L’Éveil (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 163-164).


L’ÉVEIL


 
Le coq dressé claironne et les poules picorent
Là-bas, où les fourmis montent du sol obscur ;
Une abeille dans le soleil frôle les murs,
Cherchant les fleurs de mai qui n’y sont point encore.

Un corbeau jette un cri rauque ; c’est son adieu ;
Il fuit, ailes en deuil, vers les plaines baltiques ;
La Flandre, ardente et prête aux besognes rustiques,
Avec toutes ses mains, sème sous le ciel bleu.

Le trèfle et la luzerne et le froment et l’orge
Glissent en miettes d’or dans les sillons profonds,
Et l’alouette, oiseau de bel espoir, répond
Au bel espoir que tout semeur, dûment, se forge.


Pour la première fois, depuis les jours rugueux,
Au long des prés, les grands troupeaux descendent boire ;
Les veaux, qui n’ont encor quitté l’étable noire,
L’œil ébloui, butent du front contre les pieux.

Des vols de pigeons blancs creusent comme une ornière
De bruits sifflants et haletants dans le vent clair ;
La vie au fond du sol, la vie au fond de l’air,
Se tisse avec des rais de pluie et de lumière.