Justine, ou les Malheurs de la vertu/seconde partie-2

« en Hollande chez les Libraires associés » [Girouard, Paris] (p. 63-133).

Je partis de Lyon le lendemain pour prendre la route du Dauphiné toujours remplie du fol eſpoir qu’un peu de bonheur m’attendait dans cette Province. À peine fus-je à deux lieues de Lyon, à pied comme à mon ordinaire, avec une couple de chemiſes & quelques mouchoirs dans mes poches, que je rencontrai une vieille femme qui m’aborda avec l’air de la douleur, & qui me conjura de lui faire l’aumone. Loin de la dureté dont je venais de recevoir d’auſſi cruels exemples, ne connaiſſant de bonheur au monde que celui d’obliger un malheureux, je ſors à l’inſtant ma bourſe à deſſein d’en tirer un écu, & de le donner à cette femme ; mais l’indigne créature bien plus prompte que moi, quoique je l’euſſe d’abord jugée vieille & caſſée, ſaute leſtement ſur ma bourſe, la ſaiſit, me renverſe d’un vigoureux coup de poing dans l’eſtomac, & ne reparaît plus à mes yeux qu’à cent pas de là, entourée de quatre coquins qui me menacent, ſi j’oſe avancer.

Grand Dieu ! m’écriai-je avec amertume, il eſt donc impoſſible que mon ame s’ouvre à aucun mouvement vertueux ſans que j’en ſois à l’inſtant punie par les châtimens les plus ſéveres ! En ce moment fatal tout mon courage m’abandonna : j’en demande aujourd’hui bien ſincerement pardon au Ciel ; mais je fus aveuglée par le déſeſpoir. Je me ſentis prête à quitter la carriere où s’offraient tant d’épines : deux partis ſe préſentaient, celui de m’aller joindre aux fripons qui venaient de me voler, ou celui de retourner à Lyon pour y accepter la propoſition de Saint-Florent. Dieu me fit la grace de ne pas ſuccomber, & quoique l’eſpoir qu’il alluma de nouveau dans moi fût trompeur, puiſque tant d’adverſités m’attendaient encore, je le remercie pourtant de m’avoir ſoutenue : la fatale étoile qui me conduit, quoiqu’innocente, à l’échafaud, ne me vaudra jamais que la mort ; d’autres partis m’euſſent valu l’infamie, & l’un eſt bien moins cruel que le reſte.

Je continue de diriger mes pas vers la ville de Vienne, décidée à y vendre ce qui me reſtait, pour arriver à Grenoble : je marchais triſtement, lorſqu’à un quart-de-lieue de cette ville, j’aperçois dans la plaine, à droite du chemin, deux cavaliers qui foulaient un homme aux pieds de leurs chevaux, & qui, après l’avoir laiſſé comme mort, ſe ſauverent à bride abattue ; ce ſpectacle affreux m’attendrit juſqu’aux larmes. Hélas ! me dis-je, voilà un homme plus à plaindre que moi ; il me reſte au moins la ſanté & la force, je puis gagner ma vie, & ſi ce malheureux n’eſt pas riche, que va-t-il devenir ?

À quelque point que j’euſſe dû me défendre des mouvemens de la commisération : quelque funeſte qu’il fût pour moi de m’y livrer, je ne pus vaincre l’extrême déſir que j’éprouvais de me rapprocher de cet homme, & de lui prodiguer mes ſecours ; je vole à lui, il reſpire par mes ſoins un peu d’eau ſpiritueuſe que je conſervais ſur moi : il ouvre enfin les yeux, & ſes premiers accens ſont ceux de la reconnaiſſance ; encore plus empreſſée de lui être utile, je mets en piece une de mes chemiſes pour panſer ſes bleſſures, pour étancher ſon ſang : un des ſeuls effets qui me reſte, je le ſacrifie pour ce malheureux. Ces premiers ſoins remplis, je lui donne à boire un peu de vin : cet infortuné a tout-à-fait repris ſes ſens ; je l’obſerve & je le diſtingue mieux. Quoiqu’à pied, & dans un équipage aſſez leſte, il ne paraiſſait pourtant pas dans la médiocrité, il avait quelques effets de prix, des bagues, une montre, des boîtes, mais tout cela fort endommagé de ſon aventure. Il me demande, dès qu’il peut parler, quel eſt l’ange bienfaiſant qui lui apporte des ſecours, & ce qu’il peut faire pour lui en témoigner ſa gratitude. Ayant encore la ſimplicité de croire qu’une ame enchaînée par la reconnaiſſance devait être à moi ſans retour, je crois pouvoir jouir en ſûreté du doux plaiſir de faire partager mes pleurs à celui qui vient d’en verſer dans mes bras : je l’inſtruis de mes revers, il les écoute avec intérêt, & quand j’ai fini par la derniere cataſtrophe qui vient de m’arriver, dont le récit lui fait voir l’état de miſere où je me trouve : — que je ſuis heureux, s’écrie-t-il, de pouvoir au moins reconnaître tout ce que vous venez de faire pour moi : je m’appelle Roland, continue cet aventurier, je poſſede un fort beau château dans la montagne, à quinze lieues d’ici, je vous invite à m’y ſuivre ; & pour que cette propoſition n’alarme point votre délicateſſe, je vais vous expliquer tout de ſuite à quoi vous me ſerez utile. Je ſuis garçon, mais j’ai une ſœur que j’aime paſſionnément, qui s’eſt vouée à ma ſolitude, & qui la partage avec moi : j’ai beſoin d’un ſujet pour la ſervir ; nous venons de perdre celle qui rempliſſait cet emploi, je vous offre ſa place. Je remerciai mon protecteur, & pris la liberté de lui demander par quel haſard un homme comme lui s’expoſait à voyager ſans ſuite, & ainſi que cela venait de lui arriver, à être moleſté par des fripons. — Un peu replet, jeune & vigoureux, je ſuis depuis pluſieurs années, me dit Roland, dans l’habitude de venir de chez moi à Vienne de cette maniere. Ma ſanté & ma bourſe y gagnent : ce n’eſt pas que je ſois dans le cas de prendre garde à la dépenſe, car je ſuis riche ; vous en verrez bientôt la preuve, ſi vous me faites l’amitié de venir chez moi ; mais l’économie ne gâte jamais rien. Quant aux deux hommes qui viennent de m’inſulter, ce ſont deux gentillâtres du canton, à qui je gagnai cent louis la ſemaine paſſée, dans une maiſon à Vienne ; je me contentai de leur parole, je les rencontre aujourd’hui, je leur demande mon dû, & voilà comme ils me traitent.

Je déplorais avec cet homme le double malheur dont il était victime, lorſqu’il me propoſa de nous remettre en route : je me ſens un peu mieux, grâce à vos ſoins, me dit Roland ; la nuit s’approche, gagnons une maiſon qui doit être à deux lieues d’ici ; moyennant les chevaux que nous y prendrons demain, nous pourrons arriver chez moi le même ſoir.

Abſolument décidée à profiter des ſecours que le Ciel ſemblait m’envoyer, j’aide Roland à ſe mettre en marche, je le ſoutiens pendant la route, & nous trouvons effectivement à deux lieues de là, l’auberge qu’il avait indiquée. Nous y ſoupons honnêtement enſemble ; après le repas, Roland me recommande à la maitreſſe du logis, & le lendemain ſur deux mules de louage qu’eſcortait un valet de l’auberge, nous gagnons la frontiere du Dauphiné, nous dirigeant toujours vers les montagnes. La traite étant trop longue pour la faire en un jour, nous nous arrêtâmes à Virieu, où j’éprouvai les mêmes ſoins, les mêmes égards de mon patron, & le jour d’enſuite nous continuames notre marche toujours dans la même direction. Sur les quatre heures du ſoir, nous arrivames au pied des montagnes : là, le chemin devenant preſqu’impratiquable, Roland recommanda au muletier de ne pas me quitter de peur d’accident, & nous pénétrames dans les gorges. Nous ne fimes que tourner, monter & deſcendre pendant plus de quatre lieues, & nous avions alors tellement quitté toute habitation & tout chemin frayé, que je me crus au bout de l’univers : un peu d’inquiétude vint me ſaiſir malgré moi ; Roland ne put s’empêcher de le voir, mais il ne diſait mot, & ſon ſilence m’effrayait encore plus. Enfin nous vimes un château perché ſur la crête d’une montagne au bord d’un précipice affreux, dans lequel il ſemblait prêt à s’abîmer : aucune route ne paraiſſait y tenir ; celle que nous ſuivions, ſeulement pratiquée par des chevres, remplie de cailloux de tous côtés, arrivait cependant à cet effrayant repaire, reſſemblant bien plutôt à un aſyle de voleurs qu’à l’habitation de gens vertueux.

Voilà, ma maiſon, me dit Roland, dès qu’il crut que le château avait frappé mes regards, & ſur ce que je lui témoignais mon étonnement de le voir habiter une telle ſolitude ; — c’eſt ce qui me convient, me répondit-il avec bruſquerie : cette réponſe redoubla mes craintes, rien n’échappe dans le malheur ; un mot, une inflexion plus ou moins prononcée chez ceux de qui nous dépendons, étouffe ou ranime l’eſpoir ; mais n’étant plus à même de prendre un parti différent, je me contins. À force de tourner, cette antique mazure ſe trouva tout-à-coup en face de nous : un quart-de-lieue tout au plus, nous en ſéparait encore ; Roland deſcendit de sa mule, & m’ayant dit d’en faire autant, il les rendit toutes deux au valet, le paya & lui ordonna de s’en retourner. Ce nouveau procédé me déplut encore ; Roland s’en aperçut. — Qu’avez-vous, Théreſe, me dit-il, en nous acheminant vers ſon habitation : vous n’êtes point hors de France ; ce château eſt ſur les frontieres du Dauphiné, il dépend de Grenoble. — Soit, Monſieur, répondis-je ; mais comment vous eſt-il venu dans l’eſprit de vous fixer dans un tel coupe-gorge ? — C’eſt que ceux qui l’habitent ne ſont pas des gens très-honnêtes, dit Roland ; il ſerait fort-poſſible que tu ne fuſſes pas édifiée de leur conduite. — Ah ! Monſieur, lui dis-je en tremblant, vous me faites frémir, où me menez-vous donc ? — Je te mene ſervir des faux-monnoyeurs dont je ſuis le chef, me dit Roland, en me ſaiſiſſant par le bras, & me faiſant traverſer de force un petit pont qui s’abaiſſa à notre arrivée, & ſe releva tout de ſuite après ; vois-tu ce puits, continua-t-il, dès que nous fumes entrés, en me montrant une grande & profonde grotte ſituée au fond de la cour, où quatre femmes nues & enchaînées faiſaient mouvoir une roue ; voilà tes compagnes, & voilà ta beſogne, moyennant que tu travailleras journellement dix heures à tourner cette roue, & que tu ſatisferas comme ces femmes tous les caprices auxquels il me plaira de te ſoumettre, il te ſera accordé ſix onces de pain noir & un plat de feves par jour ; pour ta liberté renonces-y ; tu ne l’auras jamais. Quand tu ſeras morte à la peine, on te jettera dans ce trou que tu vois à côté du puits, avec ſoixante ou quatre-vingts autres coquines de ton eſpece qui t’y attendent, & l’on te remplacera par une nouvelle.

Oh ! grand Dieu m’écriai-je en me jettant aux pieds de Roland, daignez vous rappeller, Monſieur, que je vous ai ſauvé la vie ; qu’un inſtant ému par la reconnoiſſance, vous ſemblates m’offrir le bonheur, & que c’eſt en me précipitant dans un abîme éternel de maux que vous acquittez mes ſervices. Ce que vous faites eſt-il juſte, & le remords ne vient-il pas déjà me venger au fond de votre cœur ? — Qu’entends-tu, je te prie, par ce ſentiment de reconnaiſſance dont tu t’imagines m’avoir captivé, dit Roland ? Raiſonne mieux, chetive créature ; que faiſais-tu quand tu vins à mon ſecours ? Entre la poſſibilité de ſuivre ton chemin & celle de venir à moi, n’as-tu pas choiſi le dernier comme un mouvement inſpiré par ton cœur ? Tu te livrais donc à une jouiſſance ? Par où diable prétends-tu que je ſois obligé de te récompenſer des plaiſirs que tu te donnes ? Et comment te vint-il jamais dans l’eſprit, qu’un homme qui, comme moi, nage dans l’or & dans l’opulence, daigne s’abaiſſer à devoir quelque choſe à une miſérable de ton eſpece ? M’euſſes-tu rendu la vie, je ne te devrais rien, dès que tu n’as agi que pour toi : au travail, eſclave, au travail ; apprends que la civiliſation, en bouleverſant les principes de la Nature, ne lui enleve pourtant point ſes droits ; elle créa dans l’origine des êtres forts & des êtres faibles, avec l’intention que ceux-ci fuſſent toujours ſubordonnés aux autres ; l’adreſſe, l’intelligence de l’homme varierent la poſition des individus, ce ne fut plus la force physique qui détermina les rangs, ce fut celle de l’or ; l’homme le plus riche devint le plus fort, le plus pauvre devint le plus faible ; à cela près des motifs qui fondaient la puiſſance, la priorité du fort fut toujours dans les lois de la Nature, à qui il devenait égal que la chaîne qui captivait le faible fût tenue par le plus riche ou par le plus vigoureux, & qu’elle écraſât le plus faible ou bien le plus pauvre ; mais ces mouvemens de reconnaiſſance dont tu veux me compoſer des liens, elle les méconnaît, Théreſe ; il ne fut jamais dans ſes loix que le plaiſir où l’un ſe livrait en obligeant, devint un motif pour celui qui recevait, de ſe relâcher de ſes droits ſur l’autre : vois-tu chez les animaux qui nous ſervent d’exemples, ces ſentimens que tu réclames ? Lorſque je te domine par mes richeſſes ou par ma force, eſt-il naturel que je t’abandonne mes droits, ou parce que tu as joui en m’obligeant, ou parce qu’étant malheureuſe tu t’es imaginée de gagner quelque choſe par ton procédé ? Le ſervice fût-il même rendu d’égal à égal, jamais l’orgueil d’une ame élevée ne ſe laiſſera courber par la reconnaiſſance ; n’eſt-il pas toujours humilié celui qui reçoit ? Et cette humiliation qu’il éprouve ne paye-t-elle pas ſuffiſamment le bienfaiteur, qui par cela ſeul, ſe trouve au-deſſus de l’autre ? N’eſt-ce pas une jouiſſance pour l’orgueil, que de s’élever au-deſſus de ſon ſemblable ? En faut-il d’autre à celui qui oblige ? Et ſi l’obligation, en humiliant celui qui reçoit, devient un fardeau pour lui, de quel droit le contraindre à le garder ? Pourquoi faut-il que je conſente à me laiſſer humilier chaque fois que me frappent les regards de celui qui m’a obligé ? L’ingratitude, au lieu d’être un vice, eſt donc la vertu des ames fieres, auſſi certainement que la reconnaiſſance n’eſt que celle des ames faibles : qu’on m’oblige tant qu’on voudra, ſi l’on y trouve une jouiſſance, mais qu’on n’exige rien pour avoir joui.

