L’Instruction publique et la Réforme universitaire en Italie

L’Instruction publique et la Réforme universitaire en Italie
Revue des Deux Mondes2e période, tome 47 (p. 712-740).
L'INSTRUCTION PUBLIQUE
ET
LA REFORME UNIVERSITAIRE EN ITALIE

En essayant de décrire dans un recueil français l’état des institutions scolaires de l’Italie, nous ne pouvons méconnaître ce que cette tâche a particulièrement pour nous de difficile et de délicat. Il n’est pas de sujet cependant qui mériterait plus d’éveiller une attention sympathique dans tous les pays qui portent quelque intérêt aux destinées du nouveau royaume. Organiser l’instruction publique, c’est en effet pour les Italiens une affaire de premier ordre. On a prétendu que le comte de Cavour n’avait imaginé de présenter au parlement des lois sur l’instruction publique qu’afin de détourner l’attention des chambres de certaines questions de haute politique. Rien n’est plus contraire à la réalité non moins qu’aux opinions professées par le grand homme d’état. Il connaissait trop bien l’Europe, il avait trop bien étudié les mœurs de l’Angleterre et de la France, pour ignorer combien les institutions scolaires de ces deux nations contribuent à leur puissance. N’est-ce pas à ses vieux collèges d’Eton et de Rugby, à ses antiques universités d’Oxford et de Cambridge, que l’Angleterre doit en grande partie, non-seulement cet esprit scientifique qui a toujours caractérisé les travaux de la Société royale, mais aussi cette ferme éducation, cette haute instruction classique qui font la force de son aristocratie et de ses classes moyennes? De même les lycées fondés par Napoléon Ier, l'Ecole normale de Paris et les autres institutions universitaires forment un système qui sert puissamment à la grandeur de la France : aussi M. Guizot disait-il récemment dans ses mémoires que le ministère de l’instruction publique est en ce pays le plus populaire des départemens ministériels, celui auquel le public montre le plus de bienveillance. Voilà une leçon dont l’Italie ne saurait trop profiter, car si l’on y rencontre quelques esprits éclairés qui attachent une importance capitale à la création d’un système national d’enseignement et d’éducation, il n’est malheureusement que trop vrai que l’opinion publique ne s’émeut pas, comme elle le devrait, de l’infériorité des écoles italiennes, et ne se préoccupe pas assez de la gloire scientifique et littéraire d’une nation dont les plus beaux titres dans l’histoire sont bien ceux qu’elle a conquis par la culture littéraire et l’invention scientifique. Il faut relever les études dans la péninsule, il faut préparer aux générations qui vont venir des institutions propres à augmenter leur savoir, à fortifier leur jugement et leur caractère.

Peut-être nous sera-t-il permis, à nous qui avons longtemps vécu au milieu des universités italiennes, qui avons même eu l’honneur, à une époque assez récente, de diriger l’instruction publique dans le gouvernement de notre pays, peut-être nous sera-t-il permis d’exposer nos vues sur l’œuvre de la réforme scolaire telle qu’elle est commencée, telle qu’elle devrait se poursuivre. Quel principe nous guidera dans cette étude? Si, pour nous éclairer à cet égard, nous jetons un coup d’œil sur les différentes nations de l’Europe et si nous cherchons quelle est pour chacune d’elles l’idée principale qui préside à l’enseignement, nous verrons d’abord qu’en Angleterre c’est l’église ou plutôt l’influence religieuse qui prévaut dans l’instruction publique. Dans les écoles classiques aussi bien que dans les écoles élémentaires, il s’agit surtout, disent les Anglais, de créer une forte discipline morale. Un règlement récemment établi par le privy council of education prescrit que les écoles, pour être assistées, devront appartenir à un culte reconnu et que la Bible devra y être lue tous les jours sur une version autorisée. En France, l’instruction publique, comme toutes les autres parties de l’organisation sociale, ne pouvait être fondée et soutenue que par l’état; c’est une nécessité qui résulte à la fois de la révolution et du génie même de la nation. L’église catholique, c’est un fait, ne peut plus, dans nos sociétés, être chargée de l’instruction de la jeunesse comme elle l’était autrefois; elle n’a point d’aptitude à enseigner les sciences modernes, et parmi les études morales la théologie n’occupe plus le premier rang. La France, comme tous les pays catholiques, a donc été obligée de fonder en dehors de l’église son système d’éducation nationale, et l’état a dû prendre là haute direction des études. L’esprit qui a présidé à cette fondation est indiqué très nettement par l’empereur Napoléon Ier lui-même, dont un rapport de Fourcroy et Fontanes sur l’université cite les paroles: « Parmi les questions politiques, celle de l’établissement et de l’organisation du corps enseignant est de premier ordre. Il n’y a pas d’état politique fixe, s’il n’y a pas un corps enseignant avec des principes fixes. Tant qu’on n’apprendra pas dès l’enfance si l’on doit être républicain ou monarchique, religieux ou irréligieux, etc., l’état ne formera pas une nation; il reposera sur des bases incertaines et vagues ; il sera constamment exposé aux désordres et aux changemens. » Ce que nous venons de dire de l’Angleterre et de la France s’applique à la plupart des nations de l’Europe, et nous ne connaissons en définitive aucun pays où une organisation scolaire ait pu être établie en dehors de l’église ou de l’état.

Quelques personnes prétendront peut-être que l’Allemagne fait exception à cette règle. On attribue en effet quelquefois à la liberté d’enseignement et à l’institution des privat -docent le grand développement intellectuel de ce pays, où tout le monde à peu près sait lire et écrire et où les savans et les esprits spéculateurs sont si nombreux. Cette opinion n’est guère motivée. En réalité, les établissemens d’instruction primaire et les écoles secondaires supérieures ont été fondés en Allemagne par l’initiative de l’état et sont maintenus par son impulsion; plus que jamais ces établissemens et ces écoles reçoivent aujourd’hui un secours puissant des ministres de la religion. Qu’il y ait cependant une spontanéité remarquable dans la vie scientifique des universités allemandes, ce n’est point nous qui le contesterons. Nous ne nous arrêterons même pas à remarquer que cette puissante émancipation de l’esprit qui depuis la réforme a illustré l’Allemagne lui a donné en somme plus de théologie que de religion, plus de science que de volonté pratique. Nous avouerons sans peine qu’il y a dans ces universités une vive curiosité scientifique, une grande ardeur de recherches de toute sorte en l’absence de lois et de règlemens universitaires. L’étudiant en médecine par exemple s’y croit obligé de suivre dans les laboratoires des cours de chimie organique et d’histologie; le docteur en théologie y devient en même temps un philologue versé dans toutes les langues orientales. Nous sommes donc bien loin de dire qu’il n’y ait rien à emprunter à la libre organisation des universités allemandes; mais on se ferait illusion, si on y attachait une trop grande importance, et si on se laissait aller à croire que l’Allemagne s’écarte complètement des principes qui prévalent en France et en Angleterre. C’est toujours l’église ou l’état, suivant l’esprit national et avec les différences propres à chaque peuple et à ses traditions, qui fonde et soutient les institutions d’enseignement.

Que devra faire l’Italie ? Si nous regardons le passé, nous voyons qu’il n’a jamais existé dans aucun des états qui la composaient, à part le Piémont, une organisation des études proprement dite, que tout y a été livré soit aux corporations religieuses, soit aux autorités municipales, qu’aucune grande école n’a jamais fonctionné en Italie pour former les professeurs des gymnases et des lycées, que chaque province, on pourrait presque dire chaque ville, voulait avoir, tant bien que mal, son université. La conduite que nous devons tenir n’est-elle pas tracée par les événemens? Ne devons-nous pas, en même temps que nous fonderons notre enseignement suivant les exigences de l’esprit moderne, le mettre en harmonie avec notre unité nationale? Ne faut-il pas empêcher que le peu de forces vives que nous possédons ne se dissipe faute d’être concentré? Ne faut-il pas, dans l’intérêt de la nation et de la science, refondre plusieurs de ces institutions, qui ne représentent plus que d’anciennes divisions politiques ou des vanités municipales? L’état seul peut obtenir ces résultats en Italie. C’est à lui, soutenu par l’opinion publique, qu’il appartient à la fois de relever le niveau des hautes études et d’encourager l’instruction populaire, maintenant si négligée. Je n’espère point qu’en vingt ans l’Italie puisse renouveler cet exemple fameux donné par l’armée prussienne, où sur deux cent mille soldats il n’y avait, dit-on, que six hommes qui ne sussent ni lire ni écrire. Malheureusement elle renferme des provinces où les termes de cette proportion sont à peu près renversés, et c’est là un état de choses qui appelle un remède énergique. Est-ce à dire que nous demandons des lois coercitives contre les familles qui n’envoient pas leurs enfans à l’école, ou une armée d’inspecteurs pour obliger les enfans d’y aller? De tels procédés ont pu venir à l’esprit des princes absolus, quand il entrait dans leur politique d’éclairer leurs sujets, quand ils luttaient par exemple contre l’église; mais, dans un pays qui est libre ou qui veut le devenir, une loi qui donnerait un caractère obligatoire à l’instruction élémentaire, et qui s’appuierait sur des sanctions pénales, ne pourrait qu’échouer, ou devenir tyrannique. Nous ne voulons qu’une ingérence plus modeste de la part de l’état, quelques agens ministériels bien choisis, voyant de près les écoles élémentaires et secondaires, et capables de leur donner une impulsion efficace et une direction éclairée. Nous demandons qu’on accorde des subsides plus larges aux communes, surtout dans les provinces méridionales, pour les aider à fonder des asiles, des écoles du soir pour les adultes, des bibliothèques populaires; nous demandons des prix et des encouragemens pour les instituteurs qui tiennent le mieux leurs écoles et qui attirent dans leurs classes le plus grand nombre d’élèves.

