Léonard de Vinci, d’après de nouveaux documens

LEONARD DE VINCI

Photographies d’après la Cène de Milan et le carton de la tête du Christ au musée de Brera, Milan 1859. — Photographies d’après les dessins de Léonard de Vinci de la galerie de Florence, Florence 1859. — Vasari, tome VII, Florence 1851, etc.



En bien des cas, l’intérêt qui s’attache à l’étude d’une des branches de l’activité humaine ne dépasse guère le domaine spécial qu’elle embrasse ; le poète, l’artiste, l’homme d’état, le savant n’ont alors d’autre importance que celle qui ressort de leurs œuvres : ce sont des individus, mêlés sans doute à leur temps, contribuant par leur personnalité à lui donner sa valeur et sa physionomie, mais qui ne règlent ni ne déterminent sa marche et sa direction. Certains hommes au contraire sont à la fois les promoteurs et les représentans d’une civilisation tout entière. Athènes, au siècle de Périclès, avait des politiques et des guerriers ; Rome, au temps d’Auguste, avait des artistes et des poètes : si l’on recherche pourtant le caractère particulier de ces époques fameuses, il faut le demander à Phidias et à Platon, à Cicéron et à César. C’est dans les discussions et les luttes religieuses, chez les satiriques et les théologiens, qu’on retrouve le véritable sens du XVIe siècle ; c’est dans la littérature du XVIIe siècle français, chez ses moralistes, ses philosophes raisonnables, ses poètes timides, mais parfaits, que se présente l’image la plus fidèle d’une société modérée et polie dont la sève commence à se tarir, qui ne connaît plus les élans fougueux de la jeunesse, mais qui ne descend jamais au-dessous d’un certain niveau, et dont le goût le plus exquis a marqué toutes les œuvres.

Chaque époque paraît donc avoir une mission précise qui se résume dans quelques noms ; mais les grands hommes, les héros des siècles de création et de renouvellement ont de plus ce caractère, que leur activité ne se limite point à un seul objet, qu’ils embrassent dans une vaste étreinte l’universalité des choses qui préoccupent leur temps. La nature, dont les ressources ne sont pas infinies, spécialise pour ainsi dire certains peuples et certaines époques, leur donne à remplir une tâche déterminée, puis elle réunit ses efforts sur un petit nombre d’hommes de choix, et les comble de tels dons que leurs forces débordent au-delà de l’objet dont ils se sont plus particulièrement occupés. Ce double caractère de la spécialité du temps et de l’universalité de ses représentans les plus célèbres ne fut jamais ni si constant ni si marqué qu’à l’époque de la renaissance italienne. Elle est artiste avant tout : ce n’est pas dans Machiavel ou dans Jules II, mais dans ses peintres, ses poètes ou ses sculpteurs qu’elle s’est incarnée. C’est à Dante, à Michel-Ange, à Léonard de Vinci, qu’il faut demander la signification de cette période historique, et en les étudiant, ce n’est pas l’art et le passé de la renaissance seulement, c’est le génie d’une époque entière qu’on arrive à pénétrer.

Dans ces siècles jeunes, les caractères n’ont rien d’émoussé ni d’amolli. Une abondante sève de vie donne aux physionomies un relief qu’elles perdent à d’autres époques. C’est l’homme aussi qui se décèle chez ces peintres, chez ces poètes, chez ces sculpteurs, qui, bien loin de s’isoler dans leur art et d’appauvrir leur nature par cet isolement, se mêlent à leurs contemporains, partagent leurs idées et leurs passions, et gagnent à ce contact de la réalité ces traits fortement accusés du caractère et de l’esprit qui en font de grands types humains. Michel-Ange s’efforce d’atteindre aux plus inaccessibles sommets ; il s’obstine dans une lutte impossible, et, sans toucher jamais son but, marque d’un chef-d’œuvre chacune de ses défaites. Léonard de Vinci, doué des facultés les plus variées, d’une insatiable curiosité, d’un sentiment exquis de la beauté, spirituel, élégant, d’une force herculéenne, l’un des hommes les plus aimables de son temps, ne tentera que le possible et atteindra son but. Sans se préoccuper de problèmes inquiétans et peut-être insolubles, sans viser aux œuvres souveraines qui ne naissent que de l’union d’un grand cœur et d’un grand esprit, il s’attachera, mais sans passion, à toutes choses d’intelligence, s’arrêtant à chacune d’elles assez longtemps pour la marquer d’une ineffaçable empreinte, la quittant assez tôt pour ne s’en pas lasser : voluptueux sublime, qui ne trouvait de plaisir que dans les plus nobles occupations de l’esprit, mais dont les œuvres manquent de cette saveur morale, de cet intérêt suprême qui placent si haut celles de Raphaël et de Michel-Ange.

En étudiant à nouveau quelques-uns des artistes principaux du XVIe siècle, je n’ai pas la prétention de modifier d’une manière importante l’opinion qu’on s’en est faite jusqu’ici. Les traits généraux de ces grandes figures sont connus, mais la plupart de nos historiens en sont restés aux renseignemens incomplets et inexacts donnés par Vasari et par d’autres biographes du même temps, quoique depuis une vingtaine d’années les travaux des Rumohr, des Gaye, des Waagen, des Passavant, et en dernier lieu l’excellente édition de Vasari publiée à Florence, nous aient mis à même de remplacer enfin le roman par l’histoire, de donner un caractère précis à des physionomies que des admirations ou des dénigremens sans mesure ont trop souvent dénaturées. En même temps la photographie populaire, en nous faisant connaître une foule de dessins enfouis jusqu’ici dans les collections, nous permet de pénétrer plus avant dans l’intimité du talent de ces grands artistes. Une autre considération donne, ce semble, aux travaux de ce genre une opportunité particulière. L’expérience du passé doit servir d’enseignement, de conseil au présent, et ce ne sont pas seulement les jouissances qui résultent de l’étude des œuvres de l’imagination qu’il faut demander à l’histoire de l’art. Le talent, l’habileté, la connaissance des procédés techniques ne manquent certes point aux artistes de notre époque, et cependant notre école de peinture, si distinguée à quelques égards, erre au gré de toutes les fantaisies sans pouvoir trouver sa direction. Égarée elle-même, elle égare le public, qui ne sait plus que penser et que croire dans cette confusion de manières et de doctrines. Les voix qui seules devraient être entendues se perdent au milieu de ces clameurs d’amour-propre et d’intérêts ligués. Quelques efforts individuels et persévérans sont étouffés dans un chaos d’ouvrages dont les prétentions égalent seules la médiocrité, et l’exemple des maîtres de la renaissance, qui surent atteindre, au moyen de méthodes précises et sûres, le but élevé qu’ils poursuivaient, me paraît pouvoir être consulté de nos jours encore avec profit aussi bien par les artistes que par le public.


I

Au milieu du XVe siècle, la Toscane présentait un spectacle que le monde n’avait pas revu depuis le temps de Périclès. Les arts du dessin avaient été amenés à ce degré de perfectionnement qui permettait à un homme de génie de leur donner une forme définitive. Les moyens d’exprimer la pensée nouvelle avaient été trouvés l’un après l’autre. Giotto ne s’était pas borné à rompre avec la tradition grecque et à modifier les types hiératiques de la peinture liturgique. En délaissant les formes conventionnelles pour se rapprocher de la nature, il avait donné à ses personnages plus de beauté en même temps qu’une réalité plus grande, et à ses compositions ce caractère tragique qui semble inhérent à son mâle et cependant gracieux génie. En soumettant la peinture aux règles de la perspective linéaire, Paolo Uccello en avait décuplé les ressources et lui avait permis de multiplier les plans, d’utiliser les accessoires et les épisodes, d’arriver à une science précise du modelé et du raccourci. Mazolino et surtout Masaccio, par la précision, l’ampleur et l’élégance du dessin jointes à la vigueur du coloris, par leur entente du clair-obscur, leur goût dans les ajustemens,.complétèrent cette somme des moyens matériels sans laquelle il n’est point possible de donner aux idées les plus sublimes une forme définitive ni une signification certaine. Enfin les perfectionnemens apportés par les frères Van-Eyck aux procédés de la peinture à l’huile, que Jean Belin adopta presque aussitôt, permirent de donner aux tons plus de transparence et de vivacité, plus de relief aux formes par conséquent, et facilitèrent les retouches que la fresque ne comportait pas. Les Pisani, les Ghiberti, les Donatello avaient amené la sculpture par les mêmes étapes au même résultat. Brunelleschi avait élevé le dôme de Santa-Maria del Fiore, et Bramante commençait à construire les palais et les églises qui sont restés les modèles les plus accomplis de cette admirable architecture de la renaissance, où un goût si délicat et si pur s’allie à tant de force et d’élévation.

Léonard de Vinci eut l’inestimable fortune de venir au moment précis où il pouvait le mieux développer ses éminentes facultés. Il naquit au château de Vinci, près d’Empoli, dans le Valdarno, en 1452 et non en 1445, comme le disent la plupart de ses biographes. Il était fils naturel d’un obscur notaire de la seigneurie de Florence, ser Piero, et d’une certaine Catarina dont l’histoire ne parle pas davantage. Quoiqu’il ait eu trois femmes légitimes, ser Piero prit chez lui le jeune Léonard ; il l’éleva, semble-t-il, avec beaucoup de soin, et on croit même qu’il le légitima. L’enfant montra de bonne heure les plus rares dispositions, mais aussi cette inconstance, cette versatilité qui, pendant tout le cours de sa vie, le firent passer d’une étude à une autre sans pouvoir s’arrêter à rien ni se fixer. À peine avait-il étudié pendant quelques mois l’arithmétique, qu’il embarrassait son maître par ses doutes et par ses questions. Très jeune, il était bon musicien et s’accompagnait de la lyre en chantant des vers qu’il improvisait ; mais dès lors un goût dominant le portait vers les arts du dessin : « c’était là, dit Vasari, sa fantaisie la plus forte. »

Ser Piero, frappé des dispositions extraordinaires de son fils, prit un jour quelques-uns de ses dessins et les porta à André Verrocchio, qui était de ses amis, en le priant de lui en dire son avis. Verrocchio discerna aussitôt le génie naissant du jeune homme, il conseilla à son père de ne point hésiter à lui faire étudier la peinture, et il fut convenu qu’il entrerait dans son atelier. De tous les artistes qui alors illustraient l’école toscane, aucun n’avait au même degré qu’André Verrocchio les goûts, les aptitudes, la nature de talent qui devaient captiver l’esprit du jeune Léonard. Le hasard lui donna pour premier guide l’homme qu’il aurait choisi, s’il eût été en mesure de le faire, et on a remarqué avec beaucoup de raison que « les tendances naturelles de l’élève furent plutôt encouragées que réprimées par l’exemple du maître[1]. » Verrocchio aimait passionnément la musique et les chevaux ; son esprit inventif n’était jamais en repos. Il fut un des premiers à employer le plâtre pour mouler sur nature. Il s’était beaucoup occupé de mathématiques dans sa jeunesse, ainsi que de l’application de la géométrie à la perspective linéaire. Il avait débuté dans les arts par de petits ouvrages d’orfèvrerie religieuse, agrafes de chapes, coupes ciselées et vases sacrés, dont les contemporains vantent l’élégance, et qui sont malheureusement perdus. Le beau retable en argent qui orne encore aujourd’hui le maître-autel du baptistère de Florence suffit pour donner une idée de ce que son talent avait de gracieux et de fin. Il dessinait admirablement, et Vasari parle avec enthousiasme « de quelques têtes de femmes, qu’il conservait dans son recueil, dont les coiffures avaient tant de grâce et une telle beauté, que Léonard de Vinci les imita toujours. » De l’orfèvrerie, il avait passé à la sculpture, et quoique son David des Offices, son groupe de Thomas et le Christ d’Or-San-Michele, l’Enfant qui tient un Dauphin de la cour du Palais-Vieux, soient loin de valoir les œuvres de ses prédécesseurs immédiats, Ghiberti et Donatello, il est impossible de refuser à ces statues un mérite qui paraîtrait plus éclatant, si l’on pouvait oublier celles de ses illustres rivaux. Plus tard, il s’occupa de peinture, et fit les cartons de quelques grands tableaux d’histoire que sa mobilité d’esprit l’empêcha d’achever. Il termina sa carrière par l’admirable monument de Bartolommeo Colleoni, à Venise, qui le placerait, s’il était prouvé qu’il en est l’unique auteur, au premier rang des artistes de son temps.

C’est pendant que Léonard travaillait sous la direction de Verrocchio qu’il peignit cette fameuse rondache, le premier de ses ouvrages dont l’histoire fasse mention, et dans lequel déjà il montrait à un si haut degré, s’il faut en croire la description que Vasari nous a laissée de cette peinture, les deux traits caractéristiques de son génie, la préoccupation scientifique, l’étude minutieuse des objets naturels, et la transformation de ces objets en une œuvre ordonnée par l’imagination de l’artiste. Un paysan voisin de ser Piero, que celui-ci employait souvent à la chasse et à la pêche, ayant coupé un gros tronc de figuier, en fit une sorte de bouclier et le pria de le lui faire peindre à Florence. Ser Piero le porta à son fils, qui commença par le redresser au feu, puis, l’ayant enduit d’une couche de blanc et préparé à sa guise, résolut d’y représenter quelque chose d’effrayant, un épouvantail comparable à la Méduse des anciens. Il rassembla dans une chambre où lui seul entrait tous les animaux les plus horribles qu’il put trouver, sauterelles, chauves-souris, serpens, lézards, et, bravant l’infection que répandaient ces animaux, ne quitta son travail que lorsqu’il eut achevé un monstre hideux, qui sortait d’une caverne obscure, puis il fit venir son père. Il avait placé son ouvrage dans son meilleur jour sur le chevalet. Ser Piero, « oubliant ce qu’il venait chercher et ne pouvant se persuader que ce qu’il voyait fût une peinture, s’élança pour fuir précipitamment. Léonard le retint et lui dit : Mon père, cet ouvrage produit l’effet que j’en attendais. Prenez-le donc et emportez-le ! » Ser Piero loua chaudement le travail de Léonard, emporta la rondache, se hâta d’en acheter une autre chez un mercier, sur laquelle était peint un cœur percé d’une flèche, et qu’il donna au paysan ; puis, en homme entendu qu’il était, il vendit l’ouvrage de son fils, pour 100 ducats, à des marchands florentins qui le portèrent à Milan, où le duc le leur paya 300. Les progrès de Léonard paraissent avoir été très rapides, car nous savons qu’il aidait son maître dans ses travaux les plus importans, et que sa précoce supériorité excita même la jalousie de l’ombrageux orfèvre. André, ayant chargé Léonard de peindre un ange dans le Baptême du Christ qu’il faisait pour les frères de Vallombrosa, et qui se trouve aujourd’hui à l’académie des beaux-arts à Florence, aurait été tellement désespéré de se voir surpassé par son élève, qu’il aurait renoncé dès lors et pour toujours à la peinture. Quelle que soit l’exactitude de cette anecdote, qui pourrait bien ne pas avoir plus de réalité que celle qui fait mourir Francia de désespoir en voyant la sainte Cécile de Raphaël, on peut supposer que, vers 1472, Léonard, âgé de vingt ans, avait quitté l’atelier de Verrocchio, et qu’il pratiquait pour son propre compte, livré à ses seules forces, les arts qu’il devait tant illustrer.