À ces mots, auxquels Roland ne me donna pas le temps de répondre, deux valets me ſaiſiſſent par ſes ordres, me dépouillent, & m’enchaînent avec mes compagnes, que je ſuis obligée d’aider tout de ſuite, ſans qu’on me permette ſeulement de me repoſer de la marche fatigante que je viens de faire. Roland m’approche alors, il me manie brutalement ſur toutes les parties que la pudeur défend de nommer, m’accable de ſarcaſmes & d’impertinences relativement à la marque flétriſſante & peu méritée que Rodin avoit empreinte ſur moi, puis s’armant d’un nerf de bœuf toujours là, il m’en applique vingt coups ſur le derriere. — Voilà comme tu ſeras traitée, coquine, me dit-il, lorſque tu manqueras à ton devoir ; je ne te fais pas ceci pour aucune faute déjà commiſe par toi, mais ſeulement pour te montrer comme j’agis avec celles qui en font. Je jette les hauts cris en me débattant ſous mes fers ; mes contorſions, mes hurlemens, mes larmes, les cruelles expreſſions de ma douleur ne ſervent que d’amuſement à mon bourreau… — Ah ! je t’en ferai voir d’autres, Catin, dit Roland, tu n’es pas au bout de tes peines, & je veux que tu connaiſſes juſques aux plus barbares raffinemens du malheur. Il me laiſſe.

Six réduits obſcurs ſitués ſous une grotte autour de ce vaſte puits, & qui ſe fermaient comme des cachots, nous ſervaient de retraite pendant la nuit. Comme elle arriva peu après que je fus à cette funeſte chaîne, on vint me détacher ainſi que mes compagnes, & l’on nous renferma après nous avoir donné la portion d’eau, de feve & de pain dont Roland m’avait parlé.

À peine fus-je ſeule, que je m’abandonnai tout-à-l’aiſe à l’horreur de ma ſituation. Eſt-il poſſible, me diſais-je, qu’il y ait des hommes aſſez durs pour étouffer en eux le ſentiment de la reconnaiſſance ?… Cette vertu où je me livrerais avec tant de charmes, ſi jamais une ame honnête me mettait dans le cas de la ſentir, peut-elle donc être méconnue de certains êtres, & ceux qui l’étouffent avec autant d’inhumanité, doivent-ils être autre choſe que des monſtres ?

J’étais plongée dans ces réflexions, lorſque tout-à-coup j’entends ouvrir la porte de mon cachot ; c’eſt Roland : le ſcélérat vient achever de m’outrager en me faiſant ſervir à ſes odieux caprices : vous ſuppoſez aiſément, Madame, qu’ils devaient être auſſi féroces que ses procédés, & que les plaiſirs de l’amour dans un tel homme, portaient néceſſairement les teintes de ſon odieux caractere. Mais comment abuſer de votre patience pour vous raconter ces nouvelles horreurs ? N’ai-je pas déjà trop ſouillé votre imagination par d’infames récits ? Dois-je en haſarder de nouveaux ? — Oui, Théreſe, dit Monſieur de Corville, oui, nous exigeons de vous ces détails, vous les gazez avec une décence qui en émouſſe toute l’horreur, il n’en reſte que ce qui eſt utile à qui veut connaître l’homme ; on n’imagine point combien ces tableaux ſont utiles au développement de ſon ame ; peut-être ne ſommes-nous encore auſſi ignorans dans cette ſcience, que par la ſtupide retenue de ceux qui voulurent écrire ſur ces matieres. Enchaînés par d’abſurdes craintes, ils ne nous parlent que de ces puérilités connues de tous les ſots, & n’oſent, portant une main hardie dans le cœur humain, en offrir à nos yeux les giganteſques égaremens. — Eh bien ! Monſieur, je vais vous obéir, reprit Théreſe émue, & me comportant comme je l’ai déjà fait, je tâcherai d’offrir mes eſquiſſes ſous les couleurs les moins révoltantes.

Roland, qu’il faut d’abord vous peindre, était un homme petit, replet, âgé de trente-cinq ans, d’une vigueur incompréhenſible, velu comme un ours, la mine ſombre, le regard féroce, fort brun, des traits mâles, un nez long, la barbe juſqu’aux yeux, des ſourcils noirs & épais, & cette partie qui différencie les hommes de notre ſexe, d’une telle longueur & d’une groſſeur ſi démeſurée, que non-ſeulement jamais rien de pareil ne s’était offert à mes yeux, mais qu’il était même abſolument certain que jamais la Nature n’avait rien fait d’auſſi prodigieux ; mes deux mains l’enlaçaient à peine, & ſa longueur était celle de mon avant-bras. À ce phyſique, Roland joignait tous les vices qui peuvent être les fruits d’un tempérament de feu, de beaucoup d’imagination, & d’une aiſance toujours trop conſidérable pour ne l’avoir pas plongé dans de grands travers. Roland achevait ſa fortune, ſon pere qui l’avait commencée l’avait laiſſé fort-riche, moyennant quoi ce jeune homme avait déjà beaucoup vécu : blaſé ſur les plaiſirs ordinaires, il n’avait plus recours qu’à des horreurs ; elles ſeules parvenaient à lui rendre des déſirs épuiſés par trop de jouiſſances ; les femmes qui le ſervaient étaient toutes employées à ſes débauches ſecrettes, & pour ſatisfaire à des plaiſirs un peu moins malhonnêtes dans leſquels ce libertin pût néanmoins trouver le ſel du crime qui le délectait mieux que tout ; Roland avait ſa propre ſœur pour maîtreſſe, & c’était avec elle qu’il achevait d’éteindre les paſſions qu’il venait allumer près de nous.

Il était preſque nud quand il entra ; ſon viſage très-enflammé portait à-la-fois des preuves de l’intempérance de table où il venait de ſe livrer, & de l’abominable luxure qui le dévorait ; il me conſidere un inſtant avec des yeux qui me font frémir. — Quitte ces vêtemens, me dit-il, en arrachant lui-même ceux que j’avais repris pour me couvrir pendant la nuit… oui, quitte tout cela & ſuis-moi ; je t’ai fait ſentir tantôt ce que tu riſquerais en te livrant à la pareſſe ; mais s’il te prenait envie de nous trahir, comme le crime ſerait bien plus grand, il faudrait que la punition s’y proportionnât ; viens donc voir de quelle eſpece elle ſerait. J’étais dans un état difficile à peindre, mais Roland ne donnant point à mon ame le temps d’éclater, me ſaiſit auſſitôt par le bras, & m’entraîne ; il me conduiſait de la main droite, de la gauche il tenait une petite lanterne dont nous étions faiblement éclairés ; après pluſieurs détours nous nous trouvons à la porte d’une cave ; il l’ouvre, & me faiſant paſſer la premiere, il me dit de deſcendre pendant qu’il referme cette premiere clôture ; j’obéis : à cent marches nous en trouvons une ſeconde qui s’ouvre & ſe referme de la même maniere ; mais après celle-ci il n’y avait plus d’eſcalier, c’était un petit chemin taillé dans le roc ; rempli de ſinuoſités, & dont la pente était extrêmement roide ; Roland ne diſait mot ; ce ſilence m’effrayait encore plus, il nous éclairait de ſa lanterne ; nous voyageames ainſi près d’un quart d’heure : l’état dans lequel j’étais me faiſait reſſentir encore plus vivement l’horrible humidité de ces ſouterrains ; nous étions enfin ſi fort deſcendus, que je ne crains pas d’exagérer en aſſurant que l’endroit où nous arrivâmes devait être à plus de huit cens pieds dans les entrailles de la terre ; de droite & de gauche du ſentier que nous parcourions, étaient pluſieurs niches où je vis des coffres qui renfermaient les richeſſes de ces malfaiteurs : une derniere porte de bronze ſe préſente enfin, Roland l’ouvre, & je penſai tomber à la renverſe, en apercevant l’affreux local où me conduiſait ce mal-honnête homme ; me voyant fléchir, il me pouſſe rudement, & je me trouve ainſi, ſans le vouloir, au milieu de cet affreux ſépulcre, Repréſentez-vous, Madame, un caveau rond, de vingt-cinq pieds de diametre, dont les murs tapiſſés de noir n’étaient décorés que des plus lugubres objets, des ſquélettes de toute ſorte de tailles, des oſſemens en ſautoir, des têtes de morts, des faiſceaux de verges & de fouets, des ſabres, des poignards, des piſtolets : telles étaient les horreurs qu’on voyait ſur les murs qu’éclairait une lampe à trois méches, ſuſpendue à l’un des coins de la voûte ; du ceintre partait une longue corde qui tombait à huit ou dix pieds de terre au milieu de ce cachot, & qui, comme vous allez bientôt le voir, n’était là que pour ſervir à d’affreuſes expéditions : à droite était un cercueil qu’entr’ouvrait le ſpectre de la mort armé d’une faulx menaçante ; un prie-dieu était à côté ; on voyait un crucifix au-deſſus, placé entre deux cierges noirs ; à gauche l’effigie en cire d’une femme nue, ſi naturelle que j’en fus long-temps la dupe ; elle était attachée à une croix, elle y était poſée ſur la poitrine, de façon qu’on voyait amplement toutes ſes parties poſtérieures, mais cruellement moleſtées ; le ſang paraiſſait ſortir de pluſieurs plaies, & couler le long de ſes cuiſſes ; elle avait les plus beaux cheveux du monde, ſa belle tête était tournée vers nous, & ſemblait implorer ſa grâce : on diſtinguait toutes les contorſions de la douleur imprimées ſur ſon beau viſage, & juſqu’aux larmes qui l’inondaient : à l’aſpect de cette terrible image, je penſai perdre une ſeconde fois mes forces ; le fond du caveau était occupé par un vaſte canapé noir, duquel ſe développaient aux regards toutes les atrocités de ce lugubre lieu.

Voilà où vous périrez, Théreſe, me dit Roland, ſi vous concevez jamais la fatale idée de quitter ma maiſon ; oui, c’eſt ici que je viendrai moi-même vous donner la mort, que je vous en ferai ſentir les angoiſſes par tout ce qu’il me ſera poſſible d’inventer de plus dur. En prononçant cette menace, Roland s’enflamma ; ſon agitation, ſon déſordre le rendaient ſemblable au tigre prêt à dévorer ſa proie : ce fut alors qu’il mit au jour le redoutable membre dont il était pourvu ; il me le fit toucher, me demanda ſi j’en avais vu de ſemblable. — Tel que le voilà, Catin, me dit-il en fureur, il faudra pourtant bien qu’il s’introduiſe dans la partie la plus étroite de ton corps, duſſé-je te fendre en deux ; ma ſœur bien plus jeune que toi le ſoutient dans cette même partie ; jamais je ne jouis différemment des femmes : il faudra donc qu’il te pourfende auſſi, & pour ne pas me laiſſer de doute ſur le local qu’il voulait dire, il y introduiſait trois doigts armés d’ongles fort-longs, en me diſant : — oui, c’eſt là, Théreſe, c’eſt là que j’enfoncerai tout-à-l’heure ce membre qui t’effraie ; il y entrera de toute ſa longueur, il te déchirera, il te mettra en ſang & je ſerai dans l’ivreſſe. Il écumait en diſant ces mots entremêlés de juremens & de blaſphêmes odieux. La main dont il effleurait le temple qu’il paraiſſait vouloir attaquer, s’égara alors ſur toutes les parties adjacentes ; il les égratignait, il en fit autant à ma gorge, il me la meurtrit tellement que j’en ſouffris quinze jours des douleurs horribles. Enſuite il me plaça ſur le bord du canapé, frotta d’eſprit de vin cette mouſſe dont la Nature orna l’autel où notre eſpece ſe régénere ; il y mit le feu & la brûla. Ses doigts ſaiſirent l’excroiſſance de chair qui couronne ce même autel, il le froiſſa rudement, il introduiſit de-là ſes doigts dans l’intérieur, & ſes ongles moleſtaient la membrane qui le tapiſſe. Ne ſe contenant plus, il me dit que puiſqu’il me tenait dans ſon repaire, il valait tout autant que je n’en ſortiſſe plus, que cela lui éviterait la peine de m’y redeſcendre ; je me précipitai à ſes genoux, j’oſai lui rappeler encore les ſervices que je lui avais rendus… Je m’aperçus que je l’irritais davantage en reparlant des droits que je me ſuppoſais à ſa pitié ; il me dit de me taire, en me renverſant ſur le carreau d’un coup de genou appuyé de toute ſa force dans le creux de mon eſtomac. — Allons ! me dit-il, en me relevant par les cheveux, allons ! prépare-toi, il eſt certain que je vais t’immoler… — Oh Monſieur ! — Non, non, il faut que tu périſſes ; je ne veux plus m’entendre reprocher tes petits bienfaits ; j’aime à ne rien devoir à perſonne, c’eſt aux autres à tenir tout de moi… Tu vas mourir, te dis-je, place-toi dans ce cercueil, que je voie ſi tu pourras y tenir. Il m’y porte, il m’y enferme, puis ſort du caveau, & fait ſemblant de me laiſſer là. Je ne m’étais jamais crue ſi près de la mort ; hélas ! elle allait pourtant s’offrir à moi ſous un aſpect encore plus réel. Roland revient, il me ſort du cercueil ; — tu ſeras au mieux là-dedans, me dit-il, on dirait qu’il eſt fait pour toi ; mais t’y laiſſer finir tranquillement, ce ſerait une trop belle mort ; je vais t’en faire ſentir une d’un genre différent & qui ne laiſſe pas que d’avoir auſſi ſes douceurs : allons ! implore ton Dieu, Catin, prie-le d’accourir te venger, s’il en a vraiment la puiſſance… Je me jette ſur le prie-dieu, & pendant que j’ouvre à haute voix mon cœur à l’Éternel, Roland redouble ſur les parties poſtérieures que je lui expoſe, ſes vexations & ſes ſupplices, d’une maniere plus cruelle encore ; il flagellait ces parties de toute ſa force avec un martinet armé de pointes d’acier, dont chaque coup faiſait jaillir mon ſang juſqu’à la voûte. — Eh bien ! continuait-il en blaſphémant, il ne te ſecoure pas ton Dieu, il laiſſe ainſi ſouffrir la vertu malheureuſe, il l’abandonne aux mains de la ſcélérateſſe ; ah ! quel Dieu, Théreſe, quel Dieu que ce Dieu-là ; viens, me dit-il enſuite, viens, Catin, ta priere doit être faite ; & en même temps il me place ſur l’eſtomac, au bord du canapé qui faiſait le fond de ce cabinet ; je te l’ai dit, Théreſe, il faut que tu meures ! Il ſe ſaiſit de mes bras, il les lie ſur mes reins, puis il paſſe autour de mon cou, un cordon de ſoie noire dont les deux extrémités, toujours tenues par lui, peuvent, en ſe ſerrant à ſa volonté, comprimer ma reſpiration & m’envoyer en l’autre monde, dans le plus ou le moins de temps qu’il lui plaira.