L’objection dirigée contre le système coercitif n’est pas la seule d’ailleurs qu’ait à combattre celui qui entreprend de réformer les institutions scolaires; il a aussi à lutter contre ces préjugés qui, au nom de la liberté, s’opposent à ce qu’on introduise dans le plan des études toute idée d’ordre et d’uniformité. « Vous voulez, nous a-t-on dit, traiter nos écoles comme des casernes, mettre toutes les têtes dans un même moule; vous arriverez, par vos études trop réglementées, à étouffer chez les hommes toute spontanéité de l’esprit, à détruire chez les femmes les grâces simples et les vertus de leur sexe ! » Il serait facile de répondre à ces critiques que jamais le moule universitaire n’a déformé des têtes de génie. Si les esprits créateurs sont rares dans tous les temps et sous toutes les latitudes, ce n’est point aux règlemens scolaires qu’il faut s’en prendre. Quant aux trente mille élèves de nos écoles secondaires, aux dix ou douze mille étudians de nos dix-neuf universités, ils ne peuvent se passer de règles d’études. Il faut donc leur en donner; il faut surtout leur en donner qui soient conçues dans un esprit plus élevé et plus italien que ce qu’ont laisse en ce genre les anciens gouvernemens. Voilà ce qu’il est impossible que les Italiens ne finissent point par comprendre. Ils ont senti en toute chose le besoin de s’organiser, ils ne doutent point qu’une forte armée, bien disciplinée, ne soit nécessaire à leur existence et à leur gloire : ils en viendront certainement à être convaincus qu’une bonne organisation des études est une suprême nécessité pour le nouveau royaume d’Italie.


I

Quelques mots sur l’origine des universités italiennes doivent précéder l’examen de leur situation actuelle. Il ne s’agit pas ici, bien entendu, d’embrasser l’ensemble de leur histoire; ceux qui désirent la connaître en détail peuvent consulter les œuvres célèbres de Muratori, de Tiraboschi, l’histoire de Naples par Grimaldi, celle de l’université de Pise par Fabbroni, et, parmi les modernes, le livre de M. Cibrario sur l’économie politique du moyen âge, ainsi que l’histoire de l’école de Salerne par de Renzi. Nous voulons seulement, dans les antiques annales de nos universités, qui ont eu un si grand éclat au moyen âgé, chercher ce qui peut jeter quelque lumière sur les problèmes qui occupent l’Italie en ce moment.

Au début, nous trouvons le génie organisateur de Charlemagne, qui avait établi dans les principales villes de l’Italie des écoles de grammaire et de belles-lettres, et les avait principalement confiées aux évêques. Les papes, de leur côté, maintenaient dans les monastères le culte des lettres grecques et latines. A la fin du XIe siècle, une sorte d’école de médecine, dont l’origine paraît remonter à la plus haute antiquité, s’organise à Salerne sous la domination des conquérans normands. Cette école réunit des savans juifs, latins, arabes, et institue une étude de la médecine aussi régulière que l’époque le comportait; elle obtient une grande célébrité, et, un peu plus de cent ans après la fondation, une ordonnance de Frédéric II, empereur d’Allemagne et roi des Deux-Siciles, prescrit qu’on ne pourra exercer la profession de médecin dans son royaume sans l’approbation du collège médical de Salerne.

Mais il faut arriver au grand mouvement religieux, politique et intellectuel du XIe et du XIIe siècle pour voir naître les premiers germes de nos universités proprement dites dans les républiques italiennes, si agitées alors, mais si vivaces. Bologne donna un exemple qui devait être suivi de résultats heureux, quand, dans l’année 1196, elle appela de Ravenne, où il était juge, le savant jurisconsulte Irnérius, et le chargea d’enseigner publiquement la jurisprudence romaine. Cette grande ville, déjà fière de la devise libertas qu’elle portait sur son écusson, allait acquérir de nouveaux titres de gloire et mériter le nom, cher à l’Italie, de Bologna docta. Heureusement située au centre de la péninsule, elle réunit bientôt un grand nombre d’étudians qui y accouraient de toutes les parties de l’Italie. A l’enseignement des lois romaines, qui fonda la réputation de l’université de Bologne, se joignit, à partir du XIIe siècle, l’enseignement du droit canonique, de la philosophie et de la médecine. C’étaient d’abord les étudians et les habitans les plus riches de la ville qui se cotisaient pour payer les professeurs ; mais le concours des élèves devint si grand, et la ville en tira de tels profits, que le magistrat municipal se crut obligé de se charger de la dépense de l’université. On prétend qu’il y eut un moment où le nombre des étudians rassemblés à Bologne montait à douze mille. La réputation de son université avait franchi les Alpes, et elle attirait des étudians de divers pays d’Europe. Quatorze collèges qui réunissaient les étudians de différentes nations y furent fondés par des papes, par des princes étrangers, quelques-uns par des dotations privées. A côté de ces collèges nationaux s’élevaient des collèges d’une autre nature : c’étaient des corporations principalement chargées de faire subir aux élèves leurs examens et de conférer le doctorat. Elles étaient instituées par des bulles pontificales pour la théologie, et par des décrets impériaux pour la jurisprudence et la médecine, et elles conféraient le titre de docteur au nom de l’autorité pontificale ou impériale.

L’exemple de Bologne, l’éclat de son université, la richesse que le concours des professeurs et des étudians répandait dans la ville, excitèrent l’émulation des autres cités. C’est ainsi qu’aux XIIe et XIIIe siècles on vit successivement surgir des universités, et surtout des écoles de droit, à Padoue, à Modène, à Plaisance, à Verceil, à Parme, à Ferrare, et plus tard, au XIVe siècle, à Pavie, à Pise, à Permise, à Sienne et à Turin. Dans toutes les universités, l’enseignement de la jurisprudence et de la théologie domina d’abord. Les études littéraires, celles que nous sommes habitués maintenant à regarder comme le fondement de l’éducation libérale, n’y furent introduites que plus tard, à l’imitation de la France et de l’Angleterre. Ces études commençaient par le trivium, grammaire, dialectique et rhétorique, et on gagnait ainsi le titre de bachelier; on passait ensuite aux arts du quadrivium, qui comprenait l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique, celle-ci n’étant pas d’ailleurs la science de l’harmonie des sons, mais une sorte de branche de l’arithmétique, ainsi que l’entendaient certains auteurs grecs. Le trivium et le quadrivium, dans les idées cabalistiques du temps, correspondaient aux deux côtés trois et quatre d’un triangle rectangle; on y trouvait aussi une liaison mystique avec le nombre sacré des Hébreux et le diagramme nuptial des Égyptiens. En réalité, cette division correspond exactement aux deux groupes de nos connaissances, puisqu’elle sépare les lois qui règlent les quantités et les proportions des lois qui régissent l’expression correcte et précise de nos pensées.

Une vive émulation régnait entre ces diverses universités, nées dans des républiques rivales et qui étaient souvent en guerre. Cette concurrence tourna quelquefois au profit des lettres et des sciences, mais encore plus à l’avantage de ceux qui les enseignaient : les professeurs marchandaient au sujet de leurs appointemens, et ne s’engageaient à rester dans une université que pour un certain nombre d’années; ils menaçaient de partir pour une ville rivale, quand ils voulaient faire augmenter leur traitement. Il se formait même des espèces d’entrepreneurs qui réunissaient une compagnie, une troupe de professeurs, et concluaient des arrangemens d’une part avec ceux-ci, de l’autre avec les villes qui voulaient fonder ou agrandir leur université. On s’occupait surtout de rendre la vie des étudians facile et peu coûteuse. Ainsi, à Bologne, à Padoue, la ville leur fournissait des chambres à un prix modéré, et les exemptait de payer des droits de douane pour leurs effets et leurs vivres. Ils jouissaient aussi de grands privilèges, tels que celui de porter des armes nuit et jour, d’avoir une juridiction spéciale, et de nommer parmi eux soit un recteur, soit un juge qui présidait un tribunal formé de délégués des différens collèges nationaux.

On vient de voir comment le mouvement bolonais s’était propagé dans les différentes cités de la péninsule, surtout dans l’Italie centrale et septentrionale. L’université de Naples nous offrira maintenant quelques traits particuliers. Elle fut fondée en 1224 par l’empereur et roi Frédéric II. Dès l’origine, on y trouve le germe des facultés; elle avait des chaires pour le droit civil et canonique, d’autres pour la philosophie et les mathématiques, d’autres encore pour la médecine. Un étudiant n’y était reçu docteur en médecine qu’après avoir fait trois années de philosophie et cinq de médecine et de chirurgie. Il fallait cinq années d’étude pour devenir docteur en droit et douze pour devenir docteur en théologie. Pierre de La Vigne, secrétaire de l’empereur, fut chargé de dresser des règlemens pour l’université et de faire traduire, les ouvrages grecs et arabes qui devaient servir dans les écoles. On appelait à Naples les savans les plus célèbres de l’Italie et de l’étranger. Saint Thomas d’Aquin, qui y enseignait le droit canonique, recevait une once d’or (61 francs) par mois, et le fameux jurisconsulte Belviso était payé 50 onces d’or par an. On défendait rigoureusement tout ce qui pouvait faire concurrence à l’université de Naples : les lois punissaient de trois ans d’exil les étudians qui avaient suivi des cours privés; il était interdit, sous les peines les plus graves, d’établir des écoles dans les autres villes du royaume, et il n’y avait d’exception à cette règle que pour l’école de médecine de Salerne. En même temps, pour attirer à l’université de Naples les étudians des différentes parties de l’Italie, on leur accordait l’exemption de toute espèce d’impôts pour les objets nécessaires à la vie, et on nommait un magistrat qui n’avait d’autre soin que de défendre leurs intérêts contre l’avidité des marchands de vivres et des loueurs de maisons. Des règlemens spéciaux interdisaient cependant les cours de l’université aux jeunes gens de Milan, de Brescia et des autres villes lombardes qui étaient alors en révolte contre l’empereur; c’est là une sorte d’interdiction dont les universités italiennes ont offert beaucoup d’exemples en raison des luttes politiques qui ont si longtemps agité la péninsule. Les successeurs de Frédéric II jusqu’à la reine Jeanne ne cessèrent de s’intéresser aux progrès de l’université de Naples. Sous cette reine furent publiées les Pragmatiques, qui forment un règlement universitaire très complet ; elles établissaient des collèges d’examinateurs et réglaient minutieusement la forme des examens, jusqu’à décrire les cérémonies qui devaient accompagner la réception des docteurs. On y remarque la mention de cinq inscriptions ou immatriculations nécessaires pour ceux qui voulaient se présenter au doctorat. Il est curieux d’y trouver indiqués les cadeaux que les candidats devaient faire avant l’examen au prieur du collège et aux examinateurs : un étui d’argent de la valeur de 5 ducats (à peu près 50 fr.), une bourse, des gants, un peigne d’ivoire, un anneau[1]. En même temps que se fondèrent les collèges d’examinateurs, des institutions d’enseignement privé s’établirent à Naples, et les cours de l’université cessèrent d’être uniquement suivis. A dater de cette époque, les historiens signalent la décadence des études et l’indulgence excessive apportée dans les examens. Ils se plaignent que l’épreuve du doctorat soit devenue une vaine formalité et qu’on ait fait docteurs « des lâches et des ignorans qui n’auraient jamais dû obtenir ce grade. » Les choses en arrivèrent au point que la faculté de conférer le doctorat devint le privilège exclusif de la famille des Caraccioli, princes d’Avellino. Ces princes, on le conçoit, ne se montraient pas difficiles sur le choix des docteurs et ne cherchaient qu’à grossir les revenus qu’ils tiraient de cette charge[2]. On ne s’étonnera donc pas que l’université de Naples soit tombée en décadence, et qu’elle ait fini par perdre tout crédit, bien que des hommes célèbres, comme Della Porta, Colonna, Léonard de Capoue, aient encore de temps en temps jeté sur elle quelque lustre.