Vasari, dans les quelques pages sèches, inexactes et assez malveillantes qu’il a consacrées à Léonard, ne nous a laissé que des détails très insuffisans sur les dix ou douze années que le peintre de la Joconde a passées à Florence. Lomazzo[2] n’est guère plus explicite. Du reste, cette absence de documens chronologiques a moins d’importance pour Léonard que pour tout autre. La fantaisie qui gouvernait ses actions présidait aussi à ses études, et il est probable que, même avec plus de documens, il serait difficile de trouver de l’unité à sa vie, et dans son talent ce développement normal et pour ainsi dire logique si vivement accusé chez Michel-Ange, et plus nettement encore chez Raphaël. Cet homme étonnant, chez qui le savant l’emporte peut-être sur l’artiste, préludait, dès ce premier séjour à Florence, à ces études de mécanique, d’hydraulique, d’optique, de géologie, qu’il n’abandonna jamais, et dans lesquelles il se trouve être le précurseur et souvent l’émule des Bacon, des Laplace et des Cuvier. Très jeune encore, suivant Vasari, il faisait des plans d’édifices, de moulins, de fouleries et de machines se mouvant par la seule force de l’eau. Ce fut lui qui le premier proposa de canaliser l’Arno de Pise à Florence. Il composait une quantité de modèles et de dessins pour prouver qu’on pouvait aplanir une montagne ou la percer afin d’unir deux plaines, qu’au moyen de leviers, de vis et de cabestans, on pouvait soulever ou tirer des poids énormes, qu’à l’aide de pompes il était facile de curer un port et de faire monter les eaux. Parmi ses dessins de machines se trouvait le fameux plan au moyen duquel il démontra un jour à plusieurs citoyens de mérite qui gouvernaient alors Florence qu’il soulèverait leur temple de San-Giovanni et l’exhausserait sur des degrés sans le renverser. Les beaux-arts avaient cependant aussi une large part dans ses études. « Il dessinait beaucoup d’après nature et modelait en terre des figures, qu’il drapait ensuite avec des chiffons mouillés et enduits de terre. » On sait qu’il faisait des maquettes pour les figures qu’il voulait peindre, afin d’en étudier le relief dans ses moindres détails. Aussi déjà sa science du clair-obscur et de la dégradation des tons de manière à nettement accuser la forme était-elle prodigieuse ; mais, autant qu’on en peut juger par les quelques peintures de sa jeunesse qui nous sont restées, cette imitation pour ainsi dire textuelle de la nature était son but principal, et ce n’est que plus tard qu’il étudia avec une rare perspicacité, qu’il exprima en praticien consommé les effets des passions et des affections de l’âme sur la forme et dans l’expression du visage. De tous les ouvrages que Léonard fit, sans qu’il y ait sur ce point de contestation possible, pendant son premier séjour à Florence, trois seulement, l’Ange, dans le Baptême du Christ de Verrocchio, à l’Académie de Florence, la Tête de Méduse et l’Adoration des Mages de la galerie des Offices, sont parvenus jusqu’à nous. On a cru avoir retrouvé, il y a quelques années, cette autre figure d’ange dont parle Vasari, qui tient une main appuyée sur la poitrine tandis que l’autre, élevée en avant, avait donné l’occasion au peintre d’exécuter un admirable raccourci ; mais l’authenticité de ce tableau ne me paraît pas parfaitement établie. Quant aux autres œuvres énumérées par les biographes, le Neptune traîné par des chevaux marins, qu’il fit pour Antonio Segni, le grand carton d’Adam et Eve, où tous les détails du paysage, les fleurs et les animaux, étaient traités avec une si minutieuse précision, les admirables portraits au charbon d’Amerigo Vespucci et du chef de bohémiens Scaramuccia, elles paraissent irrévocablement perdues. Il en est de même de la Vierge qui appartenait au pape Clément VII, et que d’Argenville vit encore au Vatican en plein XVIIIe siècle[3] : l’imitation de la réalité y était poussée à un degré extraordinaire, et Vasari ne manque pas de remarquer qu’il se trouvait dans ce tableau une carafe pleine de fleurs couvertes de rosée qui avaient une fraîcheur qu’on croirait dérobée à la nature. Étude minutieuse de la forme, exécution parfaite des moindres détails, exactitude qui touche parfois à la puérilité, telles sont les préoccupations presque exclusives de Léonard à cette époque. Je ne veux pas m’arrêter à la figure d’ange qui lui est attribuée dans le Baptême du Christ d’André Verrocchio : elle est sans doute supérieure aux autres parties de cette composition. La tête est très belle, le dessin de l’ensemble est large en même temps que précis ; mais l’invention en appartient probablement à Verrocchio, et Léonard n’a fait que développer la pensée de son maître en l’améliorant. Dans la Tête de Méduse des Offices, tout est de lui au contraire, et son naturalisme ainsi que sa science précoce de praticien s’y accusent très nettement. Ce tableau, merveilleusement conservé, a eu le sort de presque toutes les œuvres de Léonard : on en a contesté l’authenticité. Se fondant sur le peu d’intérêt que présente le type du visage et sur l’infériorité relative de la peinture dans cette partie de la composition, on a supposé que nous ne possédions qu’une répétition faite d’après l’original, qui serait aujourd’hui perdu ; mais cet ouvrage, si important par sa date, a pour lui les deux seules preuves qui comptent en matière d’authenticité, l’histoire et l’évidence. Il se trouvait, au temps de Vasari, dans la collection du duc Cosme de Médicis. Il n’est pas probable que les contemporains de Léonard aient pris une copie pour un original, et ce tableau ne paraît pas avoir jamais quitté Florence ni même la collection dont il fait partie aujourd’hui. Quant à l’évidence, si les couleuvres vertes qui servent de coiffure à la tête de Méduse ne sont pas de la main de Léonard, il faut supposer qu’il existait un peintre, dont le nom serait inconnu, plus habile que ne l’était dès lors le jeune maître florentin. L’exécution de ces serpens qui se nouent et s’entrelacent dans tous les sens présentait des difficultés presque insurmontables, et à ce point de vue du tour de force et de la difficulté vaincue, je ne crois pas que Léonard ait jamais surpassé quelques parties de cet ouvrage, prodige non-seulement de patience et d’exactitude, mais de science consommée dans l’art si difficile de représenter la forme en mouvement sans lui faire rien perdre de sa précision et de sa beauté.

Malgré l’absence de tout document précis, c’est à la fin du premier séjour à Florence qu’il faut placer l’exécution du tableau du Louvre connu sous le nom de la Vierge aux Rochers. Le style, les types des têtes et la manière violente dont le tableau est peint ne permettent pas de le rapporter à une autre époque. Cet ouvrage, qui a beaucoup noirci, dont la composition est bizarre, est loin d’être une des meilleures inspirations de Léonard, et les figures des enfans en particulier sont parmi les moins bonnes qu’il ait faites. L’authenticité de cette œuvre a été contestée. On a voulu n’y voir qu’une répétition du bel exemplaire qui appartient au duc de Suffolk. Je ne puis adopter cette opinion. La Vierge aux Rochers appartenait à François Ier, et il n’est pas vraisemblable que du vivant ou très peu de temps après la mort de l’auteur on se fût permis une fausse attribution. Il est d’ailleurs impossible de méconnaître une précision et une finesse de dessin, une force de modelé qui décèlent la main du maître. Enfin l’aspect peu agréable de la peinture est loin d’être un argument contre l’authenticité de cet ouvrage, car on sait que les œuvres les plus incontestables de Léonard sont loin d’avoir le coloris brillant, l’exécution facile et séduisante de celles de ses meilleurs élèves, et c’est même à cette circonstance qu’est due en grande partie la confusion qui lui a fait donner la plupart des tableaux sortis de son école.

L’ébauche de l’Adoration des Mages de la galerie des Offices est, après la Cène de Milan et le carton d’Anghiari, la plus vaste des compositions de Léonard. Quelques-unes des parties les plus importantes de ce grand ouvrage ne sont que dessinées à la plume sur la toile presque intacte. L’ensemble, préparé avec cette couleur bitumineuse qui a tant fait noircir la plupart des tableaux de ce maître, n’a rien de ce qu’il faut pour séduire le public ; mais les artistes y trouvent une source féconde d’études et de réflexions, une sorte de révélation de la méthode que suivait le plus habile des peintres, et des procédés qu’il employait pour arriver à un rendu qui n’a jamais été surpassé. Ce tableau est certainement très postérieur à la Tête de Méduse dont j’ai parlé. Le style n’a ni l’élévation ni le caractère particulier si reconnaissable dans d’autres peintures de Léonard ; mais la disposition des groupes, la distribution savante du clair-obscur dénotent un artiste maître de son talent à un tel degré qu’il faut le témoignage précis des biographes et surtout l’absence dans les têtes de femmes de cet air de famille, de cette ressemblance à un type unique, emprunté, a-t-on dit, à la race milanaise, type qu’il n’adopta que beaucoup plus tard, pour rapporter cet ouvrage remarquable à son premier séjour à Florence.

Avec l’Adoration des Mages se termine la série des œuvres qui occupent les dix ou douze premières années de sa vie d’artiste. Sans en préciser la date, on suppose qu’il avait fait pendant cette période un court séjour à Rome, où il aurait exécuté, dans l’église de Saint-Onuphre, la belle fresque représentant la Vierge avec l’Enfant et le Donataire, que le style ne permet guère de rapporter à une autre époque[4]. Il partageait son temps entre les études les plus sérieuses et les distractions de toute sorte, et il n’est pas probable qu’il soit tout à fait innocent des plaisanteries d’un goût douteux que Vasari s’est plu à rappeler. Sa curiosité était insatiable, tout ce qui prêtait à l’observation lui était bon. Il fréquentait les marchés et les tavernes, accompagnait les condamnés au supplice, ou bien rassemblait chez lui des paysans qu’il faisait boire outre mesure. Il leur racontait alors les histoires les plus risibles, et profitait de leur ivresse pour noter leurs gestes et leurs contorsions. De là sont nées toutes ces têtes d’expression et ces caricatures dont la plupart ont été souvent gravées ; les unes révèlent une profonde connaissance du cœur humain et offrent un véritable intérêt, les autres ne sont que des figures grotesques. L’art n’occupait pas seul Léonard pendant ces années de première jeunesse ; sa riche nature lui permettait de braver les fatigues et les plaisirs. D’une beauté et d’une force peu communes, poète, bon musicien, habile à tous les exercices du corps, il était recherché par cette société florentine si brillante sous les premiers Médicis. Sa nature sympathique, humaine et facile plaisait à tous ; son esprit, sa gaieté, sa libéralité avaient laissé de tels souvenirs à Florence que Vasari, malgré la rancune qu’il lui gardait de s’être posé en rival de Michel-Ange, en parle ainsi : « Tous les cœurs étaient à lui, tant il avait de prestige et de charme dans sa conversation ! Ne possédant presque rien et peu assidu au travail, il eut toujours des domestiques, des chevaux qu’il aimait par-dessus tout, et une ménagerie d’animaux de toute espèce qui faisaient ses délices et qu’il soignait avec une patience et un amour infinis. Souvent, en passant par les lieux où l’on vendait des oiseaux, il en payait le prix demandé, les tirait lui-même de la cage et leur rendait la liberté. »

Malgré l’agrément de sa personne et un mérite dont il avait déjà donné tant de preuves, il ne paraît pas que Laurent le Magnifique ait songé à s’attacher Léonard. Son plan pour la canalisation de l’Arno avait été repoussé, et il est bien possible que la vie de plaisir qu’il menait et aussi la multiplicité de ses études, la mobilité de son caractère, son indifférence pour les questions politiques et religieuses qui passionnaient alors les esprits aient empêché ses compatriotes d’apprécier complètement son génie. Toujours est-il qu’il résolut de chercher fortune hors de sa patrie, et qu’encouragé peut-être par quelques avances de Louis le More, qui projetait d’élever un monument à la mémoire de son père, il partit pour Milan.


II

Ce n’est pas en 1494, ainsi que le pense Vasari, que Léonard quitta Florence pour se rendre dans la Haute-Italie. Des indications très précises consignées dans ses manuscrits établissent qu’il était à Milan en 1483 et peut-être même dès 1480[5]. C’est à cette époque ou un peu plus tôt qu’il écrivit à Louis le More la curieuse lettre qui nous a été conservée par Amoretti. Cette lettre n’est pas un modèle de modestie, et sur ce point Léonard paraît avoir partagé l’opinion des anciens, qui tenaient cette vertu pour un vice ; mais cette sèche nomenclature donne une effrayante idée des études et des recherches que ce jeune homme de vingt-huit ou trente ans avait trouvé moyen de poursuivre en dehors de ses travaux d’art et malgré les distractions de la vie mondaine.

« Mon très illustre seigneur, ayant vu et considéré avec attention jusqu’à ce jour les résultats des travaux de ceux réputés maîtres et ingénieurs de machines de guerre, et ayant reconnu que l’invention et le résultat de ces machines ne sont rien de plus que ce qu’on a mis en usage jusqu’à ce jour, je ferai mes efforts, sans chercher à nuire au mérite des autres, pour me faire entendre de votre excellence en lui donnant connaissance de mes secrets. Et en attendant qu’il se présente une occasion de les mettre en pratique, selon votre plaisir, je vous en donnerai la note ci-jointe.

