’est vrai, mais très honnête aussi, ne pouvait garder un argent qu’il ne gagnait pas ou n’avait point gagné. Rendre la monnaie, c’était pour lui un crève-cœur. Se rendre aux désirs de Maître Jean, c’était risquer la perte de sa place et aussi la perte de six mois de salaire qui restait impayé, sans compter que, par-dessus le marché, il encourait la peine d’emprisonnement pour au moins six mois. La chose était grave, très grave. Mais d’un autre côté l’or était tentatif, très tentatif !

— Écoutez, Maitre Jean, reprit l’huissier non sans quelque hésitation, ce que vous me demandez là est impossible, car les ordres sont formels. Son Excellence m’a fortement prévenu que nul visiteur ne serait admis dans la maison, à moins que ce visiteur eût à traiter d’affaires de haute importance soit avec son Excellence elle-même, soit avec l’un des fonctionnaires. Et voulez-vous savoir encore ? en supposant que vous auriez telle affaire d’importance à traiter avec l’un de ces gentilshommes, me faudrait-il encore approcher le personnage avec précaution et lui faire part de votre désir. Et si les ordres sont sévères, il y a une raison : car vous n’ignorez pas que, l’hiver passé, et en sa propre maison. Monsieur de Frontenac a bien failli tomber sous les coups d’un assassin qui, malheureusement, a pu échapper à la justice.

— C’est juste, mon ami, il me semble que j’ai quelque peu entendu parler de cette affaire.

— On s’est bien gardé d’ébruiter l’affaire dans le temps, pour la bonne raison qu’on était d’avis que l’assassin avait été soudoyé en envoyé par…

Ici, l’huissier murmura un nom à l’oreille du vieillard.

Lui ne manifesta aucune surprise et continuant à sourire, il dit :

— Je savais tout cela, et j’étais du même avis et j’avais les mêmes soupçons.

L’huissier demeura un moment ahuri.

— Comment, diable, le vieux sorcier peut-il savoir tout cela ? se demanda-t-il.

Maître Jean parut le comprendre et il ajouta le plus candidement du monde :

— Je sais bien d’autres choses, mon ami, bien d’autres choses qui se passent, se disent et se font entre les murs de ce Château et que toi tu ne sais pas… et que Son Excellence elle-même ne sait point !

— En ce cas, reprit l’huissier de plus en plus surpris, vous comprenez pourquoi c’est si difficile d’entrer… Autre chose, Maître Jean, reconnaissez que vous n’êtes pas bien catholique, et que…

— Je sais, je sais, interrompit Maître Jean, et je ne m’en cache pas. Oui bien, je suis calviniste, je le reconnais, et je reconnais encore que je ne pense point en matières religieuses comme Son Excellence et comme Monseigneur l’Évêque.

— Alors, vous voyez bien…

— Mais bah ! mon ami, qui saura au juste que je suis allé dire deux mots au capitaine, et deux mots, observe bien, qui sont de la part de sa femme ?

— Ah ! ah ! de la part de sa femme… fit l’huissier devenu perplexe. Pourtant, si j’allais porter ces mots pour vous…

— Non ! non ! c’est très personnel. Voyons ! je suis pressé et le temps passe vite. Te décides-tu ?

— Eh bien ! tant pis, Maître Jean, je prends le risque. Mais vous serez muet sur cette affaire ?

— Comme un trépassé, tu as ma parole !

— Alors, venez et laissez-moi faire !

Et, suivi de près par l’ancien boulanger, l’huissier pénétra dans le vestibule en annonçant à ses camarades et aux gardes présents :

— Maître Jean désire entretenir d’affaires urgentes Monsieur le Comte… Venez, Maître Jean, je pense que Son Excellence est en ce moment dans la grande salle des audiences en compagnie de Monsieur le Lieutenant des gardes et Monsieur le procureur-royal…

Le visiteur et son guide franchirent le vestibule dans sa longueur. Huissiers et gardes les regardaient aller avec indifférence, lorsque survint le portier qui avait laissé Maître Jean pénétrer dans la cour du Château. À l’un des huissiers il dit assez haut pour être entendu des autres :

— Hein ! avez-vous vu ?… Ce que Maître Jean en a des écus d’or ! Tenez ! ça brille comme ça au soleil !…

Et il exécutait en même temps un geste expressif, tout comme si un rayon de soleil l’eût ébloui, et il papillotait des paupières d’une façon non moins expressive.