Ce tourment eſt plus doux que tu ne penſes, Théreſe, me dit Roland ; tu ne ſentiras la mort que par d’inexprimables ſenſations de plaiſir ; la compreſſion que cette corde opérera ſur la maſſe de tes nerfs va mettre en feu les organes de la volupté ; c’eſt un effet certain ; ſi tous les gens condamnés à ce ſupplice ſavaient dans quelle ivreſſe il fait mourir, moins effrayés de cette punition de leurs crimes, ils les commettraient plus ſouvent & avec bien plus d’aſſurance ; cette délicieuſe opération, Théreſe, comprimant de même le local où je vais me placer (ajoute-t-il en ſe préſentant à une route criminelle, ſi digne d’un tel ſcélérat) va doubler auſſi mes plaiſirs. Mais c’eſt envain qu’il cherche à la frayer ; il a beau préparer les voies, trop monſtrueuſement proportionné pour réuſſir, ſes entrepriſes ſont toujours repouſſées ; c’eſt alors que ſa fureur n’a plus de bornes ; ſes ongles, ſes mains, ſes pieds ſervent à le venger des réſiſtances que lui oppoſe la Nature : il ſe préſente de nouveau, le glaive en feu gliſſe aux bords du canal voiſin, & de la vigueur de la ſecouſſe y pénétre de près de moitié ; je jette un cri ; Roland furieux de l’erreur ſe retire avec rage, & pour cette fois frappe l’autre porte avec tant de vigueur, que le dard humecté s’y plonge en me déchirant. Roland profite des ſuccès de cette premiere ſecouſſe ; ſes efforts deviennent plus violens ; il gagne du terrain ; à meſure qu’il avance, le fatal cordon qu’il m’a paſſé autour du cou ſe reſſerre, je pouſſe des hurlemens épouvantables ; le feroce Roland qu’ils amuſent m’engage à les redoubler, trop sûr de leur inſuffiſance trop maître de les arrêter quand il le voudra ; il s’enflamme à leurs ſons aigus ; cependant l’ivreſſe eſt prête à s’emparer de lui, les compreſſions du cordon ſe modulent ſur les degrés de ſon plaiſir ; peu-à-peu mon organe s’éteint ; les ſerremens alors deviennent ſi vifs que mes ſens s’affaibliſſent ſans perdre néanmoins la ſenſibilité ; rudement ſecouée par le membre énorme dont Roland déchire, mes entrailles, malgré l’affreux état dans lequel je ſuis, je me ſens inondée des jets de ſa luxure ; j’entends encore les cris qu’il pouſſe en les verſant ; un inſtant de ſtupidité ſuccéda, je ne ſais ce que je devins, mais bientôt mes yeux ſe r’ouvrent à la lumiere, je me trouve libre, dégagée, & mes organes ſemblent renaître. — Eh bien ! Théreſe, me dit mon bourreau, je gage que ſi tu veux être vraie, tu n’as ſenti que du plaiſir ? — Que de l’horreur, Monſieur, que des dégoûts, que des angoiſſes & du déſeſpoir. — Tu me trompes, je connais les effets que tu viens d’éprouver, mais quels qu’ils ayent été, que m’importe, tu dois, je l’imagine, me connaître aſſez pour être bien ſûre que ta volupté m’inquiéte infiniment moins que la mienne dans ce que j’entreprends avec toi, & cette volupté que je recherche a été ſi vive, que je vais m’en procurer encore les inſtans.

C’eſt de toi maintenant, Théreſe, me dit cet inſigne libertin, c’eſt de toi ſeule que tes jours vont dépendre. Il paſſe alors autour de mon cou, cette corde qui pendait au plafond ; dès qu’elle y eſt fortement arrêtée, il lie au tabouret ſur lequel je poſais les pieds & qui m’avait élevée juſques-là, une ficelle dont il tient le bout, & va ſe placer ſur un fauteuil en face de moi : dans mes mains eſt une ſerpe tranchante dont je dois me ſervir pour couper la corde au moment où par le moyen de la ficelle qu’il tient, il fera trébucher le tabouret ſous mes pieds. — Tu le vois, Théreſe, me dit-il alors, ſi tu manques ton coup, je ne manquerai pas le mien ; je n’ai donc pas tort de te dire que tes jours dépendent de toi. Il s’excite ; c’eſt au moment de l’on ivreſſe qu’il doit tirer le tabouret dont la fuite me laiſſe pendue au plafond ; il fait tout ce qu’il peut pour feindre cet inſtant ; il ſerait aux nues, ſi je manquais d’adreſſe ; mais il a beau faire, je le devine, la violence de ſon extaſe le trahit, je lui vois faire le fatal mouvement, le tabouret s’échappe, je coupe la corde, & tombe à terre ; entièrement dégagée, là, quoiqu’à plus de douze pieds de lui, le croiriez-vous, Madame, je ſens tout mon corps inondé des preuves de ſon délire & de ſa frénéſie.

Une autre que moi, profitant de l’arme qu’elle ſe trouvait entre les mains, ſe fût ſans doute jetée ſur ce monſtre ; mais à quoi m’eût ſervi ce trait de courage, n’ayant pas les clefs de ces ſouterrains, en ignorant les détours, je ſerais morte avant que d’en avoir pu ſortir ; d’ailleurs Roland était armé ; je me relevai donc, laiſſant l’arme à terre afin qu’il ne conçût même pas ſur moi le plus léger ſoupçon, il n’en eut point ; il avait ſavouré le plaiſir dans toute ſon étendue, & content de ma douceur, de ma réſignation bien plus peut-être que de mon adreſſe, il me fit ſigne de ſortir, & nous remontames.

Le lendemain j’examinai mieux mes compagnes, ces quatre filles étaient de vingt-cinq à trente ans ; quoiqu’abruties par la miſere & déformées par l’excès des travaux, elles avaient encore des reſtes de beautés ; leur taille était belle, & la plus jeune appellée Suzanne, avec des yeux charmans, avait encore de très-beaux cheveux ; Roland l’avait priſe à Lyon, il avait eu ſes prémices, & après l’avoir enlevée à ſa famille, ſous les ſermens de l’épouſer, il l’avait conduite dans cet affreux château ; elle y était depuis trois ans, & plus particulierement encore que ſes compagnes, l’objet des férocités de ce monſtre : à force de coups de nerf de bœuf, ſes feſſes étoient devenues calleuſes & dures comme le ſerait une peau de vache deſſéchée au ſoleil ; elle avait un cancer au ſein gauche, & un abcès dans la matrice, qui lui cauſait des douleurs inouies, tout cela était l’ouvrage du perfide Roland ; chacune de ces horreurs était le fruit de ſes lubricités.

Ce fut elle qui m’apprit que Roland était à la veille de ſe rendre à Veniſe, ſi les ſommes conſidérables qu’il venait de faire dernierement paſſer en Eſpagne lui rapportaient les lettres de change qu’il attendait pour l’Italie, parce qu’il ne voulait point porter ſon or au-delà des monts ; il n’y en envoyait jamais : c’était dans un pays différent de celui où il ſe propoſait d’habiter, qu’il faiſait paſſer les fauſſes eſpeces ; par ce moyen ne ſe trouvant riche dans le lieu où il voulait ſe fixer, que des papiers d’un autre royaume, ſes friponneries ne pouvaient jamais ſe découvrir. Mais tout pouvait manquer dans un inſtant, & la retraite qu’il méditait, dépendait abſolument de cette derniere négociation, où la plus grande partie de ſes tréſors était compromiſe. Si Cadix acceptait ſes piaſtres, ſes ſequins, ſes louis faux, & lui envoyait ſur cela des lettres ſur Veniſe, Roland était heureux le reſte de ſa vie ; ſi la fraude était découverte, un ſeul jour ſuffiſait à culbuter le frêle édifice de ſa fortune.

— Hélas ! dis-je en apprenant ces particularités, la providence ſera juſte une fois, elle ne permettra pas les ſuccès d’un tel monſtre, & nous ſerons toutes vengées… Grand Dieu ! Après l’experience que j’avais acquiſe, était-ce à moi de raiſonner ainſi !

Vers midi on nous donnait deux heures de repos dont nous profitions pour aller toujours ſéparément reſpirer & dîner dans nos chambres ; à deux heures on nous rattachait & l’on nous faiſait travailler juſqu’à la nuit ; ſans qu’il nous fût jamais permis d’entrer dans le château ; ſi nous étions nues, c’était non-ſeulement à cauſe de la chaleur, mais plus encore afin d’être mieux à même de recevoir les coups de nerf de bœuf que venait de temps en temps nous appliquer notre farouche maître : l’hiver, on nous donnait un pantalon & un gilet tellement ſerrés ſur la peau, que nos corps n’en étaient pas moins expoſés aux coups d’un ſcélérat dont l’unique plaiſir était de nous rouer.

Huit jours ſe paſſerent ſans que je viſſe Roland ; le neuvieme, il parut à notre travail, & prétendant que Suzanne & moi tournions la roue avec trop de moleſſe, il nous diſtribua trente coups de nerf de bœuf à chacune depuis le milieu des reins juſqu’aux gras de jambes.

À minuit de ce même jour, le vilain homme vint me trouver dans mon cachot, & s’enflammant du ſpectacle de ſes cruautés, il introduiſit encore ſa terrible maſſue dans l’antre ténébreux que je lui expoſais par la poſture où il me tenait en conſidérant les veſtiges de ſa rage. Quand ſes paſſions furent aſſouvies, je voulus profiter de l’inſtant de calme pour le ſupplier d’adoucir mon ſort. Hélas ! j’ignorais que ſi dans de telles ames le moment du délire rend plus actif le penchant qu’elles ont à la cruauté, le calme ne les en ramene pas davantage pour cela aux douces vertus de l’honnête homme ; c’eſt un feu plus ou moins embraſé par les alimens dont on le nourrit, mais qui ne brûle pas moins quoique ſous la cendre,

— Et de quel droit, me répondit Roland, prétends-tu que j’allege tes chaînes ? Eſt-ce en raiſon des fantaiſies que je veux bien me paſſer avec toi ? Mais vais-je à tes pieds demander des faveurs de l’accord deſquelles tu puiſſes implorer quelques dédommagemens ? Je ne te demande rien, je prends, & je ne vois pas que, de ce que j’uſe d’un droit ſur toi, il doive en réſulter qu’il me faille abſtenir d’en exiger un ſecond ; il n’y a point d’amour dans mon fait : l’amour eſt un ſentiment chevalereſque ſouverainement mépriſé par moi, & dont mon cœur ne ſentit jamais les atteintes ; je me ſers d’une femme par néceſſité, comme on ſe ſert d’un vaſe rond & creux dans un beſoin différent ; mais n’accordant jamais à cet individu, que mon argent & mon autorité ſoumettent à mes déſirs, ni eſtime ni tendreſſe ; ne devant ce que j’enleve qu’à moi-même, & n’exigeant jamais de lui que de la ſoumiſſion, je ne puis être tenu d’après cela à lui accorder aucune gratitude. Je demande à ceux qui voudraient m’y contraindre, ſi un voleur qui arrache la bourſe d’un homme dans un bois, parcequ’il ſe trouve plus fort que lui, doit quelque reconnaiſſance à cet homme du tort qu’il vient de lui cauſer ; il en eſt de même de l’outrage fait à une femme, ce peut être un titre pour lui en faire un ſecond ; mais jamais une raiſon ſuffiſante pour lui accorder des dédommagemens. — Oh ! Monſieur, lui dis-je, à quel point vous portez la ſcélérateſſe ! — Au dernier période, me répondit Roland ; il n’eſt pas un ſeul écart dans le monde où je ne me ſois livré, pas un crime que je n’aie commis, & pas un que mes principes n’excuſent ou ne légitiment ; j’ai reſſenti ſans ceſſe au mal une ſorte d’attrait qui tournait toujours au profit de ma volupté ; le crime allume ma luxure ; plus il eſt affreux, plus il m’irrite ; je jouis en le commettant de la même ſorte de plaiſir que les gens ordinaires ne goûtent que dans la lubricité, & je me ſuis trouvé cent fois, penſant au crime, m’y livrant, ou venant de le commettre, abſolument dans le même état qu’on eſt auprès d’une belle femme nue ; il irritait mes ſens dans le même genre, & je le commettais pour m’enflammer, comme on s’approche d’un bel objet dans les intentions de l’impudicité. — Oh ! Monſieur, ce que vous dites eſt affreux, mais j’en ai vu des exemples. — Il en eſt mille, Théreſe.

