L’INTERNATIONALE - Tome I
Deuxième partie
Chapitre XI
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XI


Le quatrième Congrès général de l'Internationale, à Bâle (6-12 septembre 1869). Résolutions du Congrès : propriété foncière, droit d'héritage, sociétés de résistance ; résolutions administratives. Incident Bakounine-Liebknecht ; incident Coullery. Varlin entre dans notre intimité.


Voici le compte-rendu qu'à mon retour du Congrès de Bâle je publiai dans le Progrès (n° 19, du 18 septembre) :


Le Congrès de Bâle[1]

Le peu d'espace dont nous disposons ne nous permet pas de donner un compte-rendu détaillé du quatrième Congrès de l'Association internationale des travailleurs, qui s'est tenu à Bâle du 6 au 12 septembre ; nous ne ferons que résumer ses tendances et ses principales résolutions.

Les points qui doivent tout d'abord être relevés comme les plus importants, comme les véritables caractéristiques du Congrès, sont les suivants : le refus du Congrès d'entrer en matière sur la question de la législation directe par le peuple, et par conséquent de s'occuper des réformes purement politiques, malgré les efforts faits pour l'entraîner sur ce terrain par MM. Rittinghausen, Gœgg, Liebknecht, etc.; l'imposante majorité qui s'est prononcée contre la propriété individuelle ; et le choix de Paris pour siège du prochain Congrès.

La question de la législation directe par le peuple ne figurait pas à l'ordre du jour du Congrès. Elle avait été soulevée par Charles Bürkly et la Section de Zurich. Les Zuricois, qui viennent d'introduire le referendum dans leur constitution, se figurent volontiers avoir trouvé là un moyen capable de résoudre toutes les questions sociales, et il était naturel qu'ils voulussent faire part à l'Internationale de cette belle découverte. Aux Zuricois se joignaient certains démocrates bourgeois, comme M. Gœgg, qui veulent à tout prix endormir le prolétariat et le détourner de la révolution, et qui seraient fort heureux de lui offrir la législation directe en manière d'amusette ; puis le nouveau parti socialiste allemand, dirigé par M. Liebknecht, qui vient de rompre avec la dictature de Schweitzer, et qui, pour mieux faire la guerre à Bismarck et affirmer ses tendances républicaines, veut préluder par l'agitation politique à la révolution sociale ; puis enfin un innocent maniaque, M. Rittinghausen, qui a fait de la législation directe sa foi et l'unique but de sa vie, qui déjà en 1849, avec Considérant, avait lutté en France pour cette idée avec plus de courage que de succès, et qui après vingt ans revient encore à la charge.

Les partisans de la législation directe voulaient que le Congrès considérât leur question comme la plus importante de toutes, bien qu'elle ne fût pas même portée à l'ordre du jour, et qu'il la traitât de préférence à celles du programme. Cette prétention était inadmissible. Après une discussion dans laquelle furent échangées quelques paroles un peu vives, le Congrès décida que, lorsque l'ordre du jour officiel serait épuisé, s'il restait du temps, on s'occuperait de la législation directe. Mais M. Rittinghausen ne se tint pas pour battu ; il essaya à plusieurs reprises d'introduire son dada au milieu des discussions sur les autres questions du programme ; et il finit par demander au Congrès une séance extraordinaire pour s'occuper de la législation directe. Cette demande fut repoussée à une très grande majorité, et l'Association internationale a ainsi maintenu sa volonté « de ne participer à aucun mouvement politique qui n'aurait pas pour but immédiat et direct l'émancipation des travailleurs ».

Comme on pouvait s'y attendre, les journaux radicaux français n'ont pas manqué d'exploiter cette circonstance pour représenter les internationaux comme des bonapartistes et des agents volontaires ou inconscients de la réaction ; le Réveil de Paris, entre autres, leur a reproché en termes très amers leur indifférence pour les questions politiques[2]. Ces accusations absurdes ont été relevées d'une manière énergique par Hins, de Bruxelles : l'Internationale, a-t-il dit, est indifférente aux formes des gouvernements que pourra se donner la bourgeoisie, c'est vrai ; mais elle n'est pas indifférente à l'égard du gouvernement même de la bourgeoisie : l'Internationale refuse absolument de prêter à n'importe quel gouvernement bourgeois, s'appelât-il républicain, le secours de sa force et de son honnêteté ; mais quand le moment sera venu, elle montrera qu'elle entend bien s'occuper de politique, en aplatissant, sans distinction de forme et de couleur, tous les gouvernements bourgeois.

Les trois premiers jours du Congrès avaient été remplis tout entiers par des questions administratives, par l'incident Rittinghausen, et par la lecture des rapports du Conseil général et des Sections. Pour éviter à l'avenir la perte d'un temps précieux, le Congrès a décidé qu'on ne lirait plus dorénavant de rapports particuliers pour chaque Section, et il a élaboré, pour faciliter la tenue régulière des séances et la fixation des détails de l'ordre du jour, un Guide pratique des Congrès, qui entrera en vigueur l'année prochaine.

C'est le jeudi seulement que fut abordée la question capitale, la première du programme, celle de la propriété foncière. Le Congrès de Bruxelles s'était déjà prononcé en faveur de la propriété collective du sol ; mais les anti-collectivistes ayant prétendu qu'à Bruxelles la question n'avait pas été suffisamment approfondie, le Conseil général l'avait remise à l'étude pour cette année.

On trouvera dans le compte-rendu officiel, dont la publication a été confiée pour cette fois aux Sections belges, les détails de la discussion. Il suffira de dire que la Commission du Congrès proposait, à l’unanimité[3], les deux résolutions suivantes :

« 1° Le Congrès pense que la société a le droit de rendre le sol propriété collective ;

« 2° Le Congrès pense qu’il y a nécessité à transformer le sol en propriété collective[4]. »

Ces résolutions ne trouvèrent d’autres adversaires qu’un très petit groupe de délégués parisiens, les mêmes qui avaient déjà combattu la collectivité à Bruxelles : Chemalé, Tolain, Murat, plus le journaliste Langlois, un des exécuteurs testamentaires de Proudhon.

Parmi les discours prononcés pour et contre, le plus remarquable fut celui de Hins, qui l’an passé à Bruxelles avait été le plus ardent défenseur de la propriété individuelle, et qui figurait maintenant au premier rang des champions de la propriété collective. Il reprit un à un les arguments des individualistes, et montra comment il avait été amené à en découvrir le côté faible, et de quelle manière le principe collectiviste avait fini par s’imposer victorieusement à son intelligence.

Le vote sur les deux résolutions eut lieu par appel nominal. En voici le résultat :

1re résolution : 54 oui, 4 non, 13 abstentions, 4 absents.

2e résolution : 53 oui, 8 non, 10 abstentions, 4 absents.

Il sera utile d’ajouter ici quelques observations. Une partie de la presse bourgeoise cherche à faire croire que le vote a été emporté par la coalition des Anglais, des Belges et des Allemands, dirigée par le Russe Bakounine, laquelle coalition aurait écrasé les délégués de Paris, représentants de l’intelligence et du principe individualiste. Or il faut noter que plusieurs délégués de Paris, entre autres Varlin et Tartaret, ont voté oui, et que les délégués d’autres villes françaises, entre autres Lyon et Marseille, ont également voté oui[5].

Il est en outre intéressant de savoir que sur les votants négatifs[6], il y en a deux, Murat et Tolain, qui avaient été délégués par des corporations d’opinion collectiviste, et dont le vote ne représente donc rien d’autre qu’une opinion personnelle[7].

Tous les délégués de la Suisse, tant allemande que française, ont voté oui, à l'exception de deux abstentions dont nous allons parler. Genève avait envoyé cinq délégués : trois d'entre eux, Brosset, Heng et Bakounine (qui était délégué de Genève, quoi qu'en aient dit des malveillants qui prétendent mieux connaître nos affaires que nous-mêmes[8]), ont voté oui ; un quatrième, Grosselin, s'est abstenu, mais il a déclaré à Murat de Paris, en notre présence, qu'il était venu à Bâle individualiste et qu'il s'en retournait collectiviste ; enfin le dernier, Henri Perret, délégué spécialement par la fabrique genevoise avec le mandat de voter non, n'a pas osé le faire, et s'est contenté de s'abstenir[9].

Un dernier point. Que les bourgeois ne se glorifient pas trop des quatre non parisiens[10], et qu'ils ne s'imaginent pas que ces non-là soient en leur faveur. Les délégués se sont divisés sur cette question passablement abstraite du collectivisme et de la rente foncière ; mais aucun d'eux, aucun, ne veut le maintien de la propriété sous sa forme actuelle. Tolain. au nom de ses amis, a repoussé énergiquement l'épithète d’individualiste qu'on voulait leur appliquer ; leur doctrine est non l’individualisme, mais le mutuellisme ; ils veulent comme nous la destruction de tous les privilèges de la bourgeoisie. Que nos ennemis ne cherchent pas à dénaturer les choses, et à représenter comme des adversaires des hommes qui s'entendent sur le point essentiel ; et qu'ils sachent, une fois pour toutes, que le Congrès s'est prononcé avec une formidable unanimité sur la nécessité de la liquidation sociale par la révolution.

La seconde question du programme était celle de l’héritage. La Commission du Congrès concluait unanimement à l'abolition de l'héritage, et présentait des résolutions dans ce sens. Malheureusement un délégué anglais, Eccarius, au nom du Conseil général[11], présenta de son côté des résolutions analogues pour le fond, mais motivées d'une manière différente. Aussi, lors du vote, on ne put obtenir de majorité complète ni pour l'une ni pour l'autre des propositions, et on n'eut pas le temps de s'entendre sur une rédaction qui eût pu concilier les deux avis.

Le vote sur les résolutions de la Commission donna 32 oui, 23 non, 13 abstentions, et 7 absents. Les non et les abstentions représentent les voix des partisans de la propriété individuelle et celles des communistes par l'État, alliés pour rejeter les résolutions de la Commission ; les oui sont presque tous[12] les voix des collectivistes anarchistes.

Les résolutions du Conseil général[13] obtinrent 19 oui, 37 non, 6 abstentions, avec 13 absents. Cette fois les oui sont les communistes autoritaires ; les non et les abstentions sont les collectivistes anarchistes unis aux mutuellistes[14].

Sur la troisième question, caisses de résistance, le Congrès retrouva son unanimité. Des résolutions tendant à provoquer la formation de caisses locales de résistance, leur fédération par corps de métier, leur centralisation par le moyen du Conseil général, furent adoptées d'un commun accord. Divisée sur certaines questions théoriques, que l'expérience de l'avenir pourra seule résoudre définitivement, l'Internationale ne forme plus qu'un seul faisceau aussitôt qu'il s'agit de la lutte actuelle contre l'exploitation bourgeoise.

La quatrième question, l’instruction intégrale, et la cinquième, le crédit, ne purent être discutées, faute de temps. Elles sont renvoyées à l'année prochaine.

En présence des événements qui se préparent, et dont le résultat sera très certainement la chute de l'empire français, Paris a été désigné pour le siège du prochain Congrès. Nous n'avons pas besoin d'insister sur la signification de ce vote. L'heure de la grande émancipation politique, sociale et religieuse approche. Les délégués de l'Internationale se réuniront donc, en 1870, dans la capitale de la République française ; et nous avons l'espoir que le Congrès de 1871 pourra siéger à Rome.


Il faut compléter ce compte-rendu sommaire par quelques détails sur les débats du Congrès, par le texte des résolutions votées, et par la reproduction des appels nominaux, qui ont un intérêt tout particulier.


Question de la législation directe.