« 1° J’ai un moyen de faire des pontons très légers, faciles à transporter, avec lesquels on peut poursuivre ou éviter l’ennemi. Je puis en construire aussi qui soient incombustibles, qui puissent résister à la bataille, et de plus faciles à jeter et à lever. En outre j’ai un moyen pour brûler et détruire ceux des ennemis.

« 2° Je sais de quelle manière pendant le siège d’une place on peut tarir l’eau des fossés et faire une grande quantité de ponts volans à échelons, ainsi que d’autres instrumens nécessaires pour faire réussir pareille opération.

« 3° Item. Si, à cause de la hauteur des bords et de la conformation naturelle du lieu, on ne pouvait faire usage de bombardes, je saurai détruire toute place forte, si elle n’est pas bâtie sur le roc.

« 4° Je possède encore le secret de faire des bombardes faciles à transporter, avec lesquelles on peut lancer en détail la tempête, et dont la fumée, en frappant les ennemis d’épouvante, les jette dans la confusion.

« 5° Item. Au moyen de chemins creux, étroits et tracés en zigzag, j’ai le moyen de faire parvenir les troupes sans aucun bruit jusqu’à un certain… (lacune dans le manuscrit) dans le cas où il faudrait passer sous des fossés ou quelques ruisseaux.

« 6° Item. Je fais des chariots couverts que l’on ne saurait détruire, avec lesquels on pénètre dans les rangs de l’ennemi et on détruit son artillerie. Il n’est si grande quantité de gens armés qu’on ne puisse rompre par ce moyen, et derrière ces chariots l’infanterie peut s’avancer sans obstacles et sans dangers.

« 7° Itemv Si le besoin l’exige, je ferai des bombardes, des mortiers, des passe-volans tout à fait différens de ceux dont on se sert.

« 8° Là où les bombardes ne pourraient produire leur effet, je composerai des catapultes, des balistes ou d’autres instrumens dont l’effet est admirable et tout à fait inconnu. Enfin, selon le besoin, je puis inventer une foule de moyens offensifs.

« 9° Dans le cas où l’on serait en mer, je puis employer beaucoup de moyens offensifs et défensifs, entre autres construire des vaisseaux à l’épreuve des bombardes, puis composer des poudres et des fumées.

« 10° En temps de paix, je crois pouvoir bien remplir, et sans craindre la comparaison avec personne, l’office d’architecte, soit pour les édifices publics et privés, soit pour ceux qui servent à la conduite et à la distribution des eaux.

« 11° Item. Je puis conduire et mettre à fin toute espèce de travaux de sculpture en terre, en marbre et en bronze. Item en peinture je puis faire ce que l’on désirera tout aussi bien que qui que ce soit.

« Je pourrai encore exécuter la statue équestre de bronze qui doit être élevée à la gloire immortelle et à l’heureuse mémoire du seigneur votre père, et à celle de la noble famille des Sforza.

« Et si quelqu’une des choses indiquées ci-dessus était jugée d’une exécution impossible, je m’engage à en faire l’expérience dans votre parc ou dans tel lieu qu’il plaira à votre excellence, à laquelle je me recommande humblement. »


Les offres de Léonard furent acceptées, et Vasari nous a conservé le curieux récit de sa première entrevue avec Louis le More. « Léonard, précédé de sa grande réputation, vint à Milan et fut présenté au duc Louis Sforza, successeur de Jean Galeas. Le duc aimait beaucoup à entendre pincer de la lyre ;… aussi Léonard arriva-t-il avec un instrument qu’il avait fabriqué lui-même. Cette lyre, presque entièrement en argent, avait la forme d’un crâne de cheval, disposition bizarre, qui donnait aux sons quelque chose de mieux vibrant et de plus sonore. En cette occasion, il surpassa tous les musiciens qui avaient été appelés pour se faire entendre, et de plus il fut jugé le plus habile poète improvisateur de son temps. Le duc, après l’avoir entendu, fut tellement ravi de ses talens qu’il le combla d’éloges et de caresses. Il lui demanda aussitôt un tableau d’autel, la Nativité de Notre-Seigneur, que le prince offrit à l’empereur quand il fut terminé. »

Le patronage du pusillanime, voluptueux et prodigue Louis répondit à tout ce que Léonard en avait attendu, et les seize ou dix-huit années de son séjour à Milan furent les plus heureuses et les plus fécondes de sa vie. Le faste d’une cour brillante convenait à ses goûts de plaisir. Moins scrupuleux que ne l’eût été Michel-Ange en pareil cas, son pinceau se prêta plus d’une fois aux fantaisies licencieuses de son maître. Il ordonnait les fêtes dont il était lui-même l’ornement, et les mariages de Jean Galeas avec Isabelle de Naples, du duc lui-même avec Béatrix d’Esté, lui fournirent l’occasion de déployer toutes les ressources de son inventif esprit. Ces distractions ne ralentissaient cependant ni ses études ni les travaux d’un autre ordre dont Louis l’avait chargé.

Son premier soin paraît avoir été de grouper autour de lui quelques élèves et d’organiser cette académie de Milan dont le but même est si mal connu. Il l’avait créée ou du moins complètement réorganisée ; elle portait son nom, comme l’indiquent une phrase de Vasari et un sceau sur lequel sont inscrits ces mots : Academia Leonardi Vinci, dont il existe une très ancienne gravure, de la main de Léonard probablement, qu’Amoretti a reproduite en tête de ses mémoires, et qui représente un de ces bizarres enroulemens de cordes, une sorte de nœud compliqué qu’on rencontre si souvent dans ses dessins. Toutefois on ignore quelle était la nature précise des études qui se faisaient dans cette académie, et de quelle importance était le rôle qu’y jouait son fondateur lui-même. École ou corps savant, Léonard paraît s’en être beaucoup occupé, et à en juger par un grand nombre de ses manuscrits, qui semblent être bien plutôt des préparations sous forme de notes pour des leçons publiques que des ouvrages définitivement rédigés, on peut croire qu’il en était le principal, sinon l’unique professeur. Si, comme je le pense, la plupart de ses manuscrits de Milan se rapportent à son enseignement, il en faut conclure que les études qui se faisaient à cette académie embrassaient à peu près l’universalité des sciences qui de près ou de loin intéressent les beaux-arts, c’est-à-dire, d’après l’opinion bien souvent exprimée par Léonard lui-même, tout, à l’exception de la théologie, de la philosophie et du droit.

Il est probable que c’est le Traité de la Peinture, le plus considérable de ses ouvrages et le seul qui ait été publié dans son entier, qui formait le cadre général de son enseignement. Ses traités spéciaux, en partie perdus, en partie conservés manuscrits à Paris, à Milan et à Londres, étaient destinés à le compléter en développant les principaux sujets qui se rattachent aux arts du dessin. À plusieurs reprises, dans son Traité de la Peinture, Léonard lui-même parle des ouvrages qu’il avait écrits ou qu’il se proposait d’écrire. C’est ainsi qu’il mentionne un Traité de la Lumière et des Ombres, dont on possède le manuscrit, qu’il commença le 23 avril 1490. Il travaillait en 1498 à un Traité du Mouvement local, dans lequel il s’occupait du repos, du mouvement et de la pondération du corps humain. Il avait commencé un ouvrage qui devait être d’une grande importance sous ce titre : De la Théorie et de la Pratique. Léonard mentionne encore un Traité des Mouvemens de l’homme et un autre sur les Proportions du corps humain, dont il nous reste un fragment où il donne les mesures de la tête. Cette idée de l’harmonie entre les différentes parties du corps humain, cette divine proportion, comme il l’appelle, semble l’avoir tout particulièrement préoccupé. C’est la perfection de l’art qu’il se reproche de n’avoir pas atteinte, quoiqu’il ait sans cesse dirigé ses efforts vers ce but. « Admirateur des anciens et leur élève reconnaissant, — lit-on dans sa propre épitaphe, que le poète Platino Piatto avait faite de son vivant et probablement à sa demande, — une seule chose m’a manqué, leur science des proportions : j’ai fait ce que j’ai pu. Que la postérité me pardonne[6] ! »

Vasari et Benvenuto Cellini parlent également d’un Traité de Perspective qui aurait formé l’introduction de tous ses ouvrages sur la peinture, et dont Benvenuto assure même avoir possédé une copie. On sait que Léonard avait étudié l’anatomie à Pavie sous le savant Marco-Antonio della Torre. Il faisait même des dessins au crayon rouge qu’il retouchait à la plume d’après ses dissections[7]. Il rédigeait les leçons du professeur en les développant et en les commentant, et au temps de Vasari ce manuscrit appartenait à Francesco Melzi, l’ami de Léonard. Enfin Vasari cite encore un Traité d’Anatomie du cheval, que Léonard avait composé pendant qu’il travaillait à la statue équestre de François Sforza, et qui fut détruit lors de l’arrivée des Français en même temps que ce grand monument.

Le Traité de la Peinture se refuse à toute analyse ; il ne contient pas moins de trois cent soixante-cinq chapitres, écrits avec une brièveté, une sécheresse qui en rendent la lecture difficile. Ce n’est en quelque sorte que la table des matières d’une encyclopédie des arts du dessin ; mais en le relisant j’ai été surpris, non point de l’étendue d’esprit, de la sûreté de jugement, de la variété de connaissances qu’il dénote chez Léonard, mais de l’utilité dont pouvait être pour l’enseignement un pareil texte développé par une parole facile et sympathique, et je me suis mieux expliqué l’excellence de l’école que Léonard a fondée. Sa doctrine est un naturalisme absolu, mais intelligent et élevé, qui n’a rien de commun avec le réalisme. Il en expose les traits principaux, il l’explique dans ses détails les plus techniques et en apparence les plus humbles. Il recommande à chaque page l’imitation précise et minutieuse de la nature, mais de la nature vivante, de la forme révélant dans ses modifications les affections et les sentimens de l’esprit qui l’anime. Il circonscrit nettement le champ de la peinture, qui est destinée avant tout à reproduire le relief des corps. « La première intention du peintre, dit-il, est de faire que sur la superficie plane de son tableau paraisse un corps relevé et détaché du fond, et celui qui en ce point surpasse les autres mérite d’être estimé le plus grand maître de la profession. Or cette recherche ou plutôt cette perfection et couronnement de l’art provient de la dispensation juste et naturelle des ombres et des lumières, ce qu’on appelle le clair-obscur, de sorte que si un peintre épargne les ombres où elles sont nécessaires, il se déshonore et rend son ouvrage méprisable aux bons esprits pour s’acquérir une fausse estime parmi le vulgaire et les ignorans, qui ne considèrent en un tableau que le brillant et le fard du coloris, sans prendre garde au relief. »

Léonard ne dédaigne pas de donner à ses élèves les directions les plus pratiques et les plus intimes : « J’ai encore expérimenté que ce n’est pas une chose de peu d’importance, étant au lit dans l’obscurité, d’aller repassant en son imagination tous les contours des figures qu’on a déjà étudiées et dessinées, ou d’autres choses notables et d’une subtile spéculation, car par ce moyen on fortifie et on conserve davantage les idées des choses qu’on a recueillies en sa mémoire. » Il ne leur ménage pas non plus les conseils sévères : « Il n’y a rien de plus sujet à se tromper qu’un homme qui juge son propre ouvrage, et le blâme de ses ennemis lui est plus utile que l’approbation de ses amis, parce que ceux-ci ne sont qu’une même chose avec lui, et par conséquent le peuvent aussi bien tromper que son propre jugement. » Il leur recommande de travailler avec lenteur, de s’appliquer à faire un petit nombre d’œuvres excellentes, et de n’imiter personne de peur qu’on ne les appelle les neveux et non les fils de la nature. Enfin on est étonné de voir qu’il ne défend pas de se servir du hasard : « Je n’omettrai pas de mettre ici parmi ces enseignemens une nouvelle invention, ou plutôt une manière de spéculer, laquelle, bien que fort petite en apparence et presque digne de moquerie, est néanmoins très utile pour éveiller et ouvrir l’esprit à diverses inventions : si vous prenez garde aux salissures de quelques vieux murs ou aux bigarrures de certaines pierres jaspées, il pourra s’y rencontrer des inventions et des représentations de divers paysages, des confusions de batailles, des attitudes spirituelles, des airs de têtes et de figures étranges, des habillemens capricieux, et une infinité d’autres choses. »

Esprit positif, il veut qu’on borne son ambition, qu’on la renferme dans les limites du possible, qu’on se garde comme d’une maladie de tout ce qui excède les forces humaines, qu’on reste même en deçà de ce qu’on peut accomplir : « Qui ne peut ce qu’il veut, dit-il dans le seul de ses sonnets que Lomazzo nous ait conservé, doit vouloir ce qu’il peut, car c’est folie de vouloir ce qui ne nous est pas possible. On doit tenir pour sage celui qui distrait sa volonté de ce qu’il ne peut atteindre… Il n’est pas non plus avantageux à l’homme de vouloir tout ce qu’il peut, car souvent ce qui nous paraît doux finit par devenir amer, et j’ai pleuré parfois sur ce que j’avais désiré parce que je l’avais obtenu. O toi qui lis ces lignes, si tu veux être utile à toi et cher aux autres, ne veuille jamais que ce qu’il est juste de vouloir ! » Morale commode et prudente, sagesse qui n’est pas sans analogie avec celle de Salomon et de La Fontaine, dont le principal mérite est de laisser à l’esprit toute sa lucidité, en n’accordant à l’homme que l’observation et la pensée, en lui interdisant d’atteindre les causes sacrées de ses troubles et de ses doutes.

Ce n’est cependant ni dans ce livre, ni dans ces quelques vers, ni dans ses volumineux manuscrits qu’il faut chercher Léonard tout entier. Le livre n’est qu’un programme, les vers ne sont probablement pas les meilleurs qu’il ait faits ; ses manuscrits sont loin d’avoir été complètement déchiffrés, et il est probable qu’ils ne le seront jamais. Lucca Paccioli dit positivement que Léonard était gaucher. L’inspection de ses dessins semble indiquer que c’est en effet de la main gauche qu’il travaillait ; il est certain que c’est de cette main qu’il écrivait en commençant à droite comme font les Orientaux, à rebours par conséquent, et il est presque impossible de lire son écriture autrement que dans un miroir. Homme à recettes, à mystères, à secrets, né dans un temps où l’alchimie était encore en honneur, on croit que le désir de soustraire ses inventions à la curiosité et à l’indiscrétion ne fut pas étranger à cette manie. Quoi qu’il en soit, si ses livres nous restent en partie scellés, nous avons ses nombreux dessins, en quelque sorte la contre-partie de ces ouvrages, et ce n’est pas sans un certain effroi qu’on parcourt, guidé par d’admirables vestiges, tous les replis de cette intelligence prodigieuse, dont l’étendue et la variété au moins ne paraissent pas pouvoir être surpassées. À cet égard, Paris n’a rien à envier à Oxford, à Londres, à Milan. Le musée du Louvre a acheté, il y a quelques années, l’admirable recueil qui était naguère aux mains du libraire Vallardi, de Milan, et cette belle acquisition, la meilleure (j’allais dire la seule bonne) que le Louvre ait faite depuis longtemps, complète et rend unique au monde la collection des œuvres de Léonard que renferme notre grand établissement national.

