Journal des idées et des opinions d’un révolutionnaire de 1830/Octobre

Œuvres complètes de Victor Hugo.
Littérature et philosophie mêlées
, Texte établi par Cécile Daubray, Imprimerie Nationale, Ollendorff, Albin Michel[Hors séries] Philosophie I (p. 95-97).
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OCTOBRE


L’esprit de Dieu, comme le soleil, donne toujours à la fois toute sa lumière. L’esprit de l’homme ressemble à cette pâle lune, qui a ses phases, ses absences et ses retours, sa lucidité et ses taches, sa plénitude et sa disparition, qui emprunte toute sa lumière des rayons du soleil, et qui pourtant ose les intercepter quelquefois.


Avec beaucoup d’idées, beaucoup de vues, beaucoup de probité, les saint-simoniens se trompent. On ne fonde pas une religion avec la seule morale. Il faut le dogme, il faut le culte. Pour asseoir le culte et le dogme, il faut les mystères. Pour faire croire aux mystères, il faut des miracles.-Faites donc des miracles.-Soyez prophètes, soyez dieux d’abord, si vous pouvez, et puis après prêtres, si vous voulez.


L’église affirme, la raison nie. Entre le oui du prêtre et le non de l’homme, il n’y a plus que Dieu qui puisse placer son mot.


Tout ce qui se fait maintenant dans l’ordre politique n’est qu’un pont de bateaux. Cela sert à passer d’une rive à l’autre. Mais cela n’a pas de racines dans le fleuve d’idées qui coule dessous et qui a emporté dernièrement le vieux pont de pierre des Bourbons.


Les têtes comme celle de Napoléon sont le point d’intersection de toutes les facultés humaines. Il faut bien des siècles pour reproduire le même accident.


Avant une république, ayons, s’il se peut, une chose publique.


J’admire encore La Rochejaquelein, Lescure, Cathelineau, Charette même ; je ne les aime plus. J’admire toujours Mirabeau et Napoléon ; je ne les hais plus.


Le sentiment de respect que m’inspire la Vendée n’est plus chez moi qu’une affaire d’imagination et de vertu. Je ne suis plus vendéen de coeur, mais d’âme seulement.


Copie textuelle d’une lettre anonyme adressée ces jours-ci à M. Dupin.

« Monsieur le sauveur, vous vous f… sur le pied de vexer les mendiants ! Pas tant de bagou, ou tu sauteras le pas ! J’en ai tordu de plus malins que toi ! A revoir, porte-toi bien, en attendant que je te tue. »


Mauvais éloge d’un homme que de dire : son opinion politique n’a pas varié depuis quarante ans. C’est dire que pour lui il n’y a eu ni expérience de chaque jour, ni réflexion, ni repli de la pensée sur les faits. C’est louer une eau d’être stagnante, un arbre d’être mort ; c’est préférer l’huître à l’aigle. Tout est variable au contraire dans l’opinion ; rien n’est absolu dans les choses politiques, excepté la moralité intérieure de ces choses. Or cette moralité est affaire de conscience et non d’opinion. L’opinion d’un homme peut donc changer honorablement, pourvu que sa conscience ne change pas. Progressif ou rétrograde, le mouvement est essentiellement vital, humain, social.

Ce qui est honteux, c’est de changer d’opinion pour son intérêt, et que ce soit un écu ou un galon qui vous fasse brusquement passer du blanc au tricolore, et vice versa.


Nos chambres décrépites procréent à cette heure une infinité de petites lois culs-de-jatte, qui, à peine nées, branlent la tête comme de vieilles femmes et n’ont plus de dents pour mordre les abus.


L’égalité devant la loi, c’est l’égalité devant Dieu traduite en langue politique. Toute charte doit être une version de l’évangile.


Les whigs ? dit O’Connell, des tories sans places.


Toute doctrine sociale qui cherche à détruire la famille est mauvaise, et, qui plus est, inapplicable. Sauf à se recomposer plus tard, la société est soluble, la famille non. C’est qu’il n’entre dans la composition de la famille que des lois naturelles ; la société, elle, est soluble par tout l’alliage de lois factices, artificielles, transitoires, expédientes, contingentes, accidentelles, qui se mêle à sa constitution. Il peut souvent être utile, être nécessaire, être bon de dissoudre une société quand elle est mauvaise, ou trop vieille, ou mal venue. Il n’est jamais utile, ni nécessaire, ni bon, de mettre en poussière la famille. Quand vous décomposez une société, ce que vous trouvez pour dernier résidu, ce n’est pas l’individu, c’est la famille. La famille est le cristal de la société.