Nous ne terminerons pas cette rapide esquisse de l’histoire des anciennes écoles italiennes sans dire quelques mots de l’université de Pise. Elle a acquis une réputation toute spéciale par la direction scientifique qu’y prirent les études dès sa fondation, et elle peut revendiquer une grande part d’influence dans ce mouvement fécond qui renouvela la science, et qui fonda sur la méthode expérimentale la philosophie naturelle. Galilée est l’inventeur de cette méthode et le fondateur de cette école. Dès l’année 1344, une bulle pontificale parle de l’université de Pise, qui avait commencé comme les autres par l’enseignement des pandectes et du droit canonique ; elle y ajouta bientôt des cours de cosmographie et de médecine. C’est surtout à la fin du XVe siècle, sous Laurent de Médicis, que cette université prit un grand développement. À cette époque fut bâti le palais de la Sapienza, qui est encore aujourd’hui le bâtiment principal de l’université, et une somme de 6,000 florins, environ 72,000 francs, fut affectée au paiement du recteur et des professeurs. Malheureusement l’air de la ville à cette époque n’était pas salubre, et la peste y faisait de fréquens ravages, de telle sorte que l’université tout entière dut se transporter pendant une épidémie dans une autre ville de la Toscane. La vie était d’ailleurs beaucoup plus chère à Pise qu’à Bologne et à Padoue, et enfin, s’il faut en croire les anciens chroniqueurs, les habitans montraient un caractère peu sociable. Pour toutes ces raisons, l’université de Pise n’a jamais eu un grand nombre d’élèves : en 1474, on y comptait 220 étudians en droit et environ 100 étudians en médecine ; en 1486, leur nombre total était de 460 : c’est le chiffre le plus élevé que l’on trouve dans les histoires du temps. Pise, comme toutes les autres villes d’Italie qui possédaient une université, a eu des collèges de différentes nations, fondés soit par des évêques, soit par des particuliers, et plusieurs de ces collèges ont subsisté jusqu’à ces dernières années. Les étudians, quand ils étaient reçus docteurs, payaient à la caisse de l’université 4 florins (environ 48 francs) et aux examinateurs 3 florins. Il fallait d’ailleurs, pour être admis à subir les examens, justifier de cinq années d’université, ou produire des certificats équivalens dès professeurs libres. Les appointemens des professeurs de l’université étaient très variables : ceux qui avaient quelque réputation touchaient 120 écus, il y en eut à qui l’on donna 500 écus; mais ce chiffre était réservé aux grandes célébrités. Le recteur avait 15 florins et le logement. Il arriva souvent que le gouvernement et les recteurs se plaignirent de la négligence que les professeurs mettaient à faire leur cours; les leçons, qui étaient fixées d’abord à cent cinquante par an, se réduisirent à cent dix, et plus tard à soixante; c’est alors qu’on fit une loi pour retenir un cent-cinquantième du traitement des professeurs pour chaque leçon qu’ils négligeaient de donner. L’université de Pise n’en fut pas moins une des plus glorieuses et des plus utiles à l’Italie. Vouée surtout aux sciences naturelles, elle eut un jardin botanique, un musée d’histoire naturelle et de physique, une école d’anatomie, un laboratoire de chimie, bien avant toutes les autres universités italiennes. On voit encore à Pise, dans l’aula magna[3], parmi les portraits des professeurs, ceux des savans illustres tels que Faloppio, Cisalpino, Mercuriale, Castelli, Borelli.

Si maintenant nous cherchons à résumer les traits qui caractérisent les universités italiennes du moyen âge et par lesquels elles se distinguent des institutions analogues qui existaient dans les autres pays de l’Europe, nous verrons que, tandis qu’en France, dans l’université de Paris, la théologie et la philosophie occupent le premier rang, tandis qu’en Angleterre, à Oxford et à Cambridge, ce sont les arts du trivium et du quatrivium, l’Italie, héritière immédiate des civilisations romaine et grecque, appelée par le voisinage de l’Orient à en recueillir les lumières, dirigea d’abord ses études universitaires vers la jurisprudence, puis vers la médecine, les mathématiques et les sciences naturelles. Que nous reste-t-il de toute cette vie de nos anciennes universités? Il nous reste d’abord les titres de gloire qu’on ne peut pas effacer de nos annales; il nous reste ensuite de précieux exemples, les uns bons, les autres mauvais, de telle sorte que nous pouvons profiter des uns et fuir les autres. Nous pouvons étudier, pour les éviter, les causes qui ont relâché la discipline, dans les écoles, qui ont détourné les étudians du travail et les professeurs de leurs leçons. Nous pouvons aussi arrêter notre attention, pour en tirer d’utiles enseignemens, sur les collèges où les étudians vivaient et travaillaient en commun, sur les collèges d’examinateurs, sur les cours faits par de jeunes privat-docent, sur cette émulation qui poussait les universités à se disputer les savans les plus illustres. Il faut reconnaître en définitive que nos institutions scolaires pendant le moyen âge offrent quelques particularités nationales qu’il y a lieu de conserver ou de faire revivre.


II

On voit quel a été l’enseignement, italien pendant le moyen âge. Nous avons hâte maintenant d’arriver à la partie pratique de ce travail, et nous ne dirons des temps modernes que ce qui est nécessaire. pour faire comprendre l’importance des réformes à réaliser aujourd’hui. Cet examen nous conduit à prendre l’un après l’autre les divers états dont la réunion a formé l’Italie nouvelle. Pour chacun d’eux, nous chercherons principalement à esquisser en quelques traits rapides le régime que la révolution de 1859 a trouvé et celui qu’elle y a substitué.

Voyons d’abord les provinces méridionales. Si on les examine au commencement de ce siècle, on n’y trouve aucun vestige d’organisation scolaire. Les savans distingués, qui n’avaient point manqué à Naples, avaient été amenés, par l’oppression et par les vicissitudes des dominations étrangères, à entrer en lutte contre les gouvernemens de leur pays ou au moins à se tenir tout à fait à l’écart. On avait bien vu le prince de Bisignano donner sa villa pour fonder un jardin botanique et les médecins des hôpitaux fonder à leurs frais des collections d’anatomie; mais l’instruction élémentaire était entièrement délaissée, les collèges étaient abandonnés au clergé, généralement fanatique et ignorant, et on ne faisait d’études un peu complètes que dans les séminaires. Le pays n’attendait plus rien de l’état, et ne trouvait dans les professeurs privés qu’un très médiocre secours. Le régime français de 1806 essaya de relever l’instruction publique. Le frère, puis le beau-frère de Napoléon, firent des lois pour réorganiser l’université de Naples, pour fonder des collèges dans les villes principales, pour établir dans chaque commune une école aux frais de la municipalité. Il y eut un directeur de l’instruction publique, puis un conseil supérieur et des inspecteurs généraux, des jurys d’examen, des facultés universitaires et des écoles préparatoires dans deux ou trois des villes les plus importantes du royaume. On fonda à Naples un collège avec internat pour former des médecins et des chirurgiens, une société royale pour les sciences, des pensionnats pour les jeunes filles et une école des ponts et chaussées; mais cette organisation, brusquement importée de France, n’était pas soutenue par les traditions du pays, et ne trouvait pas dans les esprits des conditions favorables pour se développer. Le temps et la paix lui manquèrent d’ailleurs pour lutter contre les mauvaises habitudes, depuis longtemps enracinées, et quand revinrent les Bourbons en 1815, elle n’avait rien fondé qu’ils ne pussent facilement détruire. Les Bourbons firent pour l’instruction publique ce qu’ils firent pour tout ce qui pouvait réveiller les. sentimens de liberté et de gloire nationale. Ils ne conservèrent que ce qui pouvait favoriser la superstition et la servilité. Les collèges furent confiés aux jésuites. On éloigna, de Naples la plupart des étudians en créant dans les provinces de mauvaises facultés, dont la plupart n’existaient que dans les statistiques ministérielles. Ce n’est pas que certains ministres napolitains ne cherchassent à se donner à l’étranger un vernis de libéralisme. Ainsi on appela de France, où il vivait en exil, Melloni, pour faire un cours de physique; mais la chaire ne fut jamais créée. On le nomma directeur de l’observatoire du Vésuve, mais on le laissa manquer des instrumens nécessaires, et quand, de guerre, lassé, il les eut achetés à ses frais, on fit mille difficultés pour lui en rembourser le prix. Le désordre était partout, et il n’y avait plus qu’une seule chose organisée dans les écoles, la police. Cette décadence des institutions universitaires profita aux établissemens d’instruction libre, et on vit alors à Naples des privat-docent qui réunissaient jusqu’à deux et trois cents élèves. Le gouvernement toléra cet enseignement en le surveillant de près, et en tira quelquefois vanité; mais, s’il y eut parmi ces professeurs libres, des hommes distingués, comme Savarese, Pisanelli, Palmieri, la plupart ne s’appliquèrent qu’à gagner de l’argent en préparant le plus vite possible leurs élèves à des examens dérisoires.