Cet énorme volume, possédé probablement en premier lieu par Melzi, ne contient pas moins de trois cent soixante-dix-huit dessins. Plus de deux cents, dont une quarantaine de premier ordre, sont indubitablement de la main de Léonard. Tout ce qu’embrassaient ses immenses études s’y trouve représenté : des bijoux et de merveilleuses pièces d’orfèvrerie, des études d’architecture pour le dôme de Milan, des épures de la plupart de ses machines, des pompes d’épuisement, des bateaux à nageoires, des armes de toute sorte, des canons de toute grandeur, de toute proportion, une admirable planche de son anatomie du cheval, un alphabet illustré, celui probablement qu’il fit pour le jeune duc de Milan. On y remarque encore de très nombreuses études d’après les médailles de Victor Pisanello, des séries entières d’animaux, chevaux, ânes, chevreuils, buffles, chameaux, singes, chiens, jusqu’à des loirs, des lézards, des tortues et des colimaçons, de merveilleux oiseaux peints à l’aquarelle, enfin les fleurs les plus élégantes, celles dont la forme devait le plus flatter son goût parfait : des ancolies et des cyclamens. Je ne parle pas de ses études de figures : plusieurs d’entre elles sont importantes et de la plus grande beauté, et il serait désirable qu’on en reproduisît au moins quelques-unes par la photographie, de telle sorte que le public pût apprécier ce trésor autrement que par ouï-dire[8].

Je ne puis dire cependant que l’examen de ce recueil ait agrandi pour moi l’idée que je me faisais du génie de Léonard. Chacune de ces esquisses dessinées à la plume, à la mine de plomb, à la pointe d’argent, par cette main si puissante qu’elle tordait le battant d’une cloche, semble tracée avec l’aile d’un oiseau. Conception nette, observation profonde, exécution ferme et légère, intelligence et habileté, telles sont les qualités qui se trouvent dans ces dessins et que nous retrouverons dans l’œuvre entier de Léonard. On y chercherait vainement ces grandes créations de l’imagination qui se rencontreraient à chaque page dans un recueil semblable de la main des auteurs de l’École d’Athènes ou de la chapelle Sixtine.

Malgré l’inconstance d’humeur dont Vasari accuse avec raison Léonard de Vinci, quoiqu’il ait gaspillé sa vie et appliqué ses admirables facultés à mille projets chimériques qui n’ont laissé presque aucune trace, les œuvres utiles qu’il a terminées pendant son séjour à Milan, et qu’il poursuivait au milieu des plaisirs et des préoccupations sévères de son enseignement, témoignent d’une activité et d’une souplesse d’esprit extraordinaires. Vers 1490, les travaux de la cathédrale de Milan se trouvaient arrêtés par les dissentimens qui existaient entre les architectes italiens et allemands qui les dirigeaient. Les Italiens cherchaient à faire adopter le style de la renaissance ; ils étaient soutenus par Louis le More et par l’opinion publique. Les maîtres allemands défendaient l’art gothique, l’unité de style, et prétendaient que le monument devait être achevé d’après les principes suivis jusqu’alors. Les discussions violentes qui avaient eu lieu à Florence au temps de Brunelleschi pour l’érection de la coupole de Santa-Maria del Fiore se renouvelaient à propos du couronnement du dôme de Milan. Les séances du congrès d’architectes que Louis avait assemblé devenaient de plus en plus orageuses.

Le 27 juin 1490, quatre projets avaient été présentés et rejetés, la population attendait avec anxiété le résultat de délibérations qui n’aboutissaient pas. Léonard fut adjoint aux architectes rivaux, et quoiqu’on ne connaisse pas d’une manière précise la part qui lui revient dans la détermination qui fut prise, il est probable que l’autorité que lui donnaient sa haute position et ses connaissances spéciales en mathématiques appliquées contribua à clore ce débat. Il s’occupait en même temps de grands travaux d’hydraulique et des premières études pour le canal de la Martesana, qu’il ne compléta que beaucoup plus tard ; enfin il ne cessa, pendant seize années consécutives, de travailler au monument gigantesque de François Sforza, L’élève de Verrocchio trouvait encore moyen de faire de petits ouvrages de sculpture, bustes de vieillards, figures de Christ ou de madones, que nous ne connaissons malheureusement que par ce que nous en dit Lomazzo, qui possédait lui-même « une petite tête de terre du Christ enfant, de la propre main de Léonard de Vinci, dans laquelle on voyait la simplicité et la pureté de l’enfance, accompagnées d’un je ne sais quoi de sage, d’intelligent et de majestueux. » Il cite encore un cheval en relief que possédait un sculpteur d’Arezzo nommé Léon. Ces ouvrages sont perdus, et je crois qu’il faut regarder comme apocryphes les statuettes et les terres cuites qu’on trouve en assez grand nombre dans les collections, et qu’on attribue à Léonard.

Ces travaux si variés n’interrompaient point les études qu’il faisait pour le monument équestre de François Sforza, dont il avait commencé le modèle peu de temps après son arrivée à Milan. Chose singulière, nous ne voyons guère en Léonard qu’un grand peintre, et c’est comme sculpteur que ses contemporains l’ont surtout apprécié. C’est sur cette œuvre gigantesque qu’il comptait lui-même pour immortaliser son nom, et il faut dire que ses études chez Verrocchio, le goût tout particulier qu’il avait pour les chevaux, ses admirables travaux d’anatomie paraissaient l’avoir destiné plus qu’aucun autre à réussir dans une pareille entreprise. Il ne nous reste pas même un croquis d’un travail que Léonard accomplit dans toute la force de l’âge et du talent, et qu’il ne mit pas moins de seize années à terminer. Une note qui se trouve sur la couverture de son Traité des Ombres et de la Lumière nous apprend qu’il fit deux fois le modèle de ce monument[9]. L’armature destinée à soutenir l’énorme masse de terre qu’il devait y employer le préoccupa beaucoup, et les marges de ses manuscrits sont couvertes de dessins de machines et d’échafaudages qui ne peuvent pas avoir eu d’autre destination. Cette statue devait être colossale, car Léonard avait calculé lui-même qu’il faudrait 100,000 livres de bronze pour la couler. Une ancienne gravure, qu’on croit être de sa main, et qui est décrite dans l’édition que Vallardi a donné de Gerli[10], paraît s’y rapporter et présente quatre projets différens. Dans ces esquisses, les cavaliers portent le bâton du commandement. Deux d’entre elles donnent aux chevaux pour point d’appui un guerrier renversé, ce qui indiquerait que Léonard avait eu l’intention de représenter son héros combattant. D’autres dessins de chevaux se trouvent dans le volume du Louvre et dans d’autres collections ; mais ces indications sont vagues et insuffisantes, et on a cru jusqu’à ces dernières années qu’il faudrait renoncer à se faire une idée, même approximative, de ce grand ouvrage. Cependant un manuscrit de la bibliothèque impériale, rapporté de Pavie par Louis XII, sur lequel M. Waagen a le premier appelé l’attention[11], jette quelque jour sur cette question. Cet admirable manuscrit[12], terminé en 1490 et intitulé Gesti di F. Forza, est dû au Crémonais Bartholomeus Gambagnola, qui en rédigea le texte très probablement sur l’ordre de Louis le More. Il est orné de trois miniatures de la plus grande importance, et sans aller aussi loin que ceux qui prétendent y voir la main de Léonard, il est impossible de méconnaître qu’elles ont été faites sous son influence, sur ses dessins, et sans doute par quelqu’un des élèves de l’académie de Milan. Au bas de la première page de l’introduction, couverte elle-même d’arabesques et d’ornemens d’un goût exquis, se trouve, dans un médaillon soutenu par deux amours, un portrait de Louis le More, d’une finesse, d’une fermeté et d’une largeur admirables. Le frontispice représente François Sforza, à cheval, sous un portique. Le cheval, puissant et un peu lourd, marche du pied droit ; l’anatomie en est très belle et paraît étudiée d’après une statue plutôt que d’après le vif. Le cavalier, armé de la tête aux pieds, le bâton dans la main droite appuyée en arrière sur la selle, semble un peu court ; sa tête, coiffée de la toque, est d’un dessin sec et précis. Le portrait est reproduit en buste à la page suivante en plus grande dimension. Si l’on se rappelle maintenant qu’en 1490 Léonard avait fini le premier modèle de la statue de Sforza, qu’il dirigeait à Milan non-seulement l’académie, mais tout ce qui, de près ou de loin, touchait aux beaux-arts, même la décoration du palais de Louis le More et jusqu’aux fêtes qu’il donnait, qu’il n’y avait à Milan aucun autre monument de François Sforza qui pût servir de modèle aux miniaturistes, que ces peintures sont bien certainement dans le style de Léonard, on conclura avec beaucoup de vraisemblance que nous possédons la reproduction de son œuvre, au moins telle qu’il l’avait exécutée une première fois. Il faut malheureusement ajouter que cette miniature, quelque belle qu’elle soit, ne donne pas l’idée d’une œuvre très originale ni très puissante. Ce n’est pas une création ; elle se rapproche trop des statues équestres qui existaient alors en Italie, du Colleoni de Verrocchio et du Gattamelata de Donatello, qui ornait depuis bien des années la place de San-Antonio à Padoue. Il serait du reste imprudent de juger une œuvre de cette importance d’après une miniature, et l’on peut d’ailleurs supposer que si Léonard, dont la justesse d’esprit n’est point contestable, abandonna son premier projet, c’est qu’il n’en était point satisfait. L’historien Paul Jove, qui put voir le modèle définitif, assure qu’il était aussi remarquable par son originalité que par ses dimensions.

La statue de Sforza fut découverte en 1493, peu de temps après le mariage de Louis avec Béatrix d’Esté. Elle excita une admiration prodigieuse ; mais Léonard n’en était pas satisfait : il y trouvait toujours quelque chose à corriger, si bien que, lorsque survinrent les événemens de 1499, elle n’était point fondue. Les arbalétriers gascons de Louis XII trouvèrent plaisant de la prendre pour but et la mirent en pièces[13].


III

Il ne nous reste rien de la statue colossale de François Sforza, nous ne possédons qu’un fragment informe du carton d’Anghiari, la Cène du couvent de Sainte-Marie-des-Grâces est en ruines ! La fatalité s’est acharnée à détruire les plus importans ouvrages de Léonard de Vinci. Nous ignorons même à quelle époque il entreprit son chef-d’œuvre. On a avancé, sur des indications qui me paraissent insuffisantes, qu’il n’y travailla que pendant les deux années 1496 et 1497 : il faut supposer avec Bossi qu’il s’occupa de cette composition pendant beaucoup plus de temps. On connaît les habitudes de Léonard ; il dut élaborer lentement une œuvre de cette importance, et tout porte à penser que les premières études qui s’y rapportent datent du commencement de son séjour à Milan. Vers 1496, le modèle de la statue de François Sforza étant achevé, il dut s’occuper avec d’autant plus de suite de la Cène que l’accès de dévotion dont fut pris Louis le More après la fin tragique de sa femme Béatrix mit un terme aux fêtes et aux distractions de toute sorte qui interrompaient sans cesse les travaux de Léonard. Un document cité par Amoretti prouve qu’il travaillait encore à cette peinture pendant l’année 1497, et c’est vraisemblablement vers cette époque qu’il l’acheva.

À voir les admirables cartons que Léonard avait préparés pour les têtes des apôtres et du Christ, les dessins très nombreux que nous possédons encore et qui se rapportent à cette composition, on peut juger, par le soin avec lequel il en étudia les moindres détails, de l’importance qu’il lui attribuait. Il mit à l’exécuter une ardeur et une passion qui ne lui étaient point habituelles. Bandello raconte qu’il lui est souvent arrivé de voir Léonard quitter brusquement sa statue équestre au milieu du jour, par les plus fortes chaleurs de la canicule, pour venir à Sainte-Marie achever un trait ou un contour de la Cène par deux ou trois coups de pinceau, comme s’il avait eu besoin de se soulager ainsi d’une trop forte préoccupation. D’autres fois il était tellement absorbé et captivé par son travail, qu’il y restait depuis le matin jusqu’au soir sans songer à boire ni à manger. Le prieur des dominicains tourmentait beaucoup Léonard pour qu’il achevât promptement son œuvre. Il ne pouvait comprendre, dit Vasari, qu’il restât quelquefois une demi-journée absorbé dans une sorte de contemplation. Léonard n’en faisait ni plus ni moins malgré les importunités du moine, qui jeta les hauts cris et alla se plaindre au duc. Léonard fut mandé chez Louis, qui lui parla de sa lenteur, mais en lui faisant entendre que les sollicitations du prieur avaient pu seules lui arracher ces reproches. « Léonard n’eût jamais consenti à entrer en discussion à cet égard avec le pauvre père, mais l’aménité et le tact du prince l’engagèrent à exposer toutes les difficultés qu’un artiste rencontre souvent au milieu de son œuvre, à prouver que souvent les grands génies ne travaillent jamais plus que dans les momens où ils paraissent ne rien faire… De plus, il confia au duc qu’il lui manquait deux têtes pour son tableau, celle du Christ et celle de Judas. Il n’espérait guère trouver sur la terre le type divin du Sauveur, dont son imagination, était impuissante à concevoir l’idéale et céleste beauté : il lui semblait aussi difficile de rencontrer sur une face d’homme assez de bassesse et de cruauté pour exprimer d’une manière frappante l’ingratitude et la trahison du monstre ; mais quant à cette dernière, ajoutait-il, il avait à peu près son affaire dans la tête du moine si tracassier et si importun. »

Léonard n’employa malheureusement pas les procédés de la fresque pour exécuter cet ouvrage. Curieux de toute innovation, il avait adopté l’un des premiers la peinture à l’huile, dont il connaissait peut-être imparfaitement l’emploi. Peut-être aussi se servit-il de couleurs et de drogues de son invention. Toujours est-il que lorsque l’Armenini vit la Cène cinquante ans après qu’elle eut été achevée, elle était déjà fort endommagée. Vasari, qui visita Milan en 1566, la trouva dans un état déplorable. En 1726, elle fut restaurée par un certain Bellotti, qui ne laissa intact que le ciel. Les moines pratiquèrent au milieu de la composition une porte qui fit disparaître les jambes du Christ et de plusieurs apôtres. Cette porte était destinée à établir une communication entre le réfectoire et la cuisine. On avait cloué tout près de la tête du Christ les armes impériales. Les soldats autrichiens et français rivalisèrent de vandalisme pour détruire ce chef-d’œuvre, et à la fin du siècle dernier, malgré l’ordre formel de Bonaparte, le réfectoire de Sainte-Marie-des-Grâces fut converti en magasin à fourrages et en écurie, jusqu’au moment où le prince Eugène le fit restaurer et mettre dans l’état où il est aujourd’hui. On voit que ce n’est pas seulement à l’humidité des murs et aux procédés défectueux dont s’est servi Léonard qu’il faut attribuer la dégradation de l’ouvrage le plus parfait qui soit sorti de la main d’un peintre.