On a vu que c'étaient les socialistes de Zurich — Bürkly, le vieux phalanstérien, et un jeune relieur allemand, Hermann Greulich, dont le nom paraît au Congrès de Bâle pour la première fois — qui avaient mis en avant la question de la législation directe. Ils étaient appuyés par les délégués bâlois, par Gœgg, « délégué des Sociétés ouvrières allemandes de la Suisse », et, naturellement, par Rittinghausen. On put entendre Bruhin, le procureur général du demi-canton de Bâle-Ville, qui représentait au Congrès « les Sections réunies de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne », affirmer que « pour les Suisses cette question était la plus importante de toutes, car, pour eux, l'État n'était pas une institution bourgeoise, mais le peuple lui-même ; et si l'État est le peuple, il peut décider ce qu'il veut, et arriver au but de l'Internationale » ; à quoi Schwitzguébel et Fritz Robert répliquèrent que, bien que délégués suisses, ils ne croyaient point que par la législation directe on put arriver à l'émancipation du travail. L'attitude de Bruhin n'était pas pour surprendre ; mais ce qui nous étonna, ce fut celle de Liebknecht, venu à Bâle comme « délégué du Congrès d'Eisenach ». Il déclara que « c'était être réactionnaire que de refuser la discussion de cette question » ; qu'il ne fallait pas séparer les questions sociales des questions politiques ; que les Français et les Belges avaient tort de se désintéresser des réformes d'ordre législatif, et que la question, qui leur paraissait sans importance, avait au contraire une importance majeure pour les pays où une réforme de ce genre pouvait être proposée et accomplie. Liebknecht nous apparut comme un simple démocrate, qui, en Suisse, eût été l'allié du procureur général Bruhin et du candidat au Conseil d'État Grosselin.

Cinq délégués en tout, Gœgg, Bruhin, Rittinghausen, Liebknecht, et Starke (Bâle), insistèrent pour que la question de la législation directe fût placée à l'ordre du jour du Congrès. Deux délégués, Bakounine et Hins, combattirent cette demande, et Hins s'exprima ainsi, d'après le procès-verbal : « Je veux ajouter quelques mots aux paroles de Bakounine. Je ne comprends pas, de la part des Sections de l'Internationale, cette espèce de course au clocher des gouvernements. On veut, dit-on, arriver par une représentation ou législation directe à transformer les gouvernements actuels, œuvre de nos ennemis les bourgeois. On veut pour cela entrer dans ces gouvernements, et, par la persuasion, par le nombre, par des lois nouvelles, établir un nouvel État. Compagnons, ne suivons pas cette marche (car nous pourrions la suivre en Belgique ou en France tout comme ailleurs) ; laissons plutôt ces gouvernements tomber en pourriture, et ne les étayons pas de notre moralité. Voici pourquoi : l'Internationale est et doit être un État dans les États ; qu’elle laisse ceux-ci marcher à leur guise, jusqu’à ce que notre État soit le plus fort. Alors, sur les ruines de ceux-là, nous mettrons le nôtre, tout préparé, tout fait, tel qu’il existe dans chaque Section. Ôte-toi de là que je m’y mette, telle sera la question. » Six délégués, Robin (Belgique), Schwitzguébel (district de Courtelary), Robert (Chaux-de-Fonds), Murat (Paris), Dereure (Paris), et Langlois (Paris), dirent que, tout en ne croyant pas que la question eût la portée que lui attribuaient les auteurs de la proposition, ils pensaient que, devant l’insistance de ceux-ci, il ne fallait pas refuser l’introduction de cette question dans l’ordre du jour, pourvu qu’elle ne vînt qu’à la suite des cinq autres. Le Congrès vota à l’unanimité une proposition présentée par Fritz Robert, ainsi conçue :


Le Congrès s’occupera en premier lieu des cinq questions mises à l’ordre du jour par le Conseil général de Londres ; toute autre question sera discutée ensuite.


Puis il adopta, également à l’unanimité, la proposition suivante présentée par Gœgg :


Le Congrès accepte, comme question devant suivre immédiatement dans la discussion les cinq premières, celle de la législation directe exercée par le peuple.


Le Congrès n’ayant eu le temps de discuter que les trois premières des questions de son ordre du jour, la question de la législation directe se trouva de fait écartée.

Il existe un rapport de Henri Perret à ses commettants, daté du 23 octobre 1869, imprimé sous ce titre : Rapport du délégué aux Sections de la Fabrique de Genève (brochure de 24 pages, Genève, imprimerie Vaney). Voici comment ce délégué, dont le témoignage ne saurait être suspecté par les amis de Liebknecht et de Greulich, relate (p. 4) l’incident relatif à cette question :

« La discussion prenait une tournure irritante et ne finissait pas. Enfin on a fait observer, avec raison, qu’il fallait rentrer dans la question ; que la législation directe n’ayant pas été portée au programme du Congrès, que les Sections n’ayant pas pu l’étudier, elle ne devait pas être discutée. Ces raisons ont prévalu, et le Congrès a décidé que si, l’ordre du jour épuisé, il restait du temps disponible, on la discuterait en principe... Il est vrai qu’il était peu sensé de vouloir introduire en plein Congrès une nouvelle question, quand l’ordre du jour est déjà trop chargé. Malgré tout l’intérêt que pourrait présenter une question, elle doit être envoyée, avant le Congrès, au Conseil général. Ce fait ne doit plus se reproduire à l’avenir. »


2° Question de la propriété foncière.

Chaque membre du Congrès avait le droit de s’inscrire à l’une ou à l’autre des commissions. La Commission chargée de faire rapport sur la propriété foncière se trouva ainsi composée : cinq Français, Murat (Paris), Varlin (Paris), Langlois (Paris), Creusot (Sotteville-les-Rouen), Piéton (Elbeuf) ; cinq Allemands, Lessner (branches allemandes en Angleterre), Rittinghausen (Cologne), Hess (Berlin), Janasch (Magdebourg), Becker (Sections allemandes de la Suisse) ; un Anglais, Lucraft (délégué du Conseil général de Londres) ; un Suisse, Collin (Bâle) ; un Belge, De Paepe (Sections du bassin de Charleroi) ; un Espagnol, Sentiñon (Section de Barcelone et Section de l’Alliance de la démocratie socialiste de Genève).

La Commission, par dix voix contre quatre (celles de Murat, de Langlois, de Creusot et de Piéton), proposa au Congrès les deux résolutions déjà résumées dans l’article du Progrès reproduit ci-dessus, et dont voici le texte authentique d’après le procès-verbal :


1o Le Congrès déclare que la société a le droit d’abolir la propriété individuelle du sol et de faire entrer le sol à la communauté ;

2o Il déclare encore qu’il y a aujourd’hui nécessité de faire entrer le sol à la propriété collective.


Quant à la manière dont la société devrait organiser la production agricole, des opinions diverses se produisirent au sein de la Commission.

La majorité, formée de Becker, Collin, Janasch, Lessner, Lucraft, Rittinghausen, Sentiñon, Varlin, était d’avis que « le sol doit être cultivé et exploité par les communes solidarisées ».

Hess demanda la confirmation pure et simple des résolutions votées par le Congrès de Bruxelles.

Une minorité, dont De Paepe fut l’organe, pensait que « la société devait accorder l’occupation de la terre soit aux agriculteurs individuels, soit de préférence à des associations agricoles qui paieraient la rente à la collectivité ». Sans admettre, comme le faisait De Paepe, que le sol dût appartenir à la collectivité sociale (et cependant Langlois déclarait que « la terre, en tant qu’elle n’est pas un produit de l’industrie humaine, appartient indistinctement à tous » ), les mutuellistes Langlois et Murat disaient toutefois que « tout en concédant à quelques-uns (individus ou groupes) le droit de cultiver, à l’exclusion de tous autres, une partie du domaine commun, la société ne saurait leur abandonner aucun droit sur la rente foncière, et que cette rente appartient à la collectivité » ; ils se trouvaient donc pratiquement d’accord avec De Paepe sur le mode d’organisation de la production agricole.

La discussion eut lieu dans les séances du Congrès du jeudi après-midi et du vendredi matin et après-midi (9 et 10 septembre).

Le point de vue des mutuellistes fut exposé et défendu par Chemalé, Tolain, Langlois, Murat. Chemalé le résuma en ces termes : « Notre devise est celle-ci : L’outillage à celui qui le met en œuvre ; la matière première à celui qui la transforme et lui donne la valeur. Et le cultivateur seul serait exclu de ce principe ? Nous voulons réaliser une société où, par la réciprocité des services et la mutualité des garanties, l’égalité résulte de la pratique de la liberté. » Tolain, après avoir revendiqué les droits naturels de l’individu, auxquels la collectivité ne peut porter atteinte, proposa une déclaration ainsi conçue : « Le Congrès déclare que, pour réaliser l’émancipation des travailleurs, il faut transformer les baux de fermage, etc., en un mot, tous les contrats de location, en contrats de vente ; qu’alors la propriété, étant continuellement en circulation, cesse d’être abusive par ce fait même ; que, par conséquent, dans l’agriculture comme dans l’industrie, les travailleurs se grouperont comme et quand ils le jugeront convenable, sous la garantie d’un contrat librement conclu, sauvegardant la liberté des individus et des groupes. »

Parmi les communistes, Lucraft, Lessner, Eccarius redirent les arguments déjà connus. Cowell Stepney raconta que, dans le Wisconsin, il avait visité une tribu d’environ deux mille Indiens Onéidas : on avait donné à chacun d’eux un lot de terre ; mais, au lieu de faire de la culture individuelle, ils préférèrent unir leurs efforts et cultiver la terre en commun ; et, pour montrer que ces Indiens étaient des hommes de bon sens, Cowell Stepney ajouta que les missionnaires, malgré tous leurs efforts, n’avaient réussi à en convertir au christianisme que cinq dans l’espace de huit ans.

Bakounine, répondant à Tolain, dit que l’individu est un produit de la société, et que sans la société l’homme n’est rien. Tout travail productif est avant tout un travail social ; « la production n’étant possible que par la combinaison du travail des générations passées et de la génération présente, il n’y a jamais eu de travail qui puisse s’appeler travail individuel ». Il est donc partisan de la propriété collective, non seulement du sol, mais de toute la richesse sociale. Quant à l’organisation de la production agricole, il conclut à la solidarisation des communes, proposée par la majorité de la commission, d’autant plus volontiers que cette solidarisation implique l’organisation de la société de bas en haut, tandis que les propositions de la minorité supposent un État. Il demanda « la destruction de tous les états nationaux et territoriaux, et, sur leurs ruines, la construction de l’État international de millions de travailleurs, État que le rôle de l’Internationale sera de constituer[15] ».

Hins fit le récit de sa conversion à l’opinion collectiviste. En étudiant de plus près la question de la propriété du sol, il avait dû reconnaître qu’il n’était pas possible, au nom de la justice, d’admettre qu’avec le même travail deux cultivateurs obtinssent une somme inégale de produits. La supériorité naturelle d’un sol sur un autre crée la rente foncière : et il fut forcé de se dire que cette rente devait appartenir non au cultivateur, mais à la collectivité. Seulement, après avoir admis que la société devait prélever la rente du sol, il reconnut que, sans s’en apercevoir, il était arrivé par là à la négation de la propriété individuelle, puisque c’est la jouissance de la rente qui constitue la propriété. L’examen d’une autre question acheva de lui démontrer que la propriété, dans une société égalitaire, devait se transformer inévitablement en simple possession : jusque-là, il avait été partisan de l’héritage ; or, la discussion lui fit voir que par l’héritage on pouvait arriver à deux résultats également dangereux, ou bien un morcellement excessif de la terre, ou bien la monopolisation de la terre en un petit nombre de mains ; il fallait donc, pour parer à ce double danger, renoncer à la transmission héréditaire ; et la suppression de l’héritage, c’est la suppression de la propriété.

