L’Île de la raison/Acte III
Acte III
modifierScène première
modifierLA COMTESSE, FLORIS, LE COURTISAN, FONTIGNAC, SPINETTE, BLAISE
Oui, mon frère, rendez-vous aux exemples qui vous frappent ; vous nous voyez tous rétablis dans l’état où nous étions ; cela ne doit-il pas vous persuader ? Moi qui vous parle, voyez ce que je suis aujourd’hui ; reconnaissez-vous votre sœur à l’aveu franc qu’elle a fait de ses folies ? M’auriez-vous cru capable de ce courage-là ? Pouvez-vous vous empêcher de l’estimer, et ne me l’enviez-vous pas vous-même ?
Eh ! morgué, il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour nous admirer, sans compter que velà Mademoiselle qui est la propre fille du Gouverneur et qui n’attend que la revenue de votre parsonne pour vous entretenir de vos beaux yeux : ce qui vous sera bian agriable à entendre.
Oui, donnez-moi la joie de vous voir comme je m’imagine que vous serez. Sortez de cet état indigne de vous, où vous êtes comme enseveli.
Si vous savez le plaisir qui vous attend dans le plus profond de vous-même !
Velà noute médecin de guari ; il en embrasse tout le monde ; il est si joyeux, qu’il a pensé étouffer un passant. Quand est-ce donc que vous nous étoufferez itou ? Il n’y a pus que vous d’ostiné, avec ce faiseur de vars, qui est rechuté, et ce petit glorieux de phisolophe, qui est trop sot pour s’amender, et qui raisonne comme une cruche.
Allons, mon frère, n’hésitez plus, je vous en conjure.
Il en faut venir là, Monsieur. Il n’y a pas moyen de faire autrement.
Quelle situation !
Que faire à ça ? Quand je songe que voute sœur a bian pu endurer l’avanie que je li avons faite ; la velà pour le dire. Demandez-li si je l’avons marchandée, et tout ce qu’alle a supporté dans son pauvre esprit, et les bêtises dont je l’avons blâmée ; demandez-li le houspillage.
Eh bien ! nous en croirez-vous ?
Ah ! Madame, quel événement ! je vous demande en grâce de vouloir bien me laisser un moment avec Fontignac.
Oui, mon frère, nous allons vous quitter ; mais, au nom de notre amitié, ne résistez plus.
Blaise, né vous éloignez pas, pour mé prêter main-forte si j’en ai bésoin.
Non, je rôderons à l’entour d’ici.
Scène II
modifierLE COURTISAN, FONTIGNAC
Je t’avoue, Fontignac, que je me sens ébranlé.
Jé lé crois : la raison et vous, dans lé fond, vous n’êtes vrouillés qué faute dé vous entendre.
Est-il vrai que ma sœur est convenue de toutes les folies dont elle parle ?
L’histoiré rapporte qu’elle en a fait l’aveu d’une manière exemplaire, en vérité.
Elle qui était si glorieuse, comment a-t-elle souffert cette confusion-là ?
On dit en effet qué son âme d’abord était en travail. Grand nombre d’exclamations : où en suis-je ? On rougissait. Il est venu des larmes, un peu dé découragément, dé pétites colères brochant sur le tout. La vanité défendait le logis ; mais enfin la raison l’a serrée dé si près, qu’elle l’a, comme on dit, jetée par les fenêtres, et jé régarde déjà la vôtre commé sautée.
Mais dis-moi de quoi tu veux que je convienne ; car voilà mon embarras.
Jé vous fais excuse ; vous êtes fourni ; votre emvarras né peut vénir qué dé l’avondancé du sujet.
Moi, je ne me connais point de ces faiblesses, de ces extravagances dont on peut rougir ; je ne m’en connais point.
Eh bien ! jé vous mettrai en pays dé connaissance !
Vous plaisantez, sans doute, Fontignac ?
Moi, plaisanter dans lé ministère qué j’exerce, quand il s’agit dé guérir un avugle ! Vous n’y pensez pas.
Où est-il donc cet aveugle ?
Monsieur, avrégeons ; la vie est courte ; parlons d’affaire.
Ah ! tu m’inquiètes. Que vas-tu me dire ? Je n’aime pas les critiques.