La composition de la Cène est très connue ; elle a été popularisée par la gravure de Morghen, si belle de burin, malheureusement si fausse de caractère. Que sont devenus dans cette reproduction molle et monotone ces types si variés, si fermes, si distingués, ce dessin précis sans sécheresse, ce modelé puissant et moelleux, ces expressions de physionomies vives, nettement écrites, et qui ne touchent cependant jamais à l’exagération ? Nous possédons heureusement dans les copies nombreuses et contemporaines qui ont été faites de ce chef-d’œuvre, ainsi que dans les cartons et les dessins de la main même de Léonard, des documens suffisans pour apprécier cette peinture méconnaissable aujourd’hui, mais dont la supériorité était si manifeste que François Ier, pendant son séjour à Milan, eut sérieusement l’intention de faire transporter à Paris la muraille de Sainte-Marie-des-Grâces, et n’abandonna ce projet que parce que les ingénieurs reculèrent devant la difficulté de l’entreprise. Les dessins qui se rapportent à la Cène sont nombreux. Les premières esquisses, à peine indiquées, se trouvent à l’académie de Venise. Le volume du Louvre renferme deux ou trois têtes d’études qui paraissent avoir servi à Léonard pour cette composition. Enfin on possède les cartons dessinés au pastel, grands comme nature, des têtes du Christ et des apôtres, dont parle Lomazzo. Les têtes de saint Jacques, de saint Jean et du Christ sont restées en Angleterre. Les dix autres se trouvaient il y a quelques années dans la collection du roi de Hollande ; elles ont été vendues en 1850 et sont maintenant à Pétersbourg. On conserve à Milan, au musée de Brera, une très belle tête du Christ, également grande comme nature, dessinée à la pierre noire et à la sanguine. On connaît plus de quarante copies et les imitations plus ou moins anciennes de la Cène. La plus célèbre et de beaucoup la meilleure est celle que Marco d’Oggiane peignit sur toile vers 1510, et qui se trouve à l’académie de Londres ; elle est exactement de la grandeur de l’original, qu’elle reproduit dans ses plus minutieux détails. Celle que possède le musée du Louvre est d’un tiers moins grande que la précédente, très exacte également ; elle paraît être de la même main, quoique moins belle. Cette copie fut commandée par le connétable de Montmorency pour la chapelle du château d’Écouen. La petite copie qui était dans la salle des marguilliers à Saint-Germain-l’Auxerrois, et qu’on attribue à B. Luini, a été tellement repeinte qu’elle mérite à peine une mention. Enfin le grand carton conservé dans la galerie de Leuchtenberg à Munich, que le peintre Bossi exécuta en consultant les meilleurs documens pour la mosaïque de la galerie du Belvédère à Vienne, peut être étudié avec fruit. Le même peintre fit encore à l’huile la répétition de ce carton qui se trouve au musée de Brera.

Ce sujet de la Cène n’avait été traité que très exceptionnellement par les peintres antérieurs à Léonard. Négligé par les écoles de Venise, de Sienne et d’Ombrie, les maîtres florentins paraissent être les seuls qui s’en soient occupés. Le Cénacle que Giotto et ses élèves peignirent dans l’ancien réfectoire de Santa-Croce à Florence, les deux fresques du même genre qu’exécuta Domenico Ghirlandajo dans celui de Saint-Marc et dans celui d’Ognissanti, sont les seuls ouvrages représentant ce sujet qui méritent une mention. Ces peintures ont la grandeur et l’élévation qu’on est habitué à rencontrer dans toutes les productions de cette admirable école ; mais l’art, avec Giotto et même avec Ghirlandajo, manquait de la souplesse nécessaire pour vaincre les difficultés particulières à ce sujet. Ces compositions grandioses et austères sont raides ; les personnages, immobiles sur une seule ligne, ne marquent ni par leurs gestes ni par leurs expressions les sentimens qui doivent agiter leur âme. Plus sévères chez l’un de ces maîtres, déjà plus vivans chez l’autre, ils ne concourent point à l’action, qui n’a rien de cette unité puissante et de cette prodigieuse variété que Léonard devait mettre dans son chef-d’œuvre. Si l’on se reporte au temps où cet ouvrage fut exécuté, on ne peut qu’être émerveillé du progrès immense que Léonard fit faire à son art. Presque le contemporain de Ghirlandajo, condisciple de Lorenzo di Credi et du Pérugin, qu’il avait rencontrés dans l’atelier de Verrocchio, il rompt d’un coup avec la peinture traditionnelle du XVe siècle, il arrive sans erreurs, sans défaillances, sans exagération et comme d’un seul bond, à ce naturalisme judicieux et savant également éloigné de l’imitation servile et d’un idéalisme vide et chimérique. Chose singulière, le plus méthodique des hommes, celui qui parmi les maîtres de ce temps s’est le plus occupé des procédés d’exécution, qui les a enseignés avec une telle précision que les ouvrages de ses meilleurs élèves sont tous les jours confondus avec les siens, cet homme dont la manière est si caractérisée n’a point de rhétorique. Toujours attentif à la nature, appuyé sur elle, la consultant sans cesse, il ne s’imite jamais lui-même. Le plus savant des maîtres en est aussi le plus naïf, et il s’en faut que ses deux émules, Michel-Ange et Raphaël, méritent au même degré que lui cet éloge.

La peinture murale de Sainte-Marie-des-Grâces ne compte pas moins de 8 mètres 60 centimètres de large sur 4 mètres 51 centimètres de haut. Les personnages ont près de 3 mètres. Dans son dessin général, elle ne diffère en rien d’essentiel de celles de Giotto et de Ghirlandajo. C’est une peinture sur un seul plan. Si affranchi qu’il soit des entraves de l’art hiératique dans la représentation de la figure humaine, Léonard n’avait pas cette hardiesse d’imagination qui fit concevoir et victorieusement exécuter à Michel-Ange et à Raphaël la voûte de la Sixtine et l’École d’Athènes. Le sujet se prêtait d’ailleurs admirablement à ce genre de composition, et c’est en développant un thème qu’il n’avait pas inventé qu’il s’est montré créateur. Comme dans la fresque de Giotto, les personnages sont sur une même ligne qui fait face au spectateur. Le Christ n’a point d’auréole, les apôtres n’ont aucun de ces emblèmes qui les caractérisent dans les anciennes peintures. C’est par le jeu de la physionomie et par les gestes que les apôtres, groupés trois par trois et se rapprochant avec anxiété du Christ pour mieux entendre ses paroles, expriment l’étonnement et l’horreur qui débordent de leur âme. Ni la vivacité des expressions, ni la violence des attitudes ne nuisent à la savante harmonie de cet ensemble vivant. Depuis le visage ineffable du Christ jusqu’à la figure ignoble de Judas, l’œil parcourt une suite de types expressifs, individuels, admirables, où se peignent avec une netteté parfaite les sentimens les plus forts et les plus variés.

Le Christ de la Cène de Milan résume le génie de Léonard de Vinci dans ce qu’il a de plus élevé. La conception en est grande, originale, frappante ; l’exécution en est parfaite. L’école de Phidias avait cherché le type de l’espèce humaine, l’homme abstrait ; le peintre florentin a représenté l’homme idéal, l’individu. Vasari, dans son amour du merveilleux, a prétendu que Léonard n’avait jamais pu achever la tête de son Christ. C’est du roman. Elle était peinte, et probablement avec intention, d’une manière plus vague, moins affirmée que celle des disciples ; mais l’Armenini assure qu’elle était complètement terminée, et ce qu’on en peut voir encore fait penser qu’il a raison. Cette admirable figure a-t-elle cependant toute la portée qu’on a voulu lui donner ? Léonard l’a peinte sans doute avec le sérieux et le respect dus à un pareil sujet, et nous croyons volontiers Lomazzo, lorsqu’il dit qu’il n’y travaillait pas sans que sa main tremblât ; mais a-t-elle le caractère surhumain qu’on a voulu lui donner ? Le Christ de Léonard est le plus beau des hommes ; mais rien dans sa personne ne décèle un dieu. Son tendre et ineffable visage respire la plus profonde douleur. C’est un maître miséricordieux qui avoue sans colère à ses disciples, à ses enfans, que l’un d’eux le trahira. Il est grand, pathétique, sublime, mais il reste homme. L’effroi, l’étonnement, l’horreur, qu’expriment si vivement, si nettement, les gestes, les pantomimes, les expressions des disciples, n’ont rien qui dépasse les sentimens humains. Qu’on se représente de nos jours un père assis à la table de famille, au milieu de ses enfans, et disant à l’un d’eux : « Tu m’as trompé ! » On aura, moins la beauté et la force que le génie ajoute à la réalité, le drame qui resplendit sur la muraille de Sainte-Marie. L’art doit-il en rester là ? En se bornant à exprimer d’une manière admirable des sentimens vrais, Léonard a-t-il donné à sa création toute la portée qu’elle pouvait avoir ? Je conviens que son œuvre est parfaite, et qu’il l’a exécutée telle qu’il l’a conçue ; mais je ne puis comprendre qu’en se méprenant sur le but qu’il poursuivait, on ait voulu faire de ce grand peintre le représentant le plus élevé et le plus complet de l’art religieux. Je sens bien de quel intérêt il serait pour certaines doctrines exclusives de s’assurer un pareil auxiliaire ; mais les faits ne se prêtent point à de pareilles interprétations. L’auteur de la Cène n’est ni liturgique, ni chrétien, ni religieux à aucun degré. Non-seulement la pensée religieuse ne se montre nulle part dans ses ouvrages d’art, mais ce que l’on a lu de ses volumineux écrits et de ce journal où il consignait régulièrement ses plus secrètes pensées peut leur servir de commentaire et d’explication. On n’y trouvera qu’un observateur prodigieux de l’esprit humain, une merveilleuse intelligence dont la sagacité s’élève jusqu’au génie : jamais un mot sorti du cœur, jamais un sentiment qui dépasse la réalité. Il ne faut pas jouer sur les mots. Je comprends qu’une œuvre parfaite, quelle qu’en soit d’ailleurs la portée, élève l’âme, et qu’en lui montrant une image harmonieuse, et jusqu’à un certain point complète, elle la prédispose à concevoir le surnaturel, l’absolu ; mais je ne puis admettre que cette œuvre elle-même ait un caractère religieux. Retenus dans l’espace et dans le temps, nous n’y sommes point enfermés. Semblables à ces êtres inférieurs de la création qui, destinés à subir plusieurs métamorphoses, présentent dès les premières phases de leur développement des organes rudimentaires sans utilité directe, nous avons des facultés incomplètes qui perçoivent obscurément des formes, des idées, des sentimens, qui dépassent les limites du monde sensible. La religion, la métaphysique, la poésie, la musique, les arts du dessin, sont les formes qui répondent à ces besoins de l’âme, à ces élancemens du cœur, à ce goût passionné de la beauté, traits épars de la vérité parfaite à laquelle l’homme aspire, et qu’il pressent. C’est cette beauté suprême que les maîtres naïfs de la noble école toscane poursuivaient malgré les entraves d’un art imparfait ; c’est elle que cherchaient Michel-Ange et Raphaël, et qu’ils ont atteinte en particulier dans cette figure du Christ, l’un en lui donnant une force, une grandeur et une majesté surhumaines, l’autre en répandant sur toute sa personne une grâce, une pureté, une douceur presque divines.

Les tableaux de chevalet qu’on peut avec quelque certitude attribuer à Léonard de Vinci sont excessivement rares. Chef d’une école habile et fervente, ses élèves ont souvent travaillé d’après ses dessins ou ses cartons, et il est quelquefois si difficile de distinguer leurs ouvrages des siens, que les connaisseurs les plus compétens s’y sont trompés. Je ne veux entrer dans aucune discussion d’authenticité. Les quelques ouvrages qui sont indubitablement de la main de Léonard, et que nous possédons, suffisent pour caractériser sa manière. Il faut certainement retrancher de son œuvre des tableaux d’une grande beauté et très importans, tels que la Vierge au bas-relief de lord Monsohn, la Modestie et la Vanité du palais Sciarra, le Christ disputant avec les docteurs de la galerie nationale de Londres, les trois Hérodiade de Vienne, celle de Paris, ainsi que celles de la Tribune de Florence et de la galerie d’Hampton-Court, qu’un dessin élégant, mais sans largeur, un modelé sans force, un coloris clair, transparent, léger et brillant, font attribuer sans hésitation à Bernardino Luini. Il faut rendre à Salai, à Beltraffio ou à d’autres les Léda, peut-être même la belle Vierge de Pétersbourg, et cette adorable figure de jeune femme, le sein gauche découvert, une fleur à la main, les cheveux noués à la grecque, qui était connue sous le nom de la Collombina dans la galerie d’Orléans, qui passa ensuite dans celle du roi de Hollande, et qui orne aujourd’hui la collection déjà si riche du palais de l’Ermitage. On pourrait prolonger cette liste et contester presque tous les tableaux qui ont été attribués à Léonard. En fait d’authenticité, je ne suis point parmi les crédules, mais je trouve cependant M. Kugler trop sévère lorsqu’il paraît penser que les seuls tableaux dont l’invention et l’exécution soient de Léonard se réduisent à trois de ceux qui se trouvent au Louvre : à la Joconde, au Saint Jean-Baptiste et au portrait de Lucrezia Crivelli. Pour ne parler que de Paris, je crois impossible que l’on conteste sérieusement la Vierge et sainte Anne, ni même le Bacchus. J’ai dit ce que je pensais de la Vierge aux Rochers. Ce seraient six tableaux qui font bien, j’en dois convenir, la grande moitié des ouvrages de chevalet parfaitement authentiques de Léonard.