La révolution de 1860 a donc trouvé dans les Deux-Siciles le niveau des études très abaissé, mais tout de suite on se mit à l’œuvre pour le relever. Sur le continent comme en Sicile, on s’est empressé de fonder des écoles élémentaires, et on ne s’est arrêté que devant la difficulté de trouver des instituteurs qui ne fussent pas des bourboniens ou des prêtres hostiles à l’ordre nouveau. On improvisa des écoles normales primaires, on nomma une commission centrale d’inspection, et des inspecteurs, des conseils provinciaux d’instruction, on donna des subsides aux communes les plus pauvres. A la fin de 1861, les provinces napolitaines, qui ont 1,855 communes, n’avaient encore que 1,054 écoles élémentaires fréquentées par 23,5691 garçons et 778 écoles fréquentées par 18,112 filles. Au mois de novembre 1862, elles avaient 1,603 écoles de garçons avec 60,050 élèves et 922 écoles fréquentées par 30,567 filles. Les écoles du soir pour les adultes ont pris surtout un grand développement : le nombre en a été porté de 18 à 911, celui de leurs élèves de 204 à 9,804. L’instruction secondaire n’a pas suivi le même mouvement de progression; c’est qu’elle ne peut s’améliorer qu’à l’aide de professeurs instruits et dressés dans une bonne école normale supérieure. Quant à l’université de Naples, elle a commencé à se relever de son abaissement : le nombre des chaires et les appointemens des professeurs ont été augmentés, les salles réparées et agrandies, les collections et les laboratoires enrichis. Les autorités napolitaines prétendent que les cours de l’université sont suivis actuellement par 9 ou 10,000 étudians; mais, comme l’inscription n’a point été pratiquée jusqu’ici, ce chiffre n’a rien d’officiel, et quand j’ai visité les salles des leçons dans l’année 1862, les cours ne m’ont pas paru fréquentés par plus de 2 à 3,000 élèves en tout. Ce qu’il y a de certain, c’est que des professeurs illustres sont venus de toutes les parties oie l’Italie à l’université de Naples : Vera, Spaventa, Fiorelli, Minervini, Manna, Imbriani, Pisanelli, sont des noms connus dans les sciences morales et politiques, Trudi, de Gasparis, Battaglini, Palmieri, Costa, de Luca, Scacchi, Gasparini, de Renzi, Albini, dans les sciences naturelles et médicales. Il faut espérer que de tels professeurs réveilleront l’émulation des privat-docent, dont le crédit n’avait pu se soutenir que par la dépression des études universitaires, et qu’ils se mettront à leur tour en mesure de faire concurrence à l’enseignement officiel régénéré. Un mouvement fécond se manifeste dans les provinces méridionales, et nous sommes persuadé qu’il ne s’arrêtera pas. Le gouvernement de la lieutenance de Naples a publié sur l’instruction publique une loi générale qui est une imitation de la loi piémontaise de 1859, qui lui est même supérieure en quelques points. L’autorité dictatoriale a promulgué vers la même époque en Sicile une loi assez semblable à celle de Naples. Il est à regretter que ces deux gouvernemens temporaires aient été si pressés de fonder chacun un système complet d’instruction publique. Nous aurions préféré les voir attendre qu’il fût possible d’organiser à la fois l’enseignement dans tout le royaume.

Les autorités provisoires qui ont gouverné les Marches, l’Ombrie, les Romagnes, Parme et Modène avant leur annexion au royaume d’Italie se sont également empressées de réorganiser tout l’enseignement. Dans les deux premières provinces, les commissaires extraordinaires, dont le pouvoir a cependant duré peu de temps, se sont hâtés de nommer des inspecteurs, d’allouer des secours aux communes pauvres pour la fondation d’asiles et d’écoles élémentaires, d’augmenter le personnel des lycées en profitant des legs dont jouissaient les jésuites et les autres corporations religieuses. Ils ont déclaré libre, c’est-à-dire laissé à la charge des budgets provinciaux et municipaux, l’ancienne université de Pérouse, qui n’avait plus qu’une centaine d’élèves, et celle de Camerino, qui n’en avait que le tiers. La même mesure fut prise par Farini, dictateur de l’Emilie, à l’égard de l’université de Ferrare, qui n’avait, elle aussi, qu’une centaine d’étudians. Certes nous désirons autant que qui que ce soit voir en Italie de ces institutions scolaires soutenues par les provinces ou les municipes; mais précisément parce que nous désirons voir cette transformation se réaliser, nous craignons que le succès n’en soit compromis par des mesures prises avec trop de précipitation. De tels essais tentés dans de mauvaises conditions ne pourront guère aboutir qu’à des résultats imparfaits et de nature à dégoûter les autorités locales de cette initiative. C’est dans les villes où règne une grande activité scolaire qu’on peut confier aux efforts municipaux les institutions d’enseignement : là le public comprend le profit qu’il en peut tirer et voit ses sacrifices récompensés; mais les universités libres de Pérouse, de Camerino et de Ferrare ne réussiront qu’à donner à grands frais à un petit nombre d’étudians une instruction insuffisante. Nous le répétons, c’est là un danger réel pour le système qu’elles représentent, et il eût bien mieux valu que ces villes se contentassent de quelque bonne école secondaire, ou qu’elles n’eussent du moins, au lieu d’une université complète, qu’une ou deux facultés seulement. L’Emilie, c’est-à-dire la province qui est formée de la réunion des Légations et des anciens duchés de Parme et de Modène, compte, outre l’université de Ferrare, dont nous venons de parler, celle de Parme, qui avait en 1862 268 étudians, celle de Modène, qui en comptait 390, celle de Bologne, qui en possédait 4 ou 500, et qui s’est accrue, paraît-il, cette année même d’un certain nombre d’étudians vénitiens appartenant à l’émigration. Ici encore, sans discuter la valeur comparative de ces universités, je ne puis m’empêcher de faire remarquer que leur coexistence sur un territoire qu’on parcourt aujourd’hui en quatre heures y sera toujours un obstacle à un concours suffisant d’élèves. On sera surtout frappé de cette superfétation quand on saura quelles coûtent 800,000 francs au gouvernement, c’est-à-dire une somme égale à celle qui, dans le budget français, défraie tout l’enseignement supérieur. On ne peut donc que regretter la précipitation avec laquelle l’instruction supérieure a été dans ces provinces, avant l’annexion, réglementée par des lois générales, dont le but principal était d’augmenter le nombre des chaires et les appointemens des professeurs. Hâtons-nous cependant d’ajouter que, sous le rapport de l’instruction élémentaire et professionnelle, l’Emilie et surtout les Romagnes ont suivi après la révolution une marche progressive où nous n’avons rien à blâmer. On pourrait citer vingt villes de ce beau territoire qui depuis trois ans ont quadruplé le nombre de leurs écoles élémentaires, et qui ont fondé des écoles professionnelles et des lycées. Il faut même avouer que les populations des Romagnes, pleines d’activité et d’initiative, habituées depuis longtemps à une excellente administration municipale, encore imbues des traditions de l’ancien royaume d’Italie, se plaignent aujourd’hui avec raison des entraves bureaucratiques et des superfétations coûteuses que la loi piémontaise sur l’instruction publique a introduites dans le régime de leurs écoles.

