Journal (Eugène Delacroix)/7 juin 1853

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 218-219).

Mardi 7 juin. — Achevé l’article.

Vers quatre heures, promenade dans la forêt. J’y ai revu les mêmes objets que l’autre jour, dans cette allée qui va à l’Ermitage, éclairés de même ; et cependant ils ne m’ont pas fait le même plaisir.

Dîné chez Mme Barbier ; toute la soirée, on n’a parlé que de l’amour et de ses singularités. Elle a eu l’idée la plus drôle du monde : on parlait de la quantité d’enfants qu’on rencontre à Soisy… « Au fait, dit-elle, que pourraient-ils faire dans un endroit si triste ? On n’y a pas de vue : il faut bien se distraire par quelque chose. »

Le soir, en revenant, les étoiles, qui n’avaient pas paru depuis quelques jours, ont brillé de tout leur éclat. Quel spectacle au-dessus de ces masses noires que forment les arbres, ou aperçues à travers les branches ! J’ai été au jardin de Gibert, et j’ai retrouvé la même odeur divine qui m’avait déjà charmé, mais un peu affaiblie… Je m’en suis éloigné avec peine.

Je crois enfin que je partirai demain. J’ai peut-être un peu moins de plaisir, non pas parce que je suis ici depuis longtemps, mais parce que j’ai arrêté de partir. Je me dis souvent, en pensant à l’amertume qui se joint toujours à tous les plaisirs : Peut-on être véritablement heureux dans une situation qui doit finir ? Cette appréhension de la rapidité et du néant, à la fin, gâte toute jouissance.