Il n’est pas moins difficile de fixer la chronologie des tableaux de chevalet de Léonard que d’en établir l’authenticité. Le portrait de Lucrezia Grivelli au Louvre, ceux de Louis le More et de Béatrix à l’Ambroisienne, peut-être la belle Vierge allaitant le Christ du palais Litta, dans laquelle on croit reconnaître l’influence de Jean Van-Eyck[14]), sont les seuls qu’on puisse rapporter avec quelque certitude à son séjour à Milan. Le dessin de ces ouvrages est élégant, d’une justesse extrême ; mais la peinture garde encore un peu de cette sécheresse que Léonard, semble-t-il, n’a perdue qu’à partir de son retour en Toscane. Le portrait de Lucrezia est cependant un chef-d’œuvre. On pense qu’il a été peint vers 1497, lorsque Louis le More, revenu de sa dévotion, se fut rattaché à cette femme, dont il eut même alors un fils, nommé Giovanni Paolo. Elle est vêtue d’une robe rouge ornée de broderies et de bandes d’or. La tête est de trois quarts ; les cheveux, en bandeaux très lisses, sont retenus par une ganse noire, ornée d’un diamant, qui passé sur le front. On a pris longtemps ce portrait pour celui de la maîtresse de François Ier, la femme du drapier Féron, et on la nomme encore la belle Féronnière. Quant à celui d’une autre des maîtresses de Louis, la belle Cecilia Gallerani, il se trouvait encore au siècle passé chez le marquis Bonevana ; mais il paraît irrévocablement perdu : Léonard semble l’avoir répété plusieurs fois. C’est elle que les caprices érotiques de Louis lui imposèrent le plus souvent comme modèle pour les tableaux religieux qu’il lui commandait. On a cru la reconnaître dans la Sainte Cécile de la galerie de Munich ; d’autres portraits d’elle, également déguisée en sainte, étaient conservés chez le professeur Franchi à Milan et chez les Pallavicini de San-Calocero. Enfin Amoretti vit à Milan, chez un marchand de vin, un tableau dont il parle avec admiration : c’était une Vierge tenant une rose que l’enfant Jésus bénissait, et pour qu’on ne pût se tromper sur l’intention qui avait dicté cette composition, on avait écrit au bas du tableau ces deux vers :

Per Cecilia qual te orna, lauda e adora
El tuo unico filio, o beata Vergine, exora !

C’est comme ingénieur, on se le rappelle, que Léonard s’était avant tout proposé à Louis le More ; jusqu’au moment où il commença la Cène, ses travaux d’architecture, de sculpture, ainsi que l’organisation de l’académie de Milan et son enseignement, l’absorbèrent presque tout entier. Les études préparatoires qu’il avait faites pour la Cène, les difficultés qu’il avait dû rencontrer dans l’exécution de ce grand ouvrage, en le rendant de plus en plus maître des moyens matériels de son art, complétèrent cette somme de connaissances, d’expérience, que son esprit sagace et avide de perfection allait bientôt si admirablement mettre en œuvre. C’est à partir de son second séjour à Florence, depuis l’année 1500 environ, que sa peinture, déjà si remarquable par un dessin précis et serré, par un relief vigoureux, prit cette largeur, cette finesse élégante et cette grâce, ce modelé souple, moelleux, inimitable, ce sfumato merveilleux qui fait dire à Vasari que « cette peinture fait le désespoir de tout peintre excellent. »

Trois tableaux conservés au Louvre, la Vierge et sainte Anne, Saint Jean et la Jocondev suffiront pour caractériser cette dernière manière de Léonard. Un passage obscur de Vasari a fait contester l’authenticité de la Vierge et sainte Anne. Le biographe raconte que les frères servites chargèrent Léonard de faire pour le maître-autel de l’église de l’Annunziata un tableau précédemment commandé à Filippino, qui, par considération pour Léonard de Vinci, renonça à cette commission ; que Léonard, s’étant installé chez les frères avec sa famille, n’aurait mis aucun zèle à terminer cet ouvrage ; qu’après en avoir avancé le carton, qu’il exposa pendant deux jours à l’admiration de la foule, et leurré les frères de promesses, il l’aurait abandonné ; que plus tard même, malgré les instances de François Ier, son indécision et sa mobilité l’auraient empêché de le peindre. Le carton fait pour les frères servites est maintenant très connu ; il est à l’académie de Londres, et n’a pu en aucune manière servir pour le tableau du Louvre. Dessiné aux crayons noir et blanc, c’est un des ouvrages les plus parfaits et les mieux conservés de Léonard. Les figures sont plus petites que nature. Le Christ, sur les genoux de sa mère, se retourne vers le petit saint Jean. Sainte Anne est assise à côté de la Vierge, et montre le ciel de la main. L’auteur a donc fait deux compositions différentes de ce sujet, ce que Vasari paraît avoir ignoré ; mais il n’a pas fallu moins d’un texte de Paul Jove, qui affirme que le tableau représentant la Vierge assise sur les genoux de sainte Anne a été exécuté, et surtout de l’excellence tous les jours mieux reconnue de ce merveilleux ouvrage, pour le faire restituer à Léonard.

Cette composition a été répétée par les meilleurs élèves du grand peintre. Le carton original du tableau de Paris serait, d’après M. Waagen, dans la famille de Platen, en Westphalie[15] ; la copie de Salai, faite pour la sacristie de Saint-Celse, est dans la galerie de Leuchtenberg, à Munich ; celle du palais Pitti est attribuée à Aurelio Luini, et la répétition, avec quelques variantes, de la galerie Brera, à Bernardino Lanino.

Quoiqu’on trouve ça et là dans ses premiers ouvrages, et même dans ceux de son maître Verrocchio, quelques traits de ce type féminin que Léonard devait immortaliser dans ses dernières compositions, c’est dans le visage de cette Vierge du Louvre qu’il l’accuse avec le plus de netteté et d’élévation. Ce tableau n’est pas achevé, les draperies, les fonds et les accessoires ne sont qu’ébauchés, la couleur n’est pas aussi solide, le modelé n’est pas aussi puissant que dans le portrait de la Joconde. La composition même est bizarre et ne vaut pas celle du carton de Londres, mais les têtes sont admirables. La Vierge et la sainte Anne ont cet air noble, tendre et un peu dédaigneux, ce sourire ineffable, ce regard souriant et voluptueux des femmes de Léonard, belles et profanes madones qu’on a si souvent reproduites sans pouvoir jamais les égaler !

Le type de la sainte Anne, de la Joconde, du saint Jean, serait-il une création spontanée du cerveau de Léonard ? ou bien le peintre aurait-il rencontré dans la nature cet idéal qu’il avait obscurément poursuivi jusqu’alors ? Une découverte faite il y a quelques années, et dans des circonstances assez bizarres pour mériter d’être rapportées, pourrait expliquer comment Léonard, qui choisissait pour ses têtes d’hommes les modèles les plus variés, a pour ses têtes de femmes adopté ce type unique, si facilement reconnaissable, et qui a tant embarrassé tous ceux qui se sont occupés de son œuvre. Parmi les tableaux appartenant au roi Louis-Philippe, et qui furent vendus aux enchères, se trouvait un beau panneau de cèdre sur lequel était peinte une figure qui paraissait médiocre. Un intelligent marchand de tableaux de Paris, M. Moreau, l’acheta, se doutant peut-être qu’un si grossier badigeonnage devait cacher quelque mystère. Le panneau nettoyé, on trouva une admirable peinture où je n’hésitai point, lorsque je la vis il y a quelques années, à reconnaître la main de Léonard. On a dit que ce tableau avait été recouvert par les ordres du duc d’Orléans, fils du régent, qu’il avait été relégué dans les greniers du Palais-Royal, où on l’avait oublié, mais que le roi Louis-Philippe savait par des papiers de famille qu’il devait posséder un ouvrage de Léonard, et qu’il s’en était souvent informé. Quoi qu’il en soit, cette peinture représente une femme à demi couchée, presque nue, évidemment faite d’après nature. C’est la Joconde, ce sont les mêmes traits, le même sourire de la bouche et des yeux, les mêmes merveilleuses mains. Si on ajoute qu’il existe deux portraits en buste et sans vêtemens de la même personne, l’un qui était dans la galerie Fesch, l’autre qui se trouve encore à l’Ermitage[16], que Mona Lisa Gherardini était la troisième femme de Francesco del Giocondo, qui l’épousa en 1495, que peu d’années plus tard Léonard de Vinci, encore presque jeune, ayant pour lui les séductions du génie, de l’esprit, de la beauté, se trouvait à Florence, que ce portrait, auquel il travailla ou fit semblant de travailler près de quatre ans, bien loin de rester entre les mains du mari, demeura la propriété du peintre, qui le vendit à François Ier 4,000 écus d’or (45,009 fr.), qu’enfin, à partir de cette époque, toutes les peintures et surtout les dessins[17] de Léonard offrent une ressemblance frappante avec le portrait de Mona Lisa que nous possédons, on se convaincra qu’il pourrait y avoir dans ces rapprochemens, dont je n’ai pas été seul frappé, une explication plausible d’un fait unique dans l’histoire de l’art.

Les répétitions du portrait de Mona Lisa sont très nombreuses ; il s’en trouve aux musées de Madrid, de Munich, à Florence, à la casa Mazzi, à Rome chez le prince Torlonia, dans la villa Sommariva, sur le lac de Côme, à Londres, dans la collection Hume. Le portrait du Louvre a noirci, mais sans rien perdre de son harmonie et de sa beauté, et c’est par une étrange inadvertance que les commentateurs de Vasari ont écrit « qu’il avait été gravement défloré par une restauration maladroite. » La moindre retouche faite à une semblable merveille sauterait aux yeux. Ce tableau est parfaitement intact, et on a sur ce point trop à reprocher aux administrations qui se sont succédé au Louvre pour qu’il convienne de les charger d’un crime imaginaire.

Dans leur immortalité relative, les créations du génie ont cette ressemblance avec celles de la nature, que les années ne les atteignent point, et qu’une jeunesse éternelle est leur partage. Celles-ci se renouvellent de saisons en saisons ; les grandes œuvres de l’art conservent d’une manière plus constante et malgré les injures du temps la vivante image de la pensée qui les créa. Les unes comme les autres demeurent, tandis que s’entassent à leurs pieds les débris des générations qui les ont contemplées. Cette image voluptueuse et charmante de Mona Lisa existe depuis plus de trois siècles. Des milliers d’hommes, de tout âge et de toutes langues, se sont pressés autour de ce cadre étroit. Ils se sont embrasés aux rayons de ces yeux limpides et ardens. Ils ont écouté les paroles menteuses de ces perfides lèvres. Ils ont emporté aux quatre coins du monde le trait empoisonné dans leur cœur. Aussi longtemps qu’il restera quelques vestiges de cette merveilleuse et funeste beauté, tous ceux qui cherchent à lire les mystères de l’âme sur les traits du visage viendront avec angoisse demander à ce sphinx nouveau le mot de l’énigme éternelle. Amoureux, poètes, rêveurs, allez mourir à ses pieds ! Votre désespoir ni votre mort n’effaceront de cette bouche railleuse le sourire enchanteur, le sourire implacable qui promet la félicité, qui ne donnera jamais le bonheur.

Le Saint Jean est moins parfait que la Joconde, et cependant je ne crois pas que dans aucun autre de ses ouvrages Léonard se soit autant approché de l’idéal qu’il poursuivait ; mais par quelle étrange fantaisie le peintre a-t-il mis une croix dans la main de cette figure profane ? Ce Saint Jean est une femme, personne ne s’y trompe. C’est l’image de la Volupté : elle s’impose à l’esprit avec une incroyable puissance ; il semble qu’on l’ait vue vivante : elle reste gravée dans l’imagination et dans le cœur comme ces souvenirs douloureux et charmans que l’on déteste et que l’on chérit. Je me souviens qu’en me rendant à Rome pour la première fois, je fus arrêté près de Baccano par quelque accident de voiture. Du haut des collines qui dominent cette pauvre auberge, la vue s’étend sur toute la campagne romaine et sur la ville. Le spectacle que je désirais voir depuis bien des années, je l’avais sous les yeux. Cette figure du Saint Jean de Léonard me poursuivait. Pour ramener mon attention sur la grande scène qui m’entourait, je récitais les vers terribles qu’Alfieri a datés de cette place :

Vota, insalubre regione che stato
Ti vai nomando…


« Terre insalubre et dépeuplée qui prétends au nom d’état, visages pâles, repoussans et exténués d’un peuple lâche et coupable ;… prince que la folie d’autrui appelle bienheureux, cité sans citoyens ; temples augustes sans religion,… lois injustes qui devenez plus mauvaises à chaque lustre,… c’est toi, Rome, toi, le siège de tous les vices ! » C’était en vain, la voluptueuse image ne me quittait pas ; elle flottait devant moi sur la vaste plaine ; je voyais ses lèvres folles et souriantes, ses yeux enivrés, ses abondans cheveux d’or, et j’entrai dans la ville éternelle, l’esprit hanté par le fantôme du faux dieu de tous les temps.


