Poète !… je le suis quand j’admire tes yeux
Poèmes où se joint à la splendeur des cieux Tout l’infini des mers profondes ;
Quand à tes pieds couché, je contemple ébloui
Les beautés de ton corps mollement enfoui Dans un flot de dentelles blondes.
Quand mordu de désirs, je te vois sommeiller
Tes cheveux dénoués, épars sur l’oreiller Te couronnant d’une auréole ;
Quand, pressentant déjà les bonheurs à tenir
Tu mets dans ton regard tout ce qui peut tenir De chaleur dans une créole.
Quand, dans l’ombre, ta voix me dit des mots si doux,
Que pour mieux t’adorer, je me mets à genoux Plein d’une extase enchanteresse ;
Quand loin de toi je rêve à tes mièvres attraits,
Quand délirant d’amour je m’enivre à longs traits Des voluptés de ta caresse !
Ma poésie est sœur de ta brune beauté ;
C’est toi qui fait jaillir de mon luth attristé Quelques notes moins douloureuses
De même que la brise odorante du soir
Fait vibrer tendrement le cyprès triste et noir En frôlant ses branches noueuses.
Ni Raphaël perdu dans un ciel de langueur
Avec Fornarina se pâmant sur son cœur, Ni Pétrarque chantant sa Laure,
Ni Buckingham qui fut si tendrement aimé,
Ni Don Juan blasphémant sur le sein parfumé D’une vierge aux yeux pleins d’aurore,
Ni lord Byron rêvant, sombre, à sa Guiccioli,
Ni tous les amoureux qui dorment dans l’oubli À côté de leurs amoureuses.
Ni clerc, ni chevalier, ni prophète, ni roi
Sur terre n’ont connu plus doux amour que moi, N’ont passé d’heures plus heureuses !
Car tu sais tour à tour, tendre et naïve enfant,
Cacher ton petit cœur qui d’aimer se défend Puis, soudain, pâle courtisane,
Fouetter d’un brusque appel mon désir qui s’endort
Au gré de mon plaisir devenant sans effort Vierge chaste ou fauve sultane.
Tantôt, je vois encore dame Agnès sur sa tour
De son page fidèle attendant le retour, Tantôt une mignonne aïeule
Pour quelque gros méfait grondant son petit-fils.
Suzanne, Phryné, Ruth, Madeleine, Laïs, J’ai vingt femmes en une seule !
De tes baisers ardents nuit et jour altéré,
À ton culte divin je me suis consacré Et je veux, au moment suprême,
Quand mon corps tremblera des affres du tombeau
De ma vie, un instant, ranimer le flambeau Pour te dire encore : Je t’aime !…
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