Il ne faut pas s’imaginer que ce ſoit la beauté d’une femme qui irrite le mieux l’eſprit d’un libertin, c’eſt bien plutôt l’eſpece de crime qu’ont attaché les loix à ſa poſſeſſion : la preuve en eſt que plus cette poſſeſſion eſt criminelle & plus on en eſt enflammé ; l’homme qui jouit d’une femme qu’il dérobe à ſon mari, d’une fille qu’il enleve à ſes parens, eſt bien plus délecté ſans doute, que le mari qui ne jouit que de ſa femme, & plus les liens qu’on briſe paraiſſent reſpectables, plus la volupté s’agrandit. Si c’eſt ſa mere, ſi c’eſt ſa ſœur, ſi c’eſt ſa fille, nouveaux attraits aux plaiſirs éprouvés ; a-t-on goûté tout cela, on voudroit que les digues s’accruſſent encore pour donner plus de peines & plus de charmes à les franchir : or, ſi le crime aſſaiſonne une jouiſſance, détaché de cette jouiſſance, il peut donc en être une lui-même ; il y aura donc alors une jouiſſance certaine dans le crime ſeul ? Car il eſt impoſſible que ce qui prête du ſel, n’en ſoit pas très-pourvu ſoi-même. Ainſi, je le ſuppoſe, le rapt d’une fille pour ſon propre compte donnera un plaiſir très-vif, mais le rapt pour le compte d’un autre donnera tout le plaiſir dont la jouiſſance de cette fille ſe trouvait améliorée par le rapt ; le rapt d’une montre, d’une bourſe en donneront également, & ſi j’ai accoutumé mes ſens à ſe trouver émus de quelque volupté au rapt d’une fille, en tant que rapt, ce même plaiſir, cette même volupté ſe retrouvera au rapt de la montre, à celui de la bourſe, &c. ; & voilà ce qui explique la fantaiſie de tant d’honnêtes gens qui volaient ſans en avoir beſoin. Rien de plus ſimple, de ce moment-là, & que l’on goûte les plus grands plaiſirs à tout ce qui ſera criminel, & que l’on rende par tout ce que l’on pourra imaginer, les jouiſſances ſimples auſſi criminelles qu’il ſera poſſible de les rendre ; on ne fait en ſe conduiſant ainſi, que prêter à cette jouiſſance la doſe de ſel qui lui manquait & qui devenait indiſpenſable à la perfection du bonheur : ces ſyſtêmes mènent loin, je le ſais, peut-être même te le prouverai-je avant peu, Théreſe, mais qu’importe pourvu qu’on jouiſſe. Y avait-il, par exemple, chere fille, quelque choſe de plus ſimple & de plus naturel que de me voir jouir de toi ? Mais tu t’y oppoſes, tu me demandes que cela ne ſoit pas ; il ſemblerait par les obligations que je t’ai, que je duſſe t’accorder ce que tu exiges ; cependant je ne me rends à rien, je n’écoute rien, je briſe tous les nœuds qui captivent les ſots, je te ſoumets à mes déſirs, & de la plus ſimple, de la plus monotone jouiſſance, j’en fais une vraiment délicieuſe ; ſoumets-toi donc, Théreſe, ſoumets-toi ; & ſi jamais tu reviens au monde ſous le caractere du plus fort, abuſe de même de tes droits, & tu connaîtras de tous les plaiſirs le plus vif & le plus piquant.

Roland, ſortit en diſant ces mots, & me laiſſa dans des réflexions qui, comme vous croyez bien, n’étaient pas à ſon avantage.

Il y avait ſix mois que j’étais dans cette maiſon ſervant de temps en temps aux inſignes débauches de ce ſcélérat, lorſque je le vis entrer un ſoir dans ma priſon avec Suzanne. — Viens, Théreſe, me dit-il, il y a long-temps, ce me ſemble, que je ne t’ai fait deſcendre dans ce caveau qui t’a tant effrayée, ſuivez-y-moi toutes les deux, mais ne vous attendez pas à remonter de même, il faut abſolument que j’en laiſſe une, nous verrons ſur laquelle tombera le ſort ; je me leve, je jette des yeux alarmés ſur ma compagne, je vois des pleurs rouler dans les ſiens,… nous marchons.

Dès que nous fumes enfermées dans le ſouterrain, Roland nous examina toutes deux avec des yeux féroces, il ſe plaiſait à nous redire notre arrêt, & à nous bien convaincre l’une & l’autre qu’il en reſterait aſſurément une des deux. — Allons, dit-il en s’aſſeyant, & nous faiſant tenir droites devant lui, travaillez chacune à votre tour au déſenchantement de ce perclus, & malheur à celle qui lui rendra ſon énergie. — C’eſt une injuſtice, dit Suzanne, celle qui vous irritera le mieux doit être celle qui doit obtenir ſa grâce. — Point du tout, dit Roland, dès qu’il ſera prouvé que c’eſt elle qui m’enflamme le mieux, il devient conſtant que c’eſt elle dont la mort me donnera le plus de plaiſir… & je ne viſe qu’au plaiſir. D’ailleurs en accordant la grâce à celle qui va m’enflammer le plutôt, vous y procéderiez l’une & l’autre avec une telle ardeur, que vous plongeriez peut-être mes ſens dans l’extaſe avant que le ſacrifice ne fût conſommé, & c’eſt ce qu’il ne faut pas. — C’eſt vouloir le mal pour le mal, Monſieur, dis-je à Roland, le complément de votre extaſe doit être la ſeule choſe que vous deviez déſirer, & ſi vous y arrivez ſans crime, pourquoi voulez-vous en commettre ? — Parce que je n’y parviendrai délicieuſement qu’ainſi, & parceque je ne deſcends dans ce caveau que pour en commettre un. Je ſais parfaitement bien que j’y réuſſirais ſans cela, mais je veux ça pour y réuſſir ; & pendant ce dialogue m’ayant choiſie pour commencer, je l’excite d’une main par devant, de l’autre par derriere, tandis qu’il touche à loiſir toutes les parties de mon corps qui lui ſont offertes au moyen de ma nudité. — Il s’en faut encore de beaucoup, Théreſe, me dit-il en touchant mes feſſes, que ces belles chairs-là ſoient dans l’état de calloſité, de mortification où voilà celles de Suzanne ; on brûlerait celles de cette chere fille, qu’elle ne le ſentirait pas ; mais toi, Théreſe, mais toi… ce ſont encore des roſes qu’entrelacent des lis : nous y viendrons, nous y viendrons.

Vous n’imaginez pas, Madame, combien cette menace me tranquilliſa : Roland ne ſe doutait pas ſans doute, en la faiſant, du calme qu’il répandait dans moi, mais n’était-il pas clair que puiſqu’il projettait de me ſoumettre à de nouvelles cruautés, il n’avait pas envie de m’immoler encore : je vous l’ai dit, Madame, tout frappe dans le malheur, & dès-lors je me raſſurai. Autre ſurcroît de bonheur ! Je n’opérais rien, & cette maſſe énorme mollement repliée ſous elle-même réſiſtait à toutes mes ſecouſſes ; Suzanne dans la même attitude était palpée dans les mêmes endroits ; mais comme les chairs étaient bien autrement endurcies, Roland ménageait beaucoup moins ; Suzanne était pourtant plus jeune. — Je ſuis perſuadé, diſait notre perſécuteur, que les fouets les plus effrayans ne parviendraient pas maintenant à tirer une goutte de ſang de ce cul-là. Il nous fit courber l’une & l’autre, & s’offrant par notre inclination les quatre routes du plaiſir, ſa langue frétilla dans les deux plus étroites ; le vilain cracha dans les autres ; il nous reprit par devant, nous fit mettre à genoux entre ſes cuiſſes, de façon que nos deux gorges ſe trouvaſſent à hauteur de ce que nous excitions en lui. — Oh ! pour la gorge, dit Roland, il faut que tu le cèdes à Suzanne ; jamais tu n’eus d’auſſi beaux tétons ; tiens, vois comme c’eſt fourni, & il preſſait, en diſant cela, le ſein de cette malheureuſe juſqu’à le meurtrir dans ſes doigts. Ici, ce n’était plus moi qui l’excitais, Suzanne m’avait remplacée ; à peine s’était-il trouvé dans ſes mains que le dard s’élançant du carquois menaçait déjà vivement tout ce qui l’entourait. — Suzanne, dit Roland, voilà d’effrayans ſuccès… C’eſt ton arrêt, Suzanne ; je le crains, continuait cet homme féroce en lui pinçant, en lui égratignant les mamelles. Quant aux miennes il les ſuçait & les morcillait ſeulement. Il place enfin Suzanne à genoux ſur le bord du ſopha, il lui fait courber la tête, & jouit d’elle en cette attitude, de la maniere affreuſe qui lui eſt naturelle : réveillée par de nouvelles douleurs, Suzanne ſe débat, & Roland qui ne veut qu’eſcarmoucher, content de quelques courſes, vient ſe réfugier dans moi au même temple où il a ſacrifié chez ma compagne qu’il ne ceſſe de vexer, de moleſter pendant ce temps-là. — Voilà une Catin qui m’excite cruellement, me dit-il, je ne ſçais ce que je voudrais lui faire. — Oh ! Monſieur, dis-je, ayez pitié d’elle ; il eſt ; impoſſible que ſes douleurs ſoient plus vives. — Oh ! que ſi, dit le ſcélérat… On pourrait… Ah ! ſi j’avais ici ce fameux Empereur Kié l’un des grands ſcélérats que la Chine ait vus ſur ſon trône[1], nous ferions bien autre choſe vraiment. Entre ſa femme & lui, immolant chaque jour des victimes, tous deux, dit-on, les faiſaient vivre vingt-quatre heures, dans les plus cruelles angoiſſes de la mort, & dans un tel état de douleur qu’elles étaient toujours prêtes à rendre l’ame ſans pouvoir y réuſſir par les ſoins cruels de ces monſtres qui les faiſant flotter de ſecours en tourmens, ne les rappellaient cette minute-ci à la lumiere, que pour leur offrir la mort celle d’après… Moi, je ſuis trop doux, Théreſe, je n’entends rien à tout cela, je ne ſuis qu’un écolier. Roland ſe retire ſans terminer le ſacrifice, & me fait preſqu’autant de mal par cette retraite précipitée, qu’il m’en avait fait en s’introduiſant. Il ſe jette dans les bras de Suzanne, & joignant le ſarcaſme à l’outrage : — aimable créature, lui dit-il, comme je me rappelle avec délices les premiers inſtans de notre union ; jamais femme ne me donna des plaiſirs plus vifs ; jamais je n’en aimai comme toi… Embraſſons-nous, Suzanne, nous allons nous quitter, pour bien longtemps peut-être. — Monſtre, lui dit ma compagne en le repouſſant avec horreur, éloigne-toi ; ne joins pas aux tourmens que tu m’infliges le déſeſpoir d’entendre tes horribles propos ; tigre, aſſouvis ta rage, mais reſpecte au moins mes malheurs. Roland la prit, il la coucha ſur le canapé les cuiſſes très-ouvertes, & l’atelier de la génération abſolument à ſa portée. — Temple de mes anciens plaiſirs, s’écria cet infâme, vous qui m’en procurâtes de ſi doux quand je cueuillis vos premieres roſes, il faut bien que je vous faſſe auſſi mes adieux… Le ſcélérat ! il y introduiſit ſes ongles, & farfouillant avec, pluſieurs minutes, dans l’intérieur, pendant leſquelles Suzanne jettait les hauts cris, il ne les retira que couverts de ſang. Raſſaſié de ces horreurs, & ſentant bien qu’il ne lui était plus poſſible de ſe contenir, — allons, Théreſe, me dit-il, allons, chere fille, dénouons tout ceci par une petite ſcène du jeu de coupe-corde[2] ; tel était le nom de cette funeſte plaiſanterie, dont je vous ai fait la deſcription, la premiere fois que je vous parlai du caveau de Roland. Je monte ſur le trépied, le vilain homme m’attache la corde au col, il ſe place en face de moi ; Suzanne, quoique dans un état affreux, l’excite de ſes mains ; au bout d’un inſtant, il tire le tabouret ſur lequel mes pieds poſent, mais armée de la cerpe, la corde eſt auſſitôt coupée & je tombe à terre ſans nul mal. — Bien, bien, dit Roland toi, Suzanne, tout eſt dit, & je te fais grâce ſi tu t’en tires avec autant d’adreſſe.

Suzanne eſt miſe à ma place. Oh, Madame, permettez que je vous déguiſe les détails de cette affreuſe ſcène… La malheureuſe n’en revint pas.

— Sortons, Théreſe, me dit Roland ; tu ne rentreras plus dans ces lieux que ce ne ſoit ton tour. — Quand vous voudrez, Monſieur, quand vous voudrez, répondis-je ; je préfere la mort à l’affreuſe vie que vous me faites mener. Sont-ce des malheureuſes comme nous à qui la vie peut encore être chere… & Roland me renferma dans mon cachot. Mes compagnes me demanderent le lendemain ce qu’était devenue Suzanne, je le leur appris ; elles ne s’en étonnerent point ; toutes s’attendaient au même ſort, & toutes, à mon exemple, y voyant le terme de leurs maux, le déſiraient avec empreſſement.

Deux ans ſe paſſerent ainſi, Roland dans ſes débauches ordinaires, moi dans l’horrible perſpective d’une mort cruelle, lorſque la nouvelle ſe répandit enfin dans le château, que non-ſeulement les déſirs de notre maître étaient ſatisfaits, que non-ſeulement il recevait pour Veniſe la quantité immenſe de papier qu’il en avait déſiré, mais qu’on lui redemandait même encore six millions de fauſſes eſpeces dont on lui ferait paſſer les fonds à ſa volonté pour l’Italie ; il était impoſſible que ce ſcélérat fit une plus belle fortune, il partait avec plus de deux millions de rentes, ſans les eſpérances qu’il pouvait concevoir : tel étoit le nouvel exemple que la Providence me préparait. Telle était la nouvelle maniere dont elle voulait encore me convaincre que la proſpérité n’était que pour le Crime, & l’infortune pour la Vertu.