IV

Les travaux importans que Léonard avait exécutés à Milan ne l’avaient point enrichi. Menant grand train et comptant peu, lorsque la fortune lui souriait, il partageait volontiers avec ses élèves et ses amis. Il était bon : Melzi l’appelle dans ses lettres « bon ami et excellent père ; » mais il n’avait ni cette dignité de caractère ni ce goût d’indépendance qui conseillent le stoïcisme ou la prévoyance. La lettre que l’auteur de la Cène écrivit au duc de Milan pour lui exposer sa détresse est d’une tristesse et d’une humilité navrantes. « Il n’a plus de commission de personne… Il veut renoncer à son art. Il a dévoué sa vie au service du duc,… il est continuellement prêt à obéir ; mais il est en retard de sa solde, il n’a plus rien pour payer ses ouvriers ; il demande qu’on lui donne quelques vêtemens[18]… » Louis lui fit présent, par acte du 26 avril 1499, d’une petite vigne de seize perches, située près de la porte Vercellina. Peu de temps après, le More était chassé de ses états par la rapide campagne de Louis XII, et Léonard fit à son ancien patron cette brève oraison funèbre, qu’on trouve écrite de sa main sur la couverture de l’un de ses manuscrits : « Le duc perdit l’état, la fortune et la liberté ; il n’a rien terminé de ce qu’il a entrepris. »

Léonard vit de ses propres yeux détruire le modèle de son monument de François Sforza, les peintures qu’il avait faites dans le palais du duc, ses grandes et admirables constructions du palais de Galeas San-Severino ; il ne paraît pas cependant qu’il ait d’abord songé à quitter Milan, et on voit par quelques notes de ses manuscrits qu’il se considérait comme attaché à la personne du prince, quel qu’il fût, et qu’il désirait rester dans un pays où il avait maintenant quelque bien et où il aurait voulu continuer ses travaux. Les embarras que la guerre donnait à Louis XII ne lui permirent probablement pas d’utiliser les talens d’un homme qu’il devait si vivement apprécier par la suite, et Léonard partit pour Florence avec son élève Salai et son ami l’anatomiste Luca Pacciola, dont il avait illustré de nombreuses planches le livre de divina Proportione, qui ne fut cependant publié qu’en 1509.

À Florence, il trouva ses amis sous le coup des troubles et des agitations qui suivirent la mort de Savonarole. Fra Bartolomeo s’était fait moine au couvent de Saint-Marc ; Lorenzo di Credi, désespéré de la mort du réformateur, avait renoncé à la peinture et voulait se retirer pour mourir à l’hôpital de Sainte-Marie-Nouvelle ; Boticelli, que Léonard appelle son ami dans le Traité de la Peinture, vieux, pauvre et attristé, n’avait plus rien du joyeux compagnon qu’il avait connu vingt ans plus tôt. Pérugin était le seul de ses anciens amis qui n’eût pris aucune part aux événemens dont Florence venait d’être le théâtre. Il était lié de très ancienne date avec Léonard, il professait comme lui la plus parfaite indifférence à l’endroit des questions politiques et religieuses, et on sait qu’il vint le voir plusieurs fois pendant le séjour que l’auteur de la Cène fit alors en Toscane.

Léonard, aussitôt après son arrivée, s’était remis à ses études pour la canalisation de l’Arno, qu’il prétendait rendre navigable de Florence jusqu’à Pise[19]. Il commença peut-être dès cette époque le portrait de Mona Lisa et fit celui de la belle Ginevra de Benci, que Ghirlandajo avait déjà représentée dans une des fresques de Sainte-Marie-Nouvelle ; mais il ne resta que peu de temps dans sa patrie. Il se mit au service de César Borgia, qui le nomma, en 1502, son architecte et son ingénieur général. Il passa cette année presque entière à dessiner des ports, à projeter des fortifications, à parcourir dans tous les sens la Romagne et l’Ombrie. Dès janvier 1502, il était de retour à Florence, où nous le trouvons parmi les artistes désignés pour donner leur avis sur la place que devait occuper le David de Michel-Ange. Enfin, en 1504, il fut chargé de décorer l’une des parois de la grande salle du Palais-Vieux.

J’ai parlé ailleurs de cette composition de Léonard de Vinci, et je n’y veux pas longuement revenir. Ayant à représenter un trait de l’histoire de Florence, il avait choisi un épisode de la bataille d’Anghiari, gagnée par ses compatriotes contre Piccinino, qui servait alors Philippe-Marie Visconti. Sachant qu’il devait avoir Michel-Ange pour concurrent dans la décoration de cette salle, ce n’est sans doute pas sans intention qu’il prit un sujet d’action qui lui permettait de suivre son redoutable rival sur son propre terrain. On sait qu’il ne nous reste presque aucune trace du carton qu’il exécuta pour cette peinture, elle-même détruite ; la description ambiguë de Vasari, celle que Léonard fit lui-même et qu’Amoretti nous a conservée, un dessin très insuffisant de Raphaël, quelques croquis publiés dans Gerli et qui paraissent s’y rapporter, le dessin de la casa Rucellai gravé dans l’Etruria pittrice[20], enfin la gravure d’Edelinck, faite d’après un dessin de Rubens, qui ; n’ayant pas vu le carton, n’avait pu reproduire qu’une copie plus ou moins ancienne de cette composition, tels sont les seuls renseignemens que nous possédions sur ce grand ouvrage, car je dois à peine mentionner la lithographie publiée il y a quelques années par M. Bergeret d’après un dessin que personne n’a vu, et qui donnerait une pauvre idée de l’œuvre de Léonard, ainsi que quelques autres reproductions ou gravures qui ne présentent pas plus d’authenticité.

En choisissant pour sujet un combat de cavalerie, Léonard avait trouvé le moyen d’introduire dans sa composition son animal de prédilection, qu’il avait autant étudié que la figure humaine, et dont il connaissait à fond les formes et les mouvemens. En retraçant une action qui se passe entre un petit nombre de personnages près du spectateur sur le devant du tableau, en évitant ainsi les complications de plans qu’il ne paraît pas avoir jamais bien entendues, il s’était tenu dans les conditions les plus favorables au développement de ces qualités. Il est d’ailleurs probable que, stimulé par la réputation éclatante de son jeune rival, il mit à cette composition tout le soin dont il était capable, et qu’il fit les plus grands efforts pour ne pas perdre dans l’opinion la première place, que personne n’avait songé jusqu’alors à lui contester. Cependant, quelle que soit l’insuffisance du dessin de Rubens, nous possédons certainement les lignes principales, le plan de la composition de Léonard, et quoiqu’on puisse se figurer par quels prodiges d’exécution il aurait atténué la faiblesse de l’invention, s’il eût terminé la peinture qu’il ne fit que commencer dans la salle du Palais-Vieux, il faut dire que, d’après le peu que nous savons, c’est avec raison que l’opinion publique, incroyablement excitée et passionnée par ce duel entre les deux plus grands artistes de ce temps, se prononça si nettement pour Michel-Ange.

Léonard commença son carton dès février 1504. Il était terminé au mois d’avril de l’année suivante, car nous savons, par les belles recherches du docteur Gaye, qu’à cette époque la peinture était commencée dans la salle du Palais-Vieux. La seigneurie de Florence lui avait alloué 15 florins larges en or par mois, et lui avait adjoint plusieurs peintres qui travaillaient sous sa direction. L’œuvre n’était pas encore achevée en août 1505, lorsque tout à coup il l’abandonna. Toujours préoccupé d’inventions nouvelles, il avait recouvert le mur d’un mastic qui coulait ; mais il se peut que cette circonstance et son insouciance habituelle ne soient pas les raisons principales qui lui aient fait abandonner ce travail, et il est probable que l’éclatant succès du carton de Michel-Ange ne fut pas sans influence sur sa détermination. La peinture de Léonard de Vinci existait encore en 1513, mais très détériorée, car les magistrats de Florence furent obligés, à cette date, de la faire entourer d’une armature, afin qu’elle ne se détruisît pas tout à fait. À partir de cette époque, on perd toute trace de cet ouvrage.

C’est en 1505, pendant qu’il travaillait encore à la peinture du Palais-Vieux, qu’il fit les modèles des trois statues coulées par Francesco Rustici, qui se trouvent encore au-dessus de la porte septentrionale du baptistère de Florence. Dès le mois d’août de l’année suivante, il retournait à Milan, et Charles d’Amboise, maréchal de Chaumont, gouverneur de la Lombardie pour Louis XII, lui témoignait déjà cette vive amitié qu’il lui garda jusqu’à sa mort[21]. Le maréchal faisait en effet demander à la seigneurie de Florence, le 19 août 1506, qu’on permît à Léonard de prolonger son séjour auprès de lui à Milan, « car il avait besoin de son travail pour un petit espace de temps. » La réponse de la seigneurie n’avait sans doute pas été favorable, car au mois d’octobre suivant le maréchal écrit lui-même : « Comme nous avons encore besoin de maître Léonard, vos excellences nous feront grand plaisir de prolonger le congé qu’elles ont accordé audit Léonard, nonobstant la promesse qu’il a faite, afin qu’il puisse demeurer à Milan et achever certains ouvrages qu’il a commencés pour nous. » Le sévère gonfalonier Soderini répondit sèchement : « Votre seigneurie voudra bien nous excuser de ne pas accorder le délai que vous demandez pour Léonard de Vinci, qui ne s’est point comporté comme il le devait envers cette république, car il a accepté une bonne somme d’argent et donné un petit commencement à un grand ouvrage qu’il s’était engagé à faire, et par amour pour votre seigneurie il s’est comporté comme un délateur[22]. Nous désirons n’être pas sollicités davantage, parce que son travail doit satisfaire l’universalité, et que nous ne pouvons pas, sans en souffrir, suspendre plus longtemps. »

Léonard partit de Milan, non sans emporter une lettre du maréchal pleine des recommandations les plus chaleureuses, destinées à désarmer le terrible gonfalonier. « Les œuvres éminentes, dit Charles d’Amboise, que maître Léonard, votre citoyen, a faites en Italie, et surtout en cette ville, ont porté tous ceux qui les ont vues à l’aimer singulièrement, encore qu’ils ne le connussent pas. Et nous confessons pour notre part être du nombre de ceux-là, l’ayant aimé avant de l’avoir connu personnellement. Mais depuis que nous avons vécu avec lui et que nous avons éprouvé par expérience ses diverses qualités, nous voyons en vérité que son nom, célèbre à cause de sa peinture, est obscur en comparaison des éloges qu’il mériterait dans les autres branches où il est si distingué, et nous confessons que dans les différentes choses que nous lui avons demandées, et qui concernent notre profession, telles que dessins et projets d’architecture, il nous a non-seulement satisfait, mais qu’il a excité notre admiration. C’est pourquoi, puisque vous avez bien voulu nous le laisser ces jours passés, nous nous montrerions ingrat si nous ne saisissions pas l’occasion de son retour dans sa patrie pour vous exprimer notre gratitude… Et s’il était besoin de recommander aux siens un homme de ce mérite, nous vous le recommanderions de tout notre pouvoir, et nous vous certifions que vous ne pouvez rien faire pour augmenter ses biens, ses agrémens et ses honneurs sans qu’avec lui nous nous en réjouissions singulièrement. »

Cette lettre n’empêcha pas le gonfalonier de reprocher très durement à Léonard son inexactitude, son manque de foi et même les avances qu’il avait reçues pour un travail qu’il ne terminait pas. Léonard, blessé, courut chez ses amis, compléta la somme qu’on lui reprochait d’avoir reçue, et la porta à Soderini. Il faut se hâter d’ajouter que le gonfalonier refusa de la recevoir ; mais il semble que depuis ce moment Léonard ne pensa plus qu’à quitter sa patrie, où, on doit en convenir, il n’avait jamais été particulièrement apprécié, et il n’y revint que pour très peu de temps, en 1507 et en 1511, pour un procès qu’il soutenait contre ses frères à propos de l’héritage de son oncle paternel, et en 1514 en se rendant à Rome avec Julien de Médicis pour le sacre de Léon X. En revenant à Milan, Léonard retrouva ce qui lui était le plus cher au monde, la tranquillité et ses amis. La Lombardie, déchirée par la guerre et par les factions, renaissait sous l’administration juste et sage du maréchal de Chaumont et de Jean-Jacques Trivulce. Melzi reçut Léonard à sa villa de Vaprio, et c’est alors qu’ils peignirent dans une amicale collaboration cette gigantesque madone dont la tête n’a pas moins de six palmes, à moitié détruite aujourd’hui par le temps et par les injures des soldats, mais dont les restes ont encore tant de majesté. Il avait de nouveau ses élèves autour de lui, et le premier argent qu’il toucha, il le partagea, dit-on, avec Salai ou Salaino, comme il l’appelait familièrement, qui voulait doter sa sœur. Rappelé à Milan principalement pour achever le canal de la Martesana, il pouvait se livrer sans trouble, sous la protection éclairée et amicale de Charles d’Amboise, à ses goûts scientifiques et à la poursuite de ses chimères. En 1508, il écrivait son travail sur le canal de la Martesana, dans lequel il étudiait les moyens de diminuer les pertes qui résulteraient pour le Sodi-Giano des eaux que l’on enlèverait à l’irrigation des terres de culture et des prés en faveur de la navigation. L’année suivante, il terminait le grand réservoir et les écluses du canal de San-Cristoforo, et Louis XII le récompensait de ce travail en lui concédant en toute propriété une prise d’eau de douze pouces sur ce canal.

Je ne pourrais donner un aperçu, même très incomplet, des travaux scientifiques de Léonard sans dépasser les limites que je dois m’imposer. Il a clairement indiqué ou soupçonné la plupart des découvertes modernes. On peut conclure de plusieurs passages de ses manuscrits qu’il connaissait avant Copernic le mouvement de la terre. Ses observations sur la circulation du sang, sur la capillarité, sur l’aimant, la diffraction, le scintillement des étoiles, la lumière cendrée de la lune, sur le flux et le reflux ; ses études de physiologie botanique, surtout de géologie, dans lesquelles il établit trois siècles à l’avance et d’une manière très précise les bases d’une science que l’on croit toute récente, le mettent au rang des naturalistes les plus distingués de l’époque moderne. Il découvrit la chambre obscure et l’hygromètre. Ses connaissances en mathématiques pures étaient très étendues, mais c’est de les appliquer à l’industrie qu’il s’est surtout préoccupé. Il appelait la mécanique « le paradis des sciences mathématiques. » On trouve dans ses dessins des machines pour laminer le fer, pour faire des limes, des vis, des scies, pour dévider, tondre le drap, raboter, creuser des fossés, sonder, labourer, en se servant du vent comme force motrice, — un tourne-broche, encore en usage à Rome, que met en mouvement l’air raréfié par la chaleur du foyer. Enfin le plan très détaillé de son fameux canon (archi-tonnerre, architonitro) prouve qu’il avait eu l’idée d’employer la vapeur d’eau comme agent de propulsion[23].