Jé vous prends sur lé fait. Actuellément vous préludez par une petitesse. Il en est dé vous commé dé ces vases trop pleins ; on né peut les rémuer qu’ils né répandent.
Voudriez-vous bien me dire quelle est cette faiblesse par laquelle je prélude ?
C’est la peur qué vous avez qué jé né vous épluche. N’avez-vous jamais vu d’enfant entre les bras dé sa nourrice ? Connaissez-vous lé hochet dont elle agite les grelots pour réjouir lé poupon avecqué la chansonnette ? Qué vous ressemvlez bien à cé poupon, vous autres grands seignurs ! Régardez ceux qui vous approchent, ils ont tous lé hochet à la main ; il faut qué lé grélot joue, et qué sa chansonnette marché. Vous mé régardez ? Qué pensez-vous ?
Que vous oubliez entièrement à qui vous parlez.
Eh ! cadédis, quittez la bavette ; il est bien temps qué vous soyez sévré.
Voilà un faquin que je ne reconnais pas. Où est donc le respect que tu me dois ?
Lé respect qué vous démandez, voyez-vous, c’est lé sécouement du grélot ; mais j’ai perdu lé hochet.
Misérable !
Plus dé quartier, sandis. Quand un homme a lé bras disloqué, né faut-il pas lé rémettre ? Céla s’en va-t-il sans doulur ? et né va-t-on pas son train ? Cé n’est pas le bras à vous, c’est la tête qu’il faut vous rémettre ! tête dé coutisan, cadédis, qué jé vous garantis aussi disloquée à sa façon, qu’aucun bras lé peut être. Vous criérez : mais jé vous aime, et jé vous avertis qué jé suis sourd.
Si j’en croyais ma colère…
Eh ! cadédis, qu’en feriez-vous ? Lé moucheron à présent vous combattrait à force égale.
Retirez-vous, insolent que vous êtes, retirez-vous.
Pour lé moins entamons lé sujet.
Laissez-moi, vous dis-je ; mon plus grand malheur est de vous voir ici.
Scène III
modifierLE COURTISAN, FONTIGNAC, BLAISE
Queu tintamarre est-ce que j’entends là ? En dirait d’un papillon qui bourdonne. Qu’avez-vous donc qui vous fâche ?
C’est ce coquin que tu vois qui vient de me dire tout ce qu’il y a de plus injurieux au monde.
Fontignac et Blaise se font des mines d’intelligence.
Qui, li ?
Hélas ! maîtré Blaise, vous savez lé dessein qué j’avais. Monsieur a cru qué jé l’avais piqué, quand jé né faisais encore qu’approcher ma lancetté pour lui tirer lé mauvais sang que vous lui connaissez.
C’est qu’ou êtes un maladroit ; il a bian fait de retirer le bras.
La vue de cet impudent-là m’indigne.
Jarnigué ! et moi itou. Il li appartient bian de fâcher un mignard comme ça, à cause qu’il n’est qu’un petit bout d’homme. Eh bian, qu’est-ce ? Moyennant la raison, il devianra grand.
Eh ! je t’assure que ce n’est pas la raison qui me manque.
Eh ! morgué, quand alle vous manquerait, j’en avons pour tous deux, moi ; ne vous embarrassez pas.
Quoi qu’il en soit, je te suis obligé de vouloir bien prendre mon parti.
Tenez, il m’est obligé, ce dit-il. Y a-t-il rian de si honnête ? Il n’est déjà pus si glorieux comme dans ce vaissiau où il ne me regardait pas. Morgué, ça me va au cœur : allons, qu’en se mette à genoux tout à l’heure pour li demander pardon, et qu’an se baisse bian bas pour être à son niviau.
Qu’il ne m’approche pas.
Mais, malheureux ; que li avez-vous donc dit, pour le rendre si rancunier ?
Il né m’a pas donné lé temps, vous dis-je. Quand vous êtes vénu, jé né faisais que peloter ; jé lé préparais.
Faut que j’accomode ça moi-même ; mais comme je ne savons pas voute vie, je le requiens tant seulement pour m’en bailler la copie. Vous le voulez bian ? Je manierons ça tout doucettement, à celle fin que ça ne vous apporte guère de confusion. Allons, Monsieur de Fontignac, s’il y a des bêtises dans son histoire, qu’en les raconte bian honnêtement. Où en étiez-vous ?
