Jeunes filles/Jours lointains

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Œuvres de Sully PrudhommeAlphonse LemerrePoésies 1865-1866 (p. 80-81).

Jours lointains


 
Nous recevions sa visite assidue ;
J’étais enfant. Jours lointains ! Depuis lors
La porte est close et la maison vendue :
       Les foyers vendus sont des morts.

Quand j’entendais son pas de demoiselle,
Adieu mes jeux ! Courant sur son chemin,
J’allais, les yeux levés tout grands vers elle,
       Glisser ma tête sous sa main.

Et quelle joie inquiète et profonde
Si je sentais une caresse au front !
Cette main-là, pas de lèvres au monde
       En douceur ne l’égaleront.
 

Je me souviens de mes tendresses vagues,
Des aveux fous que je jurais d’oser,
Lorsque, tout bas, rien qu’aux chatons des bagues
       Je risquais un fuyant baiser.

Elle a passé, bouclant ma chevelure,
Prenant ma vie ; et, comme inoccupés,
Ses doigts m’ont fait une étrange brûlure,
       Par l’âge de mon cœur trompés.

Comme l’aurore étonne la prunelle,
L’éveille à peine, et c’est déjà le jour :
Ainsi la grâce au cœur naissant nouvelle
       L’émeut, et c’est déjà l’amour.