L’Âme de mon violon : simple chanson en six couplets
L. Vanier, libraire-éditeur (p. 50-57).


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Et, là, pour mieux griser d’un parfum tout mon être,
Le doux miel de ta lèvre à ma lèvre si doux
Sent l’idéale la fleur dont mes désirs sont fous
Depuis qu’en ton jardin tu leur permis de naître.

Cette fleur — c’est la tienne ! — elle est comme en l’azur
De ma nuit une étoile au scintillement sûr
Guidant le rêve cher éclos de ma jeunesse ;

Au fond de son calice ouvert pour mon baiser
Si je vis d’y mourir — Seule que je connaisse !
Je meurs, extasié, d’y vivre et de l’oser.

(Extraits de Couleur du Temps.)


LES NOCES



I



Vers la chapelle de la Vierge,
À Saint-Aphrodise, à minuit,
Parmi les fleurs, l’encens, les cierges,
Et l’orgue nuptial qui bruit,
Enfin ! l’amour vainqueur conduit
Les fiancés, et, rose et blanche,
Toute l’ivresse en eux s’épanche,

Et, sur leur front, c’est la douceur
Duveteuse de lentes ailes
Dont le long geste caresseur,

Éloignant avec quel beau zèle
Les durs soucis d’hier, décèle
L’aube attendue et la moisson
D’espoirs en fête à l’horizon.

Et, quand la voix du bon vieux prêtre
— Qui les baptisa — les unit,
Leurs yeux ravis voient apparaître,
Vision voisine du nid
Par l’église aujourd’hui bénit,
Les plants d’oliviers et la vigne
Que l’Écriture leur désigne :

La vigne souple aux grappes d’or,
Aux ceps ondoyants et fertiles ;
La vigne où l’eurythmie endort
En un doux bercement d’idylle
Les chagrins que l’heure distille ;
La vigne de vie et d’amour,
L’idéale vigne du jour ;


Et les plants d’oliviers si frêles,
Les jeunes plants tendres et purs
Où, sur leurs scions, se révèle
En un charme infini d’azur
La gaité de nos jours futurs ;
Les plants aimés, ors clairs et soie,
Les plants de nos meilleures joies.

Mais cette vision décroît
Dans la prière qu’on encense,
Et le bon vieux prêtre à leur doigt
Glisse l’anneau des alliances,
Ce pendant que monte, en silence,
Quelles voix ! au cœur des époux
Dont l’ange bleu semble jaloux.


II



Jusqu’aux poignets, en longue manche,
Et tenant les seins enfermé,
Ô la fine batiste blanche
Si tiède sur son corps aimé !

Ô le bonnet clair de dentelles
Emprisonnant ses cheveux noirs
Sauf deux bandeaux comme deux ailes
D’hirondelle en vol vers l’espoir !


Ô la pudeur de son œil tendre
S’inclinant toute, devers moi.
Comme une fleur pour mieux répandre
Son parfum brûlant et l’émoi !

Qu’elle nous fut, oh ! nuptiale,
L’heure pudique où, pour toujours,
De notre étreinte initiale
Fleurit mon beau jardin d’amour !


III



Le matin nuptial dorait notre sommeil
Quand, soudain m’éveillant, je retrouvai ma lèvre
Appuyée à ta lèvre ainsi que dans mon rêve,
Et je bénis le jour caressant et vermeil,

Ce tant espéré jour et charme sans pareil
D’une aube couronnant la fête de nos fièvres
Avec — pour oublier l’heure longue et si brève
Des hiers — ô le plus souriant des réveils !


Ta tête sur mon bras s’abandonne et repose,
Rose ta bouche exhale une haleine de rose,
Mais tes beaux yeux fermés ignorent mon désir

Qui, bien qu’impatient, reste craintif et n’ose
T’étreindre, ô femme aimée ! et se plaît à languir
Guettant l’instant que tes paupières soient décloses.