Je ne saurais souffrir qu’il parle davantage.
Je ne prétends pas qu’il vous parle à vous, car il n’en est pas daigne ; ce sera à moi qu’il parlera à l’écart.
J’allais tomber sur les emprunts dé Monsieur.
Et que t’importent mes emprunts, dis ?
Ne faites donc semblant de rian. (À Fontignac.) Vous rapportez des emprunts : qu’est-ce que ça fait, pourvu qu’on rende ?
Sans doute ; mais il était trop généreux pour payer ses dettes.
Tenez, cet étourdi qui reproche aux gens d’être généreux !(Au Courtisan.) Stapendant je n’entends pas bian cet acabit de générosité-là ; alle a la phisolomie un peu friponne.
Je ne sais ce qu’il veut dire.
Jé m’expliqué : c’est qué Monsieur avait lé cœur grand.
Le cœur grand ! Est-ce que tout y tenait ? le bian de son prochain et le sian ?
Tout juste. Les grandes âmes donnent tout, et né restituent rien, et la noblessé dé la sienne étouffait sa justice.
Eh ! j’aimerais mieux que ce fût la justice qui eût étouffé la noblesse.
D’autant plus qué cetté noblesse est cause qué l’on rafle la tavlé dé ses créanciers pour entréténir la magnifience dé la sienne.
Qu’est-ce que c’est que cette avaleuse de magnificence ? ça ressemble à un brochet dans un étang. Vous n’avez pas été si méchamment goulu que ça, peut-être ?
J’ai fait tout ce que j’ai pu pour éviter cet inconvénient-là.
Hum ! vous varrez qu’ou aurez grugé queuque poisson.
Là-bas si vous l’aviez vu caresser tout lé monde, et verbiager des compliments, promettré tout et né ténir rien !
J’entends tout ce qu’il dit.
C’est qu’il parle trop haut. Il me chuchote qu’ou étiez un donneur de galbanum1 ; mais il ne sait pas qu’ou l’entendez.
Qué dités-vous dé ces gens qui n’ont qué des mensonges sur lé visage ?
Morgué ! je vous en prie, ne portez plus comme ça des bourdes sur la face.
Des gens dont les yeux ont pris l’arrangement dé dire à tout lé monde : jé vous aime ?…
Ça est-il vrai que vos yeux ont arrangé de vendre du noir2 ?
Des gens enfin qui, tout en emvrassant lé suvalterne, né lé voient seulement pas. Cé sont des caresses machinales, des bras à ressort qui d’eux-mêmes viennent à vous sans savoir cé qu’ils font.
Ahi ! ça me fâche. Il dit qué vos bras ont un ressort avec lequeul ils embrassont les gens sans le faire exprès. Cassez-moi ce ressort-là ; en dirait d’un torne-broche quand il est monté.
Cé sont des paroles qui leur tombent dé la bouche ; des ritournelles, dont cependant l’inférieur va sé vantant, et qui lui donnent lé plaisir d’en devenir plus sot qu’à l’ordinaire.
Velà de sottes gens que ces sots-là ! Qu’en dites-vous ? A-t-il raison ?
Que veux-tu que je lui réponde, dès qu’il a perdu tout respect pour un homme de ma condition ?
Morgué, Monsieur de Fontignac, ne badinez pas sur la condition.
Jé né parle qué dé l’homme, et non pas du rang.
Ah ! ça est honnête, et vous devez être content de la diffarance ; car velà, par exemple, un animal chargé de vivres : et bian ! les vivres sont bons, je serais bian fâché d’en médire ; mais de ceti-là qui les porte, il n’y a pas de mal à dire que c’est un animal, n’est-ce pas ?
Si Monsieur lé permettait, jé finirais par lé récit dé son amitié pour ses égaux.
De l’amiquié ? oui-da, baillez-li cette libarté-là, ça vous ravigotera.