Louis XII aimait les arts, il les protégeait avec intelligence. Admirateur de l’école lombarde, il n’encourageait pas moins nos écoles nationales. C’est sous son règne que notre architecture arriva à ce merveilleux développement si malheureusement arrêté sous François Ier par le mauvais goût des artistes italiens de Fontainebleau. C’est le cardinal d’Amboise qui faisait venir Andréa Solari pour décorer le charmant château de Gaillon, c’est son frère qui achevait l’hôtel de Cluny, c’est un de ses neveux, le maréchal de Chaumont, qui protégeait Léonard de Vinci contre le mauvais vouloir de ses propres compatriotes, et cherchait à l’attirer en France. En 1507, Léonard avait reçu le titre de « peintre du roi ; » mais Amoretti se trompe lorsqu’il dit que Léonard avait fait un voyage en France dès 1506, car, le 12 janvier 1507, l’ambassadeur Francesco Pandolfini écrivait de Blois à la seigneurie de Florence : «… Me trouvant ce matin en présence du roi très chrétien, sa majesté m’appela, disant : Il faut que vos seigneurs me rendent un service. Écrivez-leur que je désire me servir de maître Léonard leur peintre, qui se trouve à Milan, désirant qu’il me fasse certaines choses, et voyez que ces seigneurs lui enjoignent de me servir promptement, et qu’il ne parte pas de Milan avant mon arrivée. Il est bon maître, et je désire avoir certaines choses de sa main. Écrivez à Florence de manière à obtenir ce résultat, et faites-le promptement en m’envoyant la lettre… Et tout cela est venu d’un petit tableau de sa main qui a été apporté dernièrement ici de là-bas et jugé un très excellent ouvrage. Dans la conversation, je demandai à sa majesté quelles œuvres elle désirait de lui. Elle me répondit : Certains petits tableaux de notre dame et autres, suivant que cela me viendra dans l’idée ; peut-être aussi lui ferai-je faire mon portrait… »

Léonard ne jouit pas longtemps de la position, si conforme à ses goûts, que le maréchal de Chaumont lui avait faite. La mort lui avait enlevé dès 1511 un protecteur qui était un ami. Bientôt après, des événemens plus graves vinrent renverser tous ses projets d’étude et de repos. Les soldats de la sainte ligue avaient replacé le jeune duc Maximilien sur le trône de son père. Il paraît que Léonard tenta de se rattacher à lui, on croit même qu’il fit son portrait ; mais il s’était trop compromis pour que la place fût tenable, et lorsque Louis XII eut définitivement renoncé à sa conquête par le traité de 1514, il se décida à partir pour Rome. Ses élèves voulurent partager la mauvaise fortune de leur maître, vieux et découragé ; ils le suivirent, comme le constate une note de Léonard lui-même : « Aujourd’hui 24 septembre, je partis de Milan avec Giovanni (Beltraffio ?), Francesco Melzi, Lorenzo (Lotto) et il Fanfoia. » Le troisième jour, arrivés sur la rive gauche du Pô, ils s’arrêtèrent au pied d’une colline, et Léonard, voulant garder un souvenir d’un pays qu’il croyait ne jamais revoir, dessina un croquis du paysage qu’ils avaient devant les yeux. À Florence, Léonard trouva Julien de Médicis, qui l’emmena bientôt à Rome, où il allait lui-même pour assister au sacre de son frère, Léon X. Il y fut peu accueilli. Les politiques voyaient en lui l’ami du maréchal de Chaumont et de Trivulce, le partisan de la France. Les artistes devaient peu se soucier de voir un nouveau-venu partager avec eux la faveur de Léon. Raphaël ne paraît pas s’être employé pour lui. Quant à Michel-Ange, il est peu probable que Léonard lui ait demandé son concours, ou qu’il se soit soucié d’utiliser son crédit. La rivalité des deux grands artistes florentins datait de leurs travaux pour la salle du Palais-Vieux, et Léonard n’avait sans doute pas oublié avec quelle préférence marquée ses compatriotes avaient accueilli le carton de son jeune rival. De plus, un dessin de monument sépulcral, qui se trouvait dans la collection de sir Thomas Lawrence, fait supposer qu’il avait également concouru contre lui pour le tombeau de Jules II, lorsqu’en 1513 on renonça au projet gigantesque d’abord adopté. De son côté, Michel-Ange devait avoir peu d’estime pour un homme qui n’avait ni passions politiques ni opinions religieuses, qui, après avoir servi Louis le More, s’était attaché à Louis XII pour revenir à Maximilien, qui avait organisé des fêtes et élevé des arcs de triomphe pour tous les vainqueurs. Léonard était cependant si chaudement appuyé auprès de Léon par Julien de Médicis que le pape lui commanda un ouvrage important ; « mais, dit Vasari, le peintre se mit d’abord en devoir de distiller des huiles et des plantes pour composer un vernis, et Léon, ayant entendu parler de ses préparatifs, se prit à rire en disant : « Ah ! celui-là ne fera jamais rien de bien, puisqu’il pense à la fin de l’ouvrage avant de l’avoir commencé[24] ! »

François Ier venait d’entrer en Lombardie. Léonard, rebuté par l’accueil qu’il avait reçu à Rome, l’y rejoignit. Il assista et il prit part aux fêtes que l’on donnait au jeune vainqueur. Il éleva pour François Ier des arcs de triomphe comme il avait fait pour Louis le More. C’est à Pavie qu’il construisit ce fameux lion automate qui marcha jusqu’au roi, se dressa, et dont la poitrine, en s’entr’ouvrant, laissa voir les fleurs de lis que le peintre courtisan y avait mises. À Bologne, où le roi eut une entrevue avec le pape, l’amour-propre de Léonard se dédommagea des blessures qu’il avait reçues à Rome. Il prit plaisir à se montrer au milieu des courtisans de François Ier, et il se divertit à dessiner en caricatures les personnages qui entouraient Léon et dont il avait eu à se plaindre. François l’emmena en France au commencement de 1516, et lui alloua une pension de 700 écus. Léonard s’établit au château de Clou près d’Amboise. Son fidèle Melzi l’avait accompagné. Pendant les trois années et demie qu’il passa en France, il ne s’occupa que d’un projet de canal qui devait traverser la Sologne en passant par Romorantin. Il était vieux, fatigué, ennuyé : sa santé déclina de jour en jour, et il mourut le 2 mai 1519. Les circonstances romanesques que rapportent les biographes sur les derniers momens de Léonard de Vinci n’ont aucune vraisemblance. Il ne mourut pas dans les bras de François Ier, très occupé alors des élections à l’empire, et qui, d’après le Journal de la Cour, ne fit aucun voyage avant le mois de juillet de cette année 1519. Le roi, au moment de la mort de Léonard, était à Saint-Germain, où la reine venait d’accoucher. Les ordonnances du 1er ma sont datées de cette résidence, et Melzi, dans la longue lettre[25] qu’il écrivit aux frères de Léonard pour leur annoncer la perte qu’ils venaient de faire, ne mentionne point une circonstance assez importante pour qu’il n’eût pas manqué de la noter.

Vasari, qui ne perd pas une occasion de faire montre d’orthodoxie, a très nettement accusé Léonard d’impiété. « Il était tellement infecté de notions hérétiques, dit-il dans sa première édition, qu’il ne croyait à aucune espèce de religion, et qu’il mettait la philosophie bien au-dessus du christianisme. » Il modifia plus tard cette version en disant « qu’ayant vécu jusque-là sans religion, il tourna ses pensées avant de mourir vers les vérités catholiques. » Le biographe se trompe. Léonard fit son testament, qu’Amoretti nous a conservé, dès le 13 avril 1518, c’est-à-dire plus d’un an avant sa mort. Il y recommande son âme, non-seulement à Dieu, « mais à la glorieuse vierge Marie, à tous les saints et à toutes les saintes du paradis et à monseigneur saint Michel. » Il demande que « dans chacune des trois églises d’Amboise on dise pour lui trente messes basses outre les trois grand’messes. » On a beaucoup insisté sur ces circonstances : pour nous, qui n’avons à juger que le caractère de l’homme et la valeur de ses ouvrages, elles présentent peu d’intérêt. Ces retours extrêmes ne sont pas rares chez les indifférens : le monde les exige, ils sont presque commandés par la bienséance ; mais quelles qu’aient été les convictions de Léonard pendant la dernière année de sa vie, elles ne peuvent modifier le jugement qu’on doit porter sur sa personne, comme elles n’ont eu aucune influence sur le développement de son génie, et je préfère insister sur la bonté de son cœur, qui n’avait pas attendu les dernières heures pour se montrer, mais dont son testament donne d’éclatans témoignages. Il dispose d’une partie de sa fortune en faveur des pauvres, et il partage le reste entre son fidèle Melzi et son élève Salaino.

Le visage de Léonard[26] ne dément pas ce que nous connaissons de son caractère. Il exprime la bonté, beaucoup d’intelligence et de pénétration, trop de finesse, la tranquillité d’un esprit sans ardeur, mais juste, précis, admirablement équilibré. Spectateur impassible du monde extérieur et de l’âme humaine, en sa double qualité de savant et d’artiste, il scruta plus profondément que personne de son temps les secrets de l’un, les mystères de l’autre. Il n’eut n vices ni grandes vertus. Épicurien dans le sens le plus noble de ce mot, il se complut dans les jouissances raffinées de l’intelligence et des sens. Dans son art, la puissance d’observation dont il était doué, le sentiment exquis qu’il avait de la beauté, lui permirent d’accomplir des prodiges d’exécution qui n’ont jamais été surpassés, et Vasari, d’ailleurs si peu juste à son égard, le loue dignement lorsqu’il dit que « personne n’a jamais fait tant d’honneur à la peinture. » Néanmoins, clairvoyant pour tout ce qui était de la pensée, il ne pénétra pas aussi avant dans le monde moral. Les œuvres de Léonard, élevées et parfaites, étonnent, captivent et troublent, mais sans remuer les profondeurs de l’âme ; elles n’ébranlent pas autant ni de la même manière que la Vision d’Ezéchiel du Sanzio, ou que les Sibylles de Michel-Ange. Fuis les orages, ce mot qu’on lit en tête de l’un de ses manuscrits donne la clé de son caractère et de sa vie, et il explique ce qui lui manque. Léonard ne connut jamais ces tempêtes du sentiment et du cœur dont les éclairs sont des lueurs divines, et les tonnerres des paroles sacrées. Et tandis que j’étudiais ce vaste et singulier génie, les fortes paroles de Goethe me revenaient sans cesse à la mémoire : « Celui qui n’a jamais arrosé de ses larmes le pain qu’il mange, celui qui, le cœur plein d’angoisse, n’est pas resté, pendant de longues nuits d’insomnie, tristement assis sur son lit, celui-là ne vous connaît pas, puissances célestes ! »


CHARLES CLEMENT.

  1. Rio, De l’Art chrétien, t. II, p. 39.
  2. Trattato dell’ Arte della Pittura, Roma 1844.
  3. D’Argenville, Abrégé de la Vie, etc., Paris 1762, t. Ier, p. 118.
  4. Il se pourrait cependant que cette fresque n’eût été exécutée que beaucoup plus tard, pendant un séjour que Léonard fit à Rome vers 1504 Gaye, Carteggio, t. II, p. 89, Pinturicchio, ami et collaborateur du Pérugin, très lié avec Léonard, peignait alors l’abside de Saint-Onuphre. L’influence de Pinturicchio et une sorte de déférence vis-à-vis de l’un des maîtres de l’école d’Ombrie expliqueraient les particularités de style qui embarrassent dans cet ouvrage.
  5. Amoretti, Memorie storiche sulla vita, gli studi e le opère di Lionardo da Vinci ; Milano 1804, p. 20 à 24.
  6.  : : Mirator veterum discipulusque memor,
    Defuit una mihi symmetria prises, peregi
    Quod potui. Veniam da mihi, posteritas !
  7. Lomazzo mentionna encore un ensemble de dessins pour enseigner l’emploi de toute espèce d’armes, et les plans ou projets de trente moulins d’usages différens.
  8. M. Leroy a déjà gravé en fac-similé une des plus belles têtes d’homme de ce recueil. Cette gravure est accompagnée d’une excellente notice par M. Reiset.
  9. « 2 avril 1490. Je commençai le présent livre, et je recommençai le cheval. »
  10. Gerli, Disegni di Leonardo da Vinci, con note illustrative da G. Vallardi, Milano 1830.
  11. Waagen, Kunstwerke und Künstler in England und Paris, p. 307.
  12. Ancien fonds, petit in-folio, no 9941.
  13. Lanzi, Storia pittorica, t. III, p. 162.
  14. La Vierge de la casa San-Vitale à Parme, signée et datée, est reconnue aujourd’hui comme l’œuvre de Cima de Conegliano, — Elle est maintenant au musée de Parme.
  15. Waagen, Kunstwerke und Künstler in England und Paris, t. III, p. 426.
  16. Docteur Rigollot, Catalogue de l’Œuvre de Léonard de Vinci, p. 09.
  17. Voyez les dessins de la galerie de Florence qui, étant restés dans cette ville, y ont très probablement été faits.
  18. Amoretti, Memorie, p. 75.
  19. Son projet ne fut exécuté que beaucoup plus tard.
  20. Etruria pittrice, pl. XXIX.
  21. Le beau portrait du Louvre no 404, qui passait jusqu’à ces dernières années pour représenter Charles VIII ou Louis XII, est celui du maréchal de Chaumont, comme l’a très bien démontré M. Ch. Leblanc dans l’Iconographe. Ce portrait, qui a été longtemps attribué à Léonard, n’est certainement pas de lui. M. Waagen le donne à Beltraffio ; il est, selon toutes les probabilités, d’Andréa Solari.
  22. Le texte porte delatore, mais je pense qu’il faut lire dilatore.
  23. Venturi, Essai sur les Ouvrages physico-mathématiques de Léonard de Vinci, Paris, Dupont, an V, et Libri, Histoire des Sciences mathématiques en Italie, t. III. — La bibliothèque de l’Institut possède douze volumes de manuscrits de Léonard.
  24. Il fit cependant à Rome deux tableaux, une Vierge et un Enfant. Ces deux tableaux sont perdus.
  25. Venturi, Essai sur les Ouvrages physico-mathématiques, etc.
  26. Aux Offices de Florence, à l’huile ; — à la sanguine, dans la collection royale de Londres ; — idem, presque de face, à l’académie de Venise.