Journal des économistes/1 mai 1848/Chronique

Journal des économistesTome 20 (p. 167-176).


CHRONIQUE.


Sommaire. — Proscription de l’économie politique. — Les journaux peu intelligents. — Organisation du collège de France jugée par la Revue nationale. — Les élections. — Dilemme de M. Lamennais aux ouvriers. — Mesures financières : octrois de luxe, — suppression de l’impôt du sel, — contribution sur les créances hypothécaires, — fusion des Banques. — Curieuses préoccupations du chef de l’Université, à l’endroit des tricornes des demi boites. — Il n’y a plus des salles d’asile, mais des écoles maternelles. — Grande reforme de M. Bethinont. — La fête du 4 mai et le Palais du peuple. — Les enfants de la patrie. — La crise et les émeutes. — Nouvelles du socialisme. — Remarquable déclaration d’une.Société d’ouvriers. — Symptômes de paix malgré la guerre. — Déficit dans le revenu en France et en Angleterre.


Notre numéro commence par la protestation de la Société d’économie politique contre l’inqualifiable décision que M. Carnot a fait signer au gouvernement provisoire, touchant la suppression de la chaire de M. Michel Chevalier. Nous reproduisons, dans notre premier article, les énergiques paroles par lesquelles M. Léon Faucher a appuyé la présentation de cette adresse, les observations probantes dont M. de Tracy les a fait suivre, et enfin la réponse officielle que le Moniteur a mise dans la bouche de M. de Lamartine. La députation de la Société d’économie politique, qui s’est rendue, dimanche matin 23, à l’hôtel des affaires étrangères, et qui a été reçue avec une cordialité très-marquée par l’honorable membre du gouvernement provisoire, nous a positivement assuré que le Moniteur était inexactement informé, et que personne ne comprenait mieux que M. de Lamartine l’utilité des études économiques en tout temps, et surtout sous le régime populaire que la révolution de Février a inauguré.

La presse a donné une grande publicité à l’adresse de la Société d’économie politique. Cette publicité sera le châtiment des hommes qui ont inspiré la mesure de M. Carnot. L’opinion du monde savant, en France et en Europe, fera justice de cette attaque contre les idées libérales. Un jour, lorsque l’histoire saura gré à M. Guizot lui-même du rétablissement de l’Académie des sciences morales et politiques, on aura quelque peine à comprendre qu’après une révolution qui a renversé cet homme d’État au nom des idées libérales, un ministre de l’instruction publique ait pu proscrire, le jour même de la révolution, l’enseignement de l’une des plus indispensables des sciences morales.

La presse parisienne a publié, avons-nous dit, l’adresse de la Société d’économie politique ; mais ses organes, sauf quelques exceptions, n’ont point élevé la voix contre cet acte de véritable barbarie. Pourquoi ? Simplement par ignorance. Les uns n’ont vu, dans la suppression du cours d’économie politique, ni plus ni moins que la suppression du cours de turc ou d’éloquence latine ; les autres ont cru que cinq chaires de technologie remplaceraient et au delà une chaire d’économie politique ; ceux-ci, organes d’un socialisme quelconque, formulé ou à formuler, ont été bien aises de voir fermer une tribune où on pouvait passer les utopies au crible de la discussion ; ceux-là, se figurant que l’économie politique change de base avec chaque forme de gouvernement, ont positivement cru qu’avec la république il y avait lieu de changer les professeurs nommés en monarchie, tout comme on a changé les préfets et les procureurs du roi.

Il n’en a pas été de même dans les départements, d’où sont parties de nombreuses protestations contre la mesure rétrograde de M. Carnot.