Parlons maintenant de la Toscane, dont on peut dire qu’elle fut toujours le plus grand foyer intellectuel de l’Italie. L’enseignement supérieur s’y ressent encore de l’impulsion qu’il reçut en 1838, alors qu’un gouvernement paternel et éclairé appelait à l’université de Pise, à l’école de médecine et au musée de Florence, tous les savans illustres que la persécution politique chassait des autres parties de l’Italie. À cette époque, un ancien élève de l’Ecole polytechnique de Paris, M. Giorgini, esprit juste et administrateur ferme, fut appelé à diriger l’instruction publique en Toscane. Il se signala par plusieurs institutions utiles, et surtout par la fondation de l’école normale de Pise, la seule école, avons-nous déjà dit, qui existe actuellement en Italie pour former les professeurs des lycées. Malheureusement la réforme de 1838 ne s’étendit pas à l’instruction secondaire, qui était presque entièrement entre les mains des frères scolopes. Elle n’atteignit pas non plus l’instruction primaire, bien qu’on doive s’étonner de cette négligence de la part d’un prince qui avait pour se guider l’exemple de ses ancêtres. L’enseignement eut d’ailleurs beaucoup à souffrir pendant les dix années de réaction qui suivirent les événemens de 1848. L’université de Pise fut bouleversée sous prétexte qu’elle avait été un foyer d’idées révolutionnaires. L’école normale n’eut plus qu’une vie languissante. L’organisation des écoles secondaires et de l’instruction professionnelle, qui avait été préparée dès 1846, ne vint au jour qu’après avoir subi l’influence de l’esprit réactionnaire du temps. En 1859, les autorités provisoires de la Toscane s’empressèrent de réparer le mal qu’avait fait le gouvernement précédent. Les dépenses de l’instruction publique, qui s’élevaient à 1 million de francs en 1855 pour le grand-duché, se trouvèrent doublées en 1861. Tout en reconnaissant combien cette dépense est lourde pour le budget, il ne faudra jamais oublier les titres que Florence peut faire valoir pour revendiquer une place distinguée dans l’enseignement supérieur de la Toscane et de l’Italie. Chacun connaît ce grand mouvement littéraire, scientifique et national, qui a illustré Florence pendant un demi-siècle, et dont l’un des acteurs les plus modestes, mais les plus utiles, M. Vieusseux, vient de s’éteindre récemment. Florence a deux établissemens dont les annales italiennes ont depuis longtemps enregistré les éclatans services, le musée, dont l’origine remonte à Galilée et au Cimento, et dont la gloire s’est continuée jusqu’à nos jours par les travaux des Fontana, des Fabbroni, des Nobili, l’école pratique de médecine et de chirurgie, qui n’a jamais cessé d’être dirigée par des praticiens célèbres, tels que Bufalini et Regnoli, et de former d’excellens élèves. Ces deux établissemens, déjà pourvus de précieuses ressources, pourraient être développés, et on pourrait en faire deux écoles normales pour le royaume, l’une destinée à l’enseignement supérieur des sciences physiques, l’autre à celui de la médecine. Malheureusement la section de l’institut supérieur qui a été fondée à Florence en 1859, et qui embrasse la philosophie, l’histoire, les sciences morales et politiques, n’a pu jusqu’ici acquérir les mêmes titres de gloire. De pareilles institutions peuvent à peine exister dans un grand centre comme Paris, et encore osons-nous émettre l’avis que le Collège de France et le Jardin des Plantes ne perdraient rien à se transformer en écoles normales d’un ordre élevé. Quoi qu’il en soit, Florence avec son musée et son école de médecine transformés, comme nous avons dit, ses bibliothèques, ses galeries, ses archives, Pise avec son université et une école normale, où l’état devrait entretenir soixante élèves, au lieu de vingt, Livourne avec une école pour les élèves de marine, donnent bien à la Toscane la place privilégiée qu’elle mérite dans l’organisation du haut enseignement de l’Italie.

Quant aux antiennes provinces du royaume, si elles ont été les dernières à figurer dans l’histoire intellectuelle de l’Italie, elles y ont pris depuis la moitié du siècle passé un rôle éclatant et décisif. A en juger par les hommes de lettres et les savans, sans compter les hommes d’état et les militaires, que le Piémont a produits depuis cette époque, il semble que le royaume subalpin ait été appelé par la Providence à marcher sur tous les points à la tête du mouvement national. Les princes de la maison de Savoie, toujours attentifs à l’œuvre de la régénération italienne, avaient compris de bonne heure combien il importait de former, par une benne discipline des études, le peuple qu’ils devaient employer à de si hauts desseins. Les constitutions de l’université de Turin, qui furent édictées par Charles-Emmanuel III (1772), sont encore aujourd’hui un monument de haute sagesse, et l’on ne peut lire sans admiration les termes nobles et sévères qui fixent les attributions du magistrat de la réforme, à qui ces constitutions donnaient la haute direction de l’enseignement[4].

C’étaient d’excellentes institutions que la vieille monarchie léguait dans le royaume sarde au gouvernement représentatif; parmi les hommes qui ont le plus contribué à conserver ou à améliorer ce glorieux héritage, nous devons citer le comte Balbo, père de l’historien et premier ministre de Charles-Albert en 1848, et plus récemment le marquis Alfieri. Il faut dire cependant que les nombreux ministres de l’instruction publique[5] qui se sont succédé à Turin depuis quinze ans n’ont eu ni le loisir, ni le pouvoir nécessaires, pour accomplir et développer les réformes qu’ils ont à peine pu commencer. L’instruction primaire seule a reçu de grands développemens, et les anciennes provinces ont vu se fonder un grand nombre d’écoles élémentaires et d’écoles normales pour les instituteurs. D’après les dernières statistiques publiées, qui datent de l’année scolaire 1856-57, le royaume de Sardaigne, qui comprenait alors 2,195 communes, possédait 5,792 écoles pour les garçons et 3,158 pour les filles; il avait aussi 215 salles d’asiles organisées par Aporti et fréquentées par 21,000 enfans. On comptait 4,917 instituteurs brevetés et 2,171 institutrices. La dépense de l’instruction élémentaire, supportée principalement par les communes, était de 3,889,700 francs; la moyenne des traitemens était de 486 francs pour les instituteurs et de 350 francs pour les institutrices. Les statistiques nouvelles que nous avons fait dresser, et qui ne doivent pas tarder à paraître, montreront certainement les progrès que les anciennes provinces ont accomplis depuis l’époque mentionnée plus haut. L’enseignement supérieur compte dans l’ancien royaume de Sardaigne quatre universités, celles de Turin, de Gênes, de Cagliari et de Sassari. La plus fréquentée, celle de Turin, comptait en 1862 8 ou 900 étudians; quant à celle de Sassari, qui aurait dû depuis longtemps cesser d’exister, elle n’avait que 25 ou 30 élèves.

Le régime légal des anciennes provinces, pour la plus grande partie des établissemens d’instruction publique, est encore celui de la loi de 1859, publiée au temps des pleins pouvoirs. Cette loi fut immédiatement étendue à la Lombardie et plus tard aux Marches et à l’Ombrie, et en partie à l’Emilie; enfin elle fut introduite avec des modifications diverses à Naples et en Sicile. La seule loi générale que le parlement du royaume d’Italie ait votée relativement à l’instruction publique est celle du 31 juillet 1862, qui a établi les bases principales du régime uniforme des universités italiennes.

Le lecteur a pu comprendre, par ces indications indispensables, quel est dans les diverses parties du royaume italien l’état des institutions scolaires. Quelles sont maintenant les réformes à tenter? Ici nous sommes obligé d’entrer dans quelques chiffres, et c’est vis-à-vis du parlement italien qu’il faut en quelque sorte se placer pour examiner les questions administratives que soulèvent ces réformes. Le budget de l’instruction publique en Italie pour l’exercice 1863, — budget présenté par nous-même à la chambre des députés, — sera notre guide dans l’étude et le classement de ces diverses questions.


III

La dépense nécessitée par l’instruction publique, qui n’était que de 5,847,009 francs pour tous les états de l’Italie en 1858, et dont le Piémont supportait le tiers, s’est élevée dans le budget pour 1863 à 16,128,078 francs : cet excédant, faible d’ailleurs, sur la dépense de l’année précédente s’expliquait principalement par l’application de la loi du 31 juillet 1862, qui avait élevé les appointemens des professeurs à 4, 5 et jusqu’à 6,000 francs suivant les universités et les années de service. Le fait qui frappe d’abord, c’est que la somme dépensée en Italie pour l’instruction publique surpasse, si on compare les populations respectives, la dépense que font la France et la Prusse pour le même service. En effet, en Prusse, le budget de l’instruction publique est de 12 millions 1/2 ; il est en France de 23 millions, dont 17 à peu près forment la dépense supportée par l’état. Pour que les comparaisons fussent entièrement exactes, il faudrait pourtant ajouter au budget français les fonds consacrés à l’Institut, aux beaux-arts et à certaines écoles spéciales qui figurent dans le budget du ministère d’état et de celui des travaux publics. Ce qu’il importe surtout de corriger dans le budget de l’instruction en Italie, ce qui en forme le vice principal, c’est la mauvaise répartition de la dépense totale entre les différentes branches de cette administration et la faiblesse des recettes qu’amène l’exigüité excessive des rétributions universitaires. Nous arriverons facilement à prouver ces vérités par l’analyse même des chapitres principaux du budget, qui comprennent l’administration proprement dite, — les universités, les établissemens d’instruction supérieure et les écoles spéciales, — les beaux-arts, — l’instruction secondaire, — les écoles normales primaires et l’instruction élémentaire.

Sous le titre d’administration, on entend à peu près en Italie comme en France le service central, les inspecteurs-généraux et l’administration provinciale ou académique. Dans le budget français, ces différens services coûtent 2,842,950 fr.; pour l’Italie, cette dépense n’est que de 1,240,308 fr. C’est dans cette partie du budget italien qu’on pourrait apporter de notables améliorations en même temps qu’on adopterait une organisation plus simple et plus uniforme. Une seule province a eu depuis longtemps une loi d’administration scolaire. Dans les célèbres constitutions de l’université de Turin dont nous avons parlé plus haut, le magistrat de la réforme est une sorte de ministre entouré d’un conseil supérieur de l’instruction publique, et nommant des proviseurs pour les écoles secondaires des provinces. Il eût été à désirer que cette organisation si simple, qui donnait à une autorité centrale de larges attributions et une action indépendante, fût arrivée à nous débarrassée des minutieuses formalités propres au temps où elle fut fondée. Malheureusement, depuis 1848 et même un peu avant, les vicissitudes de la vie constitutionnelle ont soumis cette organisation à une série de réformes trop incohérentes et trop brusques. Il faut, dans l’instruction publique surtout, que les changemens ne soient qu’une transformation lente et progressive des anciennes institutions; mais un noble sentiment de patriotisme et de progrès poussait les ministres du roi Charles-Albert à rechercher tous les moyens d’étendre et de développer rapidement l’instruction élémentaire et secondaire dans le pays : de là l’origine d’un si grand nombre de lois, et en dernier lieu de la loi piémontaise de 1859, qui passe pour trop compliquée et trop marquée de l’esprit bureaucratique. Dans tout le reste de l’Italie, il n’y a jamais eu d’organisation scolaire proprement dite; il y avait eu des séminaires et des collèges confiés à certains ordres religieux, des écoles élémentaires et des gymnases dépendant entièrement des autorités municipales, et bien avant qu’on parlât de la liberté d’enseignement, il a existé en Toscane des écoles libres ou privées fonctionnant presque sans surveillance et sans inspection de la part du gouvernement. Le gouvernement italien, en fait d’institutions scolaires, a donc rencontré les mêmes obstacles que dans la plupart des autres branches de son administration. Il y avait d’une part les systèmes et les lois de l’ancien Piémont, fermes, rigides, mais nécessairement compliqués et en tout un peu militaires, et d’autre part, dans le reste de l’Italie, des institutions plus simples, plus économiques, mais généralement plus relâchées. Nous sommes convaincu qu’il n’y a aucune branche du ministère de l’instruction publique qui demande avec plus d’urgence une loi d’ensemble que l’administration générale. D’un côté, nous devons éviter un système compliqué et dispendieux et qui nous forcerait à recourir à un grand nombre d’administrateurs pris généralement dans le corps enseignant, ce qui, dans les conditions où nous sommes, nous ferait le plus souvent perdre de bons professeurs sans gagner des administrateurs fermes et habiles. D’un autre côté, gardons-nous bien de tomber dans l’excès contraire et de nous laisser entraîner par un préjugé populaire à tout abandonner avec précipitation aux provinces et aux communes. L’état seul peut et doit conserver sous sa main un certain nombre d’écoles secondaires supérieures, où les études classiques trouvent les développemens nécessaires pour devenir la base d’une éducation vraiment libérale et d’une préparation solide aux universités. Les provinces et les communes sauront fournir l’enseignement qu’on appelle professionnel ou technique, car le profit qu’on en tire est senti de tout le monde et répond à un besoin suprême de notre époque : c’est justement par cette raison que l’état est plus que jamais tenu de nos jours à pourvoir à l’enseignement classique. On a eu tort en général de multiplier trop les lycées avant d’avoir assez de bons professeurs, d’étendre trop les limites de cet enseignement, et de faire aborder à des élèves trop jeunes les études scientifiques dans lesquelles on réussit bien plus facilement à un âge plus avancé. Il y aura aussi probablement à diminuer l’enseignement oral pour laisser une part plus large au travail spontané des élèves. Qu’on se garde bien toutefois, en organisant les études secondaires, d’enlever à la direction de l’état un certain nombre de lycées destinés à offrir le type des bonnes écoles littéraires.

