Journal des idées et des opinions d’un révolutionnaire de 1830/Août
Littérature et philosophie mêlées, Texte établi par Cécile Daubray, Imprimerie Nationale, Ollendorff, Albin Michel, , [Hors séries] Philosophie I (p. 87-89).
JOURNAL DES IDÉES ET DES OPINIONS D’UN RÉVOLUTIONNAIRE DE 1830
AOUT
Après juillet 1830, il nous faut la chose république et le mot
monarchie.
A ne considérer les choses que sous le point de vue de l’expédient
politique, la révolution de juillet nous a fait passer brusquement
du constitutionalisme au républicanisme. La machine anglaise est
désormais hors de service en France ; les whigs siégeraient à l’extrême
droite de notre Chambre. L’opposition a changé de terrain comme le
reste. Avant le 30 juillet elle était en Angleterre, aujourd’hui elle
est en Amérique.
Les sociétés ne sont bien gouvernées en fait et en droit que lorsque
ces deux forces, l’intelligence et le pouvoir, se superposent. Si
l’intelligence n’éclaire encore qu’une tête au sommet du corps social,
que cette tête règne ; les théocraties ont leur logique et leur beauté.
Dès que plusieurs ont la lumière, que plusieurs gouvernent ; les
aristocraties sont alors légitimes. Mais lorsqu’enfin l’ombre a
disparu de partout, quand toutes les têtes sont dans la lumière, que
tous régissent tout. Le peuple est mûr à la république ; qu’il ait la
république.
Tout ce que nous voyons maintenant, c’est une aurore. Rien n’y manque,
pas même le coq.
La fatalité, que les anciens disaient aveugle, y voit clair et raisonne. Les événements se suivent, s’enchaînent et se déduisent dans l’histoire avec une logique qui effraye. En se plaçant un peu à distance, on peut saisir toutes leurs démonstrations dans leurs rigoureuses et colossales proportions, et la raison humaine brise sa courte mesure devant ces grands syllogismes du destin.
Il ne peut y avoir rien que de factice, d’artificiel et de plâtré
dans un ordre de choses où les inégalités sociales contrarient les
inégalités naturelles.
L’équilibre parfait de la société résulte de la superposition
immédiate de ces deux inégalités.
Les rois ont le jour, les peuples ont le lendemain.
Donneurs de places ! preneurs de places ! demandeurs de places ! gardeurs
de places ! -C’est pitié de voir tous ces gens qui mettent une cocarde
tricolore à leur marmite.
Il y a, dit Hippocrate, l’inconnu, le mystérieux, le divin des
maladies. Quid divinum. Ce qu’il dit des maladies, on peut le dire
des révolutions.
La dernière raison des rois, le boulet. La dernière raison des
peuples, le pavé.
Je ne suis pas de vos gens coiffés du bonnet rouge et entêtés de la
guillotine.
Pour beaucoup de raisonneurs à froid qui font après coup la théorie de la Terreur, 93 a été une amputation brutale, mais nécessaire. Robespierre est un Dupuytren politique. Ce que nous appelons la guillotine n’est qu’un bistouri.
C’est possible. Mais il faut désormais que les maux de la société soient traités non par le bistouri, mais par la lente et graduelle purification du sang, par la résorption prudente des humeurs extravasées, par la saine alimentation, par l’exercice des forces et des facultés, par le bon régime. Ne nous adressons plus au chirurgien, mais au médecin.
Beaucoup de bonnes choses sont ébranlées et toutes tremblantes encore
de la brusque secousse qui vient d’avoir lieu. Les hommes d’art en
particulier sont fort stupéfaits et courent dans toutes les directions
après leurs idées éparpillées. Qu’ils se rassurent. Ce tremblement
de terre passé, j’ai la ferme conviction que nous retrouverons notre
édifice de poésie debout et plus solide de toutes les secousses
auxquelles il aura résisté. C’est aussi une question de liberté que la
nôtre, c’est aussi une révolution. Elle marchera intacte à côté de sa
sœur la politique. Les révolutions, comme les loups, ne se mangent
pas.