Huissiers et gardes le considéraient avec quelque incrédulité.

Le portier ajouta :

— Ah ! ce que je voudrais, moi aussi, être huissier pour emplir mes poches de pièces d’or !

Les huissiers, pas plus que les gardes, n’y comprenaient goutte et ils commençaient à penser que le pauvre portier portait une cervelle trop éblouie, car nul d’entre eux n’avait entendu le colloque échangé entre leur chef et Maître Jean, et nul n’avait surpris le manège des deux hommes. Mais le portier, lui, avait vu…

C’est pourquoi il raconta vivement comment certaines pièces d’or avaient passé subrepticement du gousset de Maître Jean dans la poche de l’huissier.

La surprise était à son comble.

Maitre Jean venait de disparaître dans un corridor pratiqué sur la gauche du vestibule.

Alors, l’un des gardes se pencha à l’oreille d’un compagnon et murmura :

— Bon ! je vais faire pincer cet animal d’huissier qui m’a rapporté l’autre jour pour un rien… Attends ! tu vas rire… Je cours chez notre lieutenant.

Et, en effet, il marcha précipitamment jusqu’au grand escalier au fond du vestibule et grimpa à quatre aux étages supérieure.

Cependant, l’huissier et Maître Jean avaient traversé un long corridor pour aboutir à un escalier plutôt sombre. Là, l’huissier s’arrêta et dit :

— Maître Jean, je n’irai pas plus loin. Je me suis déjà trop risqué. D’ailleurs, d’ici vous pourrez trouver vous-même le chemin qui conduit au capitaine Flandrin. Descendez cet escalier, suivez le corridor en bas jusqu’au bout opposé. Là, à gauche, est une salle d’armes. Traversez cette salle jusqu’à une porte ordinaire que vous ouvrirez sans peine. Vous franchirez un étroit passage et vous verrez une porte de fer. Frappez à cette porte, et c’est le capitaine Flandrin qui vous ouvrira !

Et, sans plus, l’huissier se hâta de regagner le vestibule, non sans jeter autour de lui des regards scrutateurs comme pour s’assurer que personne ne l’épiait.

Maître Jean ne perdit pas de temps. Il suivit les indications de l’huissier et put atteindre le corridor sans encombres. Là, silence glacial partout. Maître Jean suivit le corridor. À gauche et à droite il put voir des portes closes, portes de chêne lamées de fer et cadenassées.

— Des salles basses encore… se dit Maître Jean non sans un frisson de malaise, où, peut-être, vivent des malheureux depuis des années !

Quoique Maître Jean fût l’ami du maître-geôlier de ces lieux, il ne connaissait rien des secrets ou des mystères qui pouvaient s’y rapporter ; Pinchot était d’une discrétion à faire l’admiration d’un confesseur.

Maître Jean se trouva bientôt à l’autre bout du corridor et vit, grande ouverte, la porte de la salle d’armes. Les murs de cette salle étaient garnis de mousquets, de pistolets, d’épées, de rapières et autres armes de guerre. Cette salle était spacieuse et suffisamment éclairée par des soupiraux. Maître Jean la traversa dans sa longueur et atteignit une porte qu’il ouvrit sans difficulté. Là, ainsi que le lui avait dit l’huissier, le vieillard vit un étroit passage très obscur, car l’unique clarté lui venait de la salle d’armes lorsque la porte était ouverte. De l’autre côté du passage Maître Jean put découvrir la porte de fer derrière laquelle étaient censés être les cachots destinés aux criminels dangereux et aux condamnés à mort. Le vieillard traversa le passage, mais il fut quelque peu surpris en apercevant à sa gauche un escalier étroit qui s’élevait vers le rez-de-chaussée un escalier très obscur aussi et qui paraissait aboutir sous une trappe. N’importe ! Maître Jean frappa la porte de fer de la pomme de sa canne.