La condition des provinces méridionales, l’aversion et l’ignorance d’une partie du clergé rendent plus que jamais nécessaire de conserver dans l’instruction primaire et secondaire une ingérence active et efficace de l’état. Qu’il me soit permis de m’appuyer, en soutenant cette opinion, sur le résultat d’efforts personnels. Une loi sur l’administration scolaire a été pour moi un sujet constant d’étude, et on comprendra que mon attention s’y soit portée plus encore quand le ministère de l’instruction publique me fut confié. J’ai consulté sur cette matière les hommes les plus compétens, et je ne crains pas d’affirmer que, tout en réduisant de moitié la dépense, on pourrait avoir à la tête de l’administration, pour conserver les traditions universitaires, un conseil restreint, formé d’hommes notables, qui seraient à la fois administrateurs et inspecteurs, et puis, dans dix ou douze centres convenablement choisis, des délégués du ministère, semblables aux recteurs des académies françaises et armés d’une autorité suffisante pour réaliser véritablement le principe de la décentralisation.

Il faut maintenant examiner les deux sections du budget de l’instruction publique qui comprennent les universités, les établissemens d’instruction supérieure et les écoles spéciales ; la dépense totale s’élève à 5,259,085 lires. C’est bien là la partie la plus lourde du budget de l’enseignement dans le royaume d’Italie et celle qui est malheureusement la plus improductive. Les sept universités de la Prusse coûtent à l’état à peu près 3 millions, et en France la dépense de l’instruction supérieure ou plus exactement celle des facultés figure dans le budget pour 3 millions 1/2, qui ont été en grande partie dans les dernières années remboursés par les rétributions universitaires.

Il n’est pas difficile de s’expliquer la décadence des universités italiennes et de comprendre aussi comment, depuis la dernière révolution, ces universités ont imposé à l’état une dépense toujours croissante, alors même que leur discipline allait toujours se relâchant. Il suffit de se rappeler ce que nous avons dit des universités du moyen âge. On n’y trouvait d’abord que des cours privés, bornés à l’enseignement de la jurisprudence, de la théologie et de la philosophie. A côté des grandes universités, il y avait dans presque toutes les villes un peu importantes des chaires pour expliquer les pandectes et les lois romaines. Les municipalités prirent peu à peu les dépenses à leur charge; mais des universités ainsi formées ne coûtaient pas beaucoup, et en effet, si l’on excepte certaines villes qui étaient obligées de payer 7 et 800 et même 1,000 écus par an d’éminens professeurs, les chaires n’étaient d’ordinaire rétribuées que de la façon la plus modeste. A Bologne et à Pavie, le nombre des élèves était d’ailleurs si considérable, qu’il en résultait de grands profits pour les villes. Ainsi nos communes et nos républiques du moyen âge non-seulement tenaient à honneur de posséder des centres d’instruction, mais elles en tiraient des revenus. Il faut arriver à la grande révolution que Galilée et ses disciples firent en inventant la mécanique et la méthode expérimentale pour comprendre la modification profonde que les études supérieures et l’économie des universités ont dû subir depuis cette époque. Les trois quarts des enseignemens supérieurs modernes, et qui datent de cette époque à jamais mémorable pour la science et pour l’humanité, exigent des collections, des laboratoires, des cabinets, des observatoires qui coûtent des sommes énormes; une fois qu’on parle d’enseignement supérieur, on ne doit plus s’arrêter à des moyens imparfaits. A la tête des établissemens de ce genre, il faut appeler des hommes distingués, qui tirent des appointemens donnés par l’état les moyens de se consacrer uniquement au service de la science et ne soient pas réduits à chercher des sources de profit dans les applications industrielles. Qu’est-il résulté pour nos universités de ces exigences? On le devine : les petits états de la péninsule, ayant voulu conserver toutes les universités du moyen âge, ont cherché à y ajouter toutes les branches de l’enseignement moderne; n’ayant pas assez d’hommes capables, ne pouvant les attirer par de gros appointemens, n’étant pas assez riches pour fonder et développer de grands établissemens, ils n’ont pu nécessairement conserver que des universités languissantes, où la vie intellectuelle et la discipline tendaient toujours à s’éteindre.

Ce n’est qu’en quelques provinces, par des combinaisons locales, par des efforts partiels et presque individuels, qu’un certain degré de vie et de célébrité s’est maintenu. Nous sommes ainsi arrivés à la révolution de 1859 en ayant dix-neuf universités; nous devrions dire vingt et une, car Rome et Padoue sont bien des universités italiennes. Les nouveaux gouvernemens, on l’a vu, se sont tous empressés avec un zèle louable d’améliorer et de développer l’enseignement supérieur en augmentant les appointemens des professeurs, le nombre des chaires, la dotation des établissemens scientifiques, et, comme si dix-neuf universités n’eussent pas été suffisantes, on a créé à Milan une académie de philosophie et de belles-lettres, à Florence un institut complet de sciences morales et politiques, de philologie, de sciences physiques et naturelles et de médecine. En un mot, tous les gouvernemens nouveaux de la Sicile, de Naples, de la Toscane, de l’Emilie, agissant comme si chacune de ces provinces devait devenir le véritable centre intellectuel de la péninsule, ont dû créer ainsi un fardeau insupportable pour les finances du royaume et faire ressortir plus que jamais la mauvaise organisation de l’enseignement supérieur. La plupart de nos universités, fréquentées par un très petit nombre d’élèves, placées dans des centres secondaires de population, manquent de vie; les salles des cours y sont vides, et les professeurs n’y trouvent pas l’aiguillon de la gloire et de l’émulation. Ces mauvaises conditions devaient-amener naturellement les conséquences fâcheuses que l’on observe aujourd’hui dans la discipline et dans les examens. La grande majorité des étudians, et il faudrait ajouter de leurs familles, en est arrivée à croire que les universités ne sont faites que pour conférer un titre académique et un diplôme avec la moindre dépense possible de temps et d’argent. En effet, dès qu’on a introduit d’une manière un peu brusque, comme l’a fait la loi de 1859, la liberté pour les étudians de se présenter aux examens de doctorat sans qu’un minimum d’années de cours ait été fixé, on a vu des jeunes gens prendre dans une aunée huit, dix et même douze inscriptions, et se présenter aux examens de doctorat en droit et en médecine après trois et même deux années seulement d’études. Autre exemple : les taxes universitaires étant beaucoup plus fortes à Pavie qu’à Modène et à Parme, les étudians de Pavie ont aussitôt émigré en grand nombre pour aller passer leurs examens dans les universités de l’Emilie. Lorsque nous avons voulu, comme c’était notre devoir, obliger ces étudians à justifier des études qu’ils avaient faites et des examens qu’ils avaient passés précédemment à Pavie, des troubles ont éclaté, et nous avons dû proposer au roi Victor-Emmanuel de fermer l’université de Pavie. Quant à la faiblesse des examens, nous n’avons qu’à citer des chiffres. Dans la session des examens de l’année scolaire 1861-62, il y a eu, sur 11,865 candidats, 11,147 reçus; le nombre des refusés est donc à peine de 6 pour 100. Si l’on excepte de ce calcul les universités de Naples et de Turin, la proportion des refusés n’est plus que de 3 1/2 pour 100. Il serait superflu de rapporter ici les chiffres relatifs aux universités étrangères : rappelons seulement qu’à l’École de médecine de Paris la moyenne des refusés varie entre 18 et 26 pour 100; à Oxford, ce nombre oscille entre 18 et 38; en Belgique, pour les examens de doctorat, il y a jusqu’à 30 candidats refusés sur 100, et cette proportion monte jusqu’à la moitié pour les examens des élèves universitaires.

