Alfred Mame et fils (p. 39-45).


§ 14

Comment l’humanité pourrait sortir du cercle vicieux de prospérité et de souffrance.


Dans tous les temps, comme je viens de l’indiquer, l’invasion de la souffrance a lieu tôt ou tard chez les nations compliquées. C’est notamment ce qui arriva en France aux xie et xiie siècles siècles de l’ère moderne. À cette époque la défaillance se manifestait surtout dans le clergé (R. s., 14, I), tandis que les riches et les gouvernants conservaient en partie l’esprit de violence de leurs ancêtres et continuaient à enfreindre le Ve commandement. Une innovation fut alors tentée pour accomplir la réforme : l’Université de Paris fut fondée (1200) pour l’enseignement public de la religion et des sciences qui s’y rapportent. De grands résultats furent obtenus ; mais, après deux alternances principales de prospérité et de souffrance, le mal est maintenant plus développé que jamais. Le clergé est revenu au bien sous la pression des épreuves qu’il a subies, tandis que les riches et les gouvernants, infidèles pour la plupart à la pratique du Décalogue, laissent la population privée en grande partie du pain quotidien.

Guidée par les récentes découvertes des historiens et des vrais savants, voués à l’étude des sciences physiques, l’École de la paix sociale crée, depuis 1855, un enseignement qui répond au besoin actuel de réforme, en tenant compte à la fois des préjugés que l’opinion dominante oppose aux préceptes de la religion, et de la supériorité qu’elle attribue aux démonstrations fournies par les sciences de la nature. Elle propage une méthode qui a été signalée comme un modèle par l’Académie des sciences, et qui permet à chacun de constater lui-même les causes éternelles de la prospérité et de la souffrance des sociétés. Cette méthode est le fruit d’un travail de vingt-six années. Elle a été appliquée pendant le même laps de temps par beaucoup de personnes. Toujours elle a fait naître chez celles-ci les convictions auxquelles conduit aussi l’étude impartiale de l’histoire.

Cet enseignement n’a été donné jusqu’à ce jour, par les maîtres de l’École, que dans le cercle de la vie privée. J’ai indiqué dans la Bibliothèque sociale les motifs qui le rendent digne de figurer dans un établissement public, où seraient réunies toutes les sciences fondées sur la méthode d’observation (C. e., VI, 10). Quant aux réformes signalées par la méthode aux maîtres de l’École, elles sont indiquées dans l’ensemble de la Bibliothèque et notamment dans les Ouvriers européens. Celle qui a spécialement pour objet la pénurie actuelle du pain quotidien est mentionnée dans la plus récente publication, la Constitution essentielle de l’humanité (C. e., V, 13).

Selon les enseignements de l’histoire, les grands empires qui se sont successivement constitués après ceux de l’ancienne Égypte, ont tous offert les mêmes caractères. Ils ont pris naissance et se sont développés dans la région tempérée de l’hémisphère boréal. Au contraire, ils ont été dans tous les temps à peine représentés dans la région tempérée de l’hémisphère austral. Après quelques alternances de souffrance et de prospérité ou, en d’autres termes, de corruption et de réforme, ils sont enfin tombés dans une décadence irrémédiable et ont donné le spectacle d’une ruine complète. Seules, quelques régions chaudes de l’Asie, la Chine et le Bengale, par exemple, ont joui d’une prospérité exceptionnelle sous des souverainetés ayant leur principal siège dans la région tempérée de l’hémisphère boréal. Il ne semble pas que des faits analogues se soient produits dans les régions chaudes de l’Afrique et de l’Amérique.