— Holà, fit de l’autre côté une voix qui sembla à Maître Jean venir des profondeurs de la terre. La voix, pourtant, lui était bien connue : c’était celle de Flandrin Pinchot.

— Ouvre ta porte, mon bon Flandrin ! cria l’ancien boulanger en frappant encore la porte de sa canne. Viens ouvrir, répéta-t-il, c’est ton ami… Maître Jean !

De l’autre côté de la porte de fer on put entendre une exclamation de surprise, sinon de stupeur.

Peu après, une clef grinça, des verrous gémirent, des barres de fer crissèrent, et une main qui paraissait craintive entre-bâilla doucement la lourde porte. Dans l’entre-bâillement Maître Jean reconnut la figure longue et maigre de Pinchot… mais une figure avec des yeux en points d’exclamation… une figure sur laquelle la stupéfaction s’était nettement sculptée.

— Sang-de-Bœuf ! s’écria Pinchot, — que faites-vous ici, Maître Jean ?

— Je désire te parler, mon bon Flandrin.

— Va bien. Mais si l’on nous surprenait en ces lieux, savez-vous que…

Il s’interrompit brusquement en voyant l’escalier du passage s’éclairer tout à coup. Maître Jean regarda aussi l’escalier, et non sans quelque émoi. Une trappe, là-haut, venait de s’ouvrir et deux hommes s’engageaient dans l’escalier. L’un de ces hommes disait :

— Par ici, marquis, suivez-moi !

— Quoi ! mon cher duc, voyez-vous déjà le malandrin ?

— Pas encore, mais je le flaire, cher marquis. Venez…

La voix de ces hommes était gouailleuse et ironique, et elle frappa curieusement les oreilles de Maître Jean. Il regardait encore pour essayer de voir qui venait et quels étaient ces deux gentilshommes, lorsque d’une main rapide et brusque Pinchot le saisit par un bras, l’attira à lui et ferma violemment la porte de fer. Et la clef dans la serrure, les verrous et les barres de fer parurent à Maître Jean travailler tous à la fois et en même temps, tellement Flandrin Pinchot manœuvrait vite. Et lorsque celui-ci vit que sa porte, ainsi fermée et verrouillée, pourrait résister aux plus durs chocs, il se tourna vers son visiteur et dit avec un sourire bon-enfant :

— Maître Jean, je vous prierai d’excuser ma rudesse. Si j’ai agi ainsi, c’est pour la raison qu’il serait dangereux autant pour vous que pour moi que vous fussiez vu ici.

— Alors, tu connais donc ces gens qui viennent ?

— Que trop, hélas !

— Qui sont-ils ?

— Je ne les ai pas vus, mais j’ai bien reconnu leurs voix. Oh ! ce sont des hommes à qui je ne confierais pas mon petit doigt. Tenez ! Maître Jean, je vais vous dire quelque chose, mais vous m’en garderez le secret. Je n’aime point à bavarder sur le compte d’autrui et encore moins sur celui de mes patrons. Mais si je vais jusque-là aujourd’hui, c’est pour que vous soyez en garde contre les deux individus en question. Ces deux individus sont des agents de Son Excellence, ce sont ses deux bras droits, pourrais-je dire, dans le trafic qu’entretient Son Excellences avec les Sauvages. Son Excellence fournit aux Sauvages des étoffes, des armes et… de l’eau-de-vie, et eux, les Sauvages, cèdent toutes leurs pelleteries à Son Excellence. Naturellement les Sauvages ne savent pas à qui vont leurs pelleteries, puisque ce sont ces deux hommes qui traitent directement et en leur nom avec eux, de sorte que Monsieur le Comte est blanc comme neige dans cette affaire et aux yeux de tout le monde. Seulement, moi, Maître Jean, j’ai surpris par hasard le secret et sans le vouloir. Ces deux agents de Monsieur le Comte sont deux vauriens, deux racailles, deux riboteurs de la pire espèce, et c’est connu. Et voici comment se font les affaires : Monsieur le Gouverneur leur confie une certaine quantité d’étoffes, d’armes et d’eau-de-vie, mais surtout de l’eau-de-vie, et nos escarpes s’en vont dans les campements d’Indiens. Vous comprenez que l’eau-de-vie à elle seule leur suffit pour rapailler toutes les pelleteries et quasi pour rien, et à leur retour le Gouverneur leur paye un bénéfice qu’ils dépensent ensuite à fêtailler. Assez souvent tous les deux partent mystérieusement et armés de pied en cap. Ils s’en vont par les bois et forêts. Ils reviennent au bout de deux ou trois mois et ont avec Son Excellence de longs entretiens. Sans doute qu’ils ont été fureter pour découvrir les plus beaux nids à pelleteries. Puis ils repartent sur un petit navire qui appartient à Monsieur le Gouverneur et dont le maître-batelier est à ses gages. Le navire est surtout chargé d’eau-de-vie de toutes sortes, puis il fait voile soit par en haut, soit par en bas. Quand plus tard il revient, parti qu’il était avec une cargaison d’eau-de-vie d’une valeur de pas moins de deux milles livres, il porte une cargaison de pelleteries valant pas moins de soixante mille livres.