Comment l’Italie sortira-t-elle d’une position si contraire à la dignité des études supérieures, si dangereuse pour l’état et pour la société, si désastreuse pour ses finances? Il y a eu toujours, et plus souvent parmi nous qu’ailleurs, des hommes de talent, des érudits, des théoriciens, qui ont imaginé qu’il n’y avait qu’à proclamer la liberté de l’enseignement et à abolir les règlemens pour relever nos universités. Nous n’offenserons point les personnes qui soutiennent une telle opinion en disant qu’elles se placent, par rapport à notre ordre scolaire, dans la même position que les garibaldiens vis-à-vis de l’armée régulière. Nous ne reproduirons pas ici les généralités qu’on connaît sur la liberté d’enseignement : on sait bien que pour les études supérieures cette liberté ne peut fleurir qu’à la faveur d’une grande curiosité scientifique, d’habitudes répandues de travail intellectuel, de rétributions universitaires assez fortes et d’un chiffre élevé de fortune publique. Ce sont des conditions que rencontrent actuellement en Allemagne et en Angleterre les privat-docent et les universités libres. Certainement nous ne devons pas empêcher par nos lois que de semblables institutions se développent parmi nous, nous devons même seconder les efforts privés qui peuvent se produire; mais ce serait une illusion de compter sur cette ressource pour arriver à fortifier nos études et à relever notre enseignement supérieur. A l’heure qu’il est, on ne trouverait en Italie ni une ville, ni une compagnie privée qui voulût fonder à ses frais des établissemens de physique, de physiologie, des écoles de mathématiques, de philologie, d’histoire, etc. Et en tout cas, ce n’est pas un état naissant comme le nôtre, ni une nation à peine formée qui peut compromettre son avenir en se dépouillant entièrement de la haute direction des études supérieures. Il ne s’agit ni de couper les ailes au génie, ni de couler toutes les intelligences dans un même moule, comme le disent nos garibaldiens en matière d’enseignement. Nous avons besoin d’apprendre à nos étudians, mal préparés par les écoles secondaires, peu habitués au travail, ce qui leur est nécessaire pour devenir des magistrats, des médecins, des administrateurs; il faut que nous formions des hommes à l’esprit juste et étendu, et qui aient appris, comme disait l’empereur Napoléon, depuis l’école élémentaire jusqu’à l’université, ce que chacun doit à Dieu, à ses parens, à sa patrie. Le jour où nous serons parvenus (malheureusement nous n’osons encore le croire prochain) à voir chez nous, comme dans les universités allemandes, les jeunes médecins suivre dans les laboratoires des cours d’analyse et de chimie organique, les théologiens se livrer avec ardeur aux études de philologie, alors nous pourrons peut-être impunément jeter à bas les programmes et les règlemens universitaires. Ce n’est pas qu’il soit question ici de renouveler les pratiques pédantesques qui ridiculisaient certaines de nos universités au temps où les jésuites étaient les maîtres de l’instruction publique : nous n’imaginons pas non plus que toutes les universités italiennes doivent suivre rigoureusement les mêmes règles et avoir toutes les mêmes disciplines académiques; mais le premier devoir du gouvernement italien en matière d’enseignement n’en est pas moins d’établir une organisation sur des principes fixes et uniformes, dans l’intérêt de la liberté et de la nation. L’horreur des programmes d’études domine surtout dans l’esprit de certains philosophes. Un hégélien craint peut-être qu’un ministre rosminien ne l’empêche de développer son système, et vice versa. Toutefois, si nous croyons qu’en fait de philosophie un programme rédigé par des maîtres sages et honnêtes peut être utile dans les écoles secondaires, nous pensons que, dans les écoles supérieures, dans les universités, il serait difficile et peu convenable de tracer au professeur son enseignement. Quant aux sciences exactes, aux sciences naturelles, à l’histoire, les programmes sont dans l’essence même de ces sciences, ils ne servent qu’à tracer l’ordre nécessaire suivant lequel il faut les exposer et à en déterminer les limites.

Maintenant que nous avons exposé nos vues sur les écoles universitaires, il sera facile aussi d’indiquer la voie où il nous aurait paru sage d’entrer et de se tenir. Quand nous fûmes appelé par la confiance du roi à diriger l’instruction publique, notre programme était simple : laisser dans quelques villes importantes, aux frais des autorités provinciales, non plus les universités imparfaites qui existent aujourd’hui, mais seulement des facultés de droit ou de médecine, ne conserver qu’un très petit nombre de grandes universités en les complétant sous tous les rapports, fonder dans les grands centres quelques bonnes écoles pratiques pour les ingénieurs et les médecins, agrandir l’école normale classique de Pise et transformer le musée de Florence en une école normale destinée à créer des savans et des professeurs pour les sciences physiques et naturelles. Malheureusement ce programme n’a pu être appliqué que dans une mesure bien étroite. Quelques jours avant la formation du ministère dont je faisais partie, mon prédécesseur avait présenté aux chambres un projet de loi ne concernant que les universités des anciennes provinces, et réduisant d’un tiers les rétributions universitaires. Ce projet était agréable aux étudians; la commission de la chambre chargée de l’examiner lui était favorable. En ce moment éclatèrent les désordres de l’université de Pavie, et un grand relâchement dans la discipline et dans les examens se manifesta à peu près partout. Je n’ai donc plus hésité à me contenter d’une loi qui, sans embrasser toute l’organisation scolaire, établît du moins partout les mêmes rétributions, améliorât la condition des professeurs, et donnât au ministre la faculté d’introduire dans toutes les universités un même système d’études et d’examens.

Le règlement universitaire qui fut dressé pour l’application de cette loi (du 31 juillet 1862) fut mis en vigueur, dès le mois de novembre de la même année, dans toutes les universités du royaume. Bien de plus naturel, surtout dans ces matières et en Italie, que l’opposition qu’a rencontrée çà et là ce règlement en se substituant à des usages anciens, en corrigeant des abus, en améliorant la discipline et en introduisant partout un peu d’ordre et d’uniformité. Nous laisserons de côté cette querelle de famille, à laquelle nous étions préparé, et qui n’aurait jamais dû avoir d’autre conséquence que de faire sentir plus vivement la nécessité de réformes inévitables. Que nos lecteurs nous permettent de rappeler les traits principaux de ce règlement. J’avais choisi pour m’aider des hommes comme l’abbé Peyron, Cibrario, Piria, Ricotti, Tommasi, Brioschi, de Cavour, de Renzi, Moleschott, etc., et je suis heureux de pouvoir ici les remercier du zèle qu’ils ont déployé. Le nouveau règlement corrige l’abus des vacances, autorise les recteurs et les professeurs à faire des appels ou des inscriptions extraordinaires, donne aux conseils académiques et aux recteurs de plus larges attributions, distribue les matières de chaque faculté en un certain nombre d’années, introduit dans les grandes universités les exercices pratiques de chimie, de physiologie, de pharmacie, et fixe un certain nombre de prix ou de pensions qui doivent être donnés annuellement aux jeunes docteurs les plus distingués, pour qu’ils puissent continuer à se perfectionner. La partie la plus substantielle du règlement est celle des examens. Il y a d’abord un examen d’admission ou d’élève universitaire, comme on dit en Belgique, sur des matières différentes suivant les facultés; viennent ensuite les examens spéciaux à la fin de chaque cours, enfin les examens généraux de doctorat, qui comportent une thèse et un examen oral. Les programmes dés examens, rédigés par une commission unique sur les propositions des conseils des universités, sont divisés en chapitres, dont chacun embrasse, comme les chapitres d’un traité, une large somme de connaissances. Nous avons cru que, les examinateurs étant libres de choisir un point quelconque du chapitre, on éviterait ces réponses préparées d’avance, et qui réduisent les examens et les études des derniers mois à un simple exercice de mémoire. L’innovation qui a le plus blessé les soi-disant privilèges ou plutôt les préjugés de certaines universités, est celle des six commissions nommées par le ministre, embrassant six circonscriptions universitaires et chargées de tous les examens de doctorat dans chaque circonscription. Ce système doit permettre cependant au ministre de choisir pour examinateurs les hommes les plus fermes et les plus estimés, et réduire de 3 ou 400 à 120 le nombre des examinateurs.

On a prétendu que la loi du 31 juillet et le règlement universitaire auraient pour effet de détruire tôt ou tard les petites universités. Qu’il suffise d’affirmer que le règlement universitaire n’a produit aucune augmentation dans le budget, et qu’il était impossible d’imaginer d’autres systèmes d’études et d’examens applicables aux institutions imparfaites de l’Italie en matière d’enseignement. Quant aux établissemens d’instruction supérieure et aux écoles spéciales, on a fait tout ce qu’il était permis de faire. On a réorganisé l’école normale de Pise, en lui donnant un directeur actif et intelligent; des professeurs distingués y ont été appelés de Florence. Des jeunes gens venant de toutes les parties de l’Italie en suivent les cours. Le musée de Florence s’est ouvert aussi à des professeurs éminens, parmi lesquels je citerai un des jeunes physiologistes les plus intelligens de notre époque, M. Schiff, chargé d’enseigner dans cet établissement la physiologie et l’anatomie comparée. Nous avons cru aussi qu’un grand centre d’industrie et de richesse agricole comme Milan devait accueillir avec reconnaissance une école spéciale d’ingénieurs, et nos prévisions à cet égard ont été réalisées.