Le procès-verbal du Congrès (p. 73) met dans la bouche de l’Allemand Gœgg des déclarations qui feraient de lui un partisan de la propriété collective : « Le salariat et le patronat doivent être abolis, et cette abolition conduit à la propriété collective du sol et à l’abolition du droit d’héritage. Reste l’organisation de la chose : c’est l’affaire du peuple, et c’est par la législation directe qu’il pourra y arriver. » Mais à en croire Gœgg lui-même, ce délégué était partisan de la propriété individuelle, l’Égalité (numéro du 1er  octobre 1869) lui ayant prêté ces paroles : « Le droit du plus fort a créé la propriété individuelle ; le moyen d’arriver à la propriété collective, c’est l’abolition du droit d’héritage », Gœgg s’empressa de protester par une lettre où il disait : « Le récit dans lequel vous me faites dire que le droit du plus fort a créé la propriété individuelle, et que le moyen d’arriver à la propriété collective est l’abolition du droit d’héritage, est, en ce qui me concerne, totalement inexact. Je déclare que je ne me suis jamais prononcé contre la propriété individuelle, et qu’à Bâle je n’ai pas voté pour l’abolition du droit d’héritage. » (Lettre insérée dans l’Égalité du 8 octobre 1869.) Gœgg n’en a pas moins voté oui sur les deux résolutions relatives à la propriété collective du sol. Aussi, quand des raisons politiques l’engagèrent — comme elles engagèrent également Liebknecht, après le Congrès — à dissimuler, il déclara qu’il n’avait pas voté pour l’abolition du droit d’héritage (voir plus loin l’explication de son vote), mais n’osa pas affirmer qu’il eût voté contre la propriété collective : il se contenta de prétendre, en équivoquant misérablement, qu’il « ne s’était jamais prononcé contre la propriété individuelle » ; qu’est-ce qu’une semblable explication pouvait bien signifier ?

Voici, d’après le procès-verbal du Congrès (p. 89), le résultat des appels nominaux qui furent faits dans la séance du vendredi après-midi sur les deux, résolutions proposées :


Première résolution : Le Congrès déclare que la société a le droit d’abolir la propriété individuelle du sol et de faire entrer le sol à la communauté.

Ont voté oui : Allemagne, Spier, Rittinghausen, Liebknecht, Hess, Janasch, Becker, Krüger, Scherer, Würger, Lessner, Gœgg ; Amérique, Cameron ; Angleterre, Cowell Stepney, Jung, Eccarius ; Autriche, Neumayer ; Belgique, Hins, Robin, Bastin, Brismée, De Paepe ; Espagne, Rafaël Farga-Pellicer, Sentiñon ; France, Varlin, Flahaut, Franquin, Dereure, Tartaret, Bakounine[16], Bourseau, Outhier, Albert Richard, Louis Palix, Gh. Monier, Foureau ; Italie, Caporusso ; Suisse allemande, Bürkly, Greulich, Frey, Bruhin, Leisinger, Starke, Collin, Quinch, Gutgerold ; Suisse française, Heng, Brosset, Jaillet, Fritz Robert, François Floquet, James Guillaume, Martinaud, Schwitzguébel, Gorgé : 54 ;

Ont voté non : France : Tolain, Pindy, Chemalé, Fruneau : 4[17] ;

Se sont abstenus : France, Landrin, Dosbourg, Durand, Roussel, Murat, Mollin, Langlois, Aubry, Creusot, Piéton ; Suisse allemande, Bohny ; Suisse française, Grosselin, H. Perret : 13 ;

Absents : Angleterre, Applegarth, Lucraft ; Autriche, Oberwinder ; Suisse allemande, Holeiber : 4.


Deuxième résolution : Il déclare encore qu’il y a aujourd’hui nécessité de faire entrer le sol à la propriété collective.

Ont voté oui : Les mêmes, sauf Flahaut (France) : 53 ;

Ont voté non : France, Tolain, Pindy, chemalé, Fruneau, Murat, Piéton, Langlois ; Suisse allemande, Bohny : 8 ;

Se sont abstenus : France, Landrin, Dosbourg, Durand, Roussel, Mollin, Creusot, Flahaut, Aubry ; Suisse française, Grosselin, H. Perret : 10 ;

Absents : Angleterre, Applegarth, Lucraft ; Autriche, Oberwinder ; Suisse allemande, Holeiber : 4.

Après ces deux appels nominaux, Caporusso, de Naples, présenta la proposition suivante : « Il est proposé que toute Section de l’Internationale prépare, pour le prochain Congrès, un travail sur le mode pratique d’amener la solution de la question de la propriété collective ». La proposition fut adoptée sans discussion.

Plusieurs membres demandèrent ensuite le vote sur les propositions de la majorité et de la minorité de la Commission relativement à l’organisation de la production agricole ; d’autres répondirent que le vote de la proposition de Caporusso empêchait tout vote ultérieur. Bakounine et Robert firent observer que la proposition de Caporusso n’avait trait qu’aux moyens pratiques à employer pour arriver à la propriété collective, tandis que les propositions des deux fractions de la Commission parlaient de la manière d’organiser le travail agricole. De Paepe et Varlin proposèrent de réunir les résolutions de la majorité et de la minorité de la Commission, en laissant à l’avenir le soin de décider dans chaque pays le meilleur mode à suivre ; mais ils retirèrent ensuite leur proposition, et la clôture de la discussion fut votée.


3o Question du droit d’héritage.

La Commission chargée de faire rapport sur la question du droit d’héritage se trouva ainsi composée : trois Français, Dereure (Paris), Richard (Lyon), Bakounine (Lyon) ; trois Allemands, Liebknecht (Congrès d’Eisenach), Hess (Berlin), Becker (Sections allemandes de la Suisse) ; deux Suisses, James Guillaume (Locle), Heng (Genève) ; deux Belges, Brismée (Bruxelles), De Paepe (Sections du bassin de Charleroi) ; un Espagnol, Rafaël Farga-Pellicer (Centre fédéral des sociétés ouvrières de la Catalogne) ; il faut y ajouter le président du Congrès, Hermann Jung, Suisse habitant Londres, délégué du Conseil général.

La majorité de la Commission se rallia aux idées soutenues par Bakounine. Le Conseil général avait préparé sur la question un rapport évidemment rédigé par Marx, et qu’Eccarius avait été chargé de présenter au Congrès ; mais je n’ai pas souvenir qu’il ait été parlé de ce rapport au sein de la Commission ; il n’en fut donné connaissance, je crois, que dans la séance du Congrès. La Commission ne comprenait aucun mutuelliste, en sorte que nous parûmes nous trouver tous d’accord ; j’ai raconté, dans le Mémoire de la Fédération jurassienne (p. 81), comment Jung me disait, comme à un coreligionnaire : « Mon cher, cette fois, je crois que nous pouvons nous déclarer franchement communistes ». Seul De Paepe avait une façon particulière de comprendre la question ; dans un rapport rédigé par lui et présenté au nom de la Section bruxelloise, il avait écrit : « Dans une société comme celle vers laquelle nous tendons, où la propriété foncière individuelle est abolie…, où les machines et les instruments de travail deviennent la propriété collective des groupes qui les font fonctionner…, où l’accumulation de grandes richesses par un particulier devient impossible…, il ne reste aux mains des individus, comme passibles d’être transmis par voie d’hérédité, que les choses usuelles, les objets de consommation personnelle ou de ménage, plus quelques épargnes en monnaie peut-être… ; est-il juste ou injuste que cet avoir individuel puisse être transmis à la postérité par voie d’héritage individuel ? » Et il déclarait « qu’il était juste que l’individu pût transmettre cet avoir à ceux qui sont ses enfants de par la nature ou de par l’adoption » ; que « la possibilité pour le père de famille de transmettre son avoir à ses enfants pouvait être un stimulant pour le travail et un préservatif contre le gaspillage » ; et enfin que, « dans un milieu où la société donne à chacun une instruction commune et complète en même temps qu’elle garantit à chacun les instruments de travail, l’héritage individuel ne peut porter atteinte à l’égalité des moyens de développement physique et intellectuel ». Quant à l’abolition complète ou partielle de l’hérédité comme moyen d’opérer progressivement la liquidation sociale, De Paepe disait « qu’il ne faut pas être prophète pour voir que cette abolition, pas plus que toute autre mesure pacifique, n’est dans les choses probables ».

La discussion eut lieu dans la séance du vendredi après-midi (10 septembre).

Brismée présenta, au nom de la Commission, le projet suivant de résolution :


Considérant que le droit d’héritage, qui est un élément essentiel de la propriété individuelle, a puissamment contribué à aliéner la propriété foncière et la richesse sociale au profit de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre, et qu’en conséquence il est un des plus grands obstacles à l’entrée du sol à la propriété collective ;

Que d’autre part le droit d’héritage, quelque restreinte que soit son action, en empêchant que les individus aient absolument les mêmes moyens de développement moral et matériel, constitue un privilège dont le plus ou moins d’importance au fond ne détruit point l’iniquité en droit, et qui devient ainsi une menace permanente au droit social[18] ;

Qu’en outre le Congrès s’est prononcé pour la propriété collective, et qu’une telle déclaration serait illogique si elle n’était corroborée par celle qui va suivre,

Le Congrès reconnaît que le droit d’héritage doit être complètement et radicalement aboli, et que cette abolition est une des conditions indispensables de l’affranchissement du travail.


Cette rédaction laissait beaucoup à désirer, et on pouvait surtout lui reprocher de ne pas caractériser de façon satisfaisante la nature du rapport existant entre la déclaration votée par le Congrès relativement à la propriété collective et celle qu’on lui demandait relativement au droit d’héritage. Prétendre que la première déclaration serait « illogique » si elle n’était pas « corroborée » par la seconde, était d’un raisonnement boiteux.

Heureusement, Bakounine devait, dans la discussion, tirer les choses au clair, et remplacer cette piètre logomachie par des arguments sérieux.

Eccarius donna lecture du rapport du Conseil général — c’est-à-dire de l’opinion de Marx — sur la question, en déclarant que les choses y étaient envisagées à un point de vue tout différent de celui de la Commission. Ce rapport disait :


« La loi de l’hérédité n’est pas la cause, mais l’effet, la conséquence juridique de l’organisation économique actuelle de la société ;… ce que nous avons à discuter, c’est la cause et non l’effet ; … la disparition du droit d’héritage sera le résultat naturel d’un changement social abolissant la propriété individuelle dans les moyens de production ; mais l’abolition du droit d’héritage ne peut être le point de départ d’une pareille transformation sociale : cela serait aussi absurde que de vouloir abolir la loi de l’offre et de la demande tout en continuant l’état actuel des conditions de l’échange ; ce serait faux en théorie et réactionnaire en pratique. En traitant des lois de l’héritage, nous supposons nécessairement que la propriété individuelle dans les moyens de production continue d’exister. Toute mesure concernant le droit d’héritage ne peut conséquemment avoir rapport qu’à un état de transition sociale… Ces mesures transitoires ne peuvent être que les suivantes : A. Extension de l’impôt sur le droit d’héritage… ; B. Limitation du droit de tester. . . »


Ainsi, après une déclaration théorique très radicale, — l’abolition de la propriété individuelle, d’où découlera naturellement la disparition du droit d’héritage, — Marx aboutissait à des mesures pratiques très propres à orner un programme politique genevois ou zuricois : impôt sur les successions, limitation du droit de tester. Bakounine, lui, on va le voir, ne prenait pas pour point de départ théorique l’hypothèse d’un état social où la propriété aurait été abolie : constatant, au contraire, le fait de l'existence de la propriété individuelle, et pressentant qu'elle serait très difficile à transformer, chez les paysans, en propriété collective, il voulait au moins, par l'abolition du droit d'héritage, enlever à l'ordre de choses existant la sanction juridique et transformer en une simple possession de fait ce qui avait été jusque-là une propriété revêtue de la garantie sociale.

Chemalé, en ouvrant la discussion, déclara que le vote sur la propriété collective emportait la décision sur l'héritage : une fois la propriété individuelle abolie, de quoi pourrait-on bien hériter ?