Les choſes étaient dans cet état lorſque Roland vint me chercher pour deſcendre une troiſieme fois dans le caveau. Je frémis en me rappellant les menaces qu’il m’avait faites la derniere fois que nous y étions allés. — Raſſure-toi, me dit-il, tu n’as rien à craindre, il s’agit de quelque choſe qui ne concerne que moi… Une volupté ſinguliere dont je veux jouir & qui ne te fera courir nuls riſques. Je le ſuis. Dès que toutes les portes ſont fermées, — Théreſe, me dit Roland, il n’y a que toi dans la maiſon à qui j’oſe me confier pour ce dont il s’agir ; il me fallait une très-honnête femme… je n’ai vu que toi, je l’avoue, je te préfère même à ma ſœur… pleine de ſurpriſe, je le conjure de s’expliquer. — Écoute-moi, me dit-il ; ma fortune eſt faite, mais quelques faveurs que j’aie reçues du ſort, il peut m’abandonner d’un inſtant à l’autre ; je puis être guété, je puis être ſaiſi dans le tranſport que je vais faire de mes richeſſes, & ſi ce malheur m’arrive, ce qui m’attend, Théreſe, c’eſt la corde ; c’eſt le même plaiſir que je me plais à faire goûter aux femmes, qui me ſervira de punition ; je ſuis convaincu, autant qu’il eſt poſſible de l’être, que cette mort eſt infiniment plus douce qu’elle n’eſt cruelle ; mais comme les femmes à qui j’en ai fait éprouver les premieres angoiſſes n’ont jamais voulu être vraies avec moi, c’eſt ſur mon propre individu que j’en veux connaître la ſenſation. Je veux ſavoir par mon expérience même, s’il n’eſt pas très-certain que cette compreſſion détermine dans celui qui l’éprouve le nerf érecteur à l’éjaculation ; une fois perſuadé que cette mort n’eſt qu’un jeu, je la braverai bien plus courageuſement, car ce n’eſt pas la ceſſation de mon exiſtence qui m’effraie : mes principes ſont faits ſur cela, & bien perſuadé que la matiere ne peut jamais redevenir que matiere, je ne crains pas plus l’enfer que je n’attends le paradis ; mais j’appréhende les tourmens d’une mort cruelle ; je ne voudrais pas ſouffrir en mourant : eſſayons donc. Tu me feras tout ce que je t’ai fait ; je vais me mettre nu ; je monterai ſur le tabouret, tu lieras la corde, je m’exciterai un moment, puis dès que tu verras les choſes prendre une ſorte de conſiſtance, tu retireras le tabouret, & je reſterai pendu ; tu m’y laiſſeras juſqu’à ce que tu voyes ou l’émiſſion de ma ſemence ou des ſimptômes de douleur ; dans ce ſecond cas, tu me détacheras ſur-le-champ ; dans l’autre tu laiſſeras agir la Nature, & tu ne me détacheras qu’après. Tu le vois, Théreſe, je vais mettre ma vie dans tes mains, ta liberté, ta fortune tel ſera le prix de ta bonne conduite. — Ah, Monſieur, répondis-je, il y a de l’extravagance à cette propoſition. — Non, Théreſe, je l’exige, répondit-il en ſe déshabillant, mais conduis-toi bien ; vois quelle preuve je te donne de ma confiance & de mon eſtime ! — À quoi m’eût-il ſervi de balancer ? N’était-il pas maître de moi ! D’ailleurs il me paraiſſait que le mal que j’allais faire ſerait auſſitôt réparé par l’extrême ſoin que je prendrais pour lui conſerver la vie ; j’en allais être maîtreſſe de cette vie, mais quelles que puſſent être ſes intentions vis-à-vis de moi, ce ne ſerait aſſurément que pour la lui rendre.

Nous nous diſpoſons ; Roland s’échauffe par quelques-unes de ſes careſſes ordinaires ; il monte ſur le tabouret, je l’accroche ; il veut que je l’invective pendant ce temps-là, que je lui reproche toutes les horreurs de ſa vie, je le fais ; bientôt ſon dard menace le Ciel, lui même me fait ſigne de retirer le tabouret, j’obéis ; le croirez-vous, Madame, rien de ſi vrai que ce qu’avait cru Roland : ce ne furent que des ſymptômes de plaiſir qui ſe peignirent ſur ſon viſage, & preſqu’au même inſtant des jets rapides de ſemence s’élancerent à la voûte. Quand tout eſt répandu, ſans que je l’aie aidé en quoi que ce pût être, je vole le dégager, il tombe évanoui, mais à force de ſoins je lui ai bientôt fait reprendre ſes ſens. — Oh, Théreſe, me dit-il en r’ouvrant les yeux, on ne ſe figure point ces ſenſations ; elles ſont au-deſſus de tout ce qu’on peut dire : qu’on faſſe maintenant de moi ce que l’on voudra, je brave le glaive de Thémis. Tu vas me trouver encore bien coupable envers la reconnaiſſance, Théreſe, me dit Roland en m’attachant les mains derriere le dos, mais que veux-tu, ma chere, on ne ſe corrige point à mon âge… Chere créature, tu viens de me rendre à la vie, & je n’ai jamais ſi fortement conſpiré contre la tienne ; tu as plaint le ſort de Suzanne, eh bien ! je vais te réunir à elle ; je vais te plonger vive dans le caveau où elle expira. Je ne vous peindrai point mon état, Madame, vous le concevez ; j’ai beau pleurer, beau gémir, on ne m’écoute plus. Roland ouvre le caveau fatal, il y deſcend une lampe afin que j’en puiſſe encore mieux diſcerner la multitude de cadavres dont il eſt rempli, il paſſe enſuite une corde ſous mes bras, liés, comme je vous l’ai dit, derriere mon dos, & par le moyen de cette corde, il me deſcend à vingt pieds du fond de ce caveau & à environ trente de celui où il était : je ſouffrois horriblement dans cette poſition, il ſemblait que l’on m’arrachât les bras. De quelle frayeur ne devais-je pas être ſaiſie, & quelle perſpective s’offrait à moi ! Des monceaux de corps morts au milieu deſquels j’allais finir mes jours & dont l’odeur m’infectait déjà. Roland arrête la corde à un bâton fixé en travers du trou, puis armé d’un couteau, je l’entends qui s’excite. — Allons, Théreſe, me dit-il, recommande ton ame à Dieu, l’inſtant de mon délire ſera celui où je te jetterai dans ce ſépulchre, où je te plongerai dans l’éternel abîme qui t’attend ; ah… ah… Théreſe, ah… & je ſentis ma tête couverte des preuves de ſon extaze ſans qu’il eût heureuſement coupé la corde : il me retire. — Eh bien ! me dit-il, as-tu eu peur ? — Ah, Monſieur ! — C’eſt ainſi que tu mourras, Théreſe, ſois-en ſûre, & j’étais bien aiſe de t’y accoutumer. Nous remontâmes… Devais-je me plaindre, devais-je me louer ? Quelle récompenſe de ce que je venais encore de faire pour lui ! Mais le monſtre n’en pouvait-il pas faire davantage ? Ne pouvait-il pas me faire perdre la vie ? Oh quel homme !

Roland enfin prépara ſon départ, il vint me voir la veille à minuit ; je me jette à ſes pieds, je le conjure avec les plus vives inſtances de me rendre la liberté, & d’y joindre le peu qu’il voudrait d’argent pour me conduire juſqu’à Grenoble. — À Grenoble ! Aſſurément non, Théreſe, tu nous y dénoncerais. — Eh bien, Monſieur, lui dis-je en arroſant ſes genoux de mes larmes, je vous fais ſerment de n’y jamais aller, & pour vous en convaincre, daignez me conduire avec vous juſqu’à Veniſe ; peut-être n’y trouverai-je pas des cœurs auſſi durs que dans ma patrie, & une fois que vous aurez bien voulu m’y rendre, je vous jure ſur tout ce qu’il y a de plus ſaint, de ne vous y jamais importuner.

Je ne te donnerai pas un ſecours, pas un ſou, me répondit durement cet inſigne Coquin ; tout ce qui tient à la pitié, à la commiſération, à la reconnaiſſance, eſt ſi loin de mon cœur, que fuſſé-je trois fois plus riche que je ne le ſuis, on ne me verrait pas donner un écu à un pauvre ; le ſpectacle de l’infortune m’irrite, il m’amuſe, & quand je ne peux pas faire de mal moi-même, je jouis avec délices de celui que fait la main du ſort. J’ai des principes ſur cela dont je ne m’écarterai point, Théreſe ; le pauvre eſt dans l’ordre de la Nature ; en créant les hommes de forces inégales, elle nous a convaincus du déſir qu’elle avait que cette inégalité ſe conſervât même dans les changemens que notre civiliſation apporterait à ſes loix : ; ſoulager l’indigent eſt anéantir l’ordre établi ; c’eſt s’oppoſer à celui de la Nature, c’eſt renverſer l’équilibre qui eſt la baſe de ſes plus ſublimes arrangemens ; c’eſt travailler à une égalité dangereuſe pour la ſociété ; c’eſt encourager l’indolence & la fainéantiſe, c’eſt apprendre au pauvre à voler l’homme riche, quand il plaira à celui-ci de refuſer ſon ſecours, & cela par l’habitude où ces ſecours auront mis le pauvre de les obtenir ſans travail. — Oh ! Monſieur, que ces principes ſont durs ! Parleriez-vous de cette maniere, ſi vous n’aviez pas toujours été riche ? — Cela ſe peut, Théreſe, chacun a ſa façon de voir, telle eſt la mienne, & je n’en changerai pas. On ſe plaint des mendians en France : ſi l’on voulait il n’y en aurait bientôt plus ; on n’en aurait pas pendu ſept ou huit mille que cette infâme engeance diſparaîtrait bientôt. Le Corps politique doit avoir ſur cela les mêmes régles que le Corps phyſique. Un homme dévoré de vermine la laiſſerait-il ſubſiſter ſur lui par commiſération ? Ne déracinons-nous pas dans nos jardins la plante paraſite qui nuit au végétal utile ? Pourquoi donc dans ce cas-ci vouloir agir différemment ? — Mais la religion, m’écriai-je, Monſieur, la bienfaiſance, l’humanité… — ſont les pierres d’achoppement de tout ce qui prétend au bonheur, dit Roland ; ſi j’ai conſolidé le mien, ce n’eſt que ſur les débris de tous ces infâmes préjugés de l’homme ; c’eſt en me moquant des loix divines & humaines ; c’eſt en ſacrifiant toujours le faible quand je le trouvais dans mon chemin ; c’eſt en abuſant de la bonne-foi publique ; c’eſt en ruinant le pauvre & volant le riche, que je ſuis parvenu au temple eſcarpé de la divinité que j’encenſais ; que ne m’imitais-tu ? La route étroite de ce temple s’offrait à tes yeux comme aux miens ; les vertus chimériques que tu leur as préférées t’ont-elles conſolée de tes ſacrifices ! Il n’eſt plus temps, malheureuſe, il n’eſt plus temps, pleure ſur tes fautes, ſouffre & tâche de trouver, ſi tu peux, dans le ſein des phantômes que tu réveres, ce que le culte que tu leur as rendu t’a fait perdre. Le cruel Roland à ces mots ſe précipite ſur moi, & je ſuis encore obligée de ſervir aux indignes voluptés d’un monſtre que j’abhorrais avec tant de raiſon ; je crus cette fois qu’il m’étranglerait : quand ſa paſſion fut ſatisfaite, il prit le nerf de bœuf & m’en donna plus de cent coups ſur tout le corps, m’aſſurant que j’étais bien heureuſe de ce qu’il n’avait pas le temps d’en faire davantage.

Le lendemain, avant de partir, ce malheureux nous donna une nouvelle ſcène de cruauté & de barbarie, dont les annales des Andronic, des Néron, des Tibere, des Venceſlas ne fourniſſent aucun exemple. Tout le monde croyait au château que la ſœur de Roland partirait avec lui, il l’avait fait habiller en conſéquence ; au moment de monter à cheval, il la conduit vers nous, voilà ton poſte, vile créature, lui dit-il, en lui ordonnant de ſe mettre nue, je veux que mes camarades ſe ſouviennent de moi en leur laiſſant pour gage, la femme dont ils me croyent le plus épris ; mais comme il n’en faut qu’un certain nombre ici, que je vais faire une route dangereuſe dans laquelle mes armes me ſeront peut-être utiles, il faut que j’eſſaie mes piſtolets ſur l’une de ces coquines ; en diſant cela, il en arme un, le préſente ſur la poitrine de chacune de nous, & revenant enfin à ſa ſœur, — va, lui dit-il, Catin, en lui brûlant la cervelle, va dire au diable que Roland le plus riche des ſcélérats de la terre eſt celui qui brave le plus inſolemment & la main du Ciel & la ſienne ! Cette infortunée qui n’expira pas tout de ſuite ſe débattit long-temps ſous ſes fers : ſpectacle horrible que cet infâme Coquin conſidere de ſang-froid & dont il ne s’arrache enfin qu’en s’éloignant pour toujours de nous.

Tout changea dès le lendemain du départ de Roland. Son ſucceſſeur homme doux & plein de raiſon nous fit à l’inſtant relâcher. — Ce n’eſt point là l’ouvrage d’un ſexe faible & délicat, nous dit-il avec bonté ; c’eſt à des animaux à ſervir cette machine ; le métier que nous faiſons eſt aſſez criminel, ſans offenſer encore l’Être ſuprême par des atrocités gratuites. Il nous établit dans le château, & me mit, ſans rien exiger de moi, en poſſeſſion des ſoins que rempliſſait la ſœur de Roland ; les autres femmes furent occupées à la taille des piéces de monnoie, métier bien moins fatigant ſans doute & dont elles étaient pourtant récompenſées, ainſi que moi, par de bonnes chambres & une excellente nourriture.