— Oh ! oh ! fit Maître Jean, émerveillé et stupéfait, voilà donc pourquoi Monsieur de Frontenac soutient tant la traite de l’eau-de-vie et des pelleteries. Oh ! oh ! tu m’en diras tant, Flandrin.

— Il va de soi, reprit Flandrin Pinchot, qu’on ne saurait tenir rigueur à Monsieur le Comte pour son petit négoce ; car il est admis que son salaire est insuffisant à le faire vivre lui et sa maison, et il prend tout naturellement les moyens de vivre et de se faire un magot pour ses vieux jours. Et il y a encore ceci que je pense savoir, c’est que sa femme à la cour du roi mène grand jeu et qu’il lui faut un tas de monnaie pour se parer et s’attifer de manière à plaire aux galants. Je me suis laissé dire qu’elle est très belle, la comtesse, et qu’elle essaye d’avoir un peu de l’œil du roi. Naturellement, ça peut être des calomnies et des bavardages. Mais une chose certaine, ça doit lui prendre pas mal d’argent pour tenir son rang, comme on dit. Alors, il faut bien que son mari trouve de l’argent quelque part pour aider à la comtesse à tenir convenablement son rang. Il a trouvé le truc des pelleteries…

Maître Jean se mit à rire doucement et dit :

— Voilà une petite histoire, mon bon Flandrin, qui vaut bien son pesant d’or. Oh ! si ce bon Monsieur de Laval savait… N’est-ce pas que ce serait drôle ? très drôle même ?

— En effet, se mit à rire Flandrin à son tour, si Monseigneur l’évêque savait, lui qui ne cesse de se chamailler avec Son Excellence pour faire cesser ce commerce.

— Voyons, Flandrin, reprit Maître Jean redevenu sérieux, tu m’en apprends de belles, mais il ne s’agit pas de ces choses pour le moment. Je suis venu te demander une petite faveur.

— Je suis à votre service, Maître Jean.

— Eh bien ! écoute : je désire voir ce malandrin qu’on va pendre…

— Oh ! oh ! Maître Jean, s’écrit Flandrin en ouvrant des yeux énormes, je ne vous savais pas si curieux. Vous désirez…

— C’est vrai, interrompit le vieillard en reprenant son sourire placide, je me fais curieux en vieillissant, moi qui d’ordinaire ne le suis pas trop. Mais voilà une exécution si subite qu’elle m’émeut. Je vais te dire, Flandrin, je suis en train de faire certaines études sur la vie des malandrins, et j’aimerais à savoir ce qu’un condamné à mort pense et médite dans son cachot en attendant l’heure terrible. Ne penses-tu pas, Flandrin, que ces gens doivent souffrir d’une forte curieuse maladie de l’esprit et de l’intelligence pour vivre et agir à l’opposé des autres hommes ? Moi, je le crois et je suis très curieux d’étudier les symptômes de ce mal. Où est-il ce pauvre gueux ?

Flandrin était devenu tout pâle et tremblant, à la plus grande surprise de Maître Jean qui scrutait sa physionomie attentivement, comme s’il eût voulu savoir à l’avance si la faveur demandée avait chance d’être accordée.