Varlin répondit : « Si nous étions arrivés à faire rentrer tous les instruments de travail, ainsi que le sol, à la propriété collective, il est évident que la question de l'héritage n'aurait plus d'importance ; mais nous n'en sommes pas là : il reste encore une grande partie de l'outillage social dont nous n'avons pas aboli la propriété, même en principe ; si nous maintenons l'héritage dans ces conditions, nous maintenons l'inégalité, puisque certains enfants trouveront par voie d'héritage ce qui leur est nécessaire, tandis que d'autres en seront fatalement privés. »

Bakounine dit qu'entre ceux qui pensaient qu'après avoir voté la propriété collective, il était inutile de voter l'abolition du droit d'héritage (c'était d'Eccarius et du Conseil général qu'il parlait), et ceux qui trouvaient qu'il était utile et même nécessaire de la voter, il n'y avait qu'une simple différence de point de vue :


« Les uns se placent en plein avenir, et, prenant pour point de départ la propriété collective, trouvent qu'il n'y a plus lieu de parler du droit d'héritage ; nous, nous partons au contraire du présent, nous nous trouvons sous le régime de la propriété individuelle triomphante, et, en marchant vers la propriété collective, nous rencontrons un obstacle : le droit d'héritage ; nous pensons donc qu'il faut le renverser. Le rapport du Conseil général dit que le fait juridique n'étant jamais que la conséquence d'un fait économique, il suffit de transformer ce dernier pour anéantir le premier. Il est incontestable que tout ce qui s'appelle droit juridique ou politique n'a jamais été dans l'histoire que l'expression ou le produit d'un fait accompli. Mais il est incontestable aussi qu'après avoir été un effet d'actes ou de faits antérieurement réalisés, le droit devient à son tour la cause de faits ultérieurs, devient lui-même un fait très réel, très puissant, et qu'il faut renverser si l'on veut arriver à un ordre de choses différent de celui qui existe. C'est ainsi que le droit d'héritage, après avoir été la conséquence naturelle de l'appropriation violente des richesses naturelles et sociales, est devenu plus tard la base de l'État politique et de la famille juridique, qui garantissent et sanctionnent la propriété individuelle. Donc, il nous faut voter l'abolition du droit d'héritage[19] »


Il indiqua ensuite un autre motif, et ici se marque très nettement la différence entre sa conception d'une transformation sociale et celle des communistes d'État :


«On nous a beaucoup parlé de pratique. Eh bien, c'est au nom de la pratique que je vous convie à voter l'abolition du droit d'héritage. On a dit aujourd'hui que la transformation de la propriété individuelle en propriété collective rencontrera de graves obstacles chez les paysans, petits propriétaires de la terre. Et, en effet, si, après avoir proclamé la liquidation sociale, on tentait de déposséder par décret ces millions de petits cultivateurs, on les jetterait nécessairement dans la réaction, et, pour les soumettre à la révolution, il faudrait employer contre eux la force, c'est-à-dire la réaction. Il faudra donc bien les laisser les possesseurs de fait de ces parcelles dont ils sont aujourd'hui les propriétaires. Mais si vous n'abolissez pas le droit d'héritage, qu'arrivera-t-il ? Ils transmettront ces parcelles à leurs enfants, avec la sanction de l'État, à titre de propriété. Si, au contraire, en même temps que vous ferez la liquidation sociale, vous proclamez la liquidation politique et juridique de l'État, si vous abolissez le droit d'héritage, que restera- t-il aux paysans ? Rien que la possession de fait, et cette possession, privée de toute sanction légale, ne s'abritant plus sous la protection puissante de l'État, se laissera facilement transformer sous la pression des événements et des forces révolutionnaires[20]. »


Le débat sur le droit d'héritage se prolongea beaucoup moins que celui sur la propriété collective : on était à l'avant-dernier jour du Congrès, et le temps pressait. Après le discours de Bakounine, la clôture fut demandée et votée ; on entendit encore une harangue enflammée du fougueux Langlois, puis l'appel nominal fut fait sur la proposition de la Commission et sur celle du Conseil général ; en voici le résultat :


Proposition de la Commission.

Ont voté oui : Allemagne, Rittinghausen, Janasch, Becker, Krüger, Lessner ; Autriche, Neumayer ; Belgique, Hins, Robin, Baslin, Brismée ; Espagne, Rafaël Farga-Pellicer, Sentiñon ; France, Varlin, Dereure, Bakounine, Bourseau, Outhier, Albert Richard, Louis Palix, Ch. Monier, Foureau ; Italie, Caporusso ; Suisse allemande, Collin ; Suisse française, Heng, Brosset, Jaillet, Fritz Robert, François Floquet, James Guillaume, Martinaud, Schwitzguébel, Gorgé : 32 ;

Ont volé non : Allemagne, Liebknecht, Hess, Würger ; Amérique, Cameron ; Angleterre, Applegarth, Cowell Stepney, Jung, Eccarius ; France, Tartaret, Tolain, Pindy, Chemalé, Fruneau, Murat, Langlois, Aubry, Piéton ; Suisse allemande, Greulich, Frey, Leisinger, Starke, Quinch, Gutgerold : 23 ;

Se sont abstenus : Allemagne, Scherer, Gœgg ; Belgique, De Paepe ; France, Flahaut, Franquin, Landrin, Dosbourg, Durand, Roussel, Mollin, Creusot ; Suisse allemande, Bruliin ; Suisse française, Grosselin : 23 ;

Absents : Angleterre, Lucraft ; Allemagne, Spier ; Autriche, Oberwinder ; Suisse allemande, Bürkly, Bohny, Holciber ; Suisse française, H. Perret : 7.


Proposition du Conseil général.

Ont voté oui : Allemagne, Rittinghausen, Liebknecht, Hess, Krüger, Lessner, Gœgg ; Amérique, Cameron ; Angleterre, Applegarth, Cowell Stepney, Jung, Eccarius ; Autriche, Neumayer ; Belgique, Bastin ; Suisse allemande, Greulich, Frey, Bruhin, Leisinger, Quinch, Gutgerold : 19[21] ;

Ont voté non : Allemagne, Janasch ; Belgique, Hins, Robin, Brismée, De Paepe ; Espagne, Rafaël Farga-Pellicer ; France, Varlin, Franquin, Dereure, Tartaret, Bakounine, Bourseau, Outhier, Albert Richard, Louis Palix, Ch. Monier, Foureau, Tolain, Pindy, Chemalé, Fruneau, Dosbourg, Murat, Langlois, Aubry, Piéton ; Italie, Caporusso ; Suisse allemande, Starke ; Suisse française, Heng, Brosset, Jaillet, Fritz Robert, François Floquet, James Guillaume, Martinaud, Schwitzguébel, Gorgé : 87 ;

Se sont abstenus : Espagne, Sentiñon ; France, Landrin, Roussel, Mollin, Flahaut ; Suisse allemande, Collin[22] : 6 ;

Absents : Allemagne, Becker, Scherer, Würger, Spier ; Angleterre, Lucraft ; Autriche, Oberwinder ; France, Durand, Creusot ; Suisse allemande, Bürkly, Bohny, Holeiber ; Suisse française, Grosselin, H. Perret : 13.

Ni la proposition de la Commission, ni celle du Conseil général, n’avaient obtenu la majorité absolue, c’est-à-dire un nombre de oui supérieur à la moitié des votants. Ni l’une ni l’autre n’avait donc été adoptée. Mais si l’on considère non plus les votes affirmatifs, mais les votes négatifs, on voit, en ce qui concerne la proposition du Conseil général, que non seulement elle n’avait pas été adoptée, mais qu’elle avait été formellement rejetée, le nombre des non ayant été supérieur à la moitié des votants (37 non sur 62 votants). Cet échec fut particulièrement sensible à Marx : c’était la première fois que pareille chose lui arrivait dans un Congrès de l’Internationale, — ce qu’il traduisit, dans son for intérieur, et, plus tard, dans son pamphlet du 5 mars 1872, Les Prétendues scissions dans l’Internationale (circulaire privée du Conseil général), d’une façon bien caractéristique de la tournure de son esprit, en disant que « des moyens déloyaux furent employés à cette occasion, et cette fois-là seulement, dans un Congrès de l’Internationale[23] ».


4° Question des Sociétés de résistance.


La Commission chargée de faire rapport sur cette question était ainsi composée : neuf Français, Franquin (Paris), Flahaut (Paris), Fruneau (Paris), Roussel (Paris), Chemalé (Paris), Pindy (Paris), Aubry (Rouen), Outhier (Lyon), Bourseau (Lyon) ; cinq Suisses, Schwitzguébel (district de Courtelary), Floquet (Locle), Jaillet (Lausanne), H. Perret (Genève), Brosset (Genève) ; un Allemand, Liebknecht ; un Belge, Hins ; un Espagnol, Rafaël Farga-Pellicer.

Les membres de la Commission se mirent facilement d'accord. Ce fut Pindy qui présenta le rapport au Congrès, le samedi matin. Rédigé avec la collaboration évidente de Hins, ce rapport indiquait, tant de l'organisation des travailleurs dans la société actuelle, en vue de la résistance, que de l'organisation du travail dans la société future, une conception fédéraliste intéressante à noter. Il disait :


Nous concevons deux modes de groupement pour les travailleurs. D'abord un groupement local qui permet aux travailleurs d'un même lieu d'entretenir des relations journalières ; puis un groupement entre les différentes localités, bassins, contrées, etc.[24] Ce premier mode de groupement correspond aux relations politiques de la société actuelle, qu'il remplace avantageusement : il a été jusqu'ici le mode employé par l'Association internationale des travailleurs.

Mais à mesure que l'industrie s'agrandit, un autre mode de groupement devient nécessaire simultanément avec le premier. Les ouvriers, dans tous les pays, sentent que leurs intérêts sont solidaires, et qu'on les écrase l'un par l'autre. D'un autre côté, l'avenir réclame une organisation qui sorte de l'enceinte des villes, et, ne connaissant plus de frontière, établisse une vaste répartition du travail d'un bout du monde à l'autre ;.... il faut que chaque corps de métier entretienne un échange de correspondances et de renseignements dans le pays et avec les autres nations... Ce mode de groupement devient un agent de décentralisation, car il ne s'agit plus d'établir dans chaque pays [une capitale unique[25],] un centre commun à toutes les industries, mais chacune aura pour centre la localité où elle est le plus développée : par exemple, pour la France, tandis que les bouilleurs se fédéreraient autour de Saint-Étienne, les ouvriers en soieries le feraient autour de Lyon, comme les industries de luxe autour de Paris.

Une fois ces deux groupements opérés, le travail s'organise pour le présent et pour l'avenir... Le groupement des différentes corporations par ville forme la commune de l'avenir, de même que l'autre mode forme la représentation ouvrière de l'avenir. Le gouvernement est remplacé par les conseils des corps de métier réunis, et par un comité de leurs délégués respectifs, réglant les rapports du travail qui remplaceront la politique.


La résolution présentée par la Commission était ainsi conçue :


Le Congrès est d'avis que tous les travailleurs doivent s'occuper activement à créer des caisses de résistance dans les différents corps de métier.

À mesure que ces sociétés se formeront, il invite les Sections, groupes fédéraux et conseils centraux à en donner avis aux sociétés de la même corporation, afin de provoquer la formation d'associations nationales de corps de métier.

Ces fédérations seront chargées de réunir tous les renseignements intéressant leur industrie respective, de diriger les mesures à prendre en commun, de régulariser les grèves, et de travailler activement à leur réussite, en attendant que le salariat soit remplacé par la fédération des producteurs libres.

Le Congrès invite en outre le Conseil général à servir, en cas de besoin, d'intermédiaire à l'union des sociétés de résistance de tous les pays.