Au bout de deux mois, Dalville ſucceſſeur de Roland nous apprit l’heureuſe arrivée de ſon confrere à Veniſe ; il y était établi, il y avait réaliſé ſa fortune, & y jouiſſait de tout le repos, de tout le bonheur dont il avait pu ſe flatter. Il s’en fallut bien que le ſort de celui qui le remplaçait fût le même. Le malheureux Dalville était honnête dans ſa profeſſion, c’en était plus qu’il ne fallait pour être promptement écraſé.

Un jour que tout était tranquille au château, que ſous les loix de ce bon maître, le travail, quoique criminel, s’y faiſait pourtant avec gaieté, les portes ſont enfoncées, les foſſés eſcaladés, & la maiſon, avant que nos gens aient le temps de ſonger à leur défenſe, ſe trouve remplie de plus de ſoixante cavaliers de Maréchauſſée. Il fallut ſe rendre ; il n’y avait pas moyen de faire autrement. On nous enchaîne comme des bêtes ; on nous attache ſur des chevaux & l’on nous conduit à Grenoble. Oh Ciel ! me dis-je en y entrant, c’eſt donc l’échafaud qui va faire mon ſort dans cette ville où j’avais la folie de croire que le bonheur devait naître pour moi… Ô preſſentimens de l’homme, comme vous êtes trompeurs !

Le procès des faux-monnoyeurs fut bientôt jugé ; tous furent condamnés à être pendus ; lorſqu’on vit la marque que je portais, on s’évita preſque la peine de m’interroger, & j’allais être traitée comme les autres, quand j’eſſayai d’obtenir enfin quelque pitié du Magiſtrat fameux, honneur de ce tribunal, juge intégre, citoyen chéri, philoſophe éclairé, dont la ſageſſe & la bienfaiſance graveront à jamais au temple de Thémis le nom célebre en lettres d’or. Il m’écouta ; convaincu de ma bonne-foi & de la vérité de mes malheurs, il daigna mettre à mon procès un peu plus d’attention que ſes confrères… Ô grand homme, je te dois mon hommage, la reconnaiſſance d’une infortunée ne ſera point onéreuſe pour toi, & le tribut qu’elle t’offre, en faiſant connaître ton cœur, ſera toujours la plus douce jouiſſance du ſien.

Monſieur S*** devint mon Avocat lui-même ; mes plaintes furent entendues, & ſa mâle éloquence éclaira les eſprits. Les dépoſitions générales des faux-monnoyeurs qu’on allait exécuter, vinrent appuyer le zèle de celui qui voulait bien s’intéreſſer à moi : je fus déclarée ſéduite, innocente, pleinement déchargée d’accuſation, avec une entière liberté de devenir ce que je voudrais ; mon protecteur joignit à ces ſervices, celui de me faire obtenir une quête qui me valut plus de cinquante louis ; enfin je voyais luire à mes yeux l’aurore du bonheur ; enfin mes preſſentimens ſemblaient ſe réaliſer, & je me croyais au terme de mes maux, quand il plut à la Providence de me convaincre que j’en étais encore bien loin.

Au ſortir de priſon je m’étais logée dans une auberge en face du pont de l’Iſere, du côté des Faubourgs, où l’on m’avait aſſurée que je ſerais honnêtement. Mon intention d’après le conſeil de Monſieur S*** était d’y reſter quelque tems pour eſſayer de me placer dans la ville, ou m’en retourner à Lyon, ſi je ne réuſſiſſais pas avec des lettres de recommandation que Monſieur S*** avait la bonté de m’offrir. Je mangeais dans cette auberge à ce qu’on appelle la table d’hôte, lorſque je m’aperçus le ſecond jour que j’étais extrêmement obſervée par une groſſe Dame fort-bien miſe, qui ſe faiſait donner le titre de Baronne : à force de l’examiner à mon tour, je crus la reconnaître, nous nous avançâmes mutuellement l’une vers l’autre ; nous nous embraſſames comme deux perſonnes qui ſe ſont connues, mais qui ne peuvent ſe rappeller où.

Enfin la Baronne me tirant à l’écart. — Théreſe, me dit-elle, me trompé-je ? n’êtes-vous pas celle que je ſauvai il y a dix ans de la conciergerie, & ne remettez-vous point la Dubois ? Peu flattée de cette découverte, j’y réponds pourtant avec politeſſe, mais j’avais affaire à la femme la plus fine & la plus adroite qu’il y eût en France, il n’y eut pas moyen d’échapper. La Dubois me combla de politeſſes, elle me dit qu’elle s’était intéreſſée à mon ſort avec toute la ville, mais que ſi elle avait ſu que cela m’eût regardée, il n’y eût ſorte de démarches qu’elle n’eût faites auprès des Magiſtrats parmi leſquels pluſieurs étaient, prétendait-elle, de ſes amis. Faible à mon ordinaire, je me laiſſai conduire dans la chambre de cette femme, & lui racontai mes malheurs. — Ma chere amie, me dit-elle en m’embraſſant encore, ſi j’ai déſiré de te voir plus intimement, c’eſt pour t’apprendre que ma fortune eſt faite, & que tout ce que j’ai eſt à ton ſervice ; regarde, me dit-elle en m’ouvrant des caſſettes pleines d’or & de diamans, voilà les fruits de mon induſtrie ; ſi j’euſſe encenſé la Vertu comme toi, je ſerais aujourd’hui enfermée ou pendue. — Ô Madame, lui dis-je, ſi vous ne devez tout cela qu’à des crimes, la Providence qui finit toujours par être juſte, ne vous en laiſſera pas jouir long-temps. — Erreur, me dit la Dubois, ne t’imagine pas que la Providence favoriſe toujours la Vertu ; qu’un court inſtant de proſpérité ne t’aveugle pas à ce point. Il eſt égal au maintien des loix de la Providence que Paul ſuive le mal, pendant que Pierre ſe livre au bien ; il faut à la Nature une ſomme égale de l’un & de l’autre, & l’exercice du crime plutôt que celui de la vertu eſt la choſe du monde qui lui eſt le plus indifférente ; écoute, Théreſe, écoute-moi avec un peu d’attention, continua cette corruptrice en s’aſſeyant & me faiſant placer à ſes côtés ; tu as de l’eſprit, mon enfant, & je voudrois enfin te convaincre.

Ce n’eſt pas le choix que l’homme fait de la Vertu, qui lui fait trouver le bonheur, chere fille, car la vertu n’eſt, comme le vice, qu’une des manieres de ſe conduire dans le monde ; il ne s’agit donc pas de ſuivre plutôt l’un que l’autre ; il n’eſt queſtion que de marcher dans la route générale ; celui qui s’en écarte a toujours tort ; dans un monde entierement vertueux, je te conſeillerais la vertu, parce que les récompenſes y étant attachées, le bonheur y tiendrait infailliblement : dans un monde totalement corrompu, je ne te conſeillerai jamais que le vice. Celui qui ne ſuit pas la route des autres, périt inévitablement ; tout ce qu’il rencontre le heurte, & comme il eſt le plus faible, il faut néceſſairement qu’il ſoit briſé. C’eſt envain que les loix veulent rétablir l’ordre & ramener les hommes à la vertu ; trop prévaricatrices pour l’entreprendre, trop inſuffiſantes pour y réuſſir, elles écarteront un inſtant du chemin battu, mais elles ne le feront jamais quitter. Quand l’intérêt général des hommes les portera à la corruption, celui qui ne voudra pas ſe corrompre avec eux, luttera donc contre l’intérêt général ; or, quel bonheur peut attendre celui qui contrarie perpétuellement l’intérêt des autres ? Me diras-tu que c’eſt le vice qui contrarie l’intérêt des hommes ? Je te l’accorderais dans un monde compoſé d’une égale partie de bons & de méchants, parce qu’alors l’intérêt des uns choque viſiblement celui des autres ; mais ce n’eſt plus cela dans une ſociété toute corrompue ; mes vices alors, n’outrageant que le vicieux, déterminent dans lui d’autres vices qui le dédommagent, & nous nous trouvons tous les deux heureux. La vibration devient générale ; c’eſt une multitude de chocs & de léſions mutuelles où chacun regagnant auſſitôt ce qu’il vient de perdre, ſe retrouve ſans ceſſe dans une poſition heureuſe. Le vice n’eſt dangereux qu’à la Vertu qui, faible & timide, n’oſe jamais rien entreprendre ; mais quand elle n’exiſte plus ſur la terre, quand ſon faſtidieux règne eſt fini, le vice alors n’outrageant plus que le vicieux, fera éclore d’autres vices, mais n’altérera plus de vertus. Comment n’aurais-tu pas échoué mille fois dans ta vie, Théreſe, en prenant ſans ceſſe à contre-ſens la route que ſuivait tout le monde ? Si tu t’étais livrée au torrent, tu aurais trouvé le port comme moi. Celui qui veut remonter un fleuve, parcourra-t-il dans un même jour autant de chemin que celui qui le deſcend ? Tu me parles toujours de la Providence ; eh ! qui te prouve que cette Providence aime l’ordre, & par conſéquent la vertu ? Ne te donne-t-elle pas ſans ceſſe des exemples de ſes injuſtices & de ſes irrégularités ? Eſt-ce en envoyant aux hommes la guerre, la peſte & la famine, eſt-ce en ayant formé un univers vicieux dans toutes ſes parties, qu’elle manifeſte à tes yeux ſon amour extrême pour le bien ? Pourquoi veux-tu que les individus vicieux lui déplaiſent, puiſqu’elle n’agit elle-même que par des vices ; que tout eſt vice & corruption dans ſes œuvres ; que tout eſt crime & déſordre dans ſes volontés ? Mais de qui tenons-nous d’ailleurs ces mouvemens qui nous entraînent au mal ? n’eſt-ce pas ſa main qui nous les donne ? eſt-il une ſeule de nos ſenſations qui ne vienne d’elle ? un ſeul de nos deſirs qui ne ſoit ſon ouvrage ? eſt-il donc raiſonnable de dire qu’elle nous laiſſerait, ou nous donnerait des penchans pour une choſe qui lui nuirait, ou qui lui ſerait inutile ? ſi donc les vices lui ſervent, pourquoi voudrions-nous y réſiſter ? de quel droit travaillerions-nous à les détruire ? & d’où vient étoufferions-nous leur voix ? Un peu plus de philoſophie dans le monde remettrait bientôt tout dans l’ordre, & ferait voir aux Magiſtrats, aux Légiſlateurs, que les crimes qu’ils blâment & puniſſent avec tant de rigueur, ont quelquefois un degré d’utilité bien plus grand que ces vertus qu’ils prêchent, ſans les pratiquer eux-mêmes & ſans jamais les récompenſer.