Un jour vous vous trouviez avec un dé ces Messieurs. Jé vous entendais vous entréfriponner tous deux. Rien dé plus affétueux qué vos témoignages d’affétion réciproque. Jé tâchai dé réténir vos paroles, et j’en traduisis un pétit lamveau. Sandis ! lui disiez-vous, jé n’estime à la cour personne autant qué vous ; jé m’en fais fort, jé lé dis partout, vous devez lé savoir ; cadédis, j’aime l’honnur, et vous en avez. De ces discours en voici la traduction : maudit concurrent dé ma fortune, jé té connais, tu né vaux rien ; tu mé perdrais si tu pouvais mé perdre, et tu penses qué j’en ferais dé même. Tu n’as pas tort ; mais né lé crois pas, s’il est possible. Laissé-toi duper à mes expressions. Jé mé travaille pour en trouver qui té persuadent, et jé mé montre persuadé des tiennes. Allons, tâche dé mé croire imvécile, afin dé lé dévenir à ton tour ; donné-moi ta main, qué la mienne la serre. Ah ! sandis, qué jé t’aime ! Régarde mon visage et touté la tendressé dont jé lé frelate. Pense qué jé t’affétionne, afin dé né mé plus craindre. Dé grâce, maudit fourbe, un peu dé crédulité pour ma mascarade. Permets qué jé t’endorme, afin qué jé t’en égorge plus à mon aise.
Tout ça ne voulait donc dire qu’un coup de coutiau ? Ou avez donc le cœur bien traîtreux, vous autres !
Aujourd’hui il dit du mal de moi ; autrefois il faisait mon éloge.
Ah ! lé fourbe qué j’étais ! Monsieur, jé les ai pleuré ces éloges, jé les ai pleuré, lé coquin vous louait, et né vous en estimait pas davantagé.
Ça est vrai, il m’a dit qu’il vous attrapait comme un innocent.
Jé vous berçais, vous dis-jé. Jé vous voyais affamé dé dupéries, vous en démandiez à tout le monde : donnez-m’en. Jé vous en donnais, jé vous en gonflais, j’étais à même : la fiction mé fournissait mes matières ; c’était lé moyen dé n’en pas manquer.
Ah ! que viens-je d’entendre ?
Cet emvarras qui lé prend serait-il l’avant-coureur de la sagesse ?
Faut savoir ça. (Au Courtisan.) Voulez-vous à cette heure qu’il vous demande pardon ? Êtes-vous assez robuste pour ça ?
Non, il n’est plus nécessaire. Je ne le trouve plus coupable
Tout de bon ? (À Fontignac.) Chut ! ne dites mot ; regardez aller sa taille, alle court la poste. Ahi ! encore un chiquet ; courage ! Que ces courtisans ont de peine à s’amender ! Bon ! le velà à point : velà le niviau. (Il le mesure avec lui.)
Fontignac, et toi, mon ami Blaise, je vous remercie tous deux.
Oh ! oh ! vous vous amendiez donc en tapinois ? Morgué ! vous revenez de loin !
Sandis ; j’en suis tout extasié ; il faut qué jé vous quitte, pour en porter la nouvelle à la fille du Gouvernur.
C’est bian dit, courez toujours. (Au Courtisan.) Alle vous aimera comme une folle.
Scène IV
modifierLE COURTISAN, BLAISE, BLECTRUE, LE POÈTE, LE PHILOSOPHE
Arrête ! arrête !
Le Courtisan se saisit du Philosophe et Blaise du Poète.D’où viant donc ce tapage-là ?
C’est une chose qui mérite une véritable compassion. Il faut que les dieux soient bien ennemis de ces deux petites créatures-là ; car ils ne veulent rien faire pour elles.
Quoi ! vous, Monsieur le philosophe, vous, plus incapable que nous de devenir raisonnable, pendant qu’un homme de cour, peut-être de tous les hommes le plus frappé d’illusion et de folie, retrouve la raison ? Un philosophe plus égaré qu’un courtisan ! Qu’est-ce que c’est donc qu’une science où l’on puise plus de corruption que dans le commerce du plus grand monde ?
Monsieur, je sais le cas qu’un courtisan en peut faire : mais il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de cet impertinent-là qui a l’audace de faire des vers où il me satirise.
Si vous appelez cela des vers, il en a fait contre nous tous en forme de requête, qu’il adressait au Gouverneur, en lui demandant sa liberté ; et j’y étais moi-même accommodé on ne peut pas mieux.