La discussion occupa les deux séances du samedi matin et du samedi après-midi (11 septembre). Liebknecht, qui parla le premier, parut n'avoir pas saisi ce que le rapport avait dit du double mode de groupement : il recommanda, lui aussi, une double organisation, mais elle consistait simplement à organiser nationalement toutes les sociétés d'un pays, et ensuite à fédérer internationalement les diverses organisations nationales, Tolain, quoique proudhonien, déclara que le projet de voir les associations fédérées remplacer l'État lui apparaissait comme un rêve : car l'ouvrier n'appartient pas seulement à une corporation, il a des rapports nécessaires avec les autres habitants de la commune, il a donc des droits et des devoirs de citoyen à remplir. Greulich (Zurich) fit la même observation : « Je ne crois pas, dit-il, que les associations ouvrières fédérées puissent se transformer jamais en gouvernement ; l'ouvrier n'appartient pas seulement à son métier, il appartient par mille liens à une famille politique dont il fait partie : il est citoyen ». Hins développa les idées exprimées dans le rapport : les sociétés de résistance, dit-il, subsisteront après la suppression du salariat, et c'est par elles que s'organisera la production ; les industries formeront, en quelque sorte, chacune un État à part, ce qui empêchera à tout jamais le retour à l'ancien État centralisé ; les anciens systèmes politiques seront remplacés par la représentation du travail. On nous a reproché d'être indifférents aux formes des gouvernements : ce n'est vrai que dans ce sens, que nous les détestons tous au même titre ; nous pensons que c'est seulement sur leurs ruines que pourra s'établir une société conforme aux principes de justice[26].

Sans s'arrêter à des différences de conception théorique relativement à l'organisation de la société future, la plupart des délégués se bornèrent à constater que le Congrès était unanime à reconnaître la nécessité des sociétés de résistance, ainsi que la nécessité de leur fédération, et l'utilité de créer entre elles un lien international au moyen du Conseil général de l'Internationale. La résolution proposée par la Commission fut votée à l'unanimité.


Il n'était pas resté de temps au Congrès pour discuter la question du crédit et celle de l'instruction intégrale : ces deux questions furent renvoyées au Congrès suivant.


Dans les séances administratives du mardi matin et du mercredi matin, le Congrès avait discuté et adopté des résolutions, au nombre de neuf, ayant pour but de donner à l'organisation de l'Internationale quelque chose de plus précis. Une première résolution, présentée par Eccarius, est relative à la présidence. Elle est ainsi conçue :


I. — Considérant qu'il n'est pas digne d'une Société ouvrière de maintenir dans son sein un principe monarchique et autoritaire, en admettant des présidents, lors même que ceux-ci ne seraient investis d'aucun pouvoir, les distinctions purement honorifiques étant encore une atteinte aux principes démocratiques, le Congrès engage toutes les Sections et sociétés ouvrières affiliées à l'Internationale à abolir la présidence dans leur sein.


La résolution II dit que les « journaux contenant des attaques contre l'Association doivent être aussitôt envoyés au Conseil général par les Sections respectives » ; la résolution III, que « les adresses des bureaux et du Conseil général seront publiées tous les trois mois dans les journaux de l'Association ».

Voici celles de ces résolutions administratives qui réglèrent les rapports des Sections avec le Conseil général :


IV . — Chaque nouvelle Section ou société qui se forme et veut faire partie de l'Internationale doit annoncer immédiatement son adhésion au Conseil général.

V. — Le Conseil général a le droit d'admettre ou de refuser l'affiliation de toute nouvelle société ou groupe, sauf l'appel au prochain Congrès.

Toutefois, là ou il existe des groupes fédéraux, le Conseil général, avant d'accepter ou de refuser l'affiliation d'une nouvelle Section ou société, devra consulter le groupe, tout en conservant son droit de décision provisoire.

VI . — Le Conseil général a également le droit de suspendre, jusqu'au prochain Congrès, une Section de l'Internationale.

Tout groupe, de son côté, pourra refuser ou exclure de son sein une Section ou société, sans pouvoir toutefois la priver de son caractère d'internationalité ; mais il pourra en demander la suspension au Conseil général.

VII. — Lorsque des démêlés s'élèveront entre des sociétés ou branches d'un groupe national, ou entre des groupes de différentes nationalités, le Conseil général aura le droit de décider sur le différend, sauf appel au Congrès prochain, qui décidera définitivement.


Au sujet de ces résolutions administratives, qui investirent le Conseil général d'un pouvoir que ne lui avaient donné ni les Statuts généraux adoptés en 1866 par le Congrès général de Genève, ni le règlement qui accompagnait ces statuts, j'ai écrit en 1872 dans le Mémoire de la Fédération Jurassienne (p. 82) : « Nous étions tous animés de la plus complète bienveillance à l'égard des hommes de Londres. Et notre confiance fut si aveugle que nous contribuâmes plus que personne à faire voter ces fameuses résolutions administratives qui allaient donner au Conseil général une autorité dont il a fait un si fâcheux usage. Leçon profitable. et qui nous a ouvert les yeux sur les vrais principes de l'organisation fédérative. »

Le Vorbote de J.-Ph. Becker (année 1870, page 4) a publié un compte-rendu de la discussion qui eut lieu à ce propos, dans la seconde séance administrative du Congrès (mercredi matin 8 septembre). En voici la traduction :

« Eccarius propose, au nom du Conseil général, que celui-ci ait le droit d'exclure toute Section qui agirait contrairement à l'esprit de l'Internationale, sous réserve de l'approbation du Congrès. Robin demande que ce droit soit également donné aux Fédérations nationales. Bakounine propose de donner au Conseil général le droit de refuser à des Sections nouvelles l'entrée de l'Internationale jusqu'au Congrès suivant, et de suspendre des Sections existantes ; quant aux Comités nationaux, il veut leur reconnaître le droit d'exclure des Sections de leur Fédération, mais non le droit de les exclure de l'Internationale. Devant la proposition de Bakounine, appuyée par Brismée, Robin retire la sienne. Hins demande que le droit de suspension n'appartienne qu'aux Comités fédéraux, et pas au Conseil général ; Greulich l'appuie. Lucraft ne veut donner le droit de suspension aux Fédérations locales que sous réserve de la ratification par le Conseil général ; Chemalé et Lessner parlent dans le même sens. Bakounine fait ressortir le caractère international de l'Association ; il est nécessaire, pour ce motif, que le Conseil général ne soit pas sans autorité ; il fait remarquer que, si les organisations nationales avaient le droit de suspension, il pourrait arriver que des Sections animées du véritable esprit de l'Internationale fussent exclues par une majorité infidèle aux principes. Liebknecht se prononce d'une façon encore plus catégorique pour l'extension des pouvoirs du Conseil général ; Spier également. Lessner parle en faveur de la proposition de Lucraft. Robin propose un amendement à la proposition de Bakounine. Le Congrès invite les auteurs des diverses propositions à se réunir dans une salle voisine et à s'entendre sur une rédaction qui sera soumise dans une séance ultérieure. »

Dans une lettre écrite plus tard à des amis italiens (23 janvier 1872), Bakounine a expliqué qu'en faisant sa proposition, destinée à permettre au Conseil général de protéger éventuellement une Section contre l'esprit réactionnaire de la majorité d'une Fédération, il pensait à la Section de l'Alliance, que le Comité cantonal de Genève avait refusé d'admettre dans la fédération locale genevoise, et que le Comité fédéral romand pourrait refuser d'admettre dans la Fédération romande (il arriva en effet que le Comité fédéral romand, sans oser repousser absolument la Section de l'Alliance, ajourna son admission dans la Fédération romande à une date indéterminée : voir p. 218). Loin donc de regarder le Conseil général comme un adversaire, Bakounine voyait en lui, à Bâle, un appui contre l'esprit réactionnaire d'une coterie locale. Voici ce qu'il dit dans cette lettre :


Ce n'est que le dernier Congrès, tenu à Bâle en 1869, qui a élargi quelque peu les pouvoirs du Conseil général, contrairement à l'esprit des Statuts généraux. Ce fut une grave faute, et je dois avouer que j'ai contribué beaucoup à lui faire commettre cette faute. Mea culpa, mea maxima culpa... J'étais arrivé au Congrès de Bâle avec cette impression, qu'une Fédération régionale, guidée par une faction intrigante et réactionnaire, pouvait faire des abus de pouvoir, et j'y cherchai un remède dans l'autorité du Conseil général. Les Belges, au contraire, qui connaissaient d'ailleurs mieux que nous les dispositions secrètes et très autoritaires de certaines personnes qui composent le Conseil général, et notamment de Marx, le personnage dominant de ce Conseil, les Belges étaient arrivés au Congrès de Bâle avec des dispositions toutes contraires. Ils dénièrent absolument tout pouvoir au Conseil général. Hins, délégué belge, et moi, nous nous combattîmes fortement. On nous chargea de nous entendre et de rédiger en commun un projet de résolution. Nous le rédigeâmes, et il fut accepté... Voilà les articles que j'ai contribué à faire, au moins pour les trois quarts, et je ne puis, encore une fois, que répéter ce cri : Mea culpa, mea maxima culpa[27].


Les deux dernières résolutions administratives disent que, « à l'avenir, ne seront plus admis à siéger et à voler dans le Congrès que les délégués des sociétés, Sections ou groupes affiliés à l'Internationale, et qui sont en règle avec le Conseil général pour le paiement de leurs cotisations ; toute- fois, pour les pays où l'Association internationale rencontre des difficultés à s'établir à cause des lois, les délégués des sociétés ouvrières corporatives seront admis à discuter les questions de principes, mais ne pourront discuter et voter les questions administratives » (résolution VIII) ; — et que « la cotisation spécifiée à l'article 4 du règlement est fixée, pour l'année 1869-1870, à dix centimes par adhérent » (résolution IX).

Le Congrès vota également une résolution relative à la statistique du travail, qui est imprimée dans le Compte-rendu du Congrès (p. 173) à la suite des résolutions administratives. La voici :


Résolution sur les cahiers du travail.

Considérant que tout en discutant les questions théoriques, le Congrès doit prendre des mesures pratiques pour porter à la connaissance de tous les adhérents la situation des travailleurs et celle de l'industrie dans chaque pays ;

Se fondant sur l'article 3 du règlement général ;

Le Congrès invite les sociétés ouvrières à faire parvenir au Conseil général, dans le courant de l'année, une statistique aussi détaillée que possible sur le nombre des ouvriers de chaque spécialité, sur le taux des salaires, sur le prix de revient des produits, sur le prix de vente, sur les griefs des ouvriers, ainsi que tous renseignements qui pourront être recueillis sur les matières premières et les débouchés lans chaque industrie.


L'article 3 des Statuts généraux disait : « Tous les ans, le Congrès réuni indiquera le siège du Conseil général, nommera ses membres, et choisira le lieu de la prochaine réunion ».

En conséquence de cet article, les délégués du Conseil général au Congrès de Bâle, Lucraft, Cowell Stepney, Jung, Eccarius et Lessner, proposèrent, au nom de ce Conseil, que le siège en fût fixé à Bruxelles pour l'année 1869-1870. La proposition de ce changement nous surprit et nous alarma : nous trouvions que Londres était la ville où le Conseil général était le plus à l'abri des tracasseries gouvernementales et policières, et nous craignions de voir, à Bruxelles, l'arbitraire et les violences du gouvernement belge menacer sa liberté d'action ; aussi insistâmes-nous de la façon la plus pressante pour que nos amis de Londres conservassent le mandat dont ils étaient investis depuis la fondation de l'Association. Devant l'unanimité des vœux exprimés, ils déclarèrent qu'ils acceptaient.

Quant à la désignation de la ville où devait avoir lieu le prochain Congrès, le choix de Paris eut, dans la pensée des délégués, le caractère d'une manifestation contre l'empire ; les délégués parisiens nous avaient dit : « Dans un an, l'empire aura cessé d'exister, et nous invitons dès aujourd'hui l'Internationale à tenir son prochain Congrès dans la capitale de la République française ». Ce fut par acclamation que le Congrès vota cette résolution : « Le prochain Congrès aura lieu à Paris, le premier lundi le septembre 1870[28] ».


