L’incendie de Boston

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L’incendie de Boston
Le Journal de la jeunesseI (p. 26-30).

L'INCENDIE DE BOSTON


I


En moins de deux années, dos incendies désormais historiques ont ravagé trois villes qui personnifiaient le progrès, l'indépendence s'épanchaient dans lonto leur sévo. Paris, la villo meurtrie, perd on quolqnos heures lo prestige de ses chnniios sous l'étreinte do ses pnfnnts affolés. Chicago, In jeune cité do l'Ouest, la plus prospère, la plus florissante des Elats-L'nis, disparaît au milieu d'un tourbillon de flammes; ol Boston, le sanctuaire de la liberté américaine, lioston, qui fut témoin des premiers succès des héros de l'Indépendance, Boston, patrie de Benjamin Franklin, ce second grand homme de l'Union, est également à 'moitié détruite par un incendie, qui semble ainsi avoir 1 frappé au cœur la villo essentiellement nationale do la grande république.

Jetons d'abord un coup d'œil sur la iopographie de l'infortunée cité.

Elle se présente sous une l'orme assez étrange. en fragments épars sur une presqu'île, dos îles, dos promontoires que baigne de ses bras sinueux un vaste havre formé à l'embouchure du Charles River.

Quatre parties principales la composent la ville de Boston proprement dite, East Roston, South Boston et Charlestown.

La ville proprement dite, ou la Vieille Boston (Old Boston), occupe une péninsule d'environ 700 acres (283 hectares), d'un sol inégal et montueux, qui forme trois collines assez escarpées. L'isthme qui la joint au continent est le Neck, jadis étroit et couvert à marée haute, mais fort élargi aujourd'hui et parcouru par quatre belles avenues qui se rendent à Hoxbury. Los Anglais, en fortifiant le Neck, au commencement de la guerre de l'Indépendance, purent se maintenir longtemps dans Boston. Sept ponts unissent, en outre, la presqu'île aux autres quartiers, et il faut ajouter à ces communications la Western Avenue, d'environ deux kilomètres do longueur, qu'on a établie sur une puissante digue à travers une baie dans lit direction de Brookline. South Boston s'étend au sud du port, sur un terrain niontiioiiv aussi. C'est là que s'élèvent les fameuses collines des Dorchester Heights, où les Américains, pondant la guerre de l'Indépendance, établirent les fortifications redoutables qui leur permirent do chasser les Anglais de la presqu'île. (In jouit, du haut de ces collines, do la plus magnifique vue sur Itoston et sos environs. L'n vaste réservoir y reçoit les eaux excellentes de l'aqueduc qui vient du lac Coehituatoot il les distribue dans toutes les parties dp la ville.

East-Boston occupe l'île de Noddle: on n'y voit que manufactures, que cheminées à vapeur, que le mouvement de l'industrie et du commerce.

Charleslnwu, au nord, quatrième partie de Boston, mais considérée comme une cité à part et indépendante, est (1ère de son arsenal maritime, de ses superbes chantiers de construction, de son hospice modèle d'aliénés, le Mac-Lean Asylum, mais surtout de sa colline Hunker's Hill, où se livra, le I7 juin 1775. la bataille qui lui le signal de la liberté américaine et que rappelle un bel obélisque érigé on ce lieu.

II

Penetrons maintenant dans l'intérieur de Boston. Les rues, dans la »illo proprement dite sont moins largos et moins régulières que dans les jeunes cités américaines, si remarquables par louis

voies droites et uniformes. Le terrible sinistre a l'ail une formidable trouée à travers les quartiers les plus irréguliers, et bientôt sans doute de brillantes constructions s'élèveront sur col emplacement qui ne présente aujourd'hui que l'image de la ruine.

L'œuvre de destruction s'est arrêtée au beau parc Common et n'a pas heureusement atteint le Jardin botanique.

Le port est sur, bien défendu par des iles et des fortifications, bordé de quais et do docks admirablement disposés; d'innombrables navires venus des cinq parties du monde y circulent sans cesse; des paquebots, semblables à des messagers rapides, mettent en incessante communication toutes les parties de la ville. Derrière la forêt de mAts qui peuple le port, on voyait se dessiner la silhouette élégante, souvent majestueuse de nombreux édifices et au premier rang, le State House (hôtel de l'État), situé au som- met du lieaeon Hill, dans State street, et du haut duquel on jouit d'un panorama vraiment splendide. Près de lit le Faneuil Mail, salle de ouverte il tous les citoyens d'Amérique le Kaucuil Hall, offert à la ville, en 1712, par Pierre Faneuil, le généroux patriote, semble encore retentir de l'écho lointain du cri d'appel lit nation poussé par les amis des Adains et des Hancock. C'est là le point de départ de l'Indépendance. De cette salle est sortie la grande pensée républicaine moderne destinée peut-être à

l'aire le tour du monde. Aussi l'a-l-on surnommée le I berceau de la liberté.

Dans cettejeune terre d'Amérique qui possède plus de merveilles naturelles que de beaux monuments, Iloslon était presque une exception. Mien de comparable au Boston Music Mail, magnifique salle de conI cerl dont l'orgue est monumental. Bien de plus cou- f fortable que l'hôtel de Tremont, et de plus digne d'une grande cité que le Quinry Market, le plus beau I marché des Klals-Unis. Boston compte cent églises, f dont onze catholiques romaines c'est la ville du Nouveau-Monde qui brille le plus par ses institutions littéraires et scientifiques plus de 300 000 élèves I fréquentent les écoles populaires. Aux lettrés, à tous I ceux qui \eulenf s'instruire sont destinées de grondes

j bibliothèques, telles que celle du Boston Athenœum, 1 riche de .'>0 000 volumes, et la Bibliothèque publique, «lui en possède 100 000.

Ville d'initiative, Boston donne un libre essor aux sociétés scientifiques et littéraires qui concourent pour une large part aux progrès intellectuels d'un peuple. Centre du haut enseignement aux Ktats-L'nis, elle s'enorgueillit à juste litre de l'Université de Harvard, à Cambridge, petite ville voisine qui, grâce auxcomj muniealions faciles, pont être considérée comme un faubourg de la grande cité. De cette Université dépend l'école médicale de Boston. Désireux de laisser se produire tous les talents, de ne laisser perdre aucune force vive de la nation, les Américains, ou plutôt

les Américaines, ont également fondé une école de médecine destinée aux femmes. On faitlàdes docteurs féminins savants et graves, qu'on préfère souvent aux médecins des plus célèbres facultés. La bienfaisance y est représentée par l'hôpital général du .Massachusetts, par l'institution Parkins pour les aveugles, et par cent autres établissements parfaitement dirigés. L'Amérique est le pays du "journalisme. Boston donne l'exemple, avec ses cent publications périodiques, dont une quinzaine de journaux quotidiens. L'immense mouvement d'affaires s'élève à 1.Ï0 millions pour l'importation et à plus de 100 millions pour l'exportation. On y arme de nombreux bateaux pour la pèche de la morue, du maquereau, du hareng, île In biili'ine. Os produits sont expédiés au loin Il ainsi que la glace, dont Boston envoie chaque année plus de 100 000 tonnes aux Antilles, en Europe et jusque dans l'Inde.

De ce marche si actif ra\nnucnl sept grandes lignes de clieinins de 1er, dirigées sur le Canada, sur New York, sur Chicago, etc.

Disons maintenant un mot de l'histoire de Boston. Les premiers colons qui s'établirent sur la presqu'île qui a été son berceau, appelèrent ce lieu Tremont, c'est-à-dire trois montaynes, à cause des trois collines qui s'y élèvent. Le nom de Boston lui lut ensuite donné par des éniigrants sortis de la ville de Boston en Angleterre. En 1630, le premier gouverneur anglais du Massachusetts vint y habiter, et, deux années après, on y construisait la première église. L'illustre inventeur du le sage philosophe Benjamin Franklin, y naquit en 1716. Ce grand citoyen devait être le plus ardent promoteur de l'affranchissement du pays. De graves symptômes de dissentiment avec la mère-patrie se manifestèrent à Boston en 1768, par suite des impôts énormes qu'exigeait le gouvernement britannique.

L'Angleterre s'inquiète envoie deux régiments pour maintenir l'ordre une rixe, en apparence sans "tavité. entre 1a gravité, entre la troupe et les habitants, signale le mois de mars 1770. Plusieurs citoyens sont tués; par ordre du parlement le port est fermé. Kn 1773, le soulèvement prend les proportions d'une révolulion. On jette à la mer des ballots de thé amenés par les bâtiments de l'Angleterre, qui se réservait le monopole du commerce de ce produit. On s'empare du colleeteurdes impôts; son corps, privé de vêtements, est enduit de goudron, puis plongé dans un tonneau de plumes, et le malheureux est forcé de parcourir la \o dans cet accoutrement, sous les huées mena(le la populace.

A partir de ce jour, la guerre éclate entre les colonies anglaises et la Grande-Bretagne.

Le 17 juin 1775, fut livrée la bataille de Bunker' s Hill, gagnée par les Américains. Cependant les troupes anglaises restèrent maîtresses de la presqu'île jusqu'en mars 1776, où, attaquées avec une extrême vigueur par les insnrtrés qui couvraient i'e leur artillerie les hauteurs de Dorchester, elles turent obligées de se retirer cl s'échappèrent parle poil. Boston, qui jouait un si grand rôle dans la lutte de l'Indépendance, n'était cependant pas encore une glande ville elle a\ait à peine IS (MM) habitants –en 1 K 10, sa population s'élevait déjà à 33 000 âmes; – en 1850, à 130 <J00; –en 1860, à 177 800: – en 1870, à 250 500 (sans Charlestown).

III

Avant l'incendie extraordinaire dont nous allons indiquer les ravages, Boston en avait déjà éprouvé deux très-considérables l'un en 171)1, qui consuma cent maisons; l'autre, en ISIS, qui détruisit la Bourse.

Le samedi 9 novembre 1872, à sept heures et demie du soir, les cris de « Au feu au feu » retentissaient à un angle des rues S unvin e r e Kingston.

L'incendie éclatait alors dans un sous-sol contenant une machine à vapeur. La flamme se répand comme l'éclair, atteint le (oit à travers la cage d'un ascenseur. L'alarme est donnée par les chauffeurs. mais la toiture est déjà brûlée quand les premiers secours arrivent. La dévastation commençait au centre même du quartier des affaires. Néanmoins, toutes les pompes lançaient leurs torrents avant qu'aucune autre construction fût embrasée. Malheureusement, le vent, calme au début, souffla du nord, puis du nord-ouest. Les murs s'effondraient. L'encombrement des magasins alimentait la flamme; elle semblait voler. Le feu dévore la rue Suinmer et passe de celte nie à d'antre*, courant vers le nord-est.

On demande des secours a Worcestcr, a l'ro\idence, à New York, à l'ail Hiver, à Lowcll, à Ljnn. cl à d'autres villes: ils ne pouvaient arriver aussi ilo que l'eussent voulu les circonstances. Dès minuit 130 maisons de commerce étaient incendiées; et les secours invoqués ne pouvaient être à Boston avant trois heures!

A deux heures du matin de celle première nuit, le maire de Boston, ses conseillers, les notables, dé

Incendie de Boston (P. 28, col. 2) libéraient. Un d’entre eux propose de faire sauter les rues pour couper la marche du fléau, comme cela se fit à Londres en 1666. La proposition est acceptée. Le chef des pompiers de la Aille donne son consentement à un citoyen connu qui dirigera les redoutables opérations et en répondra. Dès trois heures, la poudre à canon attaquait Devonshire Street, et de formidables mais salutaires explosions éclataient dans les airs. On n’avait eu recours à cette terrible décision que parce que le service des pompes était paralysé par l’épidémie régnante sur les chevaux. La même cause diminuait notablement la célérité nécessaire pour l’enlèvement des mobiliers et des marchandises.

Autre calamité, la police était impuissante à empêcher le pillage. On requiert douze cents hommes de troupes. Ils arrêtent en un clin d’œil plus de deux cents misérables en flagrant délit. D’un autre côte, les morts se succèdent. Les silhouettes des infortunées victimes éclairées des tons rougeâtres de l’incendie apparaissent et redoublent l’horreur.

A quatre heures, le matin du dimanche, 22 carrés de maison n’étaient plus que des ruines ; 25 hectares de terrains couverts de riches constructions, pleines de marchandises plus riches encore, avaient disparu ; l’incendie s’étendait depuis Bigbroad Street, au sud-est, jusqu’à la belle rue Washington. Les maisons pourtant sautaient toujours, et les explosions de mines rendaient de grands services en faisant la part du feu.

À cinq heures, neuf pompes arrivent des villes voisines Portland envoie quatre cents hommes deux pompes de Newport viennent aussi. On évaluait alors la superficie brûlée à 28 hectares.

À sept heures, les pompiers en disponibilité sont envoyés au nord dans de nouveaux quartiers que le feu envahissait. Il menaçait le State House Uv Poste (New Post Office) était aussi en danger. La vieille église de briques, un des monuments les plus vénérés des Bostoniens, s était sur le point d’être perdue, On s’attendait à une destruction aussi complète qu’à Chicago.

À midi, à une heure, Philadelphie recevait deux avis annonçant qu’on était maître du feu ; mais douze heures plus tard, il éclatait de nouveau au coin de Summer Street et de Washington Street.

Cependant les secours arrivés, la sympathie témoignée, ranimaient les courages Chicago, si admirablement relevée de son désastre, avait la première envoyé 500 000 francs. Le mardi, des explosions de gaz excitaient encore le feu ; néanmoins ou pouvait considérer le fléau comme vaincu.

Les pertes sont immenses il y a 959 maisons brûlées 280 grandes maisons de commerce en gros sont anéanties 21 banques sont détruites. On a perdu la Bourse des marchands, l’église de la Trinité, la caisse d’épargne des émigrants la manufacture de verre, 27 établissements de journaux, etc., etc.

La somme des pertes est évaluée près de deux milliards de francs. Les compagnies d’assurance en payeront une partie mais elles seront ruinées à leur tour.

Boston prend des mesures énergiques pour se relever. De toutes parts s’organisent des moyens de lui venir en aide, et la ville du même nom, dans le Lincolnshire anglais, est la première d’Europe qui ait ouvert des souscriptions en sa faveur. Espérons que via noble ville renaîtra de ses cendres aussi vite que Chicago !

Richard Cortambert.