De son côté aussi, Flandrin examinait la figure placide du vieillard, et il avait l’air de se demander si, derrière cette placidité, il n’y avait pas autre chose. Pourtant, il n’y avait rien de bien étonnant ni de bien dangereux pour personne dans la curiosité du visiteur. Et, cependant, Flandrin ne paraissait pas très disposé à se rendre à la demande que lui formulait un ami… un ami en qui jusqu’à ce jour il avait eu la plus entière confiance. Quoi ! regarder un malandrin enchaîné dans un cachot ! Quel mal ? Aucun. Mais pour Flandrin qui, sans doute, avait son idée, cela lui paraissait excessif, sinon dangereux.

Tout de même et tout en paraissant réfléchir, Flandrin répondit évasivement et sans indiquer lequel des six cachots, dont on voyait les portes de fer cadenassées, où gisait le malandrin :

— Là… dans ce cachot…

— Conduis-moi vite, Flandrin, mais garde-toi de prononcer mon nom !

Flandrin ne bougea pas. Il regardait toujours son visiteur. Au reste, ce « garde-toi de prononcer mon nom » venait de mettre très en éveil sa méfiance. Il allait parler, demander peut-être quelques explications, ou essayer de faire entendre à Maître Jean que la faveur demandée ne pouvait pas être accordée… lorsque, dans la porte de fer qui fermait cette salle basse, un heurt rude et sec retentit. En même temps une voix dure et impérative commandait :

— Ouvrez, capitaine Flandrin… ouvrez sur l’ordre de Son Excellence !

Flandrin sursauta, chancela et faillit bien tomber de tout son long.

— Nous sommes pris, balbutia-t-il à Maître Jean qui ne perdait pas son sourire : vous, pour avoir pénétré en ces lieux ; moi, pour avoir ouvert cette porte.

— Tu dis que nous sommes pris, Flandrin ? Allons donc ! nous ne le sommes pas encore, et nous ne le serons pas, puisque nous nous défendrons contre toute attaque quelconque. Va, Flandrin, ouvre cette porte et laisse entrer ces gentilshommes ; car, si je ne me trompe, ce sont ces deux vauriens dont tu m’as dit un mot.

— Ah ! oui, ce sont eux… ce sont trop eux ! murmura Flandrin qui ne cessait de chanceler sur ses hautes jambes guêtrées.

De l’autre côté de la porte on pouvait saisir cet échange de paroles :

— Pourtant, c’est bien la bonne porte, mon cher marquis…

— Frappez encore, mon cher duc…

— Marquis, je commence à croire que cet animal de Flandrin est en train de paillasser tout son soûl…

— Frappez toujours, duc, frappez sans répit…

Cette fois on ne frappait pas du poing, mais du pommeau d’une rapière. Décidément, la chose devenait grave.

— Ouvre ! ouvre ! Flandrin mon ami ! commanda encore Maître Jean de sa voix tranquille et avec ce sourire qui paraissait perpétuel.

Le maitre-geôlier se décida enfin à ouvrir la porte de fer.

Les deux personnages qui parurent avaient un air vraiment remarquable. C’étaient deux grands diables, plus grands que n’était Flandrin, et à charpente de colosse. Tous deux avaient le visage aussi cuivré que celui d’un Huron, et leurs yeux noirs et la similitude de traits comme la similitude de taille auraient pu les faire passer pour les deux frères… des frères jumeaux même. Par surcroît, ils étaient tous deux pareillement habillés quant à l’étoffe et quant à la couleur, et en les jugeant à l’habit on aurait pu les prendre pour des gentilshommes authentiques : larges feutres à plume, justaucorps de soie brune, jabot de dentelle et dentelle aux manches de l’habit, veste de satin rouge et culotte de soie grise avec bas bleus et souliers dits escarpins… Deux gentilshommes de l’antichambre du roi, aurait-on dit ! L’énorme perruque brune et bouclée et ondulée au fer chaud que chacun d’eux portait suffisait presque à donner à l’un l’air d’un marquis, à l’autre celui d’un duc. Enfin, l’un et l’autre étaient armés d’une longue et solide rapière chacun.