— Mais quand je ſerais aſſez faible, Madame, répondis-je, pour embraſſer vos affreux ſyſtêmes, comment parviendriez-vous à étouffer le remords qu’ils feraient à tout inſtant naître dans mon cœur ? — Le remords eſt une chimere, me dit la Dubois ; il n’eſt, ma chere Théreſe, que le murmure imbécille de l’ame aſſez timide pour n’oſer pas l’anéantir. — L’anéantir ! le peut-on ? — Rien de plus aiſé ; on ne ſe repent que de ce qu’on n’eſt pas dans l’uſage de faire ; renouvelez ſouvent ce qui vous donne des remords, & vous les éteindrez bientôt ; oppoſez-leur le flambeau des paſſions, les loix puiſſantes de l’intérêt, vous les aurez bientôt diſſipés. Le remords ne prouve pas le crime, il dénote ſeulement une ame facile à ſubjuguer ; qu’il vienne un ordre abſurde de t’empêcher de ſortir à l’inſtant de cette chambre, tu n’en ſortiras pas ſans remords, quelque certain qu’il ſoit que tu ne feras pourtant aucun mal à en ſortir. Il n’eſt donc pas vrai qu’il n’y ait que le crime qui donne des remords. En ſe convainquant du néant des crimes, de la néceſſité dont ils ſont, eu égard au plan général de la Nature, il ſerait donc poſſible de vaincre auſſi facilement le remords qu’on ſentirait après les avoir commis, comme il te le deviendrait d’étouffer celui qui naîtrait de ta ſortie de cette chambre après l’ordre illégal que tu aurais reçu d’y reſter. Il faut commencer par une analyſe exacte de tout ce que les hommes appellent crime ; par ſe convaincre que ce n’eſt que l’infraction à leurs loix & à leurs mœurs nationales, qu’ils caractériſent ainſi ; que ce qu’on appelle crime en France, ceſſe de l’être à deux cents lieues de-là ; qu’il n’eſt aucune action qui ſoit réellement conſidérée comme crime univerſellement ſur la terre ; aucune qui, vicieuſe ou criminelle ici, ne ſoit louable & vertueuſe à quelques milles de-là ; que tout eſt affaire d’opinion, de géographie, & qu’il eſt donc abſurde de vouloir s’aſtreindre à pratiquer des vertus qui ne ſont que des vices ailleurs, & à fuir des crimes qui ſont d’excellentes actions dans un autre climat. Je te demande maintenant ſi je peux d’après ces réflexions, conſerver encore des remords, pour avoir par plaiſir, ou par intérêt, commis en France un crime qui n’eſt qu’une vertu à la Chine ; ſi je dois me rendre très-malheureuſe, me gêner prodigieuſement afin de pratiquer en France des actions qui me feraient brûler à Siam ? Or, ſi le remords n’eſt qu’en raiſon de la défenſe, s’il ne naît que des débris du frein & nullement de l’action commiſe, eſt-ce un mouvement bien ſage à laiſſer ſubſiſter en ſoi ? n’eſt-il pas ſtupide de ne pas l’étouffer auſſitôt ? Qu’on s’accoutume à conſidérer comme indifférente l’action qui vient de donner des remords ; qu’on la juge telle par l’étude réfléchie des mœurs & coutumes de toutes les Nations de la terre ; en conſéquence de ce travail, qu’on renouvelle cette action, telle qu’elle ſoit, auſſi ſouvent que cela ſera poſſible ; ou mieux encore, qu’on en faſſe de plus fortes que celle que l’on combine, afin de ſe mieux accoutumer à celle-là, & l’habitude & la raiſon détruiront bientôt le remords ; ils anéantiront bientôt ce mouvement ténébreux ſeul fruit de l’ignorance & de l’éducation. On ſentira dès-lors, que dès qu’il n’eſt de crime réel à rien, il y a de la ſtupidité à ſe repentir, & de la puſillanimité à n’oſer faire tout ce qui peut nous être utile ou agréable, quelles que ſoient les digues qu’il faille culbuter pour y parvenir. J’ai quarante-cinq ans, Théreſe, j’ai commis mon premier crime à quatorze. Celui-là m’affranchit de tous les liens qui me gênaient ; je n’ai ceſſé depuis de courir à la fortune par une carriere qui en fut ſemée, il n’en eſt pas un ſeul que je n’aie fait, ou fait faire… & je n’ai jamais connu de remords. Quoi qu’il en ſoit, je touche au but, encore deux ou trois coups heureux & je paſſe de l’état de médiocrité où je devais finir mes jours, à plus de cinquante mille livres de rentes. Je te le répete, ma chere, jamais dans cette route heureuſement parcourue, le remords ne m’a fait ſentir ſes épines, un revers affreux me plongerait à l’inſtant du pinacle dans l’abyme, je ne l’éprouverais pas davantage, je me plaindrais des hommes ou de ma mal-adreſſe, mais je ſerais toujours en paix avec ma conſcience. — Soit, répondis-je, Madame, mais raiſonnons un inſtant d’après vos principes même ; de quel droit prétendez-vous exiger que ma conſcience ſoit auſſi ferme que la vôtre, dès qu’elle n’a pas été accoutumée dès l’enfance à vaincre les mêmes préjugés ? À quel titre exigez-vous que mon eſprit, qui n’eſt pas organiſé comme le vôtre, puiſſe adopter les mêmes ſyſtêmes ? Vous admettez qu’il y a une ſomme de bien & de mal dans la Nature, & qu’il faut en conſéquence une certaine quantité d’êtres qui pratiquent le bien, & une autre qui ſe livre au mal ; le parti que je prends eſt donc dans la Nature, & d’où vient exigeriez-vous d’après cela que je m’écartaſſe des régles qu’elles me preſcrit ? Vous trouvez, dites-vous, le bonheur dans la carriere que vous parcourez : eh bien, Madame, d’où vient que je ne le trouverais pas également dans celle que je ſuis. N’imaginez pas d’ailleurs que la vigilance des loix laiſſe en repos longtemps celui qui les enfreint, vous venez d’en voir un exemple frappant ; de quinze fripons parmi leſquels j’habitais, un ſe ſauve, quatorze périſſent ignominieuſement… — Et voilà donc ce que tu appelles un malheur, reprit la Dubois ? Mais que fait cette ignominie à celui qui n’a plus de principes ? Quand on a tout franchi, quand l’honneur à nos yeux n’eſt plus qu’un préjugé, la réputation une choſe indifférente, la religion une chimere, la mort un anéantiſſement total ; n’eſt-ce donc pas la même choſe alors de périr ſur un échafaud ou dans ſon lit ? Il y a deux eſpeces de ſcélérats dans le monde, Théreſe, celui qu’une fortune puiſſante, un crédit prodigieux met à l’abri de cette fin tragique, & celui qui ne l’évitera pas s’il eſt pris. Ce dernier, né ſans bien, ne doit avoir qu’un ſeul déſir s’il a de l’eſprit, devenir riche à quelque prix que ce puiſſe être ; s’il réuſſit, il a ce qu’il a voulu, il doit être content ; s’il eſt roué, que regrettera-t-il puiſqu’il n’a rien à perdre ? Les loix ſont donc nulles vis-à-vis de tous les ſcélérats, dès qu’elles n’atteignent pas celui qui eſt puiſſant, & qu’il eſt impoſſible au malheureux de les craindre, puiſque leur glaive eſt ſa ſeule reſſource. — Eh croyez-vous, repris-je, que la Juſtice céleſte n’attende pas dans un autre monde celui que le crime n’a pas effrayé dans celui-ci ? — Je crois, reprit cette femme dangereuſe, que s’il y avait un Dieu, il y aurait moins de mal ſur la terre ; je crois que ſi ce mal y exiſte, ou ces déſordres ſont ordonnés par ce Dieu, & alors voilà un être barbare ; ou il eſt hors d’état de les empêcher, de ce moment, voilà un Dieu faible, & dans tous les cas, un être abominable, un être dont je dois braver la foudre & mépriſer les loix. Ah ! Théreſe, l’athéiſme ne vaut-il pas mieux que l’une ou l’autre de ces extrémités ; voilà mon ſyſtême, chere fille, il eſt en moi depuis l’enfance, & je n’y renoncerai ſurement de la vie. — Vous me faites frémir, Madame, dis-je en me levant, pardonnez-moi de ne pouvoir écouter davantage & vos ſophiſmes & vos blaſphêmes. — Un moment, Théreſe, dit la Dubois en me retenant, ſi je ne peux vaincre ta raiſon, que je captive au moins ton cœur. J’ai beſoin de toi, ne me refuſes pas ton ſecours, voilà mille louis, ils t’appartiennent dès que le coup ſera fait. N’écoutant ici que mon penchant à faire le bien, je demandai tout de ſuite à la Dubois ce dont il s’agiſſait, afin de prévenir, ſi je le pouvais, le crime qu’elle s’apprêtait à commettre. — Le voilà, me dit-elle, as-tu remarqué ce jeune Négociant de Lyon, qui mange ici depuis quatre ou cinq jours. — Qui ? Dubreuil ! — Préciſément. — Eh bien ? — Il eſt amoureux de toi, il m’en a fait la confidence, ton air modeſte & doux lui plaît infiniment, il aime ta candeur, & ta vertu l’enchante, cet amant romaneſque a huit cents mille francs en or ou en papier dans une petite caſſette auprès de ſon lit, laiſſe-moi faire croire à cet homme que tu conſens à l’écouter, que cela ſoit ou non, que t’importe ? je l’engagerai à te propoſer une promenade hors de la Ville, je lui perſuaderai qu’il avancera ſes affaires avec toi pendant cette promenade ; tu l’amuſeras, tu le tiendras dehors le plus longtemps poſſible, je le volerai dans cet intervalle, mais je ne fuirai pas ; ſes effets ſeront déjà à Turin, que je ſerai encore dans Grenoble, nous emploîrons tout l’art poſſible pour le diſſuader de jetter les yeux ſur nous, nous aurons l’air de l’aider dans ſes recherches, cependant mon départ ſera annoncé, il n’étonnera point, tu me ſuivras, & les mille louis te ſeront comptés en touchant les terres du Piémont.

J’accepte, Madame, dis-je à la Dubois, bien décidée à prévenir Dubreuil du vol que l’on voulait lui faire, mais réfléchiſſez-vous, ajoutai-je pour mieux tromper cette ſcélérate, que ſi Dubreuil eſt amoureux de moi, je puis en le prévenant, ou me rendant à lui, en tirer bien plus que vous ne m’offrez pour le trahir. — Bravo, me dit la Dubois, voilà ce que j’appelle une bonne écoliere, je commence à croire que le Ciel t’a donné plus d’art qu’à moi pour le crime : hé bien, continua-t-elle en écrivant, voilà mon billet de vingt mille écus, oſe me refuſer maintenant. — Je m’en garderai bien, Madame, dis-je en prenant le billet, mais n’attribuez au moins qu’à mon malheureux état, & ma faibleſſe & le tort que j’ai de me rendre à vos ſéductions. — Je voulais en faire un mérite à ton eſprit, me dit la Dubois, tu aimes mieux que j’en accuſe ton malheur, ce ſera comme tu le voudras, ſers-moi toujours, & tu ſeras contente. Tout s’arrangea ; dès le même ſoir je commençai à faire un peu plus beau jeu à Dubreuil, & je reconnus effectivement qu’il avait quelque goût pour moi.

Rien de plus embarraſſant que ma ſituation : j’étais bien éloignée ſans doute de me prêter au crime propoſé, eût-il dû s’agir de dix mille fois plus d’or ; mais dénoncer cette femme était un autre chagrin pour moi, il me répugnait extrêmement d’expoſer à périr une créature à qui j’avais dû ma liberté dix ans auparavant. J’aurais voulu trouver le moyen d’empêcher le crime ſans le faire punir, & avec tout autre qu’une ſcélérate conſommée comme la Dubois, j’y ſerais parvenue : voici donc à quoi je me déterminai, ignorant que les manœuvres ſourdes de cette femme horrible non-ſeulement dérangeraient tout l’édifice de mes projets honnêtes, mais me puniraient même de les avoir conçus.

Au jour preſcrit pour la promenade projetée, la Dubois nous invite l’un & l’autre à dîner dans ſa chambre, nous acceptons, & le repas fait, Dubreuil & moi deſcendons pour preſſer la voiture qu’on nous préparait ; la Dubois ne nous accompagnant point, je me trouvai ſeule un inſtant avec Dubreuil avant que de partir. — Monſieur, lui dis-je fort-vite, écoutez-moi avec attention, point d’éclat, & obſervez ſur-tout rigoureuſement ce que je vais vous preſcrire ; avez-vous un ami ſûr dans cette auberge ? — Oui, j’ai un jeune aſſocié ſur lequel je puis compter comme ſur moi-même. — Eh bien, Monſieur, allez promptement lui ordonner de ne pas quitter votre chambre une minute de tout le tems que nous ſerons à la promenade. — Mais j’ai la clé de cette chambre, que ſignifie ce ſurplus de précaution ? — Il eſt plus eſſentiel que vous ne croyez, Monſieur, uſez-en, je vous en conjure, ou je ne ſors point avec vous ; la femme chez qui nous avons dîné eſt une ſcélérate, elle n’arrange la partie que nous allons faire enſemble, que pour vous voler plus à l’aiſe pendant ce temps-là ; preſſez-vous, Monſieur, elle nous obſerve, elle eſt dangereuſe ; remettez vîte votre clé à votre ami, qu’il aille s’établir dans votre chambre & qu’il n’en bouge que nous ne ſoyions revenus. Je vous expliquerai tout le reſte dès que nous ſerons en voiture. Dubreuil m’entend, il me ſerre la main pour me remercier ; vole donner des ordres relatifs à l’avis qu’il reçoit, & revient, nous partons ; chemin faiſant, je lui dénoue toute l’avanture, je lui raconte les miennes, & l’inſtruis des malheureuſes circonſtances de ma vie qui m’ont fait connaître une telle femme. Ce jeune homme honnête & ſenſible me témoigne la plus vive reconnaiſſance du ſervice que je veux bien lui rendre, il s’intéreſſe à mes malheurs, & me propoſe de les adoucir par le don de ſa main. — Je ſuis trop heureux de pouvoir réparer les torts que la fortune a envers vous, Mademoiſelle, me dit-il ; je ſuis mon maître, je ne dépends de perſonne, je paſſe à Genêve pour un placement conſidérable des ſommes que vos bons avis me ſauvent, vous m’y ſuivrez ; en y arrivant je deviens votre époux, & vous ne paraiſſez à Lyon que ſous ce titre, ou ſi vous l’aimez mieux, Mademoiſelle, ſi vous avez quelque défiance, ce ne ſera que dans ma patrie même que je vous donnerai mon nom.

Une telle offre me flattait trop pour que j’oſaſſe la refuſer ; mais il ne me convenait pas non plus de l’accepter ſans faire ſentir à Dubreuil tout ce qui pourrait l’en faire repentir ; il me ſçut gré de ma délicateſſe, & ne me preſſa qu’avec plus d’inſtance… Malheureuſe créature que j’étais ! fallait-il que le bonheur ne s’offrit à moi que pour me pénétrer plus vivement du chagrin de ne jamais pouvoir le ſaiſir ! fallait-il donc qu’aucune vertu ne pût naître en mon cœur ſans me préparer des tourmens !

Notre converſation nous avait déjà conduits à deux lieues de la ville, & nous allions deſcendre pour jouir de la fraîcheur de quelques avenues ſur le bord de l’Iſere où nous avions deſſein de nous promener, lorſque tout-à-coup Dubreuil me dit qu’il ſe trouvait fort mal… Il deſcend, d’affreux vomiſſemens le ſurprennent ; je le fais auſſitôt remettre dans la voiture, & nous revolons en hâte à la ville. Dubreuil eſt ſi mal qu’il faut le porter dans ſa chambre ; ſon état ſurprend ſon aſſocié que nous y trouvons, & qui, ſelon ſes ordres, n’en était pas ſorti ; un médecin arrive, juſte Ciel ! Dubreuil eſt empoiſonné ! À peine apprends-je cette fatale nouvelle, que je cours à l’appartement de la Dubois ; l’infâme ! elle était partie ; je paſſe chez moi, mon armoire eſt forcée, le peu d’argent & de hardes que je poſſede eſt enlevé ; la Dubois, m’aſſure-t-on, court depuis trois heures du côté de Turin. Il n’était pas douteux qu’elle ne fût l’auteur de cette multitude de crimes ; elle s’était préſentée chez Dubreuil ; piquée d’y trouver du monde, elle s’était vengée ſur moi, & elle avait empoiſonné Dubreuil, en dînant, pour qu’au retour, ſi elle avait réuſſi à le voler, ce malheureux jeune-homme, plus occupé de ſa vie que de pourſuivre celle qui dérobait ſa fortune, la laiſſât fuir en ſûreté, & pour que l’accident de ſa mort arrivant pour-ainſi-dire dans mes bras, je puſſe en être plus vraiſemblablement ſoupçonnée qu’elle ; rien ne nous apprit ſes combinaiſons, mais était-il poſſible qu’elles fuſſent différentes ?

Je revolai chez Dubreuil ; on ne me laiſſe plus approcher de lui ; je me plains de ces refus, on m’en dit la cauſe. Le malheureux expire, & ne s’occupe plus que de Dieu. Cependant il m’a diſculpée, je ſuis innocente, aſſure-t-il ; il défend expreſſément que l’on me pourſuive ; il meurt. À peine a-t-il fermé les yeux, que ſon aſſocié ſe hâte de venir me donner ces nouvelles, en me conjurant d’être tranquille. Hélas ! pouvais-je l’être ? pouvais-je ne pas pleurer amerement la perte d’un homme qui s’était ſi généreuſement offert à me tirer de l’infortune ! pouvais-je ne pas déplorer un vol qui me remettait dans la miſere, dont je ne faiſais que de ſortir ! Effroyable créature ! m’écriai-je ; ſi c’eſt là que conduiſent tes principes, faut-il s’étonner qu’on les abhorre, & que les honnêtes gens les puniſſent ! Mais je raiſonnais, en partie léſée, & la Dubois qui ne voyait que ſon bonheur, ſon intérêt dans ce qu’elle avait entrepris, concluait ſans doute bien différemment.