Misérable petit faiseur de varmine ! C’est un var qui en fait d’autres mais morgué ! que vous avais-je fait pour nous mettre dans une requête qui nous blâme ?
Moi, je ne vous veux pas de mal.
Pourquoi donc nous en faites-vous ?
Point du tout ; ce sont des idées qui viennent et qui sont plaisantes ; il faut que cela sorte ; cela se fait tout seul. Je n’ai fait que les écrire, et cela aurait diverti le Gouverneur, un peu à vos dépens, à la vérité ; mais c’est ce qui en fait tout le sel ; et à cause que j’ai mis quelque épithète un peu maligne contre le Philosophe, cela l’a mis en colère. Voulez-vous que je vous en dise quelques morceaux ? Ils sont heureux.
Poète insolent !
Il faut que mon épigramme soit bonne, car il est bien piqué.
Faire des vers en cet état-là ! cela n’est pas concevable.
Faut que ce soit un acabit d’esprit enragé.
Ils se battront, si on les lâche.
Vraiment je suis arrivé comme ils se battaient ; j’ai voulu les prendre, et ils se sont enfui : mais je vais les séparer et les remettre entre les mains de quelqu’un qui les gardera pour toujours. Tout ce qu’on peut faire d’eux, c’est de les nourrir, puisque ce sont des hommes, car il n’est pas permis de les étouffer. Donnez-moi-les, que je les confie à un autre.
Qu’est-ce que cela signifie ? Nous enfermer ? je ne le veux point.
Tenez, ne velà-t-il pas un homme bian peigné pour dire : je veux !
Ah ! tu parles, toi, manant. Comment t’es-tu guéri ?
En devenant sage. (Aux autres.) Laissez-nous un peu dire.
Et qu’est-ce que c’est que cette sagesse ?
C’est de n’être pas fou.
Mais je ne suis pas fou, moi ; et je ne guéris pourtant pas.
Ni ne guériras.
Taisez-vous, petit sarpent. (Au Philosophe.) Vous dites que vous n’êtes pas fou, pauvre rêveux : qu’en savez-vous si vous ne l’êtes pas ? Quand un homme est fou, en sait-il queuque chose ?
Fort bien.
Fort mal ; car ce manant est donc fou aussi.
Eh ! pourquoi ça ?
C’est que tu ne crois pas l’être.
Eh bian ! morgué, me velà pris ; il a si bian ravaudé ça que je n’y connais pus rian ; j’ons peur qu’il ne me gâte.
Crois-moi, ne te joue point à lui. Ces gens-là sont dangereux.
C’est pis que la peste. Emmenez ce marchand de çarvelle, et fourrez-moi ça aux Petites-Maisons ou bian aux Incurables.
Comment, on me fera violence ?
Allons, suivez-moi tous deux.
Un poète aux Petites-Maisons !
Eh ! pargué, c’est vous mener cheux vous.
Plus de raisonnement, il faut qu’on vienne.
Ça fait compassion. (Au Courtisan, à part.) Tenez-vous grave, car j’aparçois la damoiselle d’ici qui vous contemple. Souvenez-vous de voute gloire, et aimez-la bian fiarement.
Scène V
modifierFLORIS, LE COURTISAN, BLAISE
Enfin, le ciel a donc exaucé nos vœux.
Vous le voyez, Madame.
Ah ! c’était biau à voir !
Que vous êtes aimable de cette façon-là !
Je suis raisonnable, et ce bien-là est sans prix ; mais, après cela, rien ne me flatte tant, dans mon aventure, que le plaisir de pouvoir vous offrir mon cœur.
Ah ! nous y velà avec son cœur qui va bailler… Apprenez-li un peu son devoir de criauté.
De quoi ris-tu donc ?
De rian, de rian ; vous en aurez avis. Dites, Madame ; je m’arrête ici pour voir comment ça fera.
Vous m’offrez votre cœur, et c’est à moi à vous offrir le mien.
Je me rappelle en effet d’avoir entendu parler ma sœur dans ce sens-là. Mais en vérité, Madame, j’aurais bien honte de suivre vos lois là-dessus : quand elles ont été faites, vous n’y étiez pas ; si on vous avait vue, on les aurait changées.
