Journal des idées et des opinions d’un révolutionnaire de 1830/Mars
Littérature et philosophie mêlées, Texte établi par Cécile Daubray, Imprimerie Nationale, Ollendorff, Albin Michel, , [Hors séries] Philosophie I (p. 102-103).
MARS
Il y avait quelque chose de plus beau que la brochure de M. de C.[1] ;
c’était son silence. Il a eu tort de le rompre. Les Achilles dans leur
tente sont plus formidables que sur le champ de bataille.
13 mars. — Combinaison Casimir Périer. Un homme qui engourdira la
plaie, mais ne la fermera pas ; un palliatif, non la guérison ; un
ministère au laudanum.
« Quelle administration ! quelle époque ! où il faut tout craindre et
tout braver ; où le tumulte renaît du tumulte ; où l’on produit une
émeute par les moyens qu’on prend pour la prévenir ; où il faut
sans cesse de la mesure, et où la mesure paraît équivoque, timide,
pusillanime ; où il faut déployer beaucoup de force, et où la force
paraît tyrannie ; où l’on est assiégé de mille conseils, et où il faut
prendre conseil de soi-même ; où l’on est obligé de redouter jusqu’à
des citoyens dont les intentions sont pures, mais que la défiance,
l’inquiétude, l’exagération, rendent presque aussi redoutables que des
conspirateurs ; où l’on est réduit même, dans des occasions difficiles,
à céder par sagesse, à conduire le désordre pour le retenir, à se
charger d’un emploi glorieux, il est vrai, mais environné d’alarmes
cruelles ; où il faut encore, au milieu de si grandes difficultés,
déployer un front serein, être toujours calme, mettre de l’ordre
jusque dans les plus petits objets, n’offenser personne, guérir toutes
les jalousies, servir sans cesse, et chercher à plaire comme si l’on
ne servait point ! »
Voilà, certes, des paroles qui caractérisent admirablement le moment présent, et qui se superposent étroitement dans leurs moindres détails aux moindres détails de notre situation politique. Elles ont quarante ans de date. Elles ont été prononcées par Mirabeau, le 19 octobre 1789. Ainsi les révolutions ont de certaines phases qui reviennent invariablement. La révolution de 1789 en était alors où en est la révolution de 1830 aujourd’hui, à la période des insurrections.
Une révolution, quand elle passe de l’état de théorie à l’état d’action, débouche d’ordinaire par l’émeute. L’émeute est la première des diverses formes violentes qu’il est dans la loi d’une révolution de prendre. L’émeute, c’est l’engorgement des intérêts nouveaux, des idées nouvelles, des besoins nouveaux, à toutes les portes trop étroites du vieil édifice politique. Tous veulent entrer à la fois dans toutes les jouissances sociales. Aussi est-il rare qu’une révolution ne commence pas par enfoncer les portes. Il est de l’essence de l’émeute révolutionnaire, qu’il ne faut pas confondre avec les autres sortes d’émeute, d’avoir presque toujours tort dans la forme et raison dans le fond.
- ↑ Chateaubriand. (Note de l’éditeur)