Journal (Eugène Delacroix)/9 juin 1823

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 37-38).

Lundi 9 juin. — Pourquoi ne pas profiter des contrepoisons de la civilisation, les bons livres ? Ils fortifient et répandent le calme dans l’âme. Je ne puis douter de ce qui est véritablement bien, mais au milieu des fanatiques et des intrigants, il faut de la réserve.

— On se reproche trop souvent d’avoir changé : c’est la chose qui a changé. Quelle chose plus désolante ? J’ai deux, trois, quatre amis : eh bien ! je suis contraint d’être un homme différent avec chacun d’eux, ou plutôt de montrer à chacun la face qu’il comprend. C’est une des plus grandes misères que de ne pouvoir jamais être connu et senti tout entier par un même homme ; et quand j’y pense, je crois que c’est là la souveraine plaie de la vie : c’est cette solitude inévitable à laquelle le cœur est condamné. Une épouse qui est de votre force est le plus grand des biens. Je la préférerais supérieure à moi de tous points, plutôt que le contraire.