Tarare ! on en aurait vu mille comme elle, que ça n’aurait rian fait. Guarissez de cette autre infirmité-là.
Je vous conjure, par toute la tendresse que je sens pour vous, de ne me plus tenir ce langage-là.
Ça nous ravale trop : je sommes ici la force, et velà la faiblesse.
Souvenez-vous que vous êtes un homme, et qu’il n’y aurait rien de si indécent qu’un abandon si subit à vos mouvements. Votre cœur ne doit point se donner ; c’est bien assez qu’il se laisse surprendre. Je vous instruis contre moi ; je vous apprends à me résister, mais en même temps à mériter ma tendresse et mon estime. Ménagez-moi donc l’honneur de vous vaincre ; que votre amour soit le prix du mien, et non pas un pur don de votre faiblesse : n’avilissez point votre cœur par l’impatience qu’il aurait de se rendre ; et pour vous achever l’idée de ce que vous devez être, n’oubliez pas qu’en nous aimant tous deux, vous devenez, s’il est possible, encore plus comptable de ma vertu que je ne la suis moi-même.
Pargué ! vélà des lois qui connaissont bian la femme, car ils ne s’y fiont guère.
Il faut donc se rendre à ce qui vous plaît, Madame ?
Oui, si vous voulez que je vous aime.
Si je le veux, Madame ? mon bonheur…
Arrêtez, de grâce, je sens que je vous mépriserais.
Tout bellement ; tenez voute amour à deux mains : vous allez comme une brouette.
Vous me forcerez à vous quitter.
J’en serais bien fâché.
Que ne dites-vous que vous en serez bien aise ?
Je ne saurais parler comme cela.
Vous ne sauriez donc vous vaincre ? Adieu, je vous quitte ; mon penchant ne serait plus raisonnable.
Ne vélà-t-il pas encore une taille qui va dégringoler ?
Madame, écoutez-moi : quoique vous vous en alliez, vous voyez bien que je ne vous arrête point ; et assurément vous devez, ce me semble, être contente de mon indifférence. Quand même vous vous en iriez tout à fait, j’aurais le courage de ne vous point rappeler.
Cette indifférence-là ne me rebute point ; mais je ne veux point la fatiguer à présent, et je me retire.
Scène VI
modifierLE COURTISAN, BLAISE
Ah !
Ne bougez pas ; consarvez voute dignité humaine ; aussi bian, je vous tians par le pourpoint.
Mais, mon cher Blaise, elle est pourtant partie.
Qu’alle soit ; alle a d’aussi bonnes jambes pour revenir que pour s’en aller.
Si tu savais combien je l’aime !
Ah ! je vous parmets de me conter ça à moi, et il n’y a pas de mal à l’aimer en cachette ; ça est honnête ; et mêmement ils disont ici que pus en aime sans le dire, et pus ça est biau ; car en souffre biaucoup, et c’est cette souffrance-là qui est daigne de nous, disont-ils. Cheux nous les femmes de bian ne font pas autre chose. N’avons-je pas une maîtresse itou, moi ? une jolie fille, qui me poursuit avec des civilités et de petits mots qui sont si friands ? Mais, morgué, je me tians coi. Je vous la rabroue, faut voir ! Alle n’aura la consolation de me gagner que tantôt. Morgué ! tenez, je l’aparçois qui viant à moi. Je vas tout à cette heure vous enseigner un bon exemple. Je sis pourtant affollé d’elle. Stapendant, regardez-moi mener ça. Voyez la suffisance de mon comportement. Boutez-vous : là, sans mot dire.
Scène VII
modifierLE COURTISAN, BLAISE, FONTIGNAC, L’INSULAIRE
Permettez, Monsieur, qué jé parle à Blaise, et lui présente une réquête dont voici lé sujet. (En montrant l’insulaire.)
Ah ! ah ! Monsieur de Fontignac, ou êtes un fin marle, vous voulez me prendre sans vart3. Eh bian ! le sujet de voute requête, à quoi prétend-il !
D’abord à votre cœur, ensuite à votre main.
Voilà ce que c’est.
C’est coucher bien gros tout d’une fois. Voilà bian des affaires. Traite-t-on du cœur d’un homme comme de ceti-là d’une femme ? faut bian d’autres çarimonies.