Lorsque la porte eut été ouverte, l’un de ces deux hommes dit en s’effaçant dans une légère courbette :

— Entrez, entrez, mon cher marquis…

— Je vous suis, mon cher duc, faisait l’autre.

Il y avait dans leur physionomie une ironie très mordante, et tous deux affectaient une hauteur dont eût été jaloux M. de Frontenac lui-même.

À la vue de Maître Jean, qui les observait d’un visage calme, ils s’arrêtèrent et feignirent la plus grande surprise.

— Ho ! ho ! fit l’un avec des yeux plus grands que la porte qu’ils venaient de franchir, je m’étais laissé dire que le malandrin qu’on va pendre ce soir était enfermé dans l’un de ces cachots !…

— Curieux et très étonnant, en effet, dit l’autre. Je parie que maître Flandrin s’apprêtait à lui donner la poudre d’escampette.

— Eh bien ! mon cher duc, avouez que nous sommes arrivés à temps !

— Messeigneurs, intervint Flandrin en se postant devant Maître Jean, c’est un ami… c’est Maître Jean Colonnier, un paisible citoyen que toute la ville aime et respecte.

— Ah ! ah ! mon cher marquis, ce Maître Jean, n’est-ce pas ce huguenot fanatique qui ne cesse de critiquer les gestes, faits et paroles et même les édits de Son Excellence ?

— Mais oui, duc… précisément !

— Pardon, messieurs, fit alors Maître Jean toujours avec son bon sourire et en s’avançant vers les deux hommes. Je vous demande pardon, messieurs, mais veuillez savoir que je ne critique jamais Son Excellence, ni ses faits et paroles et moins encore ses édits. Cela est si vrai que, après Sa Majesté le roi, il n’est point d’homme en ce monde que je respecte et admire plus que Monsieur le comte de Frontenac.

— Oh ! oh ! marquis, dites-moi si ne voilà pas un bourgeois qui prend des airs…

— Et qui parle avec des termes, duc ?

— Et un bourgeois que nous avons ordre de cadenasser dans l’une des salles basses…

— Messieurs, cria Flandrin que la colère commençait à échauffer…

— Tut ! tut ! capitaine Flandrin, interrompit brusquement l’un des deux croquants, rappelez-vous que vous venez de vous compromettre en introduisant ce huguenot en ces lieux malgré les défenses formelles de Son Excellence. Voyons ! mon ami, ajouta-t-il avec un sourire narquois et en prenant un bras de Maître Jean, venez avec nous !

— Moi, dit l’autre, je vous aiderai à porter votre belle canne !

Et il enleva à Maître Jean sa canne à pomme d’or.

Le vieillard ne perdait rien de sa sérénité.

Mais Flandrin était à bout de patience : il tira sa rapière et voulut s’opposer aux actes des deux individus.

L’un d’eux, celui qui avait pris la canne du vieillard et qui se laissait appeler « duc », tira aussitôt sa lame, et se rua contre Flandrin et manœuvra avec une telle rapidité que Flandrin, pris à l’improviste, ne put garder son arme : elle lui échappa de la main et tomba sur les dalles.

Le « duc » se mit à rire :

— Hé ! hé ! hé !… monsieur le capitaine Flandrin, que n’apprenez-vous à manier flamberge avant de vous l’accrocher au côté ?

Et les deux agents, en riant aux plus grands éclats, entraînèrent Maître Jean et refermèrent la porte de fer, laissant Flandrin seul et honteux.

Les trois hommes traversèrent la salle d’armes, puis le corridor. L’un des agents du gouverneur indiqua une porte de chêne bardée de fer, l’ouvrit et s’écarta. L’autre poussa vivement Maître Jean dans une salle basse vide, obscure et froide. La porte fut refermée et cadenassée.

— Voilà, dit l’individu qui s’intitulait « marquis », les ordres de Son Excellence proprement exécutés !

— Et quant à nous, dit le « duc », il est à peu près l’heure, il me semble, que nous allions vider quelques carafons d’eau-de-vie.

— Tu as raison, duc. Et puis, moi, j’ai hâte de montrer ma belle canne à pomme d’or à notre Rosalinde…

Ils s’en allèrent par l’escalier du corridor.