Les ouvrages qui constituent la Bibliothèque sociale (§ 16), et spécialement les passages cités dans le présent paragraphe, démontrent que la répartition de la prospérité et de la souffrance offre de nos jours des caractères analogues à ceux du passé. Les quatre grands empires de l’époque actuelle se développent encore presque exclusivement dans la région tempérée de l’hémisphère boréal ; ils sont à peine représentés par quelques territoires dans l’hémisphère austral. Certains faits, qui se produisent maintenant sous l’influence des idées européennes en Angleterre, en Russie et aux États-Unis, donnent lieu de craindre que ces trois grands empires ne soient pas plus durables que ceux de l’antiquité. Au contraire, plusieurs symptômes tendent à établir que l’empire chinois a devant lui un avenir brillant. Si les douze petits États européens du Continent ne réalisent pas sans délai l’Union dont j’ai signalé la nécessité impérieuse (C. e., V, 13), on peut prévoir que la domination des régions chaudes d’Afrique et d’Amérique sera un jour assurée à cet empire. Les populations de sa région chaude sont, en effet, maintenues, par les gouvernants de la région tempérée, dans la soumission à l’autorité paternelle et à la loi morale. Leur multiplication rapide accroît chaque jour la pénurie du pain quotidien. Les émigrants chinois de cette région se dirigeront donc de plus en plus vers les autres contrées agricoles où la chaleur et l’insalubrité du climat sont mortelles pour les ouvriers émigrants de l’Europe. Les émigrants du Bengale, sont déjà recherchés comme ceux de la Chine dans les colonies européennes de la mer des Indes et des Antilles.

Les Anglais, en s’établissant dans la contrée chaude du Bengale semblent résoudre un problème qui intéresse vivement l’avenir de l’humanité. Ils emploient dans le gouvernement de l’empire indien, récemment proclamé, une multitude d’agents tirés de la Grande-Bretagne. Ces derniers s’enrichissent, sans se multiplier et même sans constituer une race indigène, en sorte qu’ils doivent être remplacés, à défaut des rejetons que ne leur fournit guère leur propre famille, par de nouveaux agents venus de la mère patrie. On peut se demander si l’Union européenne des douze états situés au nord de la Méditerranée, n’assurerait pas un débouché analogue aux populations surabondantes de ces États, dans les régions chaudes de l’Afrique septentrionale et en particulier du Soudan. Une question analogue peut d’ailleurs être posée pour la contrée chaude du bassin de l’Amazone.

En se concertant avec l’École de la paix sociale, les voyageurs, attirés sur ces deux continents par l’étude de la vie sauvage, trouveraient dans les réponses que ces questions exigent un emploi utile de leur activité.

Nous avons dressé pour ceux de nos amis que le régime d’émigration intéresse, les deux tableaux suivants. Ils y verront deux faits saillants. Dans l’hémisphère austral, les régions froides sur lesquelles le bonheur est assuré par la pratique relativement aisée du Décalogue sont peu étendues ; dans la région chaude des tropiques abondent les terres où la prospérité est presque interdite aux populations indigènes par l’ardeur du climat. Cette prospérité pourrait leur être procurée par les familles de la région froide ou tempérée qui, grâce à leur morale, viendraient, comme les Anglais dans le Bengale, présider au gouvernement de la région chaude sans y faire souche.

ÉTAT PHYSIQUE ET SOCIAL DU GLOBE TERRESTRE
LES GRANDS EMPIRES
ET LES PETITS ÉTATS
Surfaces
en millions
de
kilom. car.
Les quatre grands empires signalés ci-dessus. 65 03
Les douze petits États européens qui, en se confédérant, fortifieraient le règne de la paix 4 17
Le surplus du monde habité 63 49
Les terres inhabitées 0 99
Les mers intérieures et l’Océan 376 38
Surface totale du globe 510 08
LES CLIMATS DU GLOBE TERRESTRE
LES TERRES SOUS LES CINQ CLIMATS Surfaces
en millions
de
kilom. car.
Région froide de l’hémisphère boréal 10 20
Région tempérée de l’hémisphère boréal 42 46
Région chaude des tropiques 68 03
Région tempérée de l’hémisphère austral 2 93
Région froide de l’hémisphère austral 0 90
Terres inhabitées 0 99
Mers intérieures et Océan 376 38
Surface totale du globe 510 08