Je dois mentionner encore, dans ce chapitre consacré au Congrès de Bâle, trois incidents qui offrent un certain intérêt : 1° l'affaire du jury d'honneur qui fut appelé à se prononcer sur des accusations infamantes lancées contre Bakounine par certains représentants de la démocratie socialiste allemande ; 2° le blâme infligé à Coullery par le Congrès ; 3° l'intimité qui s'établit entre quelques délégués de la Suisse française et l'un des délégués parisiens, Eugène Varlin.


1° Bakounine et le jury d'honneur de Bâle

En ce qui concerne les calomnies répandues en Allemagne contre Bakounine, celui-ci a fait lui-même le récit de cette affaire dans une lettre qu'il destinait au journal le Réveil de Paris, et qui ne fut pas imprimée. Voici ce qu'il raconte :


J'avais appris un mois à peu près avant le Congrès de Baie, et à la veille du Congrès d'Eisenach[29], qu'un des chefs du nouveau parti de la démocratie socialiste dans le Nord de l'Allemagne — je m'abstiens de le nommer[30] — avait osé dire, dans une réunion demi- publique d'amis : que j'étais évidemment un agent excessivement dangereux du gouvernement russe, et qu'il en avait toutes les preuves dans sa main ; que par la fondation de l'Alliance de la démocratie socialiste j'avais voulu détruire l'Association internationale des travailleurs, et que, rusé et diplomate comme le sont tous les Russes, j'avais même réussi à tromper et à entraîner le vieux socialiste allemand J.-Philippe Becker.

Ce dernier partant précisément pour le Congrès d'Eisenach, je le chargeai d'une lettre ouverte pour mon calomniateur[31], en le priant de la lui lire en présence de plusieurs amis, et au besoin en présence de tout le Congrès. Dans cette lettre je donnais à mon accusateur nouveau[32] un mois de temps pour réunir contre moi toutes les preuves possibles, en l'avertissant que s'il ne prouvait pas ses accusations contre moi au Congrès de Bâle, où nous devions nous rencontrer tous les deux, je le traiterais comme un calomniateur infâme.


J'interromps ici le récit de Bakounine pour donner la traduction de la lettre, écrite en allemand, remise par lui à J.-Ph. Becker (qui alors était son ami et membre de la Section de l'Alliance de Genève) :


Le 4 août 1869. Genève.

Mon cher Becker, Notre ami Wertheim m'a dit, et m'a répété hier soir en ta présence, qu'il a plu à M. Liebknecht, socialiste allemand et homme honorable, de me calomnier de la façon la plus ignoble. Il a affirmé publiquement, en présence de Wertheim :

1° Que je suis un agent russe, ce dont il a des preuves irréfutables ;

2° Que mon évasion de la Sibérie a été favorisée par le gouvernement russe ;

3° Que par la fondation de l'Alliance j'ai cherché à nuire à l'Association internationale des travailleurs ;

4° Que le vieux Becker s'est laissé duper par l'astucieux Russe.

Je laisse de côté d'autres détails, dont chacun à vrai dire aurait mérité une gifle.

D'autre part, le même ami Wertheim m'a montré une lettre à toi adressée par M. Bebel, dans laquelle M. Bebel exprime en termes clairs cette opinion, que je suis probablement un agent du gouvernement russe, et que probablement je m'entends avec M. de Schweitzer comme agent de Bismarck[33].

J'aurais bien le droit de demander également raison à M. Bebel, car nul honnête homme ne doit se permettre de colporter par le monde à la légère, sur un simple ouï-dire, des calomnies contre un autre homme qui lui est totalement inconnu ; mais comme j'ai des raisons de croire que l'inspirateur [der geistige Urheber] de toutes ces calomnies est M. Liebknecht, qui m'est également tout à fait inconnu, je veux pour aujourd'hui m'en tenir à celui-ci.

Comme ami et coreligionnaire [Parteigienosse], je te prie, cher Becker, et comme frère de notre Alliance, à la fondation de laquelle tu as pris une part si active, je te requiers, de déclarer à M. Liebknecht, en mon nom, que je dois le supposer assez sérieux pour savoir que, quand on prend plaisir à calomnier quelqu'un, on doit avoir le courage de répondre de ce qu'on a dit, et qu'avant tout on a l'obligation de fournir à l'appui de ses paroles des preuves péremptoires.

Je lui donne un mois pour réunir contre moi toutes les preuves possibles. Au Congrès de Bâle il faudra, ou bien qu'il prouve publiquement mon ignominie, ou bien qu'il soit déclaré par moi, en présence de tous, une infâme canaille [eine infâme Canaille], en bon allemand un vil coquin [auf deutsch einen niederträchtigen Schurken].

Ton ami,        
M. Bakounine.

J'insiste, cher ami, pour que cette lettre soit communiquée non seulement à MM. Liebknecht et Bebel, mais aussi à tous les membres du Congrès, et, si possible, qu'elle soit lue dans une séance du Congrès à Eisenach.


Je reprends la citation du récit de Bakounine :


Arrivé à Bâle pour le Congrès, j'y rencontrai en effet mon accusateur. Ce que je devais faire m'était indiqué par le but même que je voulais atteindre : celui d'une explication décisive et complète en plein public ouvrier. Je devais donc m'abstenir, au moins dans le commencement, de toute provocation personnelle. Il me répugnait d'ailleurs d'introduire dans le monde de la démocratie ouvrière des habitudes bourgeoises. Dans l'Internationale il n'y a qu'un moyen de justice et de réparation pour l'honneur offensé : c'est le jugement populaire.

Il me répugnait égalemenl d'occuper tout le Congrès de ma question personnelle. D'ailleurs l'Internationale, toute jeune qu'elle est, a déjà pour de pareils cas une pratique bien établie, celle des jurys d'honneur[34].

De mon côté je choisis au sein du Congrès cinq jurés : Fritz Robert, délégué de la Suisse romande ; Gaspard Sentiñon, Espagnol, délégué de l'Alliance de la démocratie socialiste et des Sections ouvrières de Barcelone ; Palix, délégué de Lyon ; César De Paepe, délégué de Bruxelles ; et Neumayer, Autrichien, délégué de la Section de Wiener-Neustadt. De tous ces délégués, je n'avais connu auparavant qu'un seul : Fritz Robert, pour l'avoir rencontré quelquefois dans les montagnes du Jura, et je n'avais fait la connaissance des autres qu'à la veille du Congrès, à Genève ou à Bâle.

De son côté mon adversaire avait choisi cinq délégués allemands, parmi lesquels le citoyen Eccarius, secrétaire du Conseil général de Londres, les citoyens Rittinghausen et Spier. Je ne me rappelle pas avec certitude que M. Maurice Hess ait été de ce nombre, mais il me paraît que oui[35]. Quant au nom du cinquième, je l'ai totalement oublié[36]. De plus, le vieux J.-Philippe Becker, le socialiste unanimement respecté de tout le monde, assistait au jury comme témoin.

Je vous ferai grâce des détails et me contenterai de vous donner un court résumé de ce qui s'est passé au sein de ce tribunal populaire.

J'accusai mon adversaire de m'avoir calomnié, et je le sommai de produire les preuves de son accusation contre moi. Il m'a répondu qu'on avait faussement interprété ses paroles ; qu'il ne m'avait jamais proprement accusé et n'avait jamais dit qu'il eût quelque preuve contre moi ; qu'il n'en avait aucune, excepté une seule peut-être : c'était mon silence après les articles diffamatoires que Borkheim avait publiés contre moi dans l'organe principal de la démocratie prussienne, la Zukunft, et qu'en parlant de moi devant ses amis, il n'avait fait qu'exprimer la surprise que lui avait causée ce silence ; que du reste il m'avait réellement accusé d'avoir porté un dommage à l'établissement de l'Internationale par la fondation de l'Alliance de la démocratie socialiste.

Cette question de l'Alliance fut mise de côté, à la demande d'Eccarius, membre du Conseil général, qui observa que l'Alliance ayant été reconnue comme une branche de l'Internationale, que son programme aussi bien que son règlement ayant reçu la sanction unanime du Conseil général de Londres, et que son délégué ayant été reçu au Congrès, il n'y avait plus lieu d'en discuter la légitimité.

Quant à la question principale, le jury déclara à l'unanimité que mon adversaire avait agi avec une légèreté coupable, en accusant un membre de l'Internationale sur la foi de quelques articles diffamatoires publiés par un journal bourgeois.

Cette déclaration me fut donnée par écrit. Je dois dire d'ailleurs que mon adversaire reconnut noblement devant tous qu'il avait été induit en erreur sur mon compte. C'était notre première rencontre : il me tendit la main, et je brûlai devant tous la déclaration écrite et signée du jury.

Sur la demande de mon ci-devant adversaire, je lui donnai mes discours de Berne, aussi bien qu'une série d'articles que j'avais publiés en 1867 dans un journal italien, Libertà e Giustizia, contre le panslavisme. Deux jours plus tard, dans la salle du Congrès, il s'approcha de moi et me dit : « Je vois que je me suis fait une idée absolument fausse sur votre compte. Vous êtes un proudhonien, car vous voulez l'abolition de l'État. Je vous combattrai dans mon journal, car mon opinion est toute contraire à la vôtre. Mais je vous prie de me laisser vos écrits : je les publierai, je vous dois cette satisfaction. »

Confiant dans cette promesse, j'attends encore[37].


Bakounine attendit en vain. Liebknecht ne fit pas connaître dans son journal la délibération du jury d'honneur, et ne publia pas une ligne des discours et articles que Bakounine lui avait remis. Par contre, il inséra des correspondances envoyées de Paris par Moritz Hess, correspondances dans lesquelles étaient rééditées les mêmes accusations que le jury d'honneur de Bâle avait déclarées infâmes et calomnieuses[38].

Voici, à propos des procédés de la coterie marxiste, un fait qui m'a été raconté en 1904 par R. S., et dont j'ai écrit le récit sous sa dictée : Dans l'été de 1869, il se trouvait à New York avec son ami S. S. ; ils lurent dans un journal socialiste allemand de cette ville, qu'il croit être l’Arbeiter-Union, un article disant, en résumé : « On nous écrit de Londres que Bakounine est un espion russe ». Aussitôt ils écrivirent au rédacteur du journal — rédacteur dont R. S. a oublié le nom — une lettre qu'ils lui portèrent, pour protester contre cette calomnie ; le rédacteur leur répondit verbalement que ce n'était pas une calomnie, ajoutant : « J'ai reçu ce renseignement de mon ami Karl Marx, qui me l'a écrit de Londres ». S. S. et R. S. connaissaient Sorge[39] ; ils s'adressèrent à lui, lui donnèrent toutes les explications qu'il fallait pour lui prouver que Bakounine n'était pas un espion ; Sorge dit qu'il se chargeait de faire comprendre au rédacteur qu'il avait été induit en erreur, et de faire insérer une rectification dans le plus prochain numéro du journal. Malgré cette promesse, aucune rectification ne fut publiée.


2° Blâme infligé à Coullery par le Congrès.

J'ai dit comment, pour se venger, Coullery, dès le surlendemain du meeting du Crêt-du-Locle, m'avait fait poursuivre par ministère d'huissier, me réclamant le paiement immédiat d'une somme de 633 fr. 55.

Lorsque Coullery avait été chargé de l'impression des procès-verbaux et des rapports du Congrès de Lausanne (voir p. 29), il avait promis que cette impression serait faite en six semaines. Mais différentes raisons, dont la principale fut l'extrême lenteur que l'imprimerie de la Voix de l'Avenir mit à exécuter sa besogne, retardèrent considérablement l'apparition du volume. Ce retard fit manquer la vente ; et lorsque Coullery s'adressa ensuite au Conseil général de Londres pour être payé, celui-ci répondit que cela ne le regardait pas. L'affaire en resta là jusqu'en janvier 1869, époque où le Congrès romand déclara, comme on l'a vu (p. 107 ), que la Fédération romande se chargeait de la liquidation de cette dette et qu'elle paierait Coullery au fur et à mesure de l'écoulement des volumes.