Dans toutes ces nuances d’écrivains, parfaitement ignorants de ce dont ils parlent, il y en a quelques-uns que nous voulons citer pour montrer précisément jusqu’où va de nos jours la présomption en matière d’économie sociale. Dans la vraie République, par le citoyen Thoré, il a été dit que la suppression de la chaire du collége de France avait été bien dûment prononcée, parce que l’économie politique est une science morte. Mais le citoyen Thoré n’a pas pris garde que, lorsqu’il fait par hasard lui-même de cette science, il est dans le sens commun, ce qui, au reste, ne lui arrive pas souvent. Nous parlons de l’économie politique vraie du citoyen Thoré, et non de sa politique que nous ne voulons pas juger, et non de sa critique artistique dans laquelle il est, dit-on, passé maître. Dans une autre République, par M. Dareste, la science a reçu un autre coup de pied de même espèce. Dans le Représentant du peuple, socialiste sui generis, l’économie politique est une science à faire… par lui sans doute. Dans le Moniteur industriel et quelques autres organes de la prohibition douanière, la peur de la réforme douanière leur a fait applaudir la mesure, oubliant que la veille ils invoquaient contre l’organisation du travail ces arguments de la science qu’ils conspuaient l’avant-veille, en haine du libre-échange. La Liberté, journal dans lequel M. Alexandre Dumas fait je ne sais quelle politique, et quelle économie politique, nous avons lu un véritable barbouillage inintelligible, d’où il résulte clair comme le jour que l’auteur de l’article aurait besoin de lire quelque chose comme le Catéchisme d’économie politique. Enfin le Charivari… Mais le Charivari a été spirituel. Sous ce rapport, il doit lui être beaucoup pardonné, d’autant plus, que nous l’avons souvent trouvé (lorsque M. Altaroche n’était pas absent) en parfait bon sens. Voyez, par exemple, son article sur l’égalité des salaires, que nous avons reproduit dans notre dernier numéro… Donc un collaborateur du Charivari s’est amusé aux dépens des économistes, et assez drôlement, nous l’avouons, pour nous faire rire bien franchement. Toutefois, nous devons avertir notre confrère qu’il a commis force erreurs. Il croit, par exemple, qu’Owen, le type des communistes, est économiste au premier chef, comme Smith, Say et Ricardo ; il n’a pas compris ce qu’il y avait précisément de charivarique dans la création de cinq chaires pour en supprimer une ; il a confondu les signataires de l’adresse avec des économistes vraiment semblables à ceux qu’il dépeint ; il a enfin supposé, pour utiliser son trait final, que chacun d’eux pouvait craindre pour sa chaire, lorsqu’un seul d’entre eux est professeur d’économie politique (id est orfèvre), ailleurs que dans une Faculté dépendant de M. le ministre de l’instruction publique. Supposons maintenant toutes ces erreurs redressées, l’article était impossible, ou plutôt il n’y avait de possible pour le Charivari qu’un article à l’adresse de la haute Commission faisant ce rapport, cette note et ce programme que vous savez. Sic vos non vobis.

— La Revue nationale, qui pense être plus chrétienne que nous, et qui se croit obligée de se dire anti-économiste, a fait une critique très-sensée des changements apportés au collége de France. À ses yeux, cette institution doit être consacrée non pas tant à la vulgarisation des vérités acquises aux sciences qu’à l’examen transcendantal des doctrines et des théories qui sont l’expression de toutes les tentatives, de toutes les hardiesses de l’esprit d’innovation.

L’enseignement du collége de France, dit le journal que nous citons, doit différer complètement de l’enseignement des colléges et des Facultés. Il ne s’adresse plus, en effet, comme celui-ci, à des jeunes gens qu’il faut initier à une science qu’ils ignorent et que le professeur doit exposer graduellement, méthodiquement et dans une limite déterminée par les besoins de ceux qui l’écoutent. Il s’adresse à des hommes qui savent déjà, et qui ont moins pour but d’apprendre une connaissance à laquelle ils sont étrangers que de vérifier celle qu’ils possèdent, et de la voir présentée sous des points de vue nouveaux et développée sous tous ses aspects. Si ces considérations sont vraies, et nous ne voyons guère comment on en contesterait la justesse, il faut reconnaître que le décret du ministre de l’instruction publique, en date du 7 avril, paraît devoir apporter une grave perturbation dans la constitution du collége de France et dans l’esprit de son enseignement. D’après cet arrêté, les élèves de l’école administrative viendraient puiser au collége de France l’instruction qui leur est imposée, et les professeurs devraient, en conséquence, approprier leurs leçons aux besoins de cette portion permanente de leur auditoire. Nous Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/173 Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/174 Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/175 Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/176 Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/177 Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/178 Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/179