Jé mé suis pourtant fait fort dé votré consentement.
J’ai compté sur l’amitié que vous avez pour Fontignac.
Oui ; mais voute compte n’est pas le mian : j’avons une autre arusmétique.
Né vous en défendez point. Il est temps qué votre modestie cède la victoire. Jé sais qu’ellé vous plaît, cetté tendre et charmante fille.
Eh ! mais, en vérité, taisez-vous donc, vous n’y songez pas. Il me viant des rougeurs que je ne sais où les mettre.
Mon dessein n’est pas de vous faire de la peine : et s’il est vrai que vous ne puissiez avoir du retour…
Je ne dis pas ça.
Achévons donc. Qué tant dé mérite vous touche !
En avez-vous assez vu ? Ça commence à me rendre las. Je vais signer la requête.
Finis.
L’ami Blaise, j’entends qué Monsieur vous encourage.
Morgué ! il n’y a donc pus de répit ; ou êtes bian pressée, ma mie ?
N’est-ce pas assez disputer ?
Eh bian ! ce cœur, pisque vous le voulez tant, ou avez bian fait de le prendré, car, jarnicoton ! je ne vous l’aurais pas baillé.
Me voilà contente.
Tant mieux. Mais ne causons pus ; velà une autre amoureuse qui viant. (Au Courtisan.) Préparez-li une bonne moue, et regardez-moi-la par-dessus les épaules.
Scène VIII
modifierLE COURTISAN, BLAISE, FONTIGNAC, L’INSULAIRE, FLORIS
Je reviens. Je n’étais sortie que pour vous éprouver, et vous n’avez que trop bien soutenu cette épreuve. Votre indifférence même commence à m’alarmer.
Le Courtisan la regarde sans rien dire.
Vous n’êtes pas encore si malade.
Faites-moi la grâce de me répondre.
J’aurais peur de finir vos alarmes, que je ne hais point.
Ça est bon ; ça tire honnêtement à sa fin.
Mes alarmes que vous ne haïssez point ? Expliquez-vous plus clairement.
Le Courtisan la regarde sans répondre.
Morgué ! velà des yeux bian clairs !
Ils me disent que vous m’aimez.
C’est qu’ils disent ce qu’ils savent.
Cé sont des échos.
Les en avouez-vous ?
Vous le voyez bien.
Ça est donc bâclé ?
Oui, cela est fait : en voilà assez ; et je me charge du reste auprès de mon père.
Vous n’irez pas lé chercher, car il entre.
Scène IX
modifierLE GOUVERNEUR, PARMENÈS, FLORIS, L’INSULAIRE, LE COURTISAN, LA COMTESSE, FONTIGNAC, SPINETTE, LE PAYSAN
Oui, Seigneur, mettez le comble à vos bienfaits : je vous ai mille obligations ; joignez-y encore la grâce de m’accorder votre fils.
Vous lui faites honneur, et je suis charmé que vous l’aimiez.
Tendrement.
En rirait bian dans noute pays de voir ça.
Mais c’est pourtant à vous à décider, mon fils ; aimez-vous Madame ?
Oui, mon père.
J’ai besoin de la même grâce, mon père, et je vous demande Alvarès.
Je consens à tout. (En montrant Spinette.) Et cette jolie fille ?
Je vas faire son compte. (À Fontignac.) Vous m’avez tantôt présenté une requête, Fontignac ; je vous la rends toute brandie pour noute amie Spinette. Que dites-vous à ça ?
Jé rougis sous lé chapeau.
Ça veut dire : tope. Où est donc le notaire pour tous ces mariages, et pour écrire le contrat ?
Nous n’en avons point d’autre ici que la présence de ceux devant qui on se marie. Quand on a de la raison, toutes les conventions sont faites. Puissent les dieux vous combler de leurs faveurs ! Quelqu’uns de vos camarades languissent encore dans leur malheur ; je vous exhorte à ne rien oublier pour les en tirer. L’usage le plus digne qu’on puisse faire de son bonheur, c’est de s’en servir à l’avantage des autres. Que des fêtes à présent annoncent la joie que nous avons de vous voir devenus raisonnables.