Je ne m’arrêterai pas ici sur les paragraphes du budget italien relatifs aux archives, aux académies, aux corps scientifiques et aux beaux-arts, et dont les dépenses atteignent à peu près 2 millions 1/2. Ce n’est pas qu’il n’y eût beaucoup à faire pour améliorer ces services tout en diminuant les dépenses. Les petits états de la péninsule possédaient tous des galeries, des archives, des sociétés savantes, et si nous n’avions pas des choses plus urgentes à faire, il y aurait à coordonner ces reliques de notre glorieuse histoire suivant des principes uniformes. Dans presque toutes les villes de l’Italie, il y a des recherches historiques à entreprendre que nous ne devrions pas-abandonner aux philologues étrangers ; il y a des monumens et des tableaux à étudier et à conserver. Il serait honteux pour le gouvernement italien de ne pas se montrer jaloux de ces richesses enfouies; nous devrions les laisser exploiter comme des fortunes propres par les différentes provinces, tout en aidant celles-ci des ressources de l’état et en leur donnant une direction commune. C’est dans cette pensée qu’a été fondée à Florence une société d’histoire toscane, comme il en existait déjà une en Piémont, et que des fonds ont été accordés pour assurer la publication de l’Archivio storico de M. Vieusseux. Ces sociétés publient des documens, surveillent et dirigent des recherches archéologiques. Un musée d’antiquités a été également fondé à Milan; mais c’est à Naples et surtout en Sicile qu’il faudrait s’occuper de l’organisation des musées et des archives et donner une grande impulsion aux travaux archéologiques. Malheureusement ce genre d’études exige plus de tranquillité et de sûreté publique que ces belles provinces n’en ont pu avoir jusqu’ici.

Les paragraphes du budget de 1863 relatifs à l’instruction secondaire nous apprennent qu’elle coûte à l’état 4 millions. Si l’on excepte les anciennes provinces et la Lombardie, le reste de l’Italie n’a jamais eu, comme je l’ai déjà dit, une organisation complète de l’instruction secondaire. Cette partie de l’instruction secondaire qu’on appelle professionnelle ou technique n’a été l’objet d’aucune loi dans aucune partie de l’Italie, si ce n’est dans le Piémont. Les États-Romains, la Toscane, les provinces méridionales, ne possédaient que des gymnases avec des cours d’humanités et de rhétorique, auxquels on ajoutait un peu de géométrie, la philosophie, et rarement la physique. Il n’a jamais existé en Italie aucune autre école normale supérieure que celle de Pise, fondée pour dix ou douze élèves appartenant à la Toscane. Selon les lois piémontaises, les professeurs des lycées doivent avoir des degrés académiques pour se présenter aux concours des chaires vacantes, de même qu’il y a des places d’agrégés aspirans aux chaires des universités. Dans le nouveau règlement des facultés de lettres et de philosophie, on a introduit des cours pratiques et des conférences. Évidemment ces moyens sont encore imparfaits et trop au-dessous des besoins de nos écoles secondaires. Il est juste d’ajouter que, bien avant que la liberté d’enseignement fût écrite dans les lois piémontaises, il y a eu dans les Romagnes et en Toscane surtout des écoles secondaires privées et même quelques collèges entièrement confiés à des administrations particulières, à des corporations religieuses ou aux communes; mais jamais ces collèges et ces écoles n’ont été visités par un inspecteur de l’état, jamais le choix des professeurs et la forme des examens n’ont été soumis à une autorité supérieure. Quelques chiffres suffiront pour montrer les tristes conséquences de ce défaut d’organisation dans notre instruction secondaire. Nous avons aujourd’hui 87 lycées, dont 24 seulement sont dans les provinces méridionales, 2 en Sardaigne, et 61 dans le reste de l’Italie. A peu près la moitié de ces établissemens n’a été fondée que dans ces derniers temps, en improvisant en quelque sorte la plus grande partie du corps enseignant. Ces 87 lycées ne sont fréquentés aujourd’hui que par 4,000 élèves, dont à peu près 900 sont de la troisième année et doivent se présenter au dernier examen. Nous avons des lycées qui coûtent à l’état 30 ou 35,000 fr. par an, et qui n’ont que 12 ou 15 élèves. Nous avons en outre 25 instituts techniques, suivis en tout par 6 ou 700 élèves, dont un très petit nombre se prépare pour les écoles spéciales. D’où peuvent donc venir les 2,000 étudians qui entrent chaque année dans nos universités? Dans un rapport célèbre, présenté en 1842 sur l’état de l’instruction secondaire en France, M. Villemain se préoccupait avec raison du degré d’instruction qu’auraient dû recevoir dans les lycées un grand nombre d’employés supérieurs dont on n’exigeait aucun titre académique. En adoptant les chiffres de ce rapport et en les appliquant à l’Italie, qu’on accuse si souvent d’un excès de bureaucratie, nous devrions avoir annuellement 1,500 ou 2,000 places de ce genre à conférer. De quelles écoles sortent-ils donc, les volontaires et les appliqués de nos ministères, de nos préfectures, de nos tribunaux? Mais nous n’avons pas achevé ce triste tableau. En réunissant tous les élèves des gymnases, des lycées et des instituts techniques de tout le royaume, nous ne comptons pas 30,000 élèves, c’est-à-dire 1 élève pour 66 enfans, en état de recevoir l’instruction secondaire. La France, qui n’est pas le pays où cette instruction est le plus répandue, avait déjà du temps de M. Villemain une proportion presque double, 1 sur 35.

Les paragraphes 10 et 11 du budget traitent des écoles normales primaires et de l’instruction élémentaire. Bien avant l’année 1848, le Piémont avait établi des écoles de méthode, ou écoles normales primaires, qui ont fait un grand bien à cette province et plus tard au reste de l’Italie. C’est ainsi que, sous le rapport de l’instruction élémentaire, le Piémont et la Lombardie ne sont pas inférieurs aux états les plus avancés de l’Europe. Malheureusement on ne peut pas en dire autant des Romagnes, de la Toscane et des provinces méridionales, qui ont encore beaucoup de communes où il n’y a pas d’écoles primaires, surtout pour les filles. Les instituteurs sont généralement mal payés, et les écoles magistrales créées à la hâte à Naples et en Sicile n’ont pu produire jusqu’ici que des résultats imparfaits. Sur 3 millions d’enfans qui seraient en âge de suivre les écoles élémentaires, c’est certainement trop peu d’en avoir à peine 1 million. Les provinces méridionales ne figurent dans ce nombre que pour un huitième. La sollicitude des autorités municipales a été éveillée, et des subsides leur ont été fournis pour le développement de l’instruction primaire. Le pays a répondu à cet appel; l’impulsion est donnée, il est certain qu’elle ne s’arrêtera pas. Malgré l’état peu florissant de nos finances, nous sommes sûr.que le parlement italien ne manquera jamais au devoir d’aider nos écoles élémentaires; il nous faut de bons livres pour le peuple, des bibliothèques pour les ouvriers, des bâtimens pour établir des asiles; l’état doit réunir dans cette vue ses efforts à ceux des communes et de la charité privée, et poursuivre de grand cœur, comme on le disait dernièrement dans la Revue même, une sainte campagne contre l’ignorance.

Tel est dans ses principaux aspects, fidèlement indiqués par le budget de 1863, l’état de l’instruction publique en Italie. Si l’étude que nous venons de faire sans craindre d’en appeler souvent à notre propre expérience avait attiré sur la transformation de nos institutions scolaires l’attention des hommes compétens hors de l’Italie comme dans la péninsule, ce serait pour nous la plus douce des récompenses. Quand une vieille société comme la nôtre se trouve en présence d’une révolution politique radicale, et qu’elle doit transformer sans violence ses mœurs et ses institutions, elle ne peut tout achever à la fois. Tout compte fait, nous ne pouvons que remercier la Providence des résultats que l’Italie nouvelle a obtenus depuis trois ans. Faibles par nos divisions, nous n’avons pensé d’abord, après la guerre de 1859, qu’à nous assurer ce grand bienfait de l’indépendance nationale, source unique de la dignité et du bonheur d’un peuple, et que la France nous avait aidés à reconquérir au prix de son sang. Grâce au Piémont et à ses rois guerriers, il y a aujourd’hui une armée italienne. Voici maintenant qu’un grand développement est donné aux travaux publics; la liberté des transactions commerciales porte ses fruits, active la production dans les différentes provinces et rapproche tous les Italiens. Ce réveil de la vie économique, en augmentant la richesse générale, nous permettra de rétablir peu à peu l’équilibre dans nos finances; mais il est temps que l’on se mette sérieusement à organiser l’éducation nationale, il est temps que les communes, les provinces et l’état entreprennent cette œuvre, chacun dans la sphère de ses devoirs et de ses droits. Les générations se pressent, et l’Italie ne pourra ni consolider ses institutions ni prendre sa place parmi les grandes nations modernes sans relever le niveau général de ses études, sans reconquérir son ancienne gloire dans les sciences et dans les lettres.


CH. MATTEUCCI.

  1. L’offre de ces mêmes cadeaux était encore en usage, il y a quelques années, dans l’université de Pise.
  2. Ce système a duré jusqu’à la fin de 1804.
  3. Salle d’honneur, où l’on a inauguré, lors du premier congrès scientifique italien, en 1838, une belle statue de Galilée.
  4. Cette forte organisation de l’université de Turin parait avoir produit un grand effet sur l’empereur Napoléon Ier et n’avoir pas été sans influence sur le système qu’il inaugura en France. Nous trouvons cette impression indiquée par M. Rendu dans le passage suivant de son code universitaire : « Bonaparte passait à Turin. Un jour qu’il parcourait le palais de l’université fondée en 1720 par Victor-Amédée II, il se fit présenter les statuts qui régissaient cette institution. Il y vit quelque chose de grand et de fort qui le frappa. Cette grave autorité qui sous le nom de magistrat de la réforme gouvernait tout le corps enseignant, ce corps lui-même uni par des doctrines communes et librement soumis à des obligations purement civiles qui le consacraient à l’instruction de la jeunesse comme à l’un des principaux services de l’état, cet ordre de professeurs tous choisis parmi des agrégés nommés au concours, cette noble confiance de la puissance souveraine qui donnait au conseil chargé de la direction générale un droit permanent de législation intérieure et de continuel perfectionnement, tout ce plan d’éducation établi sur la base antique et impérissable de la foi chrétienne, tout cela lui plut, et il en garda le souvenir jusqu’au sein de ses triomphes. » Ce remarquable passage, que nous avons voulu reproduire, offre un tableau saisissant de l’antique organisation scolaire du Piémont.
  5. L’Italie ne doit pas oublier les noms de Boncompagni, Cibrario, Cardona, Lanza, Mamiani, etc.