Rien n'avait été changé à ces conventions, lorsque soudain Coullery, le 1er juin 1869, trouva bon de me poursuivre comme si j'eusse été personnellement responsable envers lui de la dette de la Fédération romande. Le Comité fédéral romand, averti du procédé de ce singulier socialiste, lui écrivit (lettre du 4 juillet 1869) pour lui rappeler les arrangements convenus. Mais, aveuglé par la haine, Coullery ne voulut rien entendre : il m'assigna, le 26 août 1869, devant le tribunal civil du Locle. Le procès venait de s'engager, au moment où s'ouvrit le Congrès de Bâle.

Dans une des séances administratives du Congrès, les délégués des Sections de la Fédération romande dénoncèrent à leurs collègues la conduite de Coullery, en leur demandant d'émettre un blâme à son adresse ; et le Congrès vota à l'unanimité la résolution qui lui était proposée, déclarant l'acte de Coullery indigne d'un membre de l'Internationale.

Le Comité fédéral romand continua, comme il l'avait fait depuis janvier 1869, à s'occuper de la liquidation de la dette, liquidation qui n'était pas encore terminée au moment où s'ouvrit le Congrès romand de la Chaux-de-Fonds, le 4 avril 1870[40].


3° Varlin entre dans notre intimité.

J'ai dit comment, à partir de février 1869, il s'était constitué, au Locle, à la Chaux-de-Fonds, puis au Val de Saint-Imier, ainsi qu'à Genève, des groupes secrets qui réunissaient les hommes les plus sûrs. Nous avions appris, par Bakounine, qu'il existait depuis quelques années une organisation secrète internationale, à laquelle quelques-uns d'entre nous étaient affiliés. Il nous semblait très désirable que cette organisation s'étendît davantage, et surtout qu'à Paris et dans les principales villes françaises, en vue de l'action révolutionnaire qui, en France, ne pouvait manquer d'être imposée, il se constituât des groupes analogues aux nôtres ; le Congrès de Bâle devait fournir l'occasion de tenter quelque chose à cet égard : peut-être se trouverait-il, parmi les délégués français, des éléments susceptibles d'entrer dans une organisation révolutionnaire.

Le 7 septembre j'avais rencontré (voir p. 189), dans le wagon où j'entrai, Charles Longuet, qui allait à Bâle comme correspondant d'un journal ; nous avions voyagé ensemble. Longuet m'était sympathique ; toutefois, son proudhonisme me semblait un peu exclusif ; en outre, il avait gardé des accointances avec les hommes de la Ligue de la paix[41] ; enfin, son humeur gouailleuse, et je ne sais quoi de décousu et de superficiel dans l'esprit, le rendaient impropre, me semblait-il, à entrer dans une conspiration : aussi n'eus-je pas la moindre idée de m'ouvrir à lui et de lui faire part de notre désir de nouer des relations intimes avec quelques socialistes parisiens. Arrivé à Bâle, je fis, par l'intermédiaire de Bakounine, la connaissance d'Aristide Rey, venu aussi comme journaliste[42] ; Bakounine me dit que Rey était de longue date un de ses intimes[43]. À nous trois, nous commençâmes à étudier les délégués parisiens. Il ne fallait pas songer à ceux que je connaissais déjà, Tolain, Murat, Chemalé, qui étaient anti-collectivistes. Pindy avait le tempérament révolutionnaire, mais il militait alors dans les rangs des mutuellistes ; un de mes camarades, le monteur de boîtes Floquet, délégué du Locle, se lia d'amitié avec lui, et ils se promirent de s'écrire : ce rapprochement purement individuel était tout ce qui pouvait être tenté. Mais il y avait là un homme dont les aspirations correspondaient aux nôtres, et qui était le militant le plus actif de l'Internationale parisienne : Varlin. Àgé à ce moment de trente ans, Varlin était entré dans le mouvement ouvrier dès sa première jeunesse. Il avait pris part aux réunions qui, en 1862, aboutirent à l'envoi d'une délégation ouvrière à l'Exposition de Londres ; il avait dirigé, en 1864, la grève des ouvriers relieurs de Paris ; dès la fondation de l'Internationale, il fut membre de la première Commission du bureau de Paris, où il représenta les idées communistes ; il assista comme délégué à la Conférence de Londres en 1865, au Congrès de Genève en 1866, où je l'avais vu pour la première fois ; s'il n'avait pas paru, les deux années suivantes, aux Congrès de Lausanne et de Bruxelles, c'est qu'en 1867 il fut retenu à Paris comme délégué des relieurs à l'Exposition universelle, et qu'en 1868 il était en prison. Il avait fondé, 8, rue Larrey, ce restaurant coopératif appelé la Marmite, qui fut un si puissant foyer de propagande[44]. Rey et moi nous nous chargeâmes de lui faire des ouvertures. Un des derniers jours du Congrès, nous l'emmenâmes dans la chambre qu'occupait Rey dans je ne sais plus quel hôtel, nous lui fîmes part de notre désir ; et, comme il se montra tout disposé à s'associer à l'action collective que nous lui proposions, nous lui donnâmes connaissance de notre programme : il nous dit que ces idées étaient aussi les siennes ; nous échangeâmes une fraternelle poignée de mains, et il fut convenu que Varlin et moi correspondrions le plus régulièrement possible pour nous tenir au courant de ce qui se passerait dans nos milieux respectifs.

Pendant ce temps, Bakounine cherchait des éléments qui pussent représenter nos idées dans la Suisse allemande, et il crut les rencontrer dans deux délégués qui habitaient Bâle même : l'un était un jeune professeur allemand, Janasch, Privat-Docent à l'Université de Bâle, où il faisait un cours d'économie sociale ; l'autre était un négociant bâlois, Collin. J'appris par lui que ces deux citoyens avaient accueilli ses ouvertures avec sympathie, et s'étaient déclarés prêts à travailler à la propagande et à l'organisation du socialisme révolutionnaire en Suisse et en Allemagne. Bakounine se trompait souvent sur les hommes : Janasch et Collin furent deux de ses erreurs ; ils ne collaborèrent jamais avec nous.



  1. Ce compte-rendu fut reproduit par plusieurs organes de l'Internationale, entre autres par l’Égalité de Genève et le Mirabeau de Verviers.
  2. C'était Ch. Quentin qui avait été envoyé à Bâle comme correspondant du Réveil.
  3. C’est une erreur : il y avait eu, dans la Commission, dix voix pour et quatre voix contre.
  4. Le texte de ces deux résolutions n’est donné ici qu’en termes approximatifs. On trouvera le texte authentique p. 196.
  5. Dans l’original, la fin de cette phrase est ainsi rédigée : « et que les délégués des autres villes françaises, entre autres Rouen, Lyon et Marseille, ont également tous voté oui ». J’ai rectifié la phrase, parce que la lecture du procès-verbal (imprimé à Bruxelles en 1869) m’a fait ultérieurement constater que les deux délégués de Rouen et le délégué d’Elbeuf s’étaient abstenus.
  6. Dans l’original, il y a : « sur les quatre votants négatifs ». J’ai rectifié la phrase en supprimant le mot quatre, qui, s’appliquant au premier vote, rendait l’assertion inexacte en ce qui concerne Murat. En effet, le procès-verbal indique que dans le premier vote, où il y a quatre non, Tolain a voté non, mais que Murat s’est abstenu. C’est dans le second vote, où il y a eu huit non, que Tolain et Murat ont tous les deux voté non.
  7. Tolain, n’ayant pu obtenir de mandat d’un groupe parisien, en avait sollicité et obtenu un de l’Association des boulangers de Marseille, adhérente à la Section internationale de cette ville ; et, pour faire face aux frais de voyage, il s’était fait, pour la circonstance, le correspondant du Figaro, auquel il envoya des lettres où les délégués d’opinion collectiviste étaient fort maltraités. Un correspondant lyonnais de l’Égalité de Genève écrivit à ce sujet : « Les Marseillais ont du bon. Un de nos amis leur a demandé comment une fraction (l’Association des boulangers) de la Section collectiviste de Marseille avait pu donner un mandat au mutuelliste Tolain, qui a parlé de plusieurs d’entre nous, dans le Figaro, en termes dignes d’un bourgeois de la pire espèce. « Parbleu ! » répondit le Marseillais, « c’était pour lui ménager l’échec éclatant qu’il a éprouvé. » C’est répondu en Gascon, mais les Marseillais sont à peu près de la même race. D’ailleurs, la réponse est bonne, car les Marseillais sont à jamais guéris de la manie de donner des mandats à des correspondants du Figaro. » (no 39, 16 octobre 1869.)
  8. J'ai laissé subsister ici la rédaction de l'original, bien qu'elle renferme une erreur (Bakounine n'était pas délégué de Genève) ; il m'a paru préférable de remettre la phrase telle quelle sous les yeux des lecteurs, et d'expliquer en note l'origine de l'erreur. C'est dans l’Égalité du 11 septembre que je l'avais prise ; j'y avais lu cet entrefilet (rédigé par Perron) :
    « Le Journal de Genève de jeudi, dans une note au sujet du Congrès de Bâle, dit que Bakounine, « n'ayant pu se faire élire à Genève, a trouvé moyen d'obtenir un mandat d'ouvriers italiens ». C'est la première inexactitude, dirons-nous, pour ne pas être plus précis, que publie le Journal, sur le Congrès de Bâle. Bakounine a été délégué par la Section genevoise de l'Internationale l'Alliance de la démocratie socialiste ; dans l'élection pour une délégation commune aux Sections qui font partie de la Fédération genevoise, Bakounine venait par le nombre des suffrages immédiatement après les trois internationaux élus, et il est certain qu'il aurait passé des premiers si l'on n'avait pas su que sa présence à Bâle était assurée comme délégué de l'Alliance, comme délégué d'une Société ouvrière d'Italie, et enfin comme délégué des ouvrières ovalistes de Lyon. »
    L'auteur de l'entrefilet n'avait évidemment pas assisté à la séance de la Section de l'Alliance du 29 août, dans laquelle Sentiñon avait été choisi comme délégué, et il s'était figuré, comme une chose toute naturelle, que c'était à Bakounine que la délégation de l'Alliance avait dû être confiée.
    L'erreur fut corrigée dans le numéro du 25 septembre, mais d'une façon indirecte, et qui ne dissipait pas le doute sur le point de savoir si Bakounine avait été délégué par la Section de l'Alliance (Robin, qui venait d'être chargé de la rédaction du journal, estima sans doute que ce point n'offrait pas d'intérêt) : l’Égalité, en reproduisant in-extenso mon article du Progrès sur le Congrès de Bâle, y laissa subsister la phrase « Genève avait envoyé cinq délégués, etc. » ; seulement la rédaction substitua le nom de Becker à celui de Bakounine. C'était remplacer une erreur par une autre : J.-Ph. Becker habitait Genève, sans doute ; mais il avait été délégué par le « Comité central du groupe des Sections de langue allemande », et dans le Compte-rendu officiel du Congrès il figure parmi les délégués d’Allemagne.
  9. Même observation que pour le passage commenté dans la note précédente. J'avais commis une erreur : Henri Perret n'avait pas reçu le mandat de voter non, mais celui de s'abstenir. Cette erreur fut rectifiée par l’Égalité du 25 septembre, et la rectification fut reproduite par le Progrès dans son numéro suivant, du 2 octobre.
  10. Les quatre non étaient les voix de Tolain, Pindy, Chemalé et Fruneau, Pindy représentait la Chambre syndicale des menuisiers de Paris, Chemalé les adhérents parisiens de l'Internationale, et Fruneau l'association la Liberté des charpentiers de Paris ; mais Tolain n'était pas délégué de Paris : il était venu au Congrès, comme il a été dit plus haut, avec un mandat de l'Association des boulangers de Marseille, association d'opinion collectiviste. Sur les onze autres délégués de Paris (il y en avait quatorze en tout), cinq avaient voté oui : Varlin, Flahaut, Franquin, Dereure, Tartaret, et six s'étaient abstenus : Landrin, Durand, Roussel, Murat, Mollin et Langlois.
  11. Les mots « au nom du Conseil général » ne sont pas dans l'original : je les ajoute.
  12. J'ajoute également les mots « presque tous », qui ne sont pas dans l'original.
  13. L'original porte « Les résolutions d'Eccarius » ; j'ai rectifié, puisque les résolutions étaient présentées au nom du Conseil général : elles avaient été rédigées par Marx.
  14. L'original porte « individualistes ». Je substitue à ce terme inexact celui de « mutuellistes », puisqu'il est dit un peu plus haut, dans le texte de l'article, que Tolain avait repoussé, au nom de ses amis, l'épithète d' « individualistes » qu'on voulait leur appliquer.
  15. Je me rappelle que je demandai à Bakounine comment il avait pu, lui, l’ennemi de l’État, réclamer « la construction, sur les ruines de tous les États nationaux, de l’État international de millions de travailleurs ». Il me répondit que l’expression d’État international, exprimant une idée contradictoire par elle-même et impossible à réaliser, équivalait à la négation de l’État ; tout en ayant l’air de faire aux partisans de l’État une concession de langage, il croyait ainsi miner par la base leur conception théorique ; sa formule équivalait à une démonstration par l’absurde. C’est de la même façon qu’en employant au Congrès de Berne, en 1868, l’expression d’égalisation des classes, — « contre-sens logique impossible à réaliser », comme le remarqua très justement le Conseil général, — il aboutissait à la négation même de l’idée de classe. Procédés bizarres, habitudes d’esprit que nous lui reprochions en riant, et dont il ne put jamais se défaire complètement, en ancien hégélien qu’il était.
  16. Bakounine, on l’a vu, avait deux mandats, l’un des ovalistes de Lyon, l’autre des mécaniciens de Naples. Il est naturel de le ranger sous la rubrique France plutôt que sur la rubrique Italie, puisqu’il s’exprimait en français.
  17. Dans ma brochure Le collectivisme de l’Internationale (Société d’édition et de propagande socialiste. Chaux-de-Fonds, 1904), j’ai écrit, p. 8 : « Les quatre voix négatives étaient celles de trois proudhoniens de Paris, Tolain, Chemalé et Murat, et d’un négociant de Bâle, Bohny ». J’avais copié cette erreur dans le no 29 du Progrès, p. 4, où elle s’était introduite par suite d’un renseignement inexact à moi donné par Fritz Robert, l’un des secrétaires du Congrès. Il y a donc lieu de rectifier ce passage de la brochure, en y remplaçant les noms de Murat et de Bohny par ceux de Pindy et de Fruneau.
  18. Ce considérant puéril, qui invoquait, contre la thèse de De Paepe, un argument de droit social abstrait, était l’œuvre d’Albert Richard.
  19. Franz Mehring, parlant du Congrès de Bâle et du débat sur le droit d'héritage, a écrit : « Eccarius, au nom du Conseil général, défendit le point de vue logique, en montrant que le droit d'héritage naît avec la propriété individuelle et disparaît avec elle ; tandis que Bakounine, confondant la superstructure idéologique avec la base économique, voulait abolir l'héritage pour des motifs de justice, en tant que source d'inégalité ». (Geschichte der deutschen Sozialdemokratie, 2e éd., t. III, p. 370). On voit, par les paroles mêmes de Bakounine, combien l'appréciation de Mehring est inexacte. Bakounine admet expressément, avec le Conseil général, que « le fait juridique n'est jamais que la conséquence d'un fait économique » ; il savait aussi bien que Marx à quoi s'en tenir à ce sujet ; mais il ne s'est pas borné à cette constatation d'une vérité qui courait les rues, et il a dit encore une autre chose, bonne à méditer : c'est que « ce droit, après avoir été un effet, devient à son tour la cause de faits ultérieurs, devient lui même un fait très puissant », et que par conséquent « il faut renverser ce fait et détruire cette cause si l'on veut arriver à un ordre de choses différent ».
  20. J'ai emprunté à l’Égalité du 13 septembre 1869 ces passages du discours de Bakounine. L’Égalité dit qu'elle reproduit le texte complet du discours de Bakounine, « qui lui a été communiqué ».
  21. On remarquera que cinq délégués qui ont voté oui sur la proposition du Conseil général avaient également volé oui sur celle de la Commission ; ces délégués, qui évidemment ne voyaient aucune différence essentielle entre les deux propositions, sont Rittinghausen, Krüger, Lessner, Neumayer et Bastin. Par contre, le délégué Gœgg, qui avait voté oui sur la proposition du Conseil général, déclara ensuite dans l’Égalité, comme on l’a vu, « qu’il n’avait pas voté pour l’abolition du droit d’héritage » : il avait donc interprété cette proposition du Conseil général comme impliquant le maintien du droit d’héritage, en opposition à celle de la Commission qui l’abolissait.
  22. Sentiñon et Collin s’abstinrent par un motif analogue à celui qui avait poussé cinq autres délégués à voter oui quoiqu’ils eussent déjà voté oui sur l’autre proposition. Sentiñon et Collin, partisans de l’abolition du droit d’héritage, avaient voté la proposition de la Commission ; comme la proposition du Conseil général, tout en formulant des conclusions pratiques auxquelles ils refusaient leur adhésion, leur paraissait impliquer l’abolition du droit d’héritage (et non le maintien de ce droit, comme le croyait l’incohérent Gœgg), ils ne voulurent pas voter non sur cette proposition, parce qu’un vote négatif aurait équivalu, à leurs yeux, à un vote en faveur du maintien du droit d’héritage ; en conséquence, ils ne pouvaient que s’abstenir.
  23. Dans une lettre du 12 juin 1872, publiée dans le Bulletin de la Fédération jurassienne du 15 juin 1872, Bakounine a raconté à ce sujet qu’à Bâle, après ce vote, Eccarius poussa, en sa présence, cette exclamation : « Marx wird sehr unzufrieden sein ! (Marx sera très mécontent ! ) »
  24. Cette phrase, mal rédigée, n'est pas claire. On pourrait croire, au premier abord, qu'elle énumère les deux modes de groupement mentionnés dans la phrase de début, et que ces deux modes seraient : 1° le groupement local ; 2° le groupement des localités par bassins et contrées ; tandis qu'au contraire le rédacteur n'a voulu définir ici que le premier mode de groupement, qui, prenant pour base la commune ouvrière, le groupe local, fédère de proche en proche les localités entre elles, par bassins, par contrées, jusqu'à ce qu'il embrasse un pays entier.
  25. J'ajoute les trois mots entre crochets pour la clarté du sens.
  26. C'est à ce discours de Hins qu'appartiennent les paroles que j'avais reproduites dans le Progrès, et qui sont textuelles : « Quand le moment sera venu, l'Internationale montrera qu'elle entend bien s'occuper de politique, en aplatissant, sans distinction de forme et de couleur, tous les gouvernements bourgeois ».
  27. Nettlau, page + 426, note 3979.
  28. C'est-à-dire le 5 septembre 1870. Nos amis de Paris avaient été bons prophètes, puisque la République fut proclamée le dimanche 4. Mais ils n'avaient pas prévu l'invasion allemande.
  29. On sait que le Congrès d'Eisenach (7-9 août 1869), où fut tenté un rapprochement entre les socialistes lassalliens et les adhérents de Liebknecht et de Bebel. — rapprochement qui échoua, — eut pour résultat la constitution d'un Parti démocrate socialiste ouvrier (Sozialdemokratische Arbeiterpartei), qui se posa en rival de l'Association lassallienne présidée par Schweitzer (l’Allgemeiner deutscher Arbeiterverein) et qui se donna pour organe le journal de Liebknecht, le Demokratisches Wochenblatt, lequel prit, à partir du 1er octobre suivant, le titre de Volksstaat.
  30. C'est Liebknecht.
  31. La lettre était adressée, comme on va le voir, non pas au calomniateur lui-même, mais à Becker, qui devait donner connaissance du contenu à Liebknecht.
  32. Bakounine l'appelle « nouveau », parce que, dans un passage antérieur, que je n'ai pas reproduit, il a parlé d'autres calomnies publiées contre lui par un ami de Marx, Borkheim, dans la Zukunft de Berlin. Borkheim avait été, en septembre 1868, au Congrès de la paix, à Berne, un des plus acharnés adversaires de la minorité socialiste dont Bakounine s'était fait l'organe.
  33. Voici le texte allemand de ce passage : «... hat mir einen an dich gerichteten Brief von Herrn Bebel gezeigt, in welchem Herr Bebel die Vermuthung klar ausspricht, dass ich, wahrscheinlicher Agent der russischen Regierung, wahrscheinlicher Weise mit Herrn von Schweitzer, ais Agenten Bismarcks, unter einer Decke stecke ».
  34. Un jury d'honneur avait eu à se prononcer, en juin 1869, sur des accusations dirigées contre Albert Richard, de Lyon, par les citoyens Aristide Cormier et Carnal, et sa sentence avait été publiée dans l'Égalité du 19 juin 1869.
  35. Le Mémoire de la Fédération jurassienne indique (page 84) Maurice Hess comme ayant effectivement fait partie de ce jury d'honneur.
  36. Le Mémoire ne donne pas non plus le nom de ce cinquième membre...
  37. Le document dont ces pages sont extraites, écrit en octobre 1869, a été publié pour la première fois par Max Nettlau, dans sa biographie de Bakounine, pages 360 et suivantes.
  38. Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 85.
  39. Celui qui joua plus tard un si grotesque rôle au Congrès de La Haye.
  40. Rapport du Comité fédéral romand au Congrès (voir Égalité du 7 mai 1870, page 4, 1re colonne).
  41. À l'issue du Congrès de Bâle, il se rendit au Congrès de la Ligue de la paix, qui cette année-là se tenait à Lausanne (c'est le Congrès dans lequel Victor Hugo prononça un discours retentissant). Les marxistes font un crime à Bakounine, à Élisée Reclus, à Aristide Rey, à Victor Jaclard, à Fanelli, d'être restés dans la Ligue de la paix et de la liberté jusqu'au Congrès de Berne (1868) ; mais Longuet a pu participer au Congrès de la Ligue à Lausanne (1869), et Cowell Stepney aux Congrès de la Ligue à Berne, Lausanne et Bâle (1868, 1869, 1870), sans que pour eux le cas fut pendable.
  42. Rey était correspondant de la Démocratie de Chassin. La Démocratie publia du Congrès de Bâle un compte-rendu dont l'Égalité n° 37, 1er octobre 1869) dit que « il est aussi près de la vérité qu'un résumé peut l'être ».
  43. Dans une lettre à Herzen écrite six semaines plus tard (28 octobre ; Correspondance, p. 294 de la traduction française), Bakounine parle de Rey en ces termes : « Comment as-tu trouvé Rey ? C'est un très bon garçon. Seulement il reste encore suspendu dans les airs entre le ciel bourgeois et la terre ouvrière ; c'est pourquoi il s'attache tant à faire des protestations libéralement satiriques contre ce ciel. » Cette appréciation montre que Bakounine n'exigeait point, de ceux qui s'unissaient à lui pour l'action commune, une stricte discipline, ni même une entière conformité de vues et de sentiments.
  44. Outre la Marmite de la rue Larrey (5e arrondissement), Varlin en fonda successivement trois autres : 40, rue des Blancs-Manteaux (4e arrondissement) ; 42, rue du Château (14e arrondissement); et, pendant le siège de Paris, 20, rue Berzélius (17e arrondissement).