Je confiai tout à l’aſſocié de Dubreuil qui ſe nommait Valbois, & ce qu’on avait combiné contre celui qu’il perdait, & ce qui m’était arrivé à moi-même. Il me plaignit, regretta bien ſincerement Dubreuil & blâma l’excès de délicateſſe qui m’avait empêchée de m’aller plaindre auſſitôt que j’avais été inſtruite des projets de la Dubois ; nous combinames que ce monſtre auquel il ne fallait que quatre heures pour ſe mettre en pays de ſûreté, y ſerait plutôt que nous n’aurions aviſé à la faire pourſuivre ; qu’il nous en coûterait beaucoup de frais ; que le maître de l’auberge vivement compromis dans la plainte que nous ferions, & ſe défendant avec éclat, finirait peut-être par m’écraſer moi-même, moi… qui ne ſemblais reſpirer à Grenoble qu’en échappée de la potence. Ces raiſons me convainquirent & m’effrayerent même tellement que je me réſolus de partir de cette ville ſans prendre congé de M. S*** mon protecteur. L’ami de Dubreuil approuva ce parti ; il ne me cacha point que ſi toute cette aventure ſe réveillait, les dépoſitions qu’il ſerait obligé de faire, me compromettraient, quelles que fuſſent ſes précautions, tant à cauſe de mon intimité avec la Dubois, qu’en raiſon de ma derniere promenade avec ſon ami ; qu’il me conſeillait donc d’après cela de partir tout-de-ſuite ſans voir perſonne, bien ſûre que de ſon côté il n’agirait jamais contre moi qu’il croyait innocente, & qu’il ne pouvait accuſer que de faibleſſe, dans tout ce qui venait d’arriver.

En réfléchiſſant aux avis de Valbois, je reconnus qu’ils étaient d’autant meilleurs, qu’il paraiſſait auſſi certain que j’avais l’air coupable, comme il était ſûr que je ne l’étais pas ; que la ſeule choſe qui parlât en ma faveur, la recommandation faite à Dubreuil à l’inſtant de la promenade, mal expliquée, m’avait-on dit, par lui à l’article de la mort, ne deviendrait pas une preuve auſſi triomphante que je devais y compter ; moyennant quoi je me décidai promptement ; j’en fis part à Valbois. — Je voudrais, me dit-il, que mon ami m’eût chargé de quelques diſpoſitions favorables pour vous, je les remplirais avec le plus grand plaiſir ; je voudrais même qu’il m’eût dit que c’était à vous qu’il devait le conſeil de garder ſa chambre ; mais il n’a rien fait de tout cela ; je ſuis donc contraint à me borner à la ſeule exécution de ſes ordres. Les malheurs que vous avez éprouvés pour lui, me décideraient à faire quelque choſe de moi-même, ſi je le pouvais, Mademoiſelle ; mais je commence le commerce, je ſuis jeune, ma fortune eſt bornée, je ſuis obligé de rendre à l’inſtant les comptes de Dubreuil à ſa famille ; permettez donc que je me reſtreigne au ſeul petit ſervice que je vous conjure d’accepter ; voilà cinq louis, & voilà une honnête marchande de Châlons-ſur-Saone, ma patrie ; elle y retourne après s’être arrêtée vingt-quatre heures à Lyon où l’appellent quelques affaires ; je vous remets entre ſes mains ; Madame Bertrand, continua Valbois, en me conduiſant à cette femme, voici la jeune perſonne dont je vous ai parlé ; je vous la recommande, elle déſire de ſe placer. Je vous prie avec les mêmes inſtances que s’il s’agiſſait de ma propre ſœur, de vous donner tous les mouvemens poſſibles pour lui trouver dans notre ville quelque choſe qui convienne à ſon perſonnel, à ſa naiſſance & à ſon éducation ; qu’il ne lui en coûte rien juſques là, je vous tiendrai compte de tout à la premiere vue. Adieu, Mademoiſelle, continua Valbois en me demandant la permiſſion de m’embraſſer ; Madame Bertrand part demain à la pointe du jour : ſuivez-la, & qu’un peu plus de bonheur puiſſe vous accompagner dans une ville où j’aurai peut-être la ſatisfaction de vous revoir bientôt.

L’honnêteté de ce jeune-homme, qui fonciérement ne me devait rien, me fit verſer des larmes. Les bons procédés ſont bien doux, quand on en éprouve depuis ſi longtemps d’odieux. J’acceptai ſes dons en lui jurant que je n’allais travailler qu’à me mettre en état de pouvoir les lui rendre un jour. Hélas ! penſai-je en me retirant, ſi l’exercice d’une nouvelle vertu vient de me précipiter dans l’infortune, au moins pour la premiere fois de ma vie l’eſpérance d’une conſolation s’offre-t-elle dans ce gouffre épouvantable de maux, où la vertu me précipite encore.

Il était de bonne heure : le beſoin de reſpirer me fit deſcendre ſur le quai de l’Iſere, à deſſein de m’y promener quelques inſtans ; &, comme il arrive preſque toujours en pareil cas, mes réflexions me conduiſirent fort loin. Me trouvant dans un endroit iſolé, je m’y aſſis pour penſer avec plus de loiſir ; cependant la nuit vint ſans que je penſaſſe à me retirer, lorſque tout-à-coup je me ſentis ſaiſie par trois hommes. L’un me met une main ſur la bouche, & les deux autres me jettent précipitamment dans une voiture, y montent avec moi, & nous fendons les airs pendant trois grandes heures, ſans qu’aucun de ces brigands daignât ni me dire une parole, ni répondre à aucune de mes queſtions. Les ſtores étaient baiſſés, je ne voyais rien : la voiture arrive près d’une maiſon, des portes s’ouvrent pour la recevoir, & ſe referment auſſitôt. Mes guides m’emportent, me font traverſer ainſi pluſieurs appartemens très-ſombres, & me laiſſent enfin dans un, près du quel eſt une pièce où j’aperçois de la lumiere. — Reſte-là, me dit un de mes raviſſeurs en ſe retirant avec ſes camarades, tu vas bientôt voir des gens de connaiſſance ; & ils diſparaiſſent, refermant avec ſoin toutes les portes. Preſqu’en même temps, celle de la chambre où j’apercevais de la clarté s’ouvre, & j’en vois ſortir, une bougie à la main … oh, Madame, devinez qui ce pouvait être… la Dubois… la Dubois elle-même, ce monſtre épouvantable dévoré ſans doute du plus ardent déſir de la vengeance. — Venez, charmante fille, me dit-elle arrogamment, venez recevoir la récompenſe des vertus où vous vous êtes livrée à mes dépens… & me ſerrant la main avec colere… ah ! ſcélérate, je t’apprendrai à me trahir ! — Non, non, Madame, lui dis-je précipitamment, non, je ne vous ai point trahie : informez-vous, je n’ai pas fait la moindre plainte qui puiſſe vous donner de l’inquiétude, je n’ai pas dit le moindre mot qui puiſſe vous compromettre. — Mais ne t’es-tu pas oppoſée au crime que je méditais ? ne l’as-tu pas empêché, indigne créature ! Il faut que tu en ſois punie… & comme nous entrions, elle n’eut pas le temps d’en dire davantage. L’appartement où l’on me faiſait paſſer était auſſi ſomptueux que magnifiquement éclairé ; au fond, ſur une ottomane, était un homme en robe de chambre de taffetas flottante, d’environ quarante ans, & que je vous peindrai bientôt. — Monſeigneur, dit la Dubois en me préſentant à lui, voilà la jeune perſonne que vous avez voulue, celle à laquelle tout Grenoble s’intéreſſe… la célebre Théreſe en un mot, condamnée à être pendue avec des faux-monnoyeurs ; & depuis délivrée à cauſe de ſon innocence & de ſa vertu. Reconnaiſſez mon adreſſe à vous ſervir, Monſeigneur ; vous me témoignates, il y a quatre jours l’extrême déſir que vous aviez de l’immoler à vos paſſions ; & je vous la livre aujourd’hui ; peut-être la préférerez-vous à cette jolie penſionnaire du couvent des Bénédictines de Lyon, que vous avez déſirée de même, & qui va nous arriver dans l’inſtant : cette derniere a ſa vertu phyſique & morale, celle-ci n’a que celle des ſentimens ; mais elle fait partie de ſon exiſtence, & vous ne trouverez nulle part une créature plus remplie de candeur & d’honnêteté. Elles ſont l’une & l’autre à vous, Monſeigneur : ou vous les expédierez toutes deux ce ſoir, ou l’une aujourd’hui, l’autre demain. Pour moi, je vous quitte : les bontés que vous avez pour moi m’ont engagée à vous faire part de mon aventure de Grenoble. Un homme mort, Monſeigneur, un homme mort, je me ſauve. — Eh ! non ; non, femme charmante, s’écria le maître du lieu, non, reſte, & ne crains rien quand je te protege : tu es l’ame de mes plaiſirs ; toi ſeule poſſedes l’art de les exciter & de les ſatisfaire, & plus tu redoubles tes crimes, plus ma tête s’échauffe pour toi… Mais elle eſt jolie cette Théreſe… & s’adreſſant à moi : — quel age avez-vous, mon enfant ? — Vingt-ſix ans, Monſeigneur, répondis-je, & beaucoup de chagrins. — Oui, des chagrins, des malheurs ; je ſais tout cela, c’eſt ce qui m’amuſe, c’eſt ce que j’ai voulu ; nous allons y mettre ordre, nous allons terminer tous vos revers ; je vous réponds que dans vingt-quatre heures vous ne ſerez plus malheureuſe… Et avec d’affreux éclats de rire… — n’eſt-il pas vrai, Dubois, que j’ai un moyen ſûr pour terminer les malheurs d’une jeune fille ? — Aſſurément, dit cette odieuſe créature ; & ſi Théreſe n’était pas de mes amies, je ne vous l’aurais pas amenée ; mais il eſt juſte que je la récompenſe de ce qu’elle a fait pour moi. Vous n’imagineriez jamais, Monſeigneur, combien cette chere créature m’a été utile dans ma derniere entrepriſe de Grenoble ; vous avez bien voulu vous charger de ma reconnaiſſance, & je vous conjure de m’acquitter amplement.

L’obſcurité de ces propos, ceux que la Dubois m’avait tenus en entrant, l’eſpece d’homme à qui j’avais affaire, cette jeune fille qu’on annonçait encore, tout remplit à l’inſtant mon imagination d’un trouble qu’il ſerait difficile de vous peindre. Une ſueur froide s’exhale de mes pores, & je ſuis prête à tomber en défaillance : tel eſt l’inſtant où les procédés de cet homme finirent enfin par m’éclairer. Il m’appelle, il débute par deux ou trois baiſers où nos bouches ſont forcées de s’unir ; il attire ma langue, il la ſuce, & la ſienne au fond de mon gozier ſemble y pomper juſqu’à ma reſpiration. Il me fait pencher la tête ſur ſa poitrine, & relevant mes cheveux, il obſerve attentivement la nuque de mon cou. — Oh ! c’eſt délicieux, s’écrie-t-il en preſſant fortement cette partie, je n’ai jamais rien vu de ſi bien attaché ; ce ſera divin à faire ſauter. Ce dernier propos fixa tous mes doutes ; je vis bien que j’étais encore chez un de ces libertins à paſſions cruelles, dont les plus cheres voluptés conſiſtent à jouir des douleurs ou de la mort des malheureuſes victimes qu’on leur procure à force d’argent, & que je courais riſque d’y perdre la vie.

En cet inſtant on frappe à la porte ; la Dubois ſort, & ramene auſſitôt la jeune Lyonnaiſe dont elle venait de parler.

  1. L’Empereur Chinois Kié avait une femme auſſi cruelle & auſſi débauchée que lui, le ſang ne leur coûtait rien à répandre, & pour leur ſeul plaiſir, ils en verſaient journellement des flots ; ils avaient dans l’intérieur de leur Palais, un cabinet ſecret où les victimes s’immolaient ſous leurs yeux pendant qu’ils jouiſſaient. Théo l’un des ſucceſſeurs de ce Prince eut comme lui une femme très-cruelle ; ils avaient inventé une colonne d’airain que l’on faiſait rougir, & ſur laquelle on attachait des infortunés ſous leurs yeux : « la Princeſſe, dit l’Hiſtorien dont nous empruntons ces traits, s’amuſait infiniment des contorſions & des cris de ces triſtes victimes ; elle n’était pas contente ſi ſon mari ne lui donnait fréquemment ce ſpectacle ». Hiſt. des Conj. page 43, tome 7.
  2. Ce jeu qui a été décrit plus haut, était fort en uſage chez les Celtes dont nous deſcendons (Voy. l’Hiſt. des Celtes par M. Peloutier), preſque tous ces écarts de débauches, ces paſſions ſingulieres du libertinage, en partie décrites dans ce livre, & qui éveillent ridiculement aujourd’hui l’attention des loix, étaient jadis, ou des jeux de nos ancêtres qui valaient mieux que nous, ou des coutumes légales, ou des cérémonies religieuſes : maintenant nous en faiſons des crimes. Dans combien de cérémonies pieuſes des Payens faiſait-on uſage de la fuſtigation ! Pluſieurs peuples employaient ces mêmes tourmens, ou paſſions, pour inſtaller leurs guerriers, cela s’appelait Huſcanaver. (Voy. les cérémonies religieuſes de tous les peuples de la terre.) Ces plaiſanteries dont tout l’inconvénient peut être au plus la mort d’une Catin, ſont des crimes capitaux à préſent ! Vive les progrès de la civiliſation ! Comme ils coopérent au bonheur de l’homme, & comme nous ſommes bien plus fortunés que nos ayeux !