L’Écolier, le Pédant, et le Maître d’un jardin


Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinQuatrième partie : livres ix, x, xi (p. 25-28).

V.

L’Ecolier, le Pedant, & le Maiſtre d’un Jardin



Certain enfant qui ſentoit ſon College,
Doublement ſot, & doublement fripon,

Par le jeune âge, & par le privilege
Qu’ont les Pedants de gaſter la raiſon,
Chez un voiſin dérobait, ce dit-on,
Et fleurs & fruits. Ce voiſin en Automne
Des plus beaux dons que nous offre Pomone
Avoit la fleur, les autres le rebut.
Chaque ſaiſon apportoit ſon tribut :
Car au Printemps il joüiſſoit encore
Des plus beaux dons que nous preſente Flore.
Un jour dans ſon jardin il vid noſtre Écolier,
Qui grimpant ſans égard ſur un arbre fruitier,
Gaſtoit juſqu’aux boutons ; douce & freſle eſperance,

Avant-coureurs des biens que promet l’abondance.
Meſme il ébranchoit l’arbre, & fit tant à la fin
Que le poſſeſſeur du jardin
Envoya faire plainte au maiſtre de la Claſſe.
Celuy-cy vint ſuivy d’un cortege d’enfans.
Voila le verger plein de gens
Pires que le premier. Le Pedant de ſa grace,
Accrut le mal en amenant
Cette jeuneſſe mal inſtruite :
Le tout, à ce qu’il dit, pour faire un chaſtiment
Qui pûſt ſervir d’exemple ; & dont toute ſa ſuite
Se ſouvinſt à jamais comme d’une leçon.
Là-deſſus il cita Virgile & Ciceron,
Avec force traits de ſcience.
Son diſcours dura tant que la maudite engeance

Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.
Je hais les pieces d’eloquence
Hors de leur place, & qui n’ont point de fin ;
Et ne ſçais beſte au monde pire
Que l’Ecolier, ſi ce n’eſt le Pedant.
Le meilleur de ces deux pour voiſin, à vray dire,
Ne me plairoit aucunement.