Le Pauvre garçon meunier et la Petite chatte


Le Pauvre garçon meunier
et la Petite chatte
Traduit par Félix Frank et E. Alsleben


Puis, étant sorti de la caverne, il se mit à marcher dans la forêt, se disant :

« Comment vais-je trouver un cheval ? »

Comme il cheminait de la sorte, absorbé dans ses idées, il rencontra une petite chatte tigrée qui lui dit :

« Hans, où vas-tu ?

— Ah ! tu ne peux m’aider !

— Je sais ce que tu cherches, répondit la chatte ; tu veux avoir un beau cheval. Viens avec moi, et sois mon valet fidèle pendant sept ans : je te donnerai un cheval plus beau que tu n’en as jamais vu de ta vie. »

Et elle l’emmena dans son petit château enchanté, où elle n’avait que de petites chattes pour servàntes, sautant vite dans les escaliers, toujours lestes et joyeuses. Le soir, lorsqu’ils prirent place à table, deux chattes leur firent de la musique, l’une jouant de la basse, l’autre de la trompette en soufflant tant qu’elle pouvait.

Lorsqu’ils eurent dîné, on ôta la table, et la petite chatte dit :

« Viens, Hans, viens danser avec moi.

— Non dit-il, je ne danserai pas avec une chatte, je n’ai jamais fait cela.

— Alors, allez le coucher, » dit-elle aux chattes.

L’une d’elles le conduisit dans sa chambre à coucher, une autre lui ôta ses souliers, une troisième ses bas, et enfin lui souffla sa bougie.

Le lendemain, elles revinrent et l’aidèrent à sortir du lit, lui remirent ses bas et ses jarretières ; et tandis que l’une cherchait ses souliers, l’autre le débarbouillait et l’essuyait avec sa queue.

« C’est bien doux ! » murmurait Hans.

Mais il lui fallut aussi servir les chattes tous les jours. Il coupait le bois avec une hache d’argent, les coins et la scie étaient en argent, et le maillet en cuivre. Il travaillait donc ainsi et restait à la maison, menant une bonne vie et ne voyant que la chatte et ses domestiques.

Une fois, elle lui dit :

« Va couper l’herbe de ma prairie, et fais-la sécher. »

Et elle lui donna une faux d’argent et une pierre à aiguiser en or, en lui recommandant de rendre le tout avec soin.

Hans fit ce qu’elle lui avait prescrit ; son travail fini, il rapporta au logis la faux, la pierre et l’herbe, et demanda à la chatte si elle ne voulait pas lui accorder sa récompense.

« Non, dit-elle, tu vas me faire encore une chose auparavant voici du bois en argent pour bâtir, une hache, une équerre en argent et tout ce dont tu as besoin pour me construire une petite maison. »

Hans bâtit la maison et dit que maintenant il avait tout fait, et que jusqu’à présent il n’avait pas encore de cheval ; les sept années s’étaient écoulées comme sept mois. La chatte lui demanda s’il voulait voir les chevaux.

« Oui, » dit Hans.

Elle ouvrit la porte de la maison ; et quand celle-ci tourna sur le seuil, elle laissa voir douze chevaux si fiers, au poil si luisant, qu’on se sentait l’âme réjouie rien qu’à les regarder. La chatte lui offrit à boire et à manger, et dit :

« Retourne chez toi, je ne te donne pas ton cheval, mais je viendrai te l’amener dans trois jours. »

Hans s’en retourna donc chez lui et elle lui montra la route du moulin. Elle ne lui avait même pas donné un habit neuf, mais il repartit avec sa vieille petite blouse qu’il avait en arrivant et qui lui était devenue trop courte durant ces sept années.

Lorsqu’il se présenta au logis, les deux autres garçons y étaient déjà, chacun avec un cheval ; mais le cheval de l’un était borgne, et celui de l’autre, boiteux.

« Hans, demandèrent-ils, où est ton cheval ?

— Il va me rejoindre dans trois jours. »

Alors, ils se mirent à rire :

« Oui-da, maître Hans, où iras-tu prendre un cheval ? Ce sera quelque chose de beau ! »

Le pauvre hère entra dans la chambre ; mais le meunier lui dit qu’il était trop déguenillé et qu’ou aurait honte de lui s’il venait quelqu’un. Il dut manger dehors, et le soir, quand ce fut l’heure de se coucher, les deux autres ne voulurent pas lui donner de lit, et il se retira enfin dans la crèche des oies avec un peu de paille.

Le lendemain, lorsqu’il s’éveilla, les trois jours étaient passés et l’on vit arriver une belle voiture trainée par six chevaux superbes au poil luisant, et un valet qui en conduisait un septième destiné au garçon meunier. Une belle princesse sortit de la voiture et entra au moulin ; et cette princesse était la petite chatte que Hans avait servie sept années durant.

Elle demanda au meunier où était son garçon ?

« Nous ne pouvons le faire entrer au moulin, dit-il, sa blouse est trop déchirée, il est dans la crèche des oies. »

Mais la princesse insista pour qu’on l’allât chercher immédiatement ; ce qui fut fait. En s’avançant, il ramenait sa blouse autour de lui pour se couvrir. Le domestique tira d’une malle de magnifiques habits ; il lava le garçon meunier, le peigna, l’habilla, et lorsque notre homme fut prêt, un roi n’eut pu être plus beau que lui.

Puis la fille du roi voulut voir les chevaux des autres meuniers, l’un aveugle et l’autre borgne ; et elle envoya chercher le septième cheval par son valet. Dès que le meunier l’eut aperçu, il s’écria que jamais pareil cheval n’avait paru dans sa cour.

« Eh bien, dit-elle, il est pour le troisième garçon.

— Alors, c’est lui qui aura le moulin, reprit le meunier. »

Mais la princesse lui répondit que le cheval était à lui, et qu’il pouvait aussi garder son moulin ; puis elle prit son fidèle Hans par la main, le fit asseoir dans sa voiture et l’emmena avec elle.

Ils allèrent d’abord à la petite maison qu’il avait bâtie avec les outils en argent, et la maisonnette était devenue un grand château, où tout n’était qu’argent et or.

Là, maître Hans épousa la princesse et se trouva si riche, si riche qu’il se vit comblé pour la vie.

Ainsi ne doit-on jamais jurer que le plus bête ne